Lorsqu'on est d'un caractère un peu fort, méfiant, voir souvent désagréable, on a plutôt intérêt à avoir le bon background derrière soit. Aujourd'hui, on a fortement tendance à chercher une raison à nos écarts dans la vie de tous les jours à l'intérieur de trouble qu'on a vécu dans notre enfance. Style complexe d'Oedipe, ceci, cela, votre père ne vous a jamais lut d'histoire à l'heure du couché,... Par exemple, votre difficulté quasi-maladive à faire confiance aux bonnes gens qui vous entourent est sous doute dû au fait qu'on vous a fait croire à tort que Fitou, votre vieux chat avec sa tache sur l'œil, s'était enfui. Vous avez probablement dû déchanter salement lorsque fut remarquée la soudaine apparition de cette tache brunâtre, indélébile, à l'emplacement de l'automobile familiale. Aah, ce bon vieux Fitou. Bon bref, la question n'est pas réellement l'histoire tragique de la rencontre d'une boule de poil et d'un vicieux rond de caoutchouc.

En effet, si vous avez perdu votre fidèle compagnon félin, vous pouvez vous en remettre, même si c'est dur. J'ai foi en vous. Vous n'avez rencontré rien d'autre qu'un aléa; c'est comme ça que je les nomment, nos petits tracas ; et ça, vous n'êtes pas le seul, ne vous en faites vraiment pas. Il y a de gros, de petits aléas, certains sont vite oubliés, d'autres ne veulent pas quitter votre esprit. Nous parlions d'enfance il y a de cela un instant, alors commençons par là pour ce qui est de notre cas. Si Tristan Hewson n'avait pas vécu ce qu'il a vécu avec ses proches alors qu'il était si jeune, peut être ne serait-il pas celui que nous connaissons aujourd'hui, c'est même sûr. En fait, si je désirais continuer dans cette vision de l'absurde, je dirais que Tristan Hewson serait peut-être un peu plus équilibré s'il avait suivi des cours de taï-chi dés l'enfance, juste après qu'il... Vous savez ? Non ? Vraiment pas... Soit.

C'est vers trois ans qu'un être humain lambda commence à créer, dans son petit bocal, ses premiers souvenirs. Bon, ce n'est qu'en théorie, en réalité on ne se rappel jamais vraiment de cette époque, à moi de se triturer les méninges à la limite. C'est sans doute pour cela que Tristan Hewson ne se souvient pas, par bonheur, des atrocités qui on frappé sa famille lorsqu'il sortait tout doucement du berceau. La disparition de sa tante et de sa grand-mère paternelle ne fit donc pas grand éclat dans sa petite vie de bambin, après tout, le petit rayon de soleil d'un couple des plus simple n'allait pas s'arrêter de briller pour quelque chose qu'il ne comprenait pas. Tristan vécut donc une enfance des plus agréables, parfaite pour ainsi dire. Si comme tous les jeunes garçons, il adorait sa mère, son père demeurait pour lui l'image, que dis-je, le modèle de sa vie. Bon, on va rationaliser directement. Liam Hewson n'était pas le plus doux des hommes, mais il a su inculquer d'importantes valeurs à sa progéniture, rigueur, justice, ... Bref, jusqu'à ses huit ans, pas une ombre au tableau, il ne semblait pas y avoir de raison, il avait de bons résultats à l'école, une bonne condition physique pour son âge, il marquait quelque fois au hockey même ! Et ses parents étaient derrière lui.

Mais c'est bien connu, quand les choses vont trop bien, il y a toujours quelques... Vous avez suivi non ? Des "aléas" ! Bien, répétez-le pour ceux au fond qui n'écoutent pas. Je plaisante. C'était un soir qui devait être comme les autres, et pourtant. Liam ne revint pas, c'est tout, c'est aussi simple que ça. Bon, au début ce genre d'inquiétude est gérable pour un adulte raisonnable, un petit retard sans doute, mais dans la tête d'un gamin de huit ans, c'est inquiétant, voir, n'ayons pas peur des mots, apocalyptique. À cet âge-là, on a du mal à trouver le sommeil lorsqu'un parent manque à l'appel, d'ailleurs, on ne le trouve pas quelquefois, cette nuit l'était de ce genre pour le petit Tristan. La police débarqua, bien sûr, trop jeune, Tristan ne bougea pas de son lit. Après cela, Sienna, sa mère, vint l'emmener dans sa propre chambre. Elle était anxieuse, pourtant, dans ses bras, le petit trouva vite le sommeil. C'est à partir de cet événement que la vie insouciante du petit Tristan Hewson prit un tournant très différent, voire désastreux. Son père vint dans la nuit, sans qu'il comprît, il eut altercation entre ce dernier et sa mère. Celle-ci ordonna à Liam de partir, ne laissant même pas au petit le bonheur d'une étreinte paternelle. Ces souvenirs restèrent bien vivants dans sa mémoire pour les années à venir, leurs derniers regards échangés, leurs derniers mots.

Ensuite,... Et bien... Pour le petit Tristan. Roh je ne sais pas ! Comment vous réagiriez, vous, si votre père était accusé de décimer de pauvres gens sans défense ? Ho, et qu'un peu plus tard, on vous annonçait qu'il était mort. Voilà, fin de l'histoire, on la garde ! Pouvez-vous seulement imaginer ? Dés les jours qui suivirent, le comportement de l'entourage de Tristan changea du tout au tout et ce directement envers lui. Étrangement, ses camarades le regardaient de travers, les enseignants aussi d'ailleurs, on le traitait différemment, ses amis lui tournaient petit à petit le dos, sans doute encouragé à s'éloigner du jeune représentant de la famille Hewson par leurs propres parents. Il vécut donc dans un climat un peu moins,... Relax, que ce qu'il avait jusqu'alors connu. Il était le fils d'un tueur en série et, qu'il le veuille ou non, il allait devoir l'assumer. Ce titre le poursuivait, à un tel point qu'il avait une peur bleue de devoir prononcer son nom. Avoir de la pitié n'est pas vraiment mon job, mais sincèrement, ça ne doit pas être grandiose de grandir dans ce genre d'atmosphère.

Enfin, rien de spécial à signaler jusqu'à son seizième anniversaire : il ne se faisait pas beaucoup d'amis, avait quelques "mauvaises fréquentations", une adolescence pas très joyeuse rythmée par une rébellion constante contre Sienna, un peu trop protectrice envers lui. Il ne cessa jamais de lui reprocher la disparition de Liam. Comme la naissance d'une migraine, son don se manifesta à cet âge-là, le pire moment à n'en pas douter. Comme si ces "aléas" ne suffisaient pas, des voix résonnaient autour de lui, d'abord faible, uniquement perceptible dans le silence le plus parfait, puis de plus en plus présent dans sa vie active, oppressant. Et sincèrement, comme n'importe qui, il se crut en bonne voie pour devenir complètement fou. Comme son père ? Lui pour sa part ne croyait pas à toutes ces histoires, quoi qu'on en dise autour de lui, il s'y refusait catégoriquement, le petiot ! Courageux jeune homme.

La folie semblait naître partout dans cette époque funeste, dans sa ville, dans sa propre tête, ... Mais ce n'était pas tout, le délire ambiant l'attaqua une deuxième fois de plein fouet, lorsqu'un groupe d'individus s'introduit chez lui pendant son absence et, ... Oui, sa mère. Des illuminés que voulez-vous, ils beuglaient qu'elle faisait "partie de leurs" ou des âneries de ce genre. Oui, c'est fragile la vie d'un humain, un petit "bang" bien placé et puis... Bon bref, toujours, est-il que Tristan Hewson se retrouvait orphelin à l'âge de dix-sept ans, sans trop savoir où aller, sans trop avoir envie de terminer dans un centre d'accueil pour môme. Toujours est-il qu'il va devoir trouver une solution, maintenant qu'il est vraiment seul face à son destin, un peu comme l'était le héros de la légende d'où il tire son nom. Sauf qu'il n'y a ni oncle protecteur, pas de famille royale, pas de main tendue. Quoique ? il ne l'avait jamais totalement oublié, son père lui avait vaguement expliqué qu'il avait une soeur,... Enfin une demi-soeur issue d'une histoire de jeunesse. Il était peut-être temps de se pencher là-dessus.

Votre correspondant est occupé. Veuillez laisser un message après le signal sonore ou tenter un nouvel appel dans quelques instants ... ... ... BIP.

« Sienna ? Je reviens à pied de l'entraînement. C'est libre à toi de décider de me laisser rentrer seul, mais préviens moi la prochaine fois, merci. »

Tristan venait d'employer un ton tout à fait particulier, le ton "Spécial Sienna". Celui-là même qu'il employait depuis de nombreuses années à son égard. Il n'y avait pas de raison, pour le jeune homme, qu'il en fut autrement. Il ne voyait en elle qu'une mère qui, derrière sa gentillesse, tentait de l'emprisonner dans ses jupons. Ho, il fallait la comprendre la pauvre, une femme seule, sans doute avait-elle peur de finir ses vieux jours complètement seule. De même ça l'arrangerait plutôt bien d'avoir un fiston à la maison pour s'occuper de ses problèmes de vieille, lorsqu'elle en serait au point de ne plus pouvoir se laver seule. Hm. De ce qu'il se souvenait, ça faisait plusieurs années qu'il ne l'avait nommée à l'aide d'un surnom affectif. Les autres sobriquets du type "maman" avaient rapidement été exclus de son vocabulaire, au grand désarroi de la pauvre femme. Pourtant, pour le jeune homme, difficile de voir en elle autre chose que sa tortionnaire, la responsable de sa séparation avec son paternelle et, qui sait, de son décès peut-être ?

C'était donc un début de soirée plutôt classique, la pénombre commençait seulement à s'enjoindre aux rues de la ville, les lampadaires, eux, commençaient leur labeur avec leur habituelle fierté/ Le jeune homme marchait le long du trottoir, son sac de hockey sur l'épaule, en direction de la maison. Il ne restait d'ailleurs plus que quelques rues avant d'atteindre son objectif, non pas qu'il soit spécialement impatient de tomber nez à nez avec Sienna, mais il avait hâte de reposer ses jambes endolories par son sport. Pour son retour, il avait judicieusement choisi un chemin assez à l'écart des grandes avenues, sans pour autant choisir les détours les plus, disons, ... Risqués. Il s'était efforcé, malgré la tension ambiante qui ne semblait pas cesser de monter en ville ces derniers jours, de garder une vie des plus classique, il avait déjà assez de problèmes en lui et chez lui pour ne pas avoir à s'en préoccuper.

« ...te vois... »

« Hein ?! »

Il se retournait, vif et inquiet. Pourtant rien. C'était dingue, il aurait pourtant juré que quelqu'un se tenait derrière lui,... Enfin, il avait eu l'impression que quelqu'un avait parlé comme s'il était juste derrière lui. Comme si le son venait de là, comme si... Non. Il devait se rendre à l'évidence, ce n'était pas le cas. Il n'y avait personne, il n'avait rien entendu, et quoi que tout cela pût être, il aimait autant ne pas en avoir d'avantage. Jetant un regard furtif autour de lui, il reprit sa route. Pas qu'il était spécialement effrayé, il n'avait juste pas envie qu'on l'ait surpris à réagir de la sorte. C'est bien vrai, si l'on voyait, en pleine rue, que le fils Hewson perdait la boule, les rumeurs iraient bon train. Ce qui pourrait terrifier le voisinage, ça serait que le fils tourne comme le père, ça les ferait bien flipper, et ça, Tristan n'y songeait qu'avec le sourire. Certes, il savait. Non. Il sentait que les histoires qui entouraient la disparition du paternel ne pouvaient être vraie. Même si c'était le cas, les preuves lui avaient toujours paru minces, et il se refusait à aborder la question avec qui que ce soit. Encore moins un flic borné et stupide.

Pourtant, il ne pouvait que l'admettre. Ça faisait quelque temps que ça durait, et il ne parvenait ni à stopper totalement le phénomène, ni même à s'y habituer. Sans qu'il n'en ait même le choix, des voix, semblables à des chuchotis, résonnaient dans sa tête. Ils étaient rarement aussi clairs que ce qu'il venait d'entendre, en générale à peine quelques syllabes, des mots à la rigueur,... Là, il ne s'agissait pas de cela, deux mots, articulés l'un à la suite de l'autre, tout cela dans un sens quasi-cohérent. C'était une première, et ça ne le rassurait pas. Le mal en lui continuait-il de grandir ? De s'étendre ? Il allait finir fou à lier. Il se refusait à se confier, sûrement pas à sa mère, et encore moins à un médecin, autant directement s'enfermer lui-même sans avoir à payer le prix d'un consultation. Sa mère aurait certainement encore durci son emprise autour de lui, tandis que le médecin l'aurait catalogué sans tentative de discernement. "Le fils du psychopathe".

« ...Des leurs... »

Saisi d'un frisson, il prit une paire d'écouteur dans sa poche, brancha son portable, et mis la première musique de sa liste à haut volume. Une playlist composée de musiques et chansons capables de détendre les nerfs de Tristan. En bonus, le son masquait à peu près ces voix désincarnées qui le hantaient. Il les entendait toujours, le son semblait d'avantage provenir de sa tête que de l'extérieur de son corps en réalité, néanmoins, c'était à moindre mesure. Et puis, un peu de musique change de toute façon les idées. Il songeait rapidement à d'autres choses, rapport au scolaire, rapport à certains de ses amis, rapports à sa mère.

« ...Sienna... »

S'en était beaucoup trop, sur tout son corps, il sentait ses poils se hérisser, il redressa le regard vers le prochain carrefour. La maison était juste après l'angle mort. C'était également une première, les mots perçus ne l'avaient jamais autant touché de près. C'était le prénom de sa mère. Pourquoi ? Un mauvais présentement, qui aurait peut-être dû naître bien plus tôt, lorsque, par exemple, la voiture familiale n'était pas dans le parking du stade il y a une heure de cela. Ou même quand les appels émis vers sa génitrice sonnaient dans le vide. Quelque chose ne tournait pas rond, Tristan pressa le pas. Une fois le coin de la rue passé, il était désormais évident que quelque chose n'allait pas. La porte était grande ouverte. Bien plus que ça, elle ne tenait qu'à peine sur ses gonds. Vraisemblablement, on avait tenté de garder cette porte fermée tandis que... Hé bien, d'autres avaient décidé que non, elle ne le restera pas. Il entra en trombe.

« Chope-là ! ELLE EST DES LEURS ! Allez !! TIRE !!! Avant que... »

Son sang battait à ses tempes, il perdait totalement le contrôle de ses émotions. Les chuchotements qui le hantaient jour et nuit profitèrent de cette soudaine faiblesse pour monter en masse, à un tel point qu'il avait du mal à percevoir les sons du monde extérieur. En comptant les voix provenant de la pièce face à lui, s'échappant de l'embrasure de la porte entrouverte. Ils étaient nombreux. Bien trop pour que, s'il l'avait voulu, il put leur tenir tête. Sonné, mais pas suicidaire pour autant, il s'approcha de la porte, l'entrouvrit de quelques centimètres de plus, et se figea sur place.

« Sienna ! Mam... »

Sa voix ne couvrit pas le tapage, un bruit sourd résonna à peine eut-il réalisé que, dans son propre salon, sa mère s'effondra sur le vieux tapis, le même sous lequel, étant petit, il cachait ses trésors, en dessous d'une latte amovible du plancher. Sur ses vêtements s'étendait une tâche rougeâtre. Dans ses yeux, il discerna un instant l'incompréhension mêlée au désespoir avant qu'il ne sombre dans la litanie de l'au-delà. Le jeune homme manqua d'hurler, mais cette fois, malgré l'étourdissement, il put avoir un instant les idées claires. Il devait réagir vite, il tourna les talents. Les muscles de son visage demeuraient crispés, il devait garder en lui cette dégoutante émotion qui montait. Malgré la rancœur qu'il ressentait pour elle. Qu'il avait ressentit pour elle. Il devrait désormais songer et parler d'elle au passé... Il quitta les lieux, voyant toujours dans son esprit, comme s'il était toujours là-bas, le regard vide de sa mère, ...

Ce même regard que son père avait peut-être porté sur son meurtrier le jour de sa mort. Ce même regard qu'il se jurait de ne plus avoir à supporter.