Le futur, le passé, tant de choses friables, modulables, incertaines. Le premier est ennuyant, le second est dissimulé sans pour autant en devenir attractif.

C'est dans une petite bourgade du Maine que l'albinos a vu le jour, rejoignant une famille assez aisée. La mère allait bien, le père aussi, alors tout était au mieux dans le meilleur des mondes. Son apparence physique a effectivement beaucoup étonné, tellement même, que ses géniteurs ont décidés très tôt de faire prendre des cours par correspondance à Yolandi plutôt que de la jeter dans le système scolaire où elle se ferait sans doute ennuyer par ses camarades pour sa petite différence. Oh, elle a pu aller jouer dehors autant qu'elle le souhaitait, mais il est évident que ce choix d'éducation a créé une certaine déficience en terme de sociabilité et de compréhension du fonctionnement d'une relation, dans l'esprit de la jeune femme. D'autant plus que, ses parents ayant malgré tout l'impression de la priver de quelque chose en ne l'envoyant pas à l'école, ont été d'un grand laxisme dans son éducation.
Elle passait beaucoup de temps à ne rien faire ou à gigoter sans but, n'étudiant que très peu ses leçons dont elle ne voyait pas l’intérêt. Alors, Yolandi s'amusait comme elle le pouvait, jouant avec des bougies ou faisant brûler des papiers plus ou moins quelconques dans la cheminée. Cela avait un côté très fascinant à ses yeux, puis les livres n'étaient pas une option, son manque de rigueur dans ses études fait que même aujourd'hui, un mot peut s'avérer difficile à déchiffrer pour elle et en ce qui concerne son écriture, elle semble quasiment illisible à un œil non-aguerrit.
Un jour, ses géniteurs ont décidé, principalement par rapport à leur emplois, mais aussi pour une question de température, d'aller s'installer à la Nouvelle-Orléans. La petite n'a pas montré de désapprobation, il faut dire qu'elle n'avait rien à regretter. Elle fut surprise de découvrir un paysage différent, de poser son regard sur quelque chose de jamais vu auparavant à chaque fois qu'elle tournait la tête. Une semaine d'automne sec l'accueillait dans sa nouvelle ville et la demoiselle Vane décida d'aller visiter un parc pour découvrir encore un peu plus les lieux. Durant tout le chemin, elle tripotait un briquet dans sa poche, ce dernier oublié par mégarde sur la table de la cuisine par un de ses parents.
En laissant la flamme lécher la feuille morte, puis en la jetant sur un un tas d'herbes sèche, elle ne pensa pas à ce qui pourrait arriver par la suite, mis à part au fait qu'elle allait regarder un feu danser. C'est bel et bien ce qui arriva, mais très rapidement, celui-ci prit de l'ampleur, commença à escalader les arbres et autres végétaux, dégageant une fumée noire qui avertis d'autres promeneurs, ce qui permit d'éviter que le véritable début d'incendie ne commence à devenir très difficile à gérer. Le coupable fut découvert rapidement, Yolandi avait encore le briquet dans la main quand la dernière braise fut tuée.
Les parents eurent une bien mauvaise réputation, car la nouvelle fit le tour du voisinage en quelques heures, mais on désigna cet événement comme un accident non-volontaire, du moins, pendant un temps. Oh, elle ne fut même pas vraiment puni, si ce n'est une interdiction de sortir pendant quelques jours et le fait que les briquets étaient maintenant bien surveillés. Seulement, il n'y avait aucune cheminée dans la nouvelle demeure et voilà quelque chose qui manquait à la petite. C'était un détail, mais celui-ci faisait parti de son environnement depuis toujours. C'est ainsi que deux jours après le premier accident, un soir alors qu'elle s'ennuyait sans pouvoir trouver le sommeil, la jeune fille se leva et en marchant doucement, alla prendre une boite d'allumette qu'elle avait aperçue dans la cave. Elle réuni ensuite, toujours sans faire de bruit, quelques papiers qui traînaient sur un bureau, les posa sur le tapi du salon et jeta le bâtonnet déjà dévoré par le feu, en plein dans cet amoncellement. Rapide, encore une fois, il avait déjà dévoré le centre du tapis alors que Yolandi s'asseyait un peu plus loin.

Pourquoi n'avait elle pas retenu que ce n'était pas bien de faire ça ? D'abord car on ne lui avait pas expliqué les raisons pour lesquelles elle avait été punie, or elle ne pouvait pas les deviner toute seule et même si elle avait pu, la première fois c'était dans un parc, à présent, dans sa maison, cela n'avait donc plus rien à voir, selon elle.

Dans tous les cas, la fille Vane avait maintenant reculé de plusieurs mètres, elle avait envie de s'approcher plus près de ce qu'elle avait créé, mais n'osait pas. Une lourde fumée noir recouvrait le plafond et s'était depuis un certain moment faufilée au premier étage. Tout le fond du salon était un brasier, un rideau, pourtant encore assez éloigné des flammes, commençaient lui aussi à brûler à cause d'une étincelle. Des toussotements résonnèrent en haut, puis comme un hochet de surprise, avant que des bruits de pas ne dévalent les escaliers. Yolandi n'entendait pas, elle était totalement absorbée par le spectacle, d'autant plus que la fumée ne la dérangeait pas plus que cela, vu sa taille et le fait qu'elle était assise. Une main vint saisir violemment son petit bras et en quelques secondes, elle était à l'extérieur, ses parents affolés et aspirant désespérément tout l'oxygène qu'ils pouvaient, cherchaient du secours tandis qu'elle ne comprenait pas ce qui se passait.

C'est ainsi qu'à 12 ans, Yolandi fut internée dans un asile et elle y resta le même nombre d'années. Car avec elle, il n'y a jamais aucun progrès et vous aurez beau lui dire qu'elle aurait pu tuer ses parents – qui ne demandaient d'ailleurs plus de nouvelles d'elle puisqu'ils pensaient que c'était effectivement pour cette raison qu'elle avait fait cet incendie – elle vous répondra simplement qu'il n'y avait pas de cheminée et si vous insistez, elle répétera les mêmes mots avec un ton se gonflant de colère et un regard partagé entre le fait de vous trouver stupide et celui de ne pas vous comprendre. Et il y a plein de choses à dire sur ces douze longues années. C'est là-bas qu'on lui fit remarquer réellement sa différence physique, alors, oubliant toutes les fois où elle avait vu son visage dans un miroir auparavant, elle s'est persuadée que celle-ci a été trafiquée par les médecins. Elle rencontra celle qui est pour elle comme une sœur, ainsi que d'autre personnes bien moins agréables. Beaucoup d'autres anecdotes pourraient être racontées sur cette époque, mais sans liant, elles perdent de leur saveur.
Et à présent, voilà qu'on lui annonce après tant d'années, qu'elle peut enfin sortir. Officiellement, elle est guérit, officieusement, l’hôpital psychiatrique est bondé et il a fallut choisir entre elle et un autre patient – quel établissement peu fréquentable. Coup de chance, elle paraît moins dangereuse après tout ce temps. Enfin, à vrai dire, elle est surtout inconsciente de ce qu'elle fait, ce qui n'est pas très glorieux.

L'air ne lui a pas semblé plus doux, il faut dire qu'il y avait aussi un jardin à l'asile et que la différence ne se fait pas en son esprit. Et puis à vrai dire, il n'y a que les Romantiques pour imposer leurs sentiments à la nature. Elle marche depuis quelques temps, peut-être une vingtaine de minutes : l'établissement était un petit peu éloigné de la ville. La soirée est belle, le ciel ne porte que peu d'étoiles à cause des lumières de la ville, mais ces petites choses brillantes attirent tout de même l’œil. On lui a rendu ses affaires avant de la laisser partir, ce qui fût un moment assez ridicule, surtout lorsqu'on lui a tendue la robe qu'elle portait le jour de son internement. Elle a d'ailleurs hésité quelques secondes avant de l'enfiler, légèrement courroucée par le rire de la gardienne. Heureusement, la robe était ample et Yolandi n'a pas beaucoup grandi, néanmoins elle a hâte d'être arrivée à destination pour pouvoir enfiler quelque chose de plus confortable et de moins court. Où va-t-elle ? Passer devant son ancienne maison ne sera pas qu'un plaisir et pourtant, c'est ce qu'elle très certainement faire. Ensuite.. Hé bien le hasard fera les choses. Emily vient aussi de la Nouvelle-Orléans et l'albinos ne se ment pas sur le fait qu'elle espère vraiment l'y retrouver.
Les rues de la ville ont changé depuis le temps, il n'y a que quelques passants et certaines vitres sont brisées. Une ambiance indescriptible rôde dans les parages et des courants d'air froids font frissonner Vane qui accélère un peu le pas. Elle tourne a droite et la voilà qui se retrouve face à la demeure qu'elle recherchait. Les années passées ont laissé des traces, un des murs de briques rouges est lézardé tandis qu'il autre laisse une plante s'agripper à sa surface. Un panneau « à vendre » est accroché au portail. Ils ne voulaient vraisemblablement pas la revoir, on dirait. Yolandi hausse un sourcil, assez surprise d'apprendre cela aussi directement. Que faire à présent. Elle n'a même pas une pièce avec laquelle s'acheter un paquet de chips ou à boire. Elle reste quelques minutes face à ce portail, son cerveau ne voulant pas trouver de solution, puis, le plus simple s'impose. Elle se remet en route, le voyage ne sera pas long.
Quelques minutes plus tard, la voilà assise sur un banc, la tête légèrement levée vers le ciel. Il serait bon de trouver une solution, une vraie, assez rapidement.