Janvier 2015, commissariat de police de Salem

L'état de fatigue n'était pas l'état que Scarlett détestait le plus. Mais à ce moment-là, elle se sentait épuisée et commençait à mal le vivre. Elle était en garde-à-vu depuis bientôt quarante-cinq heures, n'avait pas dormi depuis presque cinquante-huit heures et tout partait doucement en vrille. Elle était accusée du meurtre d'un jeune homme d'à peu près son âge alors qu'elle n'avait aucun lien avec lui. Enfin presque. Elle soupira. Elle venait à peine de revenir et comptait bientôt repartir mais elle était coincée dans cette fichue cellule à attendre qu'on la relâche. Les policiers l'avaient interrogé à de multiples reprises sur son alibi, son mobile et tant d'autres affaires liés à l'enquête. Tant de questions sur son passé, son présent et sur possible futur en prison l'avait replongés dans de lointain souvenir dont elle ne s'était plus souvenue depuis longtemps.

Née comme la tradition de sa famille l'exigeait, cela s'était passé dans la ville de son lointain héritage, à Salem. Ses parents avaient quitté la ville longtemps avant sa naissance pour s'installer à New-York mais avaient promis de revenir pour la naissance de chacun de leur enfant afin qu'ils soient baptisés dans la tradition familiale. Si sa mère avait craint pour la vie de son enfant à venir, elle l'avait quand même fait. Ce baptême se passait sur forme de rituel sombre à la lune le lendemain de la naissance de l'enfant. On le plongeait dans une certaine potions toxiques pour de simples humains non protégés. Le bébé n'était pas sorcier et se faisait détruire si il ne portait pas en lui l'héritage familial. Cela pouvait s'avérer dur mais presque tout les enfants avaient survécu et ce depuis la nuit des temps. Encore heureux que toutes les familles de sorciers de Salem ne faisaient pas cela parce que beaucoup d'entre eux n'auraient pas survécu. La plupart avaient quitté la ville contrairement à la grand-mère et la tante de Scarlett. Les deux femmes avaient préféré développer leur savoir Vaudouns dans cette ville. Le père de la jeune femme, humain, avait réussi à attirer sa femme hors de la ville mais pas à l'empêcher de revenir. C'était ce qui les avaient perdus. Ils avaient décidé de ne pas éduquer leur fille dans la tradition et de ne surtout pas la laisser maîtriser le sombre art de la magie que les deux membres de sa famille restés à Salem pratiquaient. Cela n'avait eu pour but que de les énerver, avait poussé Deliah à faire le pire concernant sa sœur. Deliah, tante de Scarlett, avait longuement mais sûrement glissé vers des forces de plus en plus sombres et sa lucidité était partie avec le peu de compassion qui lui restait. Elle avait sombré dans une folie destructrice et dangereuse et avait dans le même temps perdu l'amour qu'elle portait à sa sœur. La nuit du baptême, le très jeune bébé avait survécu et rejoint son petit lit dans la chambre qu'occupaient ses parents. Mais plus tard dans la nuit, une quatrième ombre les avait rejoint. Elle avait eu la force destructrice de faire le pire et avait assassiné sa sœur et son beau-frère avant d'embarquer le pauvre bébé, désormais orphelin, chez elle. A la découverte des corps et du bébé manquant, la grand-mère de Scarlett avait compris et n'avait signalé que les meurtres en clamant qu'un homme, connu pour plusieurs meurtres déjà dans la ville, avait sévi chez elle, qu'elle aurait pu mourir et que la pauvre Scarlett avait été épargné grâce à sa tante. Deliah fut tout de même suspecté à cause de quelques incidents qu'on lui avait mis sur le dos mais quand ils la crurent tant compatissante pour l'orpheline, ils la libérèrent. C'est ainsi que Scarlett fut élevée par sa tante folle et dangereuse.

« Scarlett ! Où est-elle ? Criait une voix terrible et menaçante. Que lui as-tu encore fait ? »
Deliah déboula dans la chambre de sa nièce et la trouva comme à son attente assise par terre mais pas seule. Le chat, familier de sa tante, dormait paisiblement tandis que la jeune enfant jouait avec une poupée plutôt effrayante et sombre. Elle était mal fichue, mal cousue et visiblement vieille.
« Rends-moi toute de suite ma poupée vaudou, maudite enfant ! »
Un vent violent frappa la pièce et la jeune femme perchée au dessus de l'enfant reçut un grimoire dans le visage. Amalia, sa mère, morte deux ans après la naissance de Scarlett avait continué à veiller sur l'enfant. C'était ainsi depuis sa mort et allait continuer jusqu'à ce que l'on vienne prendre le relais quelques années plus tard. Deliah, jetant un regard noir à sa mère décédée, elle ajouta :
« Va étudier, et surtout va prier les iwas ! Cela te fera du bien sale gosse.»
Scarlett n'était pas malheureuse, loin de là, mais sa tante faisait tout pour réduire la joie de la jeune enfant. La joie ne devait pas être dans cette maison, elle n'avait pas sa place. L'éducation de la petite brune était strict, réglée à la minute près, basée sur la magie et balayait toutes les émotions que l'on considérait chez elles comme risible et faites pour les faibles humains bien inférieures à elle.
Au fil des années, la brune voyait ses pouvoirs grandir et sa puissance se dévoiler peu à peu mais malheureusement la maîtrise de tout ça ce faisait de plus en plus difficile. La plupart du temps, elle y arrivait mais certains jours, quand la colère se faisait plus violente, quand la solitude se ressentait, elle perdait le contrôle et ses sortilèges déraillaient. A l'adolescente, ça n'était que des répercussions mineures mais passé dix-huit ans, cela devenait gênant. Elle commençait à attirer de plus en plus d'esprits qui voulait voir cette sorcière infichue de tout contrôler comme il se devait. Certains pensaient pouvoir la posséder mais cela s'avérait plus difficile que prévu.
Deliah, quant à elle, avait mal vieilli, sa folie et la multitude de talismans utilisés, de potions absorbées et de sortilèges jetés l'avaient affaiblies et rendu malade au point d'être forcé à garder le lit. Elle était vulnérable et encore plus exécrable qu'auparavant. Scarlett s'y était habitué et c'était aussi grâce à tout ça, qu'un jour, elle se rendit compte que sa tante était debout et particulièrement douce. L'incompréhension s'empara d'elle. Quelque chose ne tournait pas rond. Un rapide sortilège lui confirma ce qu'elle pensait, un esprit avait jeté son dévolu sur la pauvre vieille femme. Elle était une possédée et l'esprit était visiblement une femme agréable qui était morte avant d'avoir pu avoir des enfants. Elle était maternelle avec Scarlett, qui appréciait qu'enfin on arrête de lui crier dessus à longueur de temps même si elle la trouvait agaçante et débordante d'émotions. Elles vécurent ensemble deux ans avant que le corps de Deliah ne lâche complètement.
Scarlett se retrouva seule, avec l'héritage magique et pécunier laissés par sa famille faisant des études de médecine dans le but ultime de devenir médecin légiste suite à la découverte de sa particularité. Elle était Nécromancienne. Elle pouvait lire dans les organes et découvrir certains éléments du futur. Elle l'avait découvert car sa tante avait insisté pour vérifier si sa nièce l'était. Elle fit ses quatre ans à l'université de Salem, quitta sa ville natale à vingt-deux ans afin de finir sa formation à la Nouvelle-Orléans attirée par l'envie de tomber dans le Chaos de Belaam. Fascinée par cet esprit, capable de tant faire jusqu'à lever une armée, elle décida de le rejoindre.

Et désormais, elle se retrouvait médecin légiste, Nécromancienne et surtout coincée en garde-à-vue à Salem. Elle était venue pour régler une affaire durant un mois voire deux concernant sa famille avant de tomber sur une humaine désespéré qu'elle avait connu durant ses années d'école, qui avait été longuement battue par son ancien petit-ami et même violée qui avait besoin d'aide, de celui d'une sorcière vaudouns pour accomplir l'impensable. Pas besoin de lui demander une deuxième fois. Il avait été un monstre et même si il avait mis le Chaos, cette jeune femme recherchant de l'aide avait été la seule personne qui n'avait jamais craché au visage de la jeune brune. Donc oui elle avait tué ce jeune homme, avec une poupée vaudou et un sortilège, oui mais personne n'allait bien la croire. On la penserait folle, ou moqueuse et elle n'avait pas besoin de cela. Alors elle ne dit rien et attendit sagement qu'on la relâche.

Mai 2015, dans une salle sombre de NOLA

Assise au fond, l'air dédaigneuse, Scarlett observait son maître Belaam faire un discours passionné à une assemblée peu vivifié. Cela arrivait de temps en temps et était du plus grand ennui pour tout le monde. Il voulait rappeler à tout le monde qui était le chef et pourtant il n'y avait presque personne ce jour là. C'était le Cinco de Mayo, personne n'en avait grand chose à faire de Belaam qui répétait toujours les même choses. Elle soupira. Les choses bougeaient mais pas assez vite selon elle. Elle se leva, se déclarant à elle-même que si il avait des choses à lui dire, il savait où la trouver. Elle y réfléchit à deux fois. Elle ne pouvait pas se permettre de le dédaigner ainsi. Il était son maître et elle avait déjà l'impression qu'il la mettait de côté. Si elle partait, il risquait de l'avoir dans le collimateur et si elle le perdait lui, elle risquait le rejet complet de Belaam voire la Mort... Elle se rassit, silencieuse telle une tombe et attendit patiemment la fin de la réunion.

Janvier 2015, retour à la Nouvelle-Orléans
Regardant le paysage marécageux du Mississippi au travers de la fenêtre du train, Scarlett songeait à ce qui l'avait poussé dans ce moyen de transport rarement utilisé aux États-Unis. Elle essayait toujours de comprendre pourquoi elle avait choisi de quitter une nouvelle fois cette fichue ville de Salem qui était sa ville natale pour cette ville au bord des marécages, sombre et pleine d'esprits, de médiums et d'exorcistes fous à lier lancés dans un guerre du bien contre le mal. La population de la Nouvelle-Orléans, quelle sacré pagaille. Il se trouvait qu'il y avait en plus de tout ça des possédés -ce qui semblait plus que logique puisque qu'il avait des exorcistes- mais eux elle les appréciait et s'en amusait même. Ils avaient l'art de semer la pagaille dans la ville et les corps humains en souffrance la réjouissaient fortement. C'était grandement ironique qu'elle appréciait autant cette catégorie puisque sa tante, celle qui l'avait élevé, avait fini possédé et en était même morte peu de temps après. Tout s'expliquait pourtant par le fait que la séduisante brune n'avait jamais appris ce qu'était l'amour et la compassion. Cela pouvait en choquer certains mais cela semblait plutôt normal à Salem. La plupart des sorciers et sorcières y vivant encore possédaient encore en eux cette haine profonde envers les humains qui les avaient envoyés au bûcher ou au moins avaient décrétés que le Bien, le Bonheur et l'Amour étaient des fléaux pour eux puisque c'était pour le “Bien” qu'ils avaient été pendu ou brûlé autrefois.
Le train s'ébranla s'arrêtant à la gare de NOLA comme on appelait la ville familièrement. La jeune femme récupéra ses bagages et se dirigea vers la sortie. Une fois les pieds posés sur le sol, elle se sentit à nouveau puissante, calme et dans un sens heureuse. Elle se sentait désormais plus chez elle à la Nouvelle-Orléans que là où elle avait grandi toute sa vie. Peut-être grâce à cette guerre rampante où le chaos régnait secrètement. Elle avait toujours vécu dans l'ombre alors continuer pour ce qu'elle jugeait être la bonne cause, cela lui semblait tellement réconfortant. Elle se sentait utile et vivante. Elle pouvait mettre ce qu'elle avait appris au service de ce en quoi elle croyait.
Elle savait déjà qu'en regagnant son appartement dans le quartier Marigny-Bywater, elle y croiserait Belaam, désireux de savoir ce qui s'était passé à Salem et par rapport aux différentes informations qu'elle avait pu récolter ces derniers jours sur la possibilité d'obtenir plus d'allier sorciers de grande lignée. Elle soupira, déçue d'avoir échoué dans cette mission et sachant déjà qu'elle allait se faire violemment disputer par son ''maître''.