Nous y étions enfin, seule face à ce moment fatidique où le passé allait inexorablement venir nous réclamer son dû. Alors que Pa'Obi venait de nous délivrer ses derniers impératifs qui ressemblaient plus à une mission suicide, ce dernier nous laissa planté là, sans rien ajouter de plus. Soit ce dernier était incroyablement optimiste, soit son inconscience était au moins aussi grande que l'étendue de son savoir. Je jetais un coup d'œil amère à Sophya avant d'extirper un paquet de cigarette de la poche de ma veste en cuir et de lui faire signe d'y aller d'un mouvement de tête. Je l'attendais alors dehors, allumant le bâton de nicotine qui me donnait l'impression de se consumer à toute allure. Quelle merdier, vraiment, de tous les endroits pourris où on aurait pu se retrouver coincée, il fallait que ce soit de nouveau là-bas. Il savait que j'avais en horreur ce lieu, il savait ce qu'il représentait pour moi, pour nous et cet enfoiré prenait un malin plaisir à nous y envoyer. Oui, je n'étais pas objective, sans doute faisait-il cela car il nous pensait prêtes mais, en cet instant précis, je n'en avais strictement rien à faire de ce que notre mentor pouvait bien penser. Je savais que j'avais progressé, que j'avais énormément travaillé sur moi, aussi ardue et rude fut la voie que j'avais décidé d'emprunter à ses côtés, j'avais suivi cet homme jusqu'aux confins des abysses, remettant aveuglément la lumière de mes jours entre ses mains. À présent que l'enfer me tendait de nouveau les bras, ce dernier demeurait absent et attendait de voir si j'allais chuter ou bien en revenir indemne.

Était-ce seulement possible? Allais-je pouvoir trouver ma propre lumière au fond de cet abîme à la noirceur innommable? Je jetais le mégot au loin avant d'en extirper une autre. En réalité, ce n'était pas tant pour moi que j'avais peur mais plus pour celle qui m'accompagnait alors. Cela faisait un moment que nous ne nous étions pas réunies de la sorte, aussi, je savais à présent comment faire pour ne pas perpétuer les inlassables erreurs issues du passé. J'avais aussi pleinement conscience que c'était ces mêmes peurs qui m'avaient un jour freiné qui risquaient de me pousser de nouveau à la faute. Cependant, je n'étais plus la même, il fallait que je l'accepte et que j'ai foi en mes capacités. Je soufflais alors un instant, ressentant l'énergie revivifiant du vent s'insinuer en moi, me remémorant par la même occasion certains instants clefs de mon initiation. La détective me rejoignit alors et sans piper mot, nous nous mîmes en marche jusqu'au One Eyed Jack's. Une fois devant la porte, j'inspectais les lieux au travers des stores qui étaient à demis clos avant de souffler :

- Hé ben… Une chose est sûre, personne n'est revenu faire le ménage depuis un bail par ici…

Je plaçais la main sur la poignée de la porte d'entrée afin d'ouvrir celle-ci et d'investir les lieux avec la brune. J'avais bel et bien raison, tout ici semblait incroyablement dégueulasse. La poussière avait élue domicile en ce bar qui avait coutume d'être plutôt classe en temps normal, la salle de billard était complètement morne et tout en ce lieux rappelait la mort. Plus j'avançais et plus une sensation étrange se faisait sentir, je ne savais pas véritablement décrire ce que c'était réellement mais, un frisson me traversa l'échine, parcourant le reste de mon corps, révélant certains résidus énergétiques qui flottaient encore en abondance dans l'air ambiant. Parcourant un autre pan du bar, je finis par adresser un regard à Sophya :

- Tu ressens ça toi aussi? C'est bizarre on dirait qu'il y a rien en apparence et pourtant, avec tout ça je suis sûre que…

Alors que je venais d'agiter mes mains pour englober l'ensemble de la pièce et illustrer mes propos à la médium, au moment où je m'apprêtais à fermer les yeux l'espace d'une fraction de seconde, un hurlement résonna en mon esprit ce qui m'interrompit au beau milieu de ma phrase. Non, cela n'était pas perceptible via notre ouïe de mortel, la connexion était bel et bien psychique et le lien qui venait d'être établi était loin de m'inspirer joie et gaieté. C'était un peu comme si l'endroit dans lequel on se trouvait tentait de nous dévoiler certaines choses. Je faisais face à un placard qui était loin de vouloir céder, j'avais beau essayer de l'ouvrir pour voir s'il n'y avait pas quelque chose à l'intérieur qui pouvait expliquer ce que j'avais pu percevoir, rien n'y faisait, cette saleté demeurait intacte. Je lorgnais alors du côté de mon amie avant de lui demander en m'accoudant à la table du bar :

- T'as une idée de comment on peut ouvrir ce truc? Tu sais pas s'ils ont laissé des clefs quelque part?

Je n'étais pas dupe, je savais bien que toute cette histoire sentait le roussie à des kilomètres et que ce n'était pas Casper le gentil fantôme qui essayait de nous injecter tout un tas d'information en nos petits crânes de médium.

Sérieusement, il ne pouvait pas avoir de meilleure idée que celle-là. La brune souffla légèrement, échangeant un regard avec son amie, avant d'hausser les épaules et de prendre sa suite vers la sortie. Il lui semblait tout de même qu'on l'envoyait davantage sur le terrain ces derniers temps. Et cela ne lui plaisait qu'à moitié, étant donné le fait que pas mal d'esprits avaient envie de lui faire sa fête. La médium ne pouvait s'empêcher de se dire que c'était des tests qu'on lui faisait passer et qu'avant toute chose, c'était sa résistance que l'on voulait analyser. Hé bien, ils n'allaient pas être surpris quand lors d'une crise de colère, ils allaient se retrouver avec des possédés en bien mauvaise posture. Le trajet qu'elles effectuaient se faisait dans le calme le plus total et la détective ne put s'empêcher de se dire que cela n'était pas plus mal. Il leur faudrait un minimum de concentration pour faire ce qu'elles avaient à faire. Parce que curieusement et même certainement, Sophya se disait que les choses n'allaient pas spécialement bien tourner. Question d'habitude sans aucun doute.

Elles se retrouvèrent devant le One eye et la brune observa les alentours d'un oeil critique. Comme Calixte le faisait justement remarquer, on n'avait pas trop l'impression que la foule se précipitait pour rénover l'endroit.

" Ouais... Je pensais qu'ils rénovaient en plus. Du moins, qu'ils devaient retaper les dégâts qu'on y a fait."

Ironie quand tu nous tiens. Parce qu'en soit c'étaient Calixte, Chase et elle qui avaient foutu l'endroit sans dessus-dessous et qui se tournaient les pouces depuis. Bon, ce n'était pas vraiment comme s'ils avaient cherché à le faire, mais soit. Les deux médiums finirent par pénétrer dans l'endroit, tout en jetant des regards suspects sur l'endroit. Elles s'avancèrent prudemment, tandis que la brunette sortait une lampe de poche pour éclairer certaines places plus sombres. Et quand Calixte lui souffla qu'elle ressentait quelque chose, Sophya finit par hausser les épaules.

" Vaguement. "

Et puis Calixte se précipita vers un placard encore fermé et la détective ne put retenir un soupir. De tous les films qu'elle avait regardé, le placard était sans doute l'endroit qu'il ne fallait jamais ouvrir. S'avançant à son tour, la jeune femme se mit à genoux, passant la lumière sous le renfoncement du sol. Magnifique... rien, elle ne voyait rien...

" Arrête de faire du bruit, laisse moi me concentrer... Je n'entends strictement rien sinon."

La télépathie n'était pas un don forcément difficile à maîtriser, mais en tout cas il était bien ennuyeux à se débarasser. Pourtant, rien ne lui parvenait en l'état des choses ce qui était étrange. Rien, rien du tout. Malgré tout, il était étrange que seul ce truc soit fermé à clé. Jetant un regard circulaire sur la pièce, elle finit par repérer un levier d'une pompe à bière sur le comptoir du bar. Techniquement, cela devrait faire l'affaire pour ouvrir cette porte... Si elle s'avérait un peu plus douée en travaux manuel qu'elle ne l'était autrefois. La jeune femme se releva alors, attrapa l'objet et revint vers la porte avant de faire signe à Calixte de s'éloigner.

" On va peut-être tomber sur la bouche de l'enfer qui sait... J'ai regardé un film y'a pas tellement longtemps et ils ont regretté d'avoir ouvert ce placard..."

Un sourire moqueur prit place sur son visage tandis qu'elle glissait la lame dans la porte et dut s'y reprendre à plusieurs reprises avant de parvenir à la forcer. Finalement, il lui restait peut-être plus de restes de l'orphelinat qu'elle ne le pensait.

" Tu vois... Rien de bizarre... Si ce n'est des araignées partout... Pas de quoi s'inquiéter"