«  Appel à toutes les unités, un incendie s’est déclaré au Gnome dans le French quartier. Nous avons besoin de renforts immédiatement. »

Il ne faut pas deux minutes pour que je me saisisse d’un uniforme et casque pour ensuite me précipiter vers la barre d’acier pour descendre en vitesse des bureaux de la caserne. Le feu se propage bien trop rapidement pour que nous nous permettions de perdre une seule minute. C’est ce pour quoi nous avons été formés : réagir à l’imprévu, quasi instantanément. Mon collègue prend le volant du camion, le démarre. La sirène se met à raisonner : alerte incendie, nous sommes prioritaires dans toute la ville. Réservoir d’eau plein, le camion était prêt quoi qu’il arrive. La Nouvelle Orléans a vécu bon nombre de dommages, elle tiendra le coup face à un incendie. Seulement, des vies humaines sont en jeu, et si le bâtiment a été évacué, il n’est pas rare que des personnes soient coincées dans les étages. Notre présence en ces lieux est indispensable.

Mon collègue pilote  rapidement, pendant que nous terminons de nous vêtir convenablement. Face aux flammes, nous devons être armés pour ne pas mettre notre vie en danger davantage : c’est nous qui devons sauver les civils coincés dans les flammes. Les rues, virages et carrefours passent, nous nous approchons de plus en plus du French Quarter. Nos rôles sont distribués : je me chargerai de surveiller qu’au civil n’est prisonnier du foyer meurtrier. Les origines sont encore inconnues : une enquête sera forcément suivie afin de déterminer s’il est criminel ou non. Ce n’est pas de notre ressort : c’est éteindre le feu qui compte. Le véhicule hurle dans les rues de la Nouvelle Orléans, puis, nous apercevons un nuage de fumée s’échappant quelques maisons plus loin. Nous ne sommes plus très loin de l’incendie. Mon estomac se noue, il est fréquent que la tension monte. Notre responsabilité est grande, beaucoup nous font confiance pour effectuer un travail exemplaire. Nos compétences ? Faire face à l’imprévu, prendre des décisions parfois au dernier moment : souvent c’est une âme humaine que l’on sauve.

Nous sortons du véhicule, pendant que l’un déroule le tuyau, le reste inspecte les lieux : nous aurons besoin de l’échelle pour éteindre le foyer situé à l’étage. A coup sûr, le foyer se trouve dans la cage d’escalier : le plus difficile à éteindre. Je ne m’alarme pas : j’ai vécu pire. A première vue, il semblait que tout le monde ait été évacué : personne n’est capable de le certifier. Il semblerait qu’il manque une jeune femme. Dans le doute, il faudra entrer à l’intérieur du bâtiment : si la victime est inconsciente ou enfermée, elle pourrait mourir parce que personne ne l’a entendu. Je monte l’échelle devant mon coéquipier avec la lance, enfourche mon casque, et m’élance à l’intérieur du premier étage du bâtiment. Les flammes ne sont pas trop présentes à première vue : l’air est irrespirable, gorgeant les poumons d’être chaud et toxique. Je pars en avant à la recherche de cette supposée jeune femme, sans savoir par où commencer. Le magasin comportait avant des articles, désormais brûlés par les flammes, qui se sont propagées en se nourrissant d’elles. Je remarque l’utilisation d’un extincteur : une piste, quelqu’un est passé par là. Mes sens en éveil, je surveille l’œil aguerri toute progression du feu sur mon parcours. J’éteins sur mon passage celles qui dansent autour de moi, me narguant. Patience, l’eau ne tardera pas à couler à flots pour vous tuer.
Où était-elle ? Je fus presque prêt à rebrousser chemin, certain qu’il n’y avait personne…

Les congés ne me réussissent pas, c'est officiel. Oh, je ne pense pas vraiment avoir la poisse. Je ne suis pas aussi superstitieuse que ça. Disons juste que voilà, plus j’ai du temps à tuer, plus le temps finit par me tuer. Tout a bien débuté pourtant. Je me suis réveillée comme une fleur, largement reposée et d’une excellente humeur m’apprêtant à savourer ma journée comme il fallait. En m’étirant devant ma commode et mon monticule de vêtements, j’ai décidé qu’un grand tri ne pouvait pas faire de tort. C’est donc comme ça que j’ai fini au Gnome. Le lien n’est pas évident ? Je vous le concède. En débutant les hostilités avec ma garde-robe, j’ai pris conscience que plus de la moitié de mes robes étaient usées, voir démodées, voir tout simplement tristes à pleurer. Certains me rappelaient mon fichu ex de surcroit. Alors j’ai quasiment tout jeté. Pour faire bonne mesure, je me suis pouponnée rapidement avant d’enfiler jean, une chemise ample et  d’attacher ma crinière en un chignon peu travaillé. Direction le Quartier Français que j’admire autant pour son charme que pour ses boutiques originales. La balade en elle-même fût sympathique et puis j’atterris au Gnome. Je me mets en tête de dénicher quelque chose ici. Je souris à la vendeuse en entrant, me sentant investie d’une incroyable énergie destructrice – à tous les coups, celle de la fièvre acheteuse. Après avoir inspecté le rez-de-chaussée. Je grimpe au premier puis au deuxième étage. Un joli t-shirt me fait de l’œil et quand je le prends entre mes doigts, j’entends quelqu’un crier. Je me retourne intriguée, mon pouls s’emballant presque instantanément. Je suis seule dans cette partie du magasin. Je hausse des épaules avant de réaliser qu’effectivement quelque chose cloche. Je repose doucement le textile que j’ai encore dans les doigts et veux retrouver les escaliers quand une fumée épaisse me surprend. Je ne sais pas identifier la source mais trop vite, elle remplit mon espace et me fait tousser désagréablement.

Je tente de descendre les marches et réussis à atteindre le premier étage. Je ne perds pas mon sang froid malgré les flammes qui me barrent le passage. Je trouve un extincteur sur ma droite et m’amuse à essayer de le faire marcher. La cage d’escaliers ne me semble plus sûre alors je m’enfonce parmi les rayons de vêtements en espérant trouver une autre sortie de secours. L’air vicié me brûle les poumons et les yeux. Mourir asphyxiée, ce serait bien ma veine ça tiens. Je ne perds pas espoir et m’empare d’un bout de tissu que je roule en boule pour m’en servir comme masque rudimentaire. Mes quintes de toux sont de plus en plus terrifiantes. Mais je continue à évoluer de manière hasardeuse alors que les flammes commencent à grignoter la pièce. Je vais crever. Ou peut-être pas. De l’espoir ? Ils ont dû appeler des secours. Je me débrouille toujours avec ma seule arme contre le feu. Non mais je refuse de mourir ici comme ça, bêtement. Je me surprends à sourire au milieu de mon malheur et du drame en pensant que je partage le même sort que les sorcières de Salem sur leur bûcher finalement. Des associations tordues ? Mon esprit commence à m’échapper car j’ai du mal de respirer. Je cherche une fenêtre pour la briser, aérer. Mais avant que j’en trouve une, des bruits de pas m’alertent. Je vois une silhouette au loin. Je ne discerne plus grand-chose à cause des toxines qui me calcinent la rétine. Je le sens plus que je ne l’aperçois d’ailleurs. Il semble vouloir s’en aller. Je n’arrive plus trop à bouger, je suis accroupie en fait. Je ne sais plus à quel moment j’ai pris cette position, tout s’embrouille dans ma tête. Je prends le premier objet à ma portée et le jette avec mes dernières forces sur l’inconnu pour qu’il me trouve. Je murmure plus que je ne crie après lui. « Ici ! »Je tousse encore plus fort après ça et espère qu’il va me trouver parce que je suis incapable de bouger. Je lutte pour ne pas tomber inconsciente. Allez, retrouve-moi.

Parmi toute la fumée ambiante, je cherche, je fouille. Il n’y a plus personne aux étages, ils ont fait erreur. Mon regard se jette au loin vers les vêtements, d’où je ne distingue rien du tout. La fumée se fait de plus en plus compacte et dangereuse. Si je reste trop longtemps ici, je vais également finir par y passer moi aussi. Fixant les ténèbres une dernière fois encore, je commence à tourner les talons, rebroussant chemin. Un bruit m’alerte. Un objet vient d’atterrir à mes côtés. Pas question de faire machine arrière ; aucun doute, quelqu’un se trouve bien parmi les flammes. J’évalue rapidement la trajectoire de l’objet : trouver son point de lancé, c’est trouver la personne coincée dans les flammes. L’extincteur dans les mains, je me fraye à nouveau un passage parmi les flammes. Je pousse les rangées de vêtements désormais brûlées sur le côté. J’ai besoin d’un espace dégagé pour y voir quelque chose. Une silhouette s’y trouve, probablement allongée. Est-elle inconsciente ? Non seulement accroupie. Je m’élance vers elle, en alerte. Je lui somme de fermer la bouche par un index sur la mienne, n’user que de gestes pour communiquer. Inutile de remplir ses poumons de noir de carbone jusqu’à en mourir asphyxiée. Passant un bras sous les siens, je l’aide à se relever, ayant l’impression de porter du chewing-gum. Allez, restez avec vous, tenez bon. Je suis prêt à la porter si nécessaire, bien que je préférerai qu’elle marche à mes côtés pour avoir une main libre et nous frayer un chemin vers la sortie. Pas à pas, nous avançons tout doucement vers la sortie. Nous devons retourner vers la fenêtre d’où je jet d’eau sort. Ce n’est pas bien loin, mais dans les flammes, pas bien loin ne signifie pas grand-chose.

Nous avançons, quand soudain, une poutre s’effondre autour de nous. Je l’entends, et mon reflexe fut de protéger la personne civile, me plaçant au-dessus d’elle. Ma combinaison me protège un peu mieux qu’elle, je dois la sortir vivante de cette fournaise. Ecartant les débris de bois tombés sur moi, je constate que nous ne sommes plus très loin. Sentant la fatigue de la jeune femme, je ne cherche pas à la relever, la prenant directement dans mes bras pour aller plus rapidement. Le chemin semble dégagé, je n’aurais qu’à enjamber les morceaux de tissus embrasés et de ferraille brûlante. J’entraperçois mon collègue et son jet d’eau se battant pour leur survie, c’est plutôt bon signe. Tenez-bon mademoiselle, nous allons sortir d’ici. Les derniers pas me séparant de la sortie me semblent interminables, alors qu’il ne reste même pas dix mètres. La chaleur est étouffante et je crains pour la vie de la jeune femme. Il est de mon devoir de la ramener saine et sauve vers l’atmosphère fraîche de la ville. Cela ne m’est encore jamais arrivé, mais je crains qu’un jour une personne meurt dans mes bras une fois sortie de l’incendie. Des collègues l’ont déjà vécu, je ne suis pas à l’abri de vivre pareil enfer.

L’on m’aperçut enfin et rapidement un autre collègue me vient en aide. La demoiselle doit sortir d’ici en premier, et être à tout prix éloignée de la fumée. Procédure que nous connaissons bien évidemment tous. Au moment de me trouver au niveau de l’échelle, je remarque le vide jusqu’en bas du bâtiment. J’aperçois en bas les secours qui sont arrivés, fort heureusement.