Nathaniel est quelqu’un de particulier. Personne ne peut vraiment prétendre le connaître réellement. A certaines personnes, il présentera le masque sérieux d’un spirite qui pourrait vendre de la peinture bas de gamme à un peintre professionnel, à d’autre, le masque d’un homme qui aime vivre, qui aime les fêtes, les femmes, et qui aime s’amuser, enfin, il pourra montrer celui qu’il est réellement, celui d’un enfant ayant grandi trop vite aux capacités incroyables, celui d’un homme au regard usé conscient du poids du fardeau qu’il porte sur ses épaules. Mais personne ne devine jamais à quel point il peut être sérieux, pour la bonne et simple raison qu’il ne laisse aucun indice. Et ce qui importe, c’est l’image que l’on veut donner. Nathaniel, le tombeur dira la plupart. Nathaniel,  le charlatan ajoutera les autres. Nathaniel, le pas couché, le volage, le plaisantin. Il a toujours une bonne répartie dans sa poche, souvent des moqueries aux dépends d’autres personnes. Ces propos sont pleins d’ironie et de sarcasme, jamais il ne regrettera un mot. Il aime les femmes, peut-être un peu trop, mais ça ne lui pose guère de problème. Il utilise ce qu’il sait faire pour les attirer dans ses filets, elles résistent rarement. Il aime s’habiller, et il faut dire que son métier lui permet de faire des dépenses considérables dans la décoration de son appartement et le contenu de ses placards. Le nombre de riches veuves ou délaissées qui croient aux sornettes qu’il raconte, elles sont des tas. Des fois, elles n’en veulent pas qu’à ce qu’il peut leur dire de leur mari ou famille décédés, non, des fois, elles veulent beaucoup plus et il lui arrive de céder. Après tout, pourquoi se priver de se faire plaisir que ce soit au lit ou dans les magasins lorsque l’on voit ce que la vie nous réserve ? Si un jour il se fait posséder, plus jamais il ne verrait la couleur de cet argent, il en était persuadé. La vie était futile. Remplie de mensonges. Et il faisait partie du système. Et il en veut à Dieu pour ça. Il lui en veut mais ne peut pas le renier, c’est comme ça. Malgré tout ça. Il préfère se dire que le Tout Puissant à merdé plutôt que d’arrêter de croire en lui.

Nathaniel aurait pu vivre une enfance paisible, voire banale. Et ce fut le cas jusqu’à ces six ans. Cela faisait un an à cette époque que son père s’était converti au catholicisme, une façon de penser étrange que l’enfant avait du mal à intégrer. La prière avant le repas ? Quelle drôle d’idée, lui il avait faim et il voulait manger avant que ça ne refroidisse ! Pourtant, peu à peu, il s’y était fait. Son père lui avait expliqué ce qu’il ne comprenait pas et il avait admis certaines choses et certains gestes. Rien n’était encore machinal mais il y pensait à chaque fois, pour faire plaisir à son père. Son père ce héros qui avait survécu à une fusillade grâce à Dieu. Si Dieu avait choisi que son père vive, c’était bien qu’il était un héros ?... Bien plus que sa mère en tout cas. Nathy qu’elle l’appelait avant, puis le froid et la distance s’imposèrent entre eux au cours des mois suivant. Jusqu’à ce qu’elle essaye de le noyer dans sa baignoire. Nathaniel se débattait, il suffoquait, sa gorge le brûlait. Il refusait de respirer. Non. Pourquoi sa mère lui faisait-elle du mal comme ça ? Quand la poigne disparue pour le libérer, il était inconscient. Son père l’avait sauvé. Ce héros. Depuis ce jour, il n’avait plus jamais adressé la parole à sa mère, pas même le jour où ils la firent interner, pas même le jour où son père l’amena la voir pour son anniversaire. Elle l’avait trahi et il ne comprendrait que bien plus tard pourquoi.

Avec les autres, Nathaniel devint de plus en plus extraverti. Les années passaient, plus la haine qu’il avait pour sa mère grandissait et plus il devenait désinvolte, arrogant, et voyou comme le disait si bien son père. Son sens de la répartie s’était accru et il menait en parallèle ses études avec un brio qui étonnait tout le monde. A le voir rire, aller et venir, on aurait pu croire à un garçon turbulent qui allait avoir une adolescence difficile. Les filles fut son seul réel problème. A quinze ans, il avait commencé à s’entrainer physiquement et présenta rapidement un physique attrayant, l’esprit dont il faisait preuve, elles aimaient toutes ça et quel adolescent refuse une fille lorsqu’elle veut l’embrasser. Et il embrassa des dizaines. Il commença à faire la fête, il commença à boire et à fumer. Et il aimait tout ça. Lorsqu’il était saoul, il lui arrivait de s’accrocher avec des gens qu’il trouvait étrange. Cela arriva de plus en plus souvent, jusqu’au jour où cela finit avec les poings. On les sépara alors qu’ils se tapaient dessus et le lendemain sa gueule de bois lui avait fait oublier la moitié de la soirée. Il ne se doutait pas de la réelle nature de ces « personnes » qu’ils sentaient hostiles et différentes.

Malgré cette vie de désenchanté, il fut diplômé facilement. Si facilement qu’il fut major de sa promotion. Autant dire que ses camarades le trouvait surprenant, d’autres le détestait de s’amuser autant et de parvenir quand même à être major. Il ne se fit pas que des amis. Surtout du côté des hommes. Il présenta peut-être sept, huit filles à son père en tant que petites amies mais quand son père le lui reprocha, il ne lui imposa plus ses conquêtes. Après tout, c’était quelque chose de personnel et puis les années passaient et les « petites amies » étaient devenues des « plans d’un soir », rares étaient celles qui duraient. Il ne parvenait plus à comprendre son père trop obnubilé par la religion. Parfois, il lui faisait penser à un fanatique. Lui, se sentait un peu perdu. Il passait beaucoup de temps avec une mambo qui l’avait trouvé un soir, complètement perdu face à un esprit. Il avait eu peur, il ne savait pas ce qu’il se passait et elle lui apprit tout. Elle lui apprit tout ce qu’elle savait, tout ce qu’il devait savoir et même plus. Ici aussi il avait un don, alors il décida de s’installer comme spirite. Il privilégiait les consultations de gens riches, surtout pour ses arnaques, mais lorsqu’il sentait une personne sincère face à lui, il faisait de son mieux pour contacter l’esprit demandé. Parfois, cela marchait, d’autre fois non. Mais il faisait bien attention à refermer les portes comme sa mambo le lui avait enseigné. Personne n’était à l’abri d’une invasion, encore moins lui. Elle lui avait appris à se protéger lui-même d’une quelconque possession car il était puissant et réceptif.  Il fit rapidement fortune, au grand damne de son père. Peu importait. Sa vie lui plaisait et c’était suffisant. Avec tout ce qu’il savait, il préférait profiter que d’être enfermé dans un dogme ridicule. Et puis si Dieu ne l’approuvait pas, il ne l’aurait pas laissé faire n’est-ce pas ? De toute façon, il mettait son don à Sa disposition en aidant un prêtre exorciste. Il lui fallait repérer les esprits et Nathaniel qui était particulièrement doué pour cela c’était proposé, un peu par hasard. Mais il appréciait également de pouvoir porter secours à de pauvres âmes car il savait ce que cela faisait pour ceux qui étaient autours. Il avait appris que sa mère avait été possédée, il n’avait pourtant pas pu se résoudre à aller la voir. Il ne savait pas si elle l’était toujours ou non. Il voulait simplement que ça ne se reproduise pas, du moins, le moins possible. C’était sa vie maintenant. Faire le malin avec les riches d’un côté, accumuler les conquêtes, et renvoyer ses putains de démons possesseurs là d’où ils venaient d’un autre.

La jeune femme resserra le gilet qui enveloppait ses frêles épaules. Elle se trouvait devant la porte de ce Johnson. Elle avait entendu tellement de choses à son propos, en bien, en mal, rien de bien convaincant dans un sens comme dans l’autre. Elle ne croyait pas à tout ça. Les fantômes, les possessions, ce genre de choses, non, ce n’était pas pour elle. Et pourtant, elle se trouvait là, devant cette porte avec un simple gilet sur les épaules alors qu’il bruinait, ses yeux étaient rouges et gonflés à force des larmes qui n’avaient cessé de couler depuis une semaine. Elle appréhendait. Si c’était faux, c’était un charlatan, mais si c’était vrai ? N’aurait-elle pas encore plus peur ? La voix de l’homme qu’elle avait eu au bout du fil pour prendre rendez-vous ne lui avait pas parue mauvaise ou pleine de malhonnêteté. Elle était grave, calme et posée. Il ne l’avait pas brusquée malgré les sanglots qui l’avait empêché de prononcer les mots correctement. Et elle était là, en retard, sous cette bruine désagréable. Elle ne voulait pas savoir au fond…

Un rideau bougea au coin de son regard et la porte s’ouvrit devant la jeune femme. Une main ferme et protectrice s’approcha, passa sur ses épaules comme on recouvre un pauvre hère, et il l’entraîna à l’intérieur. Il passa une couverture sur ses épaules et lui servit un thé chaud avec un nuage de lait. Il ne parla pas, il laissa prendre le temps de rassembler ses esprits, d’arriver dans cet appartement dont la décoration était probablement un peu froide pour une femme mais qu’il parvenait à réchauffer par une cheminée portative au centre du salon et sa propre présence. Il s’installa face à elle et attendit un moment qu’elle boive un peu du thé qu’il avait préparé spécialement pour elle. Elle était jolie cette jeune femme, mais le chagrin et la fatigue l’avait amaigrie. « Il m’a dit que vous attendiez devant la porte, que vous n’osiez pas sonner… » Il leva le visage pour regarder derrière la jeune femme. L’homme, invisible pour elle, hocha doucement la tête. Il la regardait avec un profond chagrin également. « Il n’aime pas vous voir dans cet état, il a toujours aimé votre sourire. » Elle leva les yeux avant de se remettre à pleurer. Nathaniel se leva pour la rejoindre et passa les bras autours d’elle, laissant sa tête reposer contre sa poitrine. Il y avait des jours où il arnaquait les gens. Mais aujourd’hui, il n’avait pas pu s’y résoudre. Lorsqu’il voyait cette tristesse, il voulait simplement la soulager. Il la laissa pleurer un moment, en silence. Elle parlerait lorsqu’elle serait prête. Et elle le fut. « Comment le savez-vous… que c’était mon sourire qu’il préférait… Est-ce qu… est-ce qu’il est là ?... » Elle étouffa un sanglot dans le cardigan du medium qui hocha la tête. « Il est là… et je suis là pour vous transmettre ce qu’il a à vous dire avant de partir définitivement » A son tours, elle hocha la tête. Elle se reprenait doucement. Ils discutèrent un moment, il glissa quelques mots vers la fin pour la faire sourire, cela fonctionna. L’esprit de l’homme sourit à son tour, il regarda Nathaniel et le remercia. Il lui dit qu’il n’oublierait jamais ce qu’il avait fait pour lui, qu’il pouvait partir en paix, qu’elle saurait surmonter cette épreuve à présent. Grâce à lui.

Lorsqu’il ferma la porte derrière elle, Nathaniel s’adossa au mur et lacha un profond soupir. Ces séances-là étaient les plus éprouvantes, pourtant, il savait qu’il ne supporterait pas son don s’il ne faisait pas ça. L’arnaqueur, c’était pour le grand spectacle, pour gagner sa vie, pour avoir des femmes faciles. Les exorcismes et les véritables séances, c’était la substance de sa vie, la partie qui lui permettait de croire encore en Dieu, la partie qui lui permettait de ne pas perdre espoir. Il sortit son téléphone et jeta un coup d’œil à son répertoire. Il appela Natasha, il avait besoin de passer un moment à s’amuser, il avait besoin d’un whisky et d’une jolie fille dans ses bras. Il sourit en raccrochant. L’avantage, c’était qu’il oubliait rapidement le chagrin des autres.