"-Vous attendez un train. Un train qui doit vous conduire au loin. Vous savez où vous espérez qu'il vous conduira mais rien ne vous le garantit et vous vous en moquez. Comment vous pouvez vous moquez de l'endroit où il vous conduit?
-Parce qu'on sera ensemble" [/center]

Une petite tête blonde, un teint de porcelaine sous une ondée de boucles bien réparties. Elyzabeth est la fille parfaite. Belle, intelligente, obéissante. Ses parents la gâtent. Ils en ont les moyens. Son père est chirurgien esthétique. Il a le sens des affaires et a su fidéliser une clientèle luxueuse. Sa mère n’est rien de plus que la femme de son père. Sa mère est née d’une famille aisée, et son mariage lui a apporté une situation dont elle est fière. C’est tout ce qu’elle attendait de la vie. Un mari riche et une descendance qui la rende fière en suivant leurs pas. Et Elyzabeth la rend fière. Elle est douée à l’école, elle ne se fait pas remarquer. Elle est obéissante, gentille. Ennuyeuse en somme.

Rien à voir avec celle qu’elle est devenue. Lyz. Lyly. Lyzbeth. Betty. Tous ces petits noms qu’elle lui murmure à l’oreille. Elle ? Jack. Ce n’est pas son vrai nom. Lyz le connait, son vrai nom. Mais elle gardera le secret de Jack. Quoi qu’il lui en coûte. Ce qu’elle est devenue n’a plus rien à voir avec la Elyzabeth sage et fade qui a grandi dans cette banlieue aisée de St Louis.

La Elyzabeth qui s’est mariée avec un homme qu’elle n’aimait pas. Pas qu’elle le haïssait non plus. Il lui était simplement indifférent. Mais il était riche. La petite fille avait grandi et était devenue une jeune femme aux formes plantureuses avançant sur ses dix-huit ans qui se devait de trouver une situation respectable auprès d’un mari qui représente ce que sa mère aimait appeler “un bon parti”. Quelques soirées mondaines furent organisées par ses parents, et bientôt elle quitta le nom de Roy pour prendre celui de Becker.

Elle quitta la maison familiale, et avec elle celle qui avait partagé ses jeux d’enfants. Quitter ses parents ne la gêna pas. Elle les aimait, bien sûr. Mais ils ne lui manqueraient pas. Pas autant qu’Elle. Quitter Jack lui fut bien plus difficile. Elle retint ses larmes lorsqu’elle aperçut la jolie brune derrière une fenêtre, le jour de son départ. Jack n’était qu’une domestique aux yeux de ses parents, mais elle était bien plus que ça dans le coeur d’Elyzabeth. Elle était sienne.

Son mari l’aimait, à sa façon. Et elle le respectait. Est-ce qu’elle l’aimait ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait pas au juste, ce qu’était l’amour. Elle l’aimait un peu, sans doute. Ses caresses ne la laissaient pas de marbre, mais elles n’avaient pas la même saveur que les siennes. Celles de Jack. Le temps passait. Elle apprenait à le connaître, à l’apprécier, même si elle ne l’avait pas vraiment choisi. Mais le temps n’effaçait pas le souvenir de Jack.

La vie de l’ancienne Elyzabeth suivait son cours, rythmée par les journées qui passaient et se succédaient, sans surprise et sans saveur. Après quelques mois de routine, un heureux évènement vint perturber leur vie. Son corps de poupée se modifia légèrement, le ventre s’arrondissant et les saignements réguliers suspendant leur cours. Mais le petit être qui prenait vie dans le corps d’Elyzabeth ne vit jamais le jour. Jack ne le lui permit pas. Il quitta la vie en même temps qu’Elyzabeth. Le jour où Jack vint l’arracher à cette vie d’épouse rangée pour réveiller Lyz, et l’emporter avec elle dans un tourbillon de violence et de folie.

Ce jour où elle entendit le klaxon retentir dans la rue, devant la grande maison qui l’avait retenue prisonnière pendant ces longs mois loin de Jack. Elle ne l’avait pas revue depuis son mariage, mais à l’instant même où le klaxon se fit entendre, elle sut que c’était Elle. Et pas un seul instant elle n’hésita avant de sortir. Les quelques jours qui suivirent marquèrent la fin de la vie de son mari, la fin de la vie de son bébé, et la fin de sa vie à elle, Elyzabeth. Le début de celle de Lyz. La fin de l’innocence et de la vie rangée. Le début d’une vie chaotique et exaltante, d’une vie de débauche et de folie, d’amour et d’illégalité. A ses côtés.

Lyz n’était plus une enfant. Et si l’innocence ne l’avait pas encore tout à fait quittée, elle comprenait à présent ce qu’était l’amour. Elle retrouvait avec délice les caresses de sa Jack. Caresses qui avaient pris une nouvelle dimension. Leurs baisers innocents s’étaient enflammés, et elle comprenait pourquoi malgré son mariage elle n’avait jamais oublié Jack. Elle l’aimait.

Elle l’aimait au point de lui pardonner les violences qu’elle lui imposait. Pas des violences à son égard bien sûr. Jack n’était que douceur pour elle. Une protectrice. C’était les violences que Jack semait autour d’elles, sur leur passage, qu’elle lui pardonnait. Lyz n’avait jamais tué personne. Pas encore. Pas directement. Elle n’avait jamais appuyé sur la gâchette. Mais elle n’avait pas la blancheur de la colombe. Elle avait souvent servi d’appât ou de diversion pour aider celle qui partageait sa vie à parvenir à ses fins.

Et depuis peu il lui arrivait d’être à l’origine des méfaits qu’elles accomplissaient. Même si c’était Jack qui ôtait la vie, c’était parfois Lyz qui en était l’origine. Leur nouvelle vie, et les possibilités infinies qu’elle impliquait réveillaient des envies profondément enfouies. La poupée était devenue dangereuse. Jack était toujours prête à répondre à ses moindres désirs, et elle le savait. Un regard de travers ou une parole désobligeante et la poupée signait votre arrêt de mort. Il suffisait même parfois d’être plus jolie qu’elle, ou d’avoir autour du cou quelque collier qu’elle vous enviait soudainement.

Elles ne restaient jamais très longtemps au même endroit. Constamment en mouvement. Toujours en fuite. En quête de nouveaux divertissements. Si elles avaient manqué parfois d’être stoppées dans leur course, elles s’en étaient toujours sorties. Leur dernier point de passage en date, NOLA. Elles y avaient atterri par hasard, perchées sur une moto volée par Jack à sa dernière victime. S'y arrêtant pour rester quelques temps, un mois peut-être, elles avaient vite remarqué qu'elles y passeraient inaperçu. Cette ville semblait suffisamment agitée pour que leur présence ne se remarque pas. Tant qu'elles n'en étaient pas chassées, elle y resteraient.

Leur vie était excitante, imprévisible, et Lyz en savourait chaque seconde comme si c’était la dernière. Lyz avait 20 ans, mais sa vie n’avait vraiment commencée que depuis que Jack était venue la chercher, un an à peine auparavant. Et il restait encore beaucoup de chapitres à écrire dans la vie de Jack et Lyz. Elles n’en étaient qu’au préambule. Les pages blanches ne tarderaient pas à se couvrir d’une encre sombre. Les cheveux noirs de Jack en traçaient déjà les premiers mots sur la peau blanche de Lyz tandis que leurs bouches s’unissaient.

Tu es curieux, tu veux plus de détails ?
Demandes donc à Clyde

Un flash rouge. Une robe qui tournoie, vole et danse sur la piste. Le regard de la poupée papillonne vers la piste, et se fixe sur la tâche de couleur qui s’agite. Elle n’écoute plus sa Jack. Elle ne l’entend plus. A ses oreilles elle imagine déjà le doux frottement du tissu, elle sent sur sa peau la caresse du satin. Ses yeux ne la quittent plus. La petite robe rouge qui lui irait si bien. Tellement mieux qu’à elle. Lyz l’a à peine regardée, la fille. Elle ne l’intéresse pas. C’est la robe l’objet de sa convoitise.

Je la veux.

Elle n’a pas besoin de préciser de quoi elle parle. Jack a compris, Lyz le sait. Elle regarde la robe qui se soulève avec les mouvements de la danseuse et s’imagine à sa place. Elle entend Jack lui murmurer à l’oreille une promesse. La promesse que bientôt elle portera cette robe. La poupée blonde s’avance sur la piste, un cocktail coloré à la main, tandis que Jack se dirige vers les toilettes pour y attendre sa proie.

La blonde danse, son verre à la main. Dans son imagination la petite robe rouge suit les mouvements de son corps, épouse ses formes parfaites et vient pimenter la couleur pâle de ses cheveux. Elle danse, et se rapproche de celle qui porte son futur trophée. Le coude de Lyz vient heurter le bras de la danseuse. Le liquide danse et chavire. Il vient tacher le bas de la petite robe rouge. Juste un peu. Juste assez. La bouche trop parfaite s’excuse et propose une aide.

La petite poupée vole la danseuse à son cavalier. Elle l’emmène avec elle. Elle l’emmène vers Elle. Sa tueuse. Jack. Celle qui fait de ses rêves une réalité, d’un coup de feu ou de couteau. L’excitation monte. Elle effleure le tissu en poussant légèrement la jeune insouciante vers sa mort. Elle sera bientôt à elle. Un sourire d’anticipation flotte déjà sur ses lèvres pulpeuses.

Enfin elle pousse la porte, celle qui la sépare de Jack. Elle mouille le tissu, le frotte, l’écoutant se plaindre, attendant que la petite brune qui se remaquille ait terminé. Jack est cachée, derrière l’une des trois portes, poussées mais pas verrouillées. Lyz ne l’a pas vue, mais elle sait qu’elle est là. Elle lui fait confiance. La bouche de l’autre continue de s’agitait, de faire du bruit. Elle agace la jolie poupée blonde. La poupée ne veut pas de la fille, c’est la robe qu’elle veut.

Soudain la porte claque. Elles sont seules. Lyz, Jack et l’autre. Lyz ne connait pas son nom, mais elle n’en aura plus besoin dans peu de temps. Lyz voit déjà la chevelure ébène de sa Jack dans le reflet du miroir. Elle voit le bras qui vient s’enrouler autour du cou de l’autre, la main qui vient se poser sur la bouche trop volubile, coupant ses jérémiades inutiles, faisant taire les plaintes désagréables.

Lyz comprend le regard de Jack. Elle se place derrière la porte, bloquant l’entrée, tandis que l’autre rend son dernier souffle. Les yeux brillants d’impatience et d’excitation plantés dans ceux qui déjà se voilent, elle attend son présent, son dû. Le silence est parfait. La scène n’a duré que quelques secondes, mais a emporté une vie. Les mains de Jack s’activent, retirent la robe du corps sans vie. Sa robe. Celle de Lyz. Jack pose le précieux tissu sur le lavabo, délicatement, et tire le corps presque nu dans l’un des cabinets pour le dissimuler aux regards, et retarder sa découverte. Elle verrouille la porte et se glisse sous la cloison pour rejoindre Lyz, qui est toujours contre la porte.

Lyz n’a pas pris sa robe. Elle attend que Jack la lui offre. Sans Jack elle n’aurait jamais été sienne. Elle regarde Jack reprendre la robe et s’approcher. Les yeux de Lyz la dévorent du regard. Jack, pas la robe. Jack est aux aguets. Elle veut quitter les lieux le plus vite possible. Lançant la robe vers Lyz elle chuchote.

Tu as ce que tu voulais ? On y va maintenant ?

Lyz ne laisse pas passer Jack, elle ne s’écarte pas de la porte. Grisée par le danger et la preuve d’amour que sa bien-aimée vient de lui fournir, elle veut profiter de ce tête-à-tête. Replaçant la robe tant convoitée dans les mains de Jack elle défait le nœud du tour de cou qui retient la sienne, et la laisse glisser à ses pieds. Elle est nue. Ses yeux sont braqués dans ceux de Jack.

Sortir avec une robe à la main serait suspect. Il vaut mieux que je la porte.

Le regard de Lyz ne laisse aucun doute quant à ses réelles intentions. Elle peut attendre encore quelques minutes avant de porter son trophée. Sa main vient caresser le visage de sa Jack, l’approchant du sien. Jack se laisse faire, et vient goûter aux lèvres de sa poupée. Sa main vient profiter quelques instants du corps offert, avant de poser le morceau de soie rouge entre les mains de Lyz, qui affiche une moue déçue en sentant sa Jack s’éloigner d’elle.

Plus tard. Il faut sortir d’ici.

Lyz enfile la robe, fait quelques pas pour se regarder dans le miroir, tandis que Jack s’impatiente et jette des coups d’œil inquiets en direction de la sortie.

Je te plais ?

La déception de Lyz est déjà oubliée. Elle regarde sa Jack qui s’inquiète, et rit avant de la rejoindre et de la prendre par la main pour l’entrainer vers la sortie. Jack la retient. La poupée se tourne pour accueillir les lèvres de Jack qui viennent se poser sur les siennes.

Beaucoup.

Les deux jeune femmes sortent en riant des toilettes et traversent la boîte de nuit rapidement, mais en gardant un pas neutre et calme, malgré l’adrénaline qui court dans leurs veines et les incite à courir.