Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais été seule. J'ai toujours eu pas mal de chance, d'ailleurs. J'ai profité de l'amour de mes deux parents, sans faille. Ma mère voulait m'apprendre à être une fille bien comme il faut, mais à son grand damn, j'ai préféré suivre les conseils de mon père. Je m'en suis toujours sentie plus proche. Il avait ce petit je ne sais quoi dans le regard. Ce petit truc engageant. J'ai toujours aimé mon père. Fort dans l'adversité, de bon conseil, et profondément optimiste. Toujours. Ce que j'ai ignoré jusque très tard, c'est ce qui coule dans mes veines depuis plusieurs générations. Il se passait des choses étranges, effrayantes. Mais papa avait toujours les mots pour me rassurer. Il m'a expliqué que les choses ne sont pas entièrement ce qu'elles semblent être, qu'on part, qu'on peut revenir. Ca a beaucoup changé ma vision des choses. La mort n'étant pas définitive, ça ouvrait pas mal de possibilités.
Mais malheureusement le savoir a un coût, et celui ci fut pour moi la solitude. Si j'étais aimée à la maison, l'obligation de me taire sur ce que je savais creusa un fossé profond entre mes camarades insouciants et naïfs et la gentille Pearl qui savait beaucoup plus de choses qu'elle n'était sensée le faire. Boh, je m'en fichais à l'époque. Après tout, la vie était plutôt belle. Alors tant pis si on la rejetait de plus en plus, tant que j'avais le sourire de son père lorsque j'apprenais encore un peu plus encore de choses. Il était fier. Il voulait mon bien. Et j'aurais du l'écouter.

C'était un soir de Juin. Je m'en souviens très bien. A l'époque, je m'intéressais un peu plus à l'humain, je pensais le connaître assez pour savoir m'en protéger. Je pensais tout savoir de ses mécaniques. Après tout, connaître leur vie après, ça devait être un super avantage non ? Pas tant que ça de toute évidence. Il finit par me convaincre qu'il avait un bon fond. Et pourtant, Dieu sait que j'ai horreur de ce genre de personnes. C'est imbus de soi, c'est dangereux. J'en ai même arrêté les études ? Tu te rends compte ? Enfin..J'étais devenu un légume, un peu comme si on avait essayé de m’envoûter avec une poupée vaudou. Enfin, heureusement y avait Nathaniel. Lui au moins je pouvais lui parler franchement de mes craintes. A l'époque, dans mon aveuglement j'en étais même venue à penser que mon père cherchait seulement à me nuire par plaisir. Il a su me faire ouvrir les yeux. J'ôse même pas imaginer ce qui se serait passé s'il n'avait pas été aussi compréhensif.

Et depuis, ma vie a changé. Je ne sais pas ce qui c'est passé, peut être que ça m'a affaiblie. Du coup, on m'a prise pour cible. Un coriace. Et je suis persuadée qu'il m'a encore en ligne de mire. Fin, ça m'empêche pas de vivre, loin de là. J'ai une réunion ce soir d'ailleurs. On organise ça tranquillement chez ce qui se rapproche le plus d'une amie. Hmm... Pourquoi je t'ai raconté ça ? Ah oui...La vocation...Comme tu vois, c'est dans le sang.

La nuit était tombée une nouvelle fois sur la ville, en Juin. L'air était bon quoique légèrement trop humide aux dires de certains. Pearl avait passé cinq heures le nez dans les bouquins et l'air frais commençait à lui manquer. Après avoir rangé ses affaires dans un sac un peu usé par le temps, elle sortit de la bibliothèque. Une fois sur le pas, elle inspira profondément. Elle ne se sentait jamais plus vivante qu'après quelques heures d'études, retournant à la vie sauvage. Après s'être étirée, elle entreprit de se promener. Il n'y avait pas grand monde dans les rues, pour ne pas dire presque personne. Pourtant il n'était pas si tard que ça, si ? Un regard sur le cadran plus tard, elle put constater qu'il n'était que Vingt-et-une heure. L'heure des rencontres décisives.

« Bonsoir ? »

Elle sursauta. Et un battement de cœur manqué plus tard, elle leva les yeux vers le propriétaire de la voix. Il était beau. C'était indiscutable. Elle se troubla un instant. Mais elle n'était pas demoiselle à se laisser prendre au piège par le premier qui passe. Elle haussa légèrement un sourcil à son attention.

« Tu aurais l'heure ? »

Technique d'approche numéro 4563 dans son petit carnet. Classique. Elle porta une nouvelle fois de l'attention à son cadran. Elle savait pertinemment quelle heure il était. La preuve était faite qu'elle se laissait avoir.

« Vingt et une heures »

« Je suis parfaitement à l'heure alors. »

Voila. Il avait gagné, il l'espérait, et elle n'avait rien vu venir. Il avait réussi à l'intriguer. Elle était prise dans ses filets. Il réussirait presque à détruire sa vie. Elle ne serait qu'une sorte de passade. Chaque seconde refermait le piège sur la pauvre enfant. Tic..Tac..Tic...