Vous savez, j'ai toujours cru que cette histoire de votre vie qui repasse devant vos yeux, comme un film en accéléré, au moment de votre mort, ce n'était qu'un mythe... J'aurais pu y croire pourtant à avoir côtoyé la mort à plusieurs reprise dans mon métier. Mais je n'y croyais pas vraiment. Cela ne devait être qu'une impression... Tout comme l'histoire du tunnel blanc et de votre famille au bout. Dans le meilleur des cas, je pensais que cela n'était qu'un excès de produits chimiques dans le cerveau pour supporter au mieux l'instant fatidique...

Mais voyez-vous, il se trouve que dans toutes ses histoires il y a du vrai. Tout du moins en grande partie. Parce que, pour tout vous dire, à l'instant où je vous parle, je suis en train de mourir, oui oui! Je ne sais même pas ce qui se passe exactement, mais une chose est certaine : la vie est en train de quitter mon corps aussi vite que le courant d'une rivière. Et il se trouve que cette multitude d'images retraçant votre vie, c'est l'entière vérité! Tout est en train de défiler à une vitesse vertigineuse, j'en ai la tête qui tourne et j'en oublie tout le reste.

Je quitte la maternité, je n'ai que deux ou trois jours, je n'en suis plus certaine. Papa, Richard, me porte dans ses bras. Il s'arrête devant la Tamise, me présente à la rivière , calme et puissante, sa voix douce me présente au monde... C'est surement la première image, le premier souvenir que mon esprit a enregistré... Si il s'agit bien d'un souvenir...

Nous rentrons chez nous, en Ecosse. Papa et maman, Jenny, ne sont pas mariés - pas encore - ils suivent tous les deux leurs études à Edinbourg. Maman est du coin, papa est Irlandais... Nous étions descendus à Londres pour un anniversaire de famille... Il se trouve que je ne devais pas venir si tôt. Mais je suis née en avance. Naissance prématurée, mort prématurée, la boucle est bouclée, pourrait-on dire...

Les visages de papa et maman au dessus de mon berceau, un autre visage aussi, la meilleure amie de maman je crois bien... Emilie... Et d'autres amis, beaucoup d'autres... Ils me présentent à leurs copains de fac. Les doudous, les joujoux s’accumulent dans ma toute nouvelle chambre aux tons de bleus. Ils n'attendaient pas une petite fille apparemment... Dans les tréfonds de mon cerveau aux portes de la mort, j'en arrive à me demander comment ils ont pu se tromper autant. Mais cela fait bien rire tout le monde dans le petit salon de mes parents et, d'apès les voix qui résonnent à nouveau dans ma tête, cela est vraiment amusant.

On me plonge dans l'eau... La religion n'a jamais été mon truc et pour le coup, j'ai l'impression qu'on est en train de me noyer... Non? Baptiser? D'accord! Je suis un enfant de Dieu à présent? D'accord! Apparemment, maman a fait ça pour faire plaisir à papa et sa famille, très croyante. Pour moi, sans aller jusqu'à renier que certaines choses demeurent inexplicables, la religion et Evy, ça fait deux... Pourtant, à l'instant même, je me surprends à prier de toutes mes forces pour que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Ma mort imminente... Cette douleur, cette incompréhension... Tout ça... S'il vous plait, mon Dieu, faites que ce ne soit pas vrai!

Je me ratatine en beauté, mais maman est aux anges... Je viens de me faire mes premiers pas! Mon séant n'est pas tout à fait aussi heureux qu'elle... Mais sa joie est communicative et ma petite voix flûtée monte aussi à mes oreilles, oh je ne parle pas, pas encore. Je me remets sur pieds en me tenant à la table basse et on reprend l'expédition. Premiers pas, premiers mots quelques semaines plus tard. Je n'ai pas un an... Et pas encore toutes mes dents. Mais je suis une enfant pleine de vie, vive, énergique, volontaire... Et qui fait enfin ses nuits. J'ai vite rattrapé les 6 semaines que j'ai oublié de passer dans le ventre de maman et tout le monde est content.

Je ne veux pas lâcher la jambe de papa. Je ne la quitte pas. Je pleurs toutes les larmes de mon corps. Maman a mit ses études en suspend pour m'élever... Mais l'heure est venue d'entrer à la maternelle et pour elle de reprendre sa première année de Master. Et c'est à papa qu'incombe le devoir de me laisser dans la salle de classe. Maman a dit qu'elle ne pourrait le faire, qu'elle n'aurait pas la force de me voir ainsi pleurer. Je suis son petit ange et je n'ai presque jamais pleuré depuis que je suis née, sauf quand j'avais mal au ventre ou les dents qui poussaient... Non, elle ne pourra pas le supporter. Papa fait preuve de courage, mais je vois bien dans son regard que c'est dur pour lui aussi... Ça me fait encore plus pleurer... Sauf que tout à coup, il a disparu... Et j'ai découvert que les jeux présents ici sont bien amusants! Quand papa et maman reviennent me chercher, je ris de toutes mes dents - toujours pas toutes là - et n'ai qu'une envie, revenir demain! Je me suis déjà fait une tonne de copines et de copains! L'école c'est trop bien!

J'apprends à faire du vélo sans petites roues. Une chute, deux, trois... Mais à la quatrième tentative, je m'envole littéralement sur la route! Maman applaudit, papa filme, grand maman et grand papa sont aussi là. Les parents de papa, maman est orpheline depuis l'âge de 15 ans. Un accident de voiture. Je l'ai apprit il n'y a quelques quelques jours. Je viens de fêter les 5 ans. Je en comprends pas encore grand chose à la mort, c'est un concept tellement abstrait... On ne revoit plus les gens et c'est tout! Bon, là, tout de suite... Je suis en train de rattraper mon retard

La grande école, qu'ils appellent ça. Je l'attends avec une impatience qui grandit de jour en jour. L'école des grands! Je vais être une adulte! C'est tout du moins ce que j'ai demandé à maman. Elle m'a sourit et m'a dit que j'avais encore tout le temps. J'avoue que je ne suis pas vraiment pressée, même si j'ai envie d'apprendre tout de ce que le monde peut et va m'apporter. L'école me semble être un cap aussi haut que la plus haute montagne... Mais je sais que je vais y arriver, que je vais atteindre le sommet!

La rentrée est enfin arrivée! Je n'ai pas encore 7 ans. Je suis aux anges... J'ai un peu peur aussi! Mes parents ont fini tous les deux leurs études, maman est professeur à l'université, papa psychologue. Ils m'ont aussi proposé de faire un sport ou une activité. Ça fait déjà quelques mois que j'y pense. J'ai un caractère un peu compliqué. J'ai une âme d'artiste, je bouge beaucoup, j'aime la précision, j'ai de l'imagination et apprécie le contact humain! Ce n'est pas moi qui le dit, c'est eux, les adultes! A les entendre, je serais parfaite. Mais qui est parfait hein? Et à quoi bon être parfait quand on meurt à 30 ans... Mais passons... Je choisi la danse! Mais pas la danse classique! La danse moderne... Je ne regrette pas d'avoir choisi cette activité!

Le collège! J'ai 11 ans! Toujours pas une adulte, loin de là. C'est l'âge des bêtises, bien au contraire. L'âge d'expérimenter des choses loin des parents. Surtout quand les concours de danse me permettent d'aller à l'autre bout du pays. Je voyage, me régale et ne me prends pas la tête. D'autant plus que je suis douée! Douée à l'école et douée en danse. C'est inné comme dit mon prof... Ça me fait une belle jambe (ça c'est moi qui le dit et le pire, c'est qu'il semblerait que ce soit vrai!). En tout cas, je me suis fais une excellente amie, la meilleure! Linn n'est pas comme les autres, je ne saurais dire pourquoi. Mais nous nous entendons comme deux sœurs, ce qui tombe bien, vu que je n'ai pas de frères et sœurs.

13 ans et demi. Une nuit, dans un autobus qui nous ramène de Glasgow après un concours. On a gagné! Et on devrait être bientôt rentrés... Mais la pluie puis l'orage se mêlent à la partie. C'est peut-être pour ça que je me suis blottie contre Mark, l'un des rares garçons de la troupe. Je l'aime bien et je crois qu'il m'aime bien lui aussi. Linn, assise une place devant moi, pouffe gentiment. J'ai très envie de l'embrasser. Oh oui, vraiment envie! Et elle le sait! Mais je n'ai jamais embrassé de garçon, je ne sais pas ce qu'il faut faire... Nos deux visages se rapprochent... Et c'est choc! Je suis projetée en avant, puis sur le côté, avec une force immense. Ma tête est percutée par quelque chose et je perds connaissance - comme ce qui m'arrive en ce moment! Quand je reviens à moi, secouée par une fille que je ne reconnais pas, le bus est empli de cris... Je cherche Mark, je cherche Linn... Linn est déjà dehors, je ne le sais pas encore... Mais Mark...? Ma jambe me fait mal, mais je n'en ai rien à faire. J'appelle Mark en hurlant, des larmes brûlantes commençant à me chauffer les joues... On me tire dehors malgré mes protestations... Le bus est en travers de la chaussée, la plupart des autres n'a rien mais la peur de le voir exploser nous pousse à nous éloigner. C'est là que je vois mon ami, allongé sur le sol, le t-shirt en sang. Claudiquant comme une cinglée, je me jette à ses côtés, lui prends la main. Linn me rejoint. Elle n'a rien ou presque. Mais Mark est gravement blessé... Et je pleurs, je pleurs. Il n'a pas l'air de souffrir, il ne bouge pas, il me regarde de ses grands yeux bleus... Je sais que c'est grave, mais je ne peux rien faire pour lui... Rien de rien et j'enrage tellement d'être aussi impuissante. Je ne sais pas vraiment ce qui vient de se passer, et je n'en ai rien à faire. Mark est en train de mourir et je suis totalement démunie face à ça. Les secours arrivent enfin. Mais c'est trop tard pour Mark... Je le savais... Et je n'ai rien pu faire. Je ne veux pas le laisser mais on m'y oblige, je suis mise dans une ambulance... Le reste, je ne m'en rappelle pas, ou je ne m'en rappelle plus...


J'ai 15 ans et quelques mois. Et je suis devenue une vraie petite peste. Je ne me suis jamais vraiment remise de l'accident. Tout du moins moralement. Physiquement, il m'a fallu des mois, presque un an pour permettre à ma jambe de supporter correctement mon poids, sans douleur, sans gène. La danse? Je l'ai mise de côté, bien obligé. Mais même si cela en avait été autrement, ça n'aurait rien changé. Danser? Le dernier de mes soucis. Je ne supporte plus la présence de qui que ce soit. Linn? Je l'ai rayé de ma vie. Ou l'a-t-elle fait elle? Je n'en sais rien mais une chose est sure, je ne vois plus ma meilleure amie. La jeune fille "parfaite" que j'étais a tout délaissé, études, amis, famille. Mes parents ne savent plus quoi faire de moi. Je me suis mise à boire, à fumer et pas que du tabac... Je n'ai pourtant pas vraiment de mauvaises fréquentations, puisque je ne vois personne.

16 et 3 mois... Le déclic! Du jour au lendemain. J'aurais bien du mal à expliquer pourquoi? A expliquer comment? La seule chose que j'ai trouvé à dire à mes parents ce jour de juillet, c'est que j'avais fait un rêve, la nuit précédente. Que j'avais rêvé de Mark... Je ne leur avais pas dis que je l'avais embrassé dans ce rêve... Et qu'il me disait que jamais je n'aurais pu le sauver, mais que maintenant, je devrais tout mettre en oeuvre pour sauver ceux que je pouvais. Je suis alors descendu, j'ai prit mon petit déjeuner comme je ne l'avais pas fait pendant des années... Et j'ai retrouvé ma voie! Je file chercher Linn, je dois m'excuser auprès de ma meilleure amie. Je me rends compte à quel point elle m'a manqué! J'ai besoin de la revoir, de plus dire que je l'aime. Il ne nous faut pas longtemps pour que notre amitié reprenne le dessus sur mes mois de folie.

18 ans et 9 mois. J'ai fini mes études secondaires avec brio. Je viens d'être accepté au University College de Londres en première année de médecine. J'ai aussi reprit la danse il y a quelques mois, doucement, poussée par Linn et mes parents... Cela me fait du bien, physiquement et moralement. La rentrée a lieu dans peu de temps, je sais que tout ça va bien se passer! Linn vient aussi à Londres, elle va faire une école artistique. C'est un vrai génie en danse et une artiste accomplie.

21 ans. Erwan est un garçon adorable. Je sors avec lui depuis quelques mois. Mais je sais qu'il est spécial. Comment l'expliquer? Je n'en sais rien. Mais à ses côtés, je me sens bien. Je l'ai présenté à mes parents il y a quelques jours, ils l'ont vraiment apprécié. Le gendre idéal m'a avoué maman. J'ai secoué la tête en riant. On n'en est pas encore là, on en est même bien loin. Mais une chose est sure, je sais qu'à ses côté, je me sens bien... Oh... Je l'ai déjà pensé ça... Je crois que mon esprit est en train de perdre pied. Il suit des études en littérature. C'est un garçon qui apprécie le côté ésotérique des choses. Moi, je suis beaucoup trop cartésienne pour y croire... Quand je lui ai dis ça, il m'a annoncé que Descartes a suivi le chemin grâce à un rêve, un message onirique. Tout comme moi quand j'ai décidé de me reprendre en main après le rêve de Mark. Je ne sais pas si c'est la vérité, mais ce que je sais, c'est que ce sont nos différences qui font que notre couple est aussi fusionnel.

26 ans et 9 mois. Je suis enfin médecin! Et toujours en couple avec Erwan. Nous sommes plus unis que jamais. Lui est devenu professeur, il travaille même parfois en lien avec maman, c'est assez amusant. Et moi, je suis devenue médecin urgentiste. Cela n'a pas été facile. Mais j'ai su que c'était là ma voie, la relation avec les patients, l'action, la réaction... J'ai trouvé comment rassasier mon côté énergique, mon côté pointilleux... Parfois même artistique! Les années d'études ont été éreintantes et je suis pleinement satisfaite de ma situation. Mes journées sont affreusement bien remplies, mais j'y trouve mon bonheur et mon équilibre. Et la danse dans tout ça? Je continue à pratiquer, en totale amateur. J'ai même initié Erwan. Un soir, en riant, il m'a dit qu'au moins il saurait parfaitement ouvrir le bal le soir de notre mariage! Oh le frisson qui s'empare de moi...

J'ai 27 ans, très précisément. C'est le soir de mon anniversaire. J'ai eu une journée de fou. Un accident de train a apporté aux urgences une multitudes de blessés graves. Certains n'ont pas survécu... Et les vieux démons sont réapparus à la fin de ces 13h de folie. Je n'ai qu'une envie, retrouver Erwan, prendre un bain et me coucher. Sauf que je le sais, je le sens... Mon petit ami a préparé une fête surprise. Et c'est bien là la dernière chose que j'ai envie de vivre. Devoir sourire, jouer la comédie, manger du gâteau au chocolat... Non, je ne pourrai pas, pas ce soir! Sauf que quand ma clé se glisse dans la porte, que j'allume la lumière, ma plus grande surprise est de ne pas entendre de "SURPRISE!". Seul se trouve Erwan assit sur le canapé, une bouteille de champagne, deux flûtes... Et un écrin en velours bleu nuit. Je dépose mon manteau et vient me réfugier dans les bras de mon petit ami, sans un mot. Et sans un mot, il verse le champagne dans les flûtes. Il m'en tend une et nous trinquons sans un mot. Puis il m'embrasse sur le front. Je me blottis contre lui et il prend à présent l'écrin en velours. Il me le tend, je le prends, l'ouvre... Et découvre une bague en or blanc décorée d'un arbre surmonté d'une pierre de lune nacrée. L'arbre de vie celtique m'explique-t-il. Son symbole m'échappe et je ne me rappelle par vraiment de ce qu'il m'en dit. Mais ce que je retiens sans le moindre mal, c'est que cette bague n'est pas un simple présent pour mon anniversaire. Les mots murmurés à mon oreille, je m'en rappellerai toute ma vie... J'en suis persuadée, puisqu'elle est sur le point de s'achever. Ces mots sont : Veux-tu m'épouser?

29 ans et 1 mois, 6 décembre 2013, un date gravée à jamais. Notre mariage est prévu pour juin 2014. Cela a prit du temps pour poser une date, mais il faut dire que nos emplois du temps sont tellement chargés. Qui plus est, il y a quelques mois, on m'a envoyé une proposition de tournoi de danse. Ou peut-être Linn a-t-elle quelque chose à voir là-dedans? Je n'ai participé à aucun concours depuis mes 13 ans... Depuis cette nuit où... Je secoues la tête, ou alors est-ce un vertige? En tout cas, Erwan m'a poussé à y participer. Cette invitation est totalement inattendue. Et j'avoue en avoir envie. Je prends ça comme un challenge... J'ai donc posé des congés pour ce mois de décembre et Erwan a acheté des billets pour la Nouvelle-Orléans. Je n'ai jamais voyagé aussi loin, l'idée même d'aller là-bas me met dans un état d'excitation hors du commun. Et Erwan va venir avec moi! Papa et maman ne pourront pas, malheureusement. Mais tant pis, ils sont tellement heureux de me voir heureuse! Et savent que je ne serai pas seule. Erwan est aussi très emballé par l'idée de ce voyage. La Nouvelle-Orléans est le berceau de nombre de légendes, de mythes et de mystères. Le vaudou, les sorciers, il m'a même parlé de vampires... Cela n'est toujours pas ma tasse de thé, mais si c'est la sienne, je peux parfaitement m'en accommoder!

Nous sommes à présent dans l'avion qui nous mène à l'autre bout du monde. Dans mes valises, une robe de compétition et ma bague de fiançailles. La première servira à la première partie des épreuves, si j'ai bien comprit. La suite consistera à former des équipes avec des gens que nous ne connaissons ni d’Ève, ni d'Adam. Cela m'angoisse un tantinet mais bon, j'y vais sans réelle appréhension, cela n'est qu'une chance de s'amuser et si jamais, de démontrer qu'un médecin peut aussi danser! Quant au second objet dans la valise, il me rappelle à jamais l'amour qui nous uni Erwan et moi!

L'avion se pose, tout va pour le mieux, les bagages sont récupérés, le taxi nous amène à l'hôtel. Le concours ne commence que dans deux jours. Erwan l'a décidé ainsi afin que nous profitions d'une lune de miel avant l'heure. J'aurais préféré pour ma part faire cela après le concours. Mais apparemment, cela n'est pas possible, mon fiancé ayant une convention majeure à sa rentrée à Londres. Et bien qu'il en soit ainsi, après tout, l'important est de profiter de chaque instant.

7 décembre, notre première nuit à l’hôtel s'avère magique et même à cet instant fatidique où la vie me file entre les doigts, je préfère garder les détails pour moi! Le lendemain, nous passons une journée merveilleuse à arpenter les rues merveilleuses de cette ville merveilleuse... Et quand la nuit tombe enfin, nous sommes toujours en train de marcher, tranquillement, le long du Mississippi, dans le Quartier Français. Nous nous arrêtons face au fleuve et mon fiancé m'embrasse avec passion sous les derniers éclats du soleil couchant! Nous sommes seuls au monde au sens figuré tout du moins. Il n'y a pas grand monde autour de nous tout du moins. La scène est d'un tel romantisme! Le paradis sur Terre, j'en oublie même le concours, l'appréhension, tout! C'est à cet instant qu'une étrange douleur s'empare de mon dos. Un pincement, une brûlure incandescente. Je pousse un cri mais les lèvres de Erwan sur les miennes le scelle pour l'éternité. Un bruit métallique monte à mes oreilles, un couteau au sol... Je me sens tomber là, aux pieds d'Erwan. Ventricule gauche transpercé, poumon... Mais je n'ai pas besoin d'être médecin pour comprendre que c'est grave ! Mon fiancé reste près de moi, immobile, à me regarder, sans la moindre trace d'émotion... Il n'est plus lui-même... C'est la seule chose que je parviens à penser correctement... Je ferme les yeux, me laisse emporter par le tourbillon de mes souvenirs... Et celui de l'eau du fleuve qui m'entoure et m'étouffe pour de bon!

Je ne comprends pas vraiment où je me trouve. Les sensations qui m'entourent sont tellement... Étranges. La douleur qui m'assaillait quelques instants plus tôt a disparue. La notion de temps m'est totalement étrangère. Seule compte cette lumière vers laquelle je sais que je dois me rendre. Paradis? Enfer? Des notions qui m'ont toujours semblé abstraites et hors de propos. Elles n'étaient là que pour pousser les gens à agir au mieux. Sauf que le mieux, le bien même, sont des notions tellement subjectives. Je n'y prête toutefois plus attention. Seule cette lumière m'importe. Elle me semble terriblement loin, tellement belle aussi, et je m'en approche tellement lentement. Pourtant, les murs lumineux qui défilent à mes côtés me prouvent à quelle vitesse totalement faramineuse je file.

Je me laisse guider, sans ressentir la moindre émotion... J'ai décidé de ne plus chercher à appréhender le temps qui passe. Notion tellement futile. Les souvenirs de celle que j'étais sont en train de s'estomper, de se dissoudre dans l'eau. Ne serais-je que pure énergie, sans consistance et sans conscience? Ai-je seulement été? Je ne suis plus que mouvement, un courant qui coule à toute vitesse à travers le néant, vers un aboutissement qui n'en sera jamais vraiment un. Je ne comprends plus rien et ne cherche plus à comprendre. Je ne suis plus que cette essence, fluide et fraîche, je ne suis plus que de l'eau... Une rivière! Je suis River!

Une rivière fertile et féconde, porteuse de vie, généreuse, vive et emportée. Oui, je sais qui je suis à présent, je sais qui j'ai toujours été. Il m'a fallu beaucoup de temps - ou une nanoseconde, qui sait - mais je le sais à présent! Déterminée à aller de l'avant, celle qui ne recule jamais malgré les obstacles. Certes, ceux-ci ont ralenti à certains moments le cours de mon existence, mais ce n'est pas pour autant que cela m'a bloquée dans ma vision vers l'avant. Oui, je suis un être volontaire... Oui, je me rappelle maintenant! Celle que j'ai été était bien celle que je suis maintenant! Rien n'a changé finalement! Mais se rappeler ramène la douleur. Pas de douleur physique, ça non, mais une blessure bien plus profonde, une impression de manque, de vide, de non-terminé. J'ai encore des choses à faire, des choses à accomplir, à dire... Et ça ne se fera jamais!

Ce qui m'a mené là? Je ne m'en rappelle pas. Mais je me souviens de ceux que j'aime. Mon être, aussi impalpable soit-il, s'étiole de leur absence. Comment leur dire? Que faire? Tenter la marche arrière? Jamais! River ne voit jamais que de l'avant. Et cet avant me montre à présent des figures, des êtres proches, mes grands-parents, ceux que je n'ai jamais connu, je sais que c'est eux, je ressens leur présence. Mark aussi! Son énergie me rappelle à l'amour que j'ai perdu. Mais je sais pourtant que je dois aller de l'avant malgré la tristesse de ne pas avoir pu achever mon travail sur terre, de ne pas avoir pu être la rivière fertile et féconde...

Quelque chose ne va pas... Quelque chose me manque, il y a quelque chose que je ne comprends pas... J'ai l'impression de tout savoir, pourtant quelque chose m'échappe...

Un filet d'énergie brûlant me percute de plein fouet. Toute mon essence en est ébranlée. Je la vois sans la voir, cette flèche embrasée... Elle est là, dure, agressive, elle cherche à me bloquer le passage, à détourner le cours de la rivière... A me faire suivre une autre voie, mauvaise, violente! Une âme - quel autre nom pourrais-je lui donner - se trouve à mes côtés. Je ne l'avais pas vu jusqu'à maintenant. Mais elle est d'une pureté incroyable. Tout élément divin est hors de propos dans mes pensées, mais cet être, cet enfant près de moi, cette petite vie, n'a pas supportée l'agression de l'énergie glacée. Elle s'est faite attraper, elle a été tirée par une force sans nom vers l'arrière malgré mon cri de désespoir imprononcé.

Je tourne mon regard sans yeux vers elle. Et sans comprendre ce qui se passe, j'ai quitté ce lieu de lumière pure assailli par la violence profonde. Un mot résonne dans mon esprit sans que je comprenne sa signification : Belaam. Et je sais! Je sais plein de choses maintenant. J'étais à la Nouvelle-Orléans... Avant! C'est là que je suis morte! Je le sais maintenant. Mais ce n'est pas ce que mes yeux transparents voient à présent! Les bâtiments ne me sont pas inconnus mais le nom m'échappe. Une grande ville, immense, je la connais sans l'avoir visité. Mais je ne suis plus là où j'ai perdu la vie!

Je comprends que je viens de perdre la chance de suivre le chemin qui m'était tout droit tracé. Que j'ai été déviée, par une énergie qui vient du plus profond de moi. Mais cette énergie, je l'ai pratiquement épuisée, je suis faible, fatiguée, sans force. Je ne rêve que de dormir. Que de trouver le repos. Mais je ne peux pas, tiraillée entre ce besoin de retrouver le chemin d'où j'ai été retirée et celui de mettre des explications rationnelles sur tout ce qui vient de m'arriver.

Une terreur s'empare tout à coup de moi alors que j'avance dans des rues que je ne connais pas... Le cri terrifié de cette petite âme qui flottait à mes côtés. Que lui est-il arrivé? Qui était-elle? Je dois l'aider... Je dois trouver ce qu'on lui a fait! J'ai l'impression d'être liée à elle sans comprendre pourquoi mais son existence et son passage sont primordiaux. Pour la paix de mon propre esprit! Je ne changerai pas de décision! Mon existence même en dépend.

Une autre impression me percute tout à coup! Personne ne sait ce qui m'est arrivé! J'en ai la conviction profonde. Mes parents, mon fiancé, doivent être morts d'inquiétude... Je dois leur dire ce qui s'est passé. Leur faire comprendre que je ne les ai pas abandonné... J'ai presque envie de pleurer, mais cela m'est impossible. Plus de pleurs, plus de faim, plus de besoins physiologiques, mon corps n'est plus qu'un amas de chair sans vie... Quelque part... Mais mon esprit voit plus clairement que jamais ce qui n'était qu'impressions auparavant. Mais une part de moi voit aussi les choses d'une manière affreusement terre à terre. J'ai envie de les serrer dans mes bras!

River doit choisir le chemin maintenant qu'elle en a été détourné. Il se pourrait bien que ce chemin soit unique... Que le choix n'existe pas. Je dois retourner à la Nouvelle-Orléans. Comment? Certainement pas en train! Je ne sais même pas comment je suis arrivée ici. Je sais pertinemment ce dont j'ai besoin. Je dois trouver quelqu'un avec qui communiquer. Car il ne fait pas être spécialiste pour comprendre que ces gens autour de moi, ils ne me voient pas. Je suis invisible, je ne peux rien toucher, pas communiquer! Il doit bien y avoir quelqu'un quelque part qui sera capable de sentir ma présence, de m'entendre...

Ce n'est pas seulement un espoir, c'est une certitude. Comme c'est une certitude que mon apparition ici je ne sais où m'a permit d'échapper à ce Belaam... Un être malfaisant, je le sens au plus profond de moi!

Maintenant, le tout est de savoir comment aller là où je désire aller!... Une décision est je m'y trouve aussi vite que je l'ai désiré. Je ne suis attachée nulle part, c'est assez étonnant. Ce que Erwan m'a expliqué sur le sujet n'a rien à voir... Mais bon, après tout, personne n'est jamais venu lui expliquer en personne le fonctionnement de tout cela!

Le temps quant à lui s'est éclipsé, il n'a plus vraiment de raison d'être pour moi. Mais je sais qu'il y a eu des sauts étranges, des mois se sont écoulés en une fraction seconde. Peut-être même des années? Peu importe, je le sais comme je sais que je suis morte.

Mais ce que je ne sais pas, c'est comment je vais parvenir à me faire entendre. Parvenir à expliquer ce qui m'est arrivé! La mission est encore longue mais je ne vais pas baisser les bras, ça c'est absolument certain!