Breathe the sweet smell of decay

Reinette et Heathcliff

Il pleut, la lune dissimulée par de noirs nuages qui dévorent la pâleur blafarde de l'astre, laissant l'obscurité dévorer la ville déchirée par ses conflits internes. Les rues sont vides, mortes avant l'heure, l'épaisse boue qui couvre tout intacte. Lorsque le soleil daignera se révéler de nouveau, elle séchera, teintant tout d'un voile marron. Mais pour l'instant, c'est le gris qui domine, un gris dépressif fait de noir et de marron. Apparemment, ce sont les couleurs de la journée.
Même les bruits typiques de la ville se sont tus. Pas de cris, pas de voitures, pas d'aboiements, pas de musique... Juste la pluie qui tombe inlassablement en grosses gouttes épaisses qui laissent des cratères dans le sol, seule marque dans la boue, seule marque autorisée.

C'est le temps qu'elle préfère, lorsque tout semble s'arrêter et que les vivants se réfugient chez eux. Pour sa part, elle marche d'un pas lent seulement brisé par des sauts dans des flaques qui ne dérangent pas l'eau et des sprints dans la boue qui ne laissent pas de trace. C'est l'avantage d'être immatérielle. Elle ne fait qu'un avec les éléments. L'eau la traverse, le vent qui souffle par bourrasques fait de même, et pourtant sa progression n'est pas entravée et le cimetière se rapproche inexorablement. Il sent bon quand il pleut. Il sent la terre fraîchement remuée, les fleurs mouillées, les feuilles pourries. Une odeur de pot-pourri, une odeur de mort. C'est agréable de s'y promener dans ces moments, même si il faut toujours se méfier au cas où on croiserait des sorciers.

Ce soir, c'est sûr, ils ne seront pas de sortie. Trop effrayés par les éléments. Le cimetière n'est qu'à elle. Le cimetière et son dernier résident en date dont la stèle n'a pas encore été mise en place pour d'obscures raisons dont elle ne se soucie pas. L'important, c'est qu'il est là, et il est accessible. Pas de stèle au bout de deux jours, c'est surprenant mais c'est pratique. Il sera plus facile de le déterrer comme ça.

Sauf qu'il y a quelqu'un, et l'esprit serre les poings et les dents dans un accès silencieux de rage. Elle ne sait pas qui c'est, cette longue silhouette qui a l'aura d'un possédé, mais elle ne veut pas de lui-elle-qui qu'ils soient ici. C'est son cimetière, et c'est sa distraction de la nuit. Ils n'ont rien à faire là. Ils n'ont rien à faire au niveau de cette tombe en particulier. Le cimetière en a plein d'autres, qu'ils aillent voir ailleurs si son mort y est !