Tu erres dans ces rues inhospitalières et étrangères, cherchant un but à cette nouvelle existence que tu hais. Tu n'es plus rien, si ce n'est un esprit, un semblant d'âme encore existante. Tu voudras respirer et communiquer avec le monde autour de toi, mais cela t'est impossible. Le monde est à portée de main et pourtant il demeure inaccessible, refusant de te laisser en faire partie. Tu es maudit, et tu le seras pour l'éternité désormais. Ce voile entre Vie et Mort est si fin et pourtant si opaque. Tu suffoques - si tant est-il qu'une telle chose soit possible pour tes semblables - devant cette injustice qui te condamne à hanter cette ville comme un misérable fantôme. Toi qui n'a jamais cru à ce genre de conneries spirituelles - les reléguant au titre de divagations insensées de la part de fous - te voilà désormais confronté à la réalité. Le monde n'est pas ce qu'il semble être et tu en fais la maudite expérience tous les jours. Sans doute ta vie était-elle bien trop misérable pour qu'elle se termine d'une quelconque autre manière. Ce monde te déprime et tu aimeras mourir de nouveau - pour de bon cette fois - juste pour faire annihiler tout cela. Ce silence assourdissant, cette solitude accablante et cette absence de corps. Tu es mort depuis plus de dix ans aujourd'hui, mais tu n'as pas encore possédé un seul corps. Peut-être est-il temps pour toi de franchir le pas et d'essayer la chose.

Tu continues de marcher, sans même faire attention où tu te diriges, quand tu arrives sur la place du village. La rue foisonne d'habitants et le vacarme est ahurissant. Mais tu t'en moques, ces vivants sont bien trop lâches et égoïstes pour même se rendre compte de la stupidité qu'est leur misérable vie. Tu rigoles, sardoniquement, alors que personne ne te voit. La situation en est presque risible. Autrefois, tu aurais rejoint cette foule grandissante, tu aurais partagé leurs rêves, leurs doutes et leurs conversations. Tu aurais échangé des banalités et peut-être même quelques rires, car tu étais débordant de vie et de joie de vivre. Aujourd'hui, tu vois les choses différemment. La Vie, la Mort; aucune des deux ne t'a épargné et tu les maudis autant l'une que l'autre. Elles t'ont éloigné de tes rêves, et t'ont séparé de la seule chose qui comptait pour toi. Mais Céleste est partie désormais, comme tout le reste.

La nuit vient de tomber et tous repartent chez eux. Certains iront se coucher paisiblement et rêveront de choses sympathiques et futiles, d'autres encore préféreront lire ou passer le temps. Et pendant ce temps là, tu observes et envies ce quotidien, si inlassablement long et fastidieux. Tu es mort trop jeune disent certains, fauché par la Mort en plein dans la fleur de l'âge, et abandonné par la vie alors que tu venais à peine de la découvrir.

C'est là que tu la vois, si jeune, si fragile. L'innocence l'anime encore et elle dort paisiblement. Une jeune fille, entrant à peine dans l'adolescence. Et tu n'hésites même pas une seconde. Tu la jalouses tellement que tu en jubiles presque. Tu veux jouer avec elle et avec ses proches, pour qu'il souffre autant que tu souffres. Tu veux ressentir de nouveau, et ne plus te sentir inutile et seule, comme le misérable spectateur de ta propre mort que tu es. Elle dort encore et son souffle est léger, régulier. Et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, son corps t'appartient désormais.