J'ouvre mes yeux. Ils sont coincés dans le sommeil. Il m'est difficile de voir pendant quelque seconde alors que le rêve que j'avais sous les paupières s'éloigne de ma mémoire petit à petit jusqu'à disparaître à l'horizon de ma cervelle.
Il est deux heures cinquante deux le matin.
Ma joue commence à chauffer mon visage. Son ossature est planté dans le plus rigide des oreiller: mon bureau. Je me redresse et vois sous mon nez un dessin au plomb d'un oiseau de glace sur son nid de neige. Je bats des cils. L'image que j'ai débuté en m'endormant est barbouillé. L'oiseau manque une aile. Et son plomb est sur ma joue, étampé après quelques heures de sommeil dessus. Je frotte le gris de ma blanche peau et baille. Tant pis. Ce n'était qu'un brouillon de toute façon. Je me gratte le fond de la tête. J'ai rêvé à cette voix? Ou mon ami me parle encore depuis le creux de mon esprit?
Pas seul. Je me redresse de ma chaise, dans ce pyjama qui n'a pas la miette d'originalité avec ses carreaux, et je déambule en vrai vivant-mort dans ma chambre. On n'y voit plus les murs tant les dessins et les affiches de Simple Minds couvrent sa peinture. Les yeux bouffis, les muscles, aussi. Je plisse le regard pour m'accoutumer à la lumière du corridor. Mes pas son lents et traîneurs. Comme n'importe qui ferait en s'éveillant au beau milieu de sa nuit.
“
Dickens?
”
Parfois il m'apparaît quand je l'appelle. Parfois.
“
Rabbit Dickens?
”
J'oubliais qu'il préfère qu'on l'appelle par son nom complet et ridicule.
Voix éraillée et faible. Je pousse ma tête dans le corridor de ce minuscule appartement. Un salon vide. Une cuisine vide. La porte d'entrée: aussi fermé que mes yeux il y avait quelques minutes de cela. L'ai-je barré en entrant?
Plusieurs heures plus tôt, vers onze heures, plus précisément, j'avais décidé de partir à la chasse aux cris. Je n'avais rien de prévu demain matin; aucun meeting avec la maison d'édition, aucune commande ou session à la bibliothèque... J'en avait profité pour faire ma sortie lapin de la semaine. C'était mieux que de rester seul à la maison, me disais-je. Et c'était un semblant de compagnie.
Me disais-je.
Je suis triste.
J'avais été dans le parc pas très loin de chez moi. J'avais effrayé quelques personnes à ma grande joie et avait rebroussé chemin. Jusque là, rien de bien étrange. Pour moi, je veux dire. J'avais gagné mon appartement, avait retiré mon costume, avait prit une bonne douche et avait gagné le dessin jusqu'à ce que le sommeil m'abatte d'un sec coup. Toujours est-il que je ne savais trop si j'avais verrouillé la porte en entrant. Peut-être. Peut-être pas. Mais quel voleur, de toute façon, s'infiltrerait dans mon appartement? Les plus idiots, sans doute. Tenez, j'ai un ou deux dessins à vous donner. Si c'est pour de l'argent, aller voir le gérant de ma maison d'édition j'ai rien sur moi.
Je frotte mes yeux et baille à nouveau. Me secoue la tête en m'appuyant sur le mur et fait le paresseux jusqu'à la salle de bain. C'est là que se situe le miroir. Je pousse doucement la porte qui grince impitoyablement dans une lenteur effarant. De toute façon, mon cerveau est très lent à l'instant. Je pense à mon lit. Et à la voix de mon ami.
J'ouvre la lumière. Mes yeux prennent feu. Visage de souffrance et pupilles à peine à découvert. Je m'approche du miroir. Et j'y trouve Rabbit Dickens. C'est mon reflet. Recouvert de ce costume de lapin. Je me gratte la tête. Le lapin dans la glace aussi. J'hausse les épaules et toujours mon air de dormeur s'explique dans la plus petite et rauque des voix:
“
Qu'est-ce qu'il y a?
”
Le lapin hausse aussi les épaules. Mais il ne me répond pas. Évidemment.
“
Qu'est-ce que tu veux dire qu'on est pas seul?
”
C'est un silence de mort que tout l'appartement me crache dessus. Comme si je n'entendais même plus l'horloge de la cuisine grouiller ses aiguilles. Je fixe mon reflet, soit Rabbit Dickens. Mon visage crispé s'accoutume à la clarté, petit à petit. Je frotte mes yeux, encore, comme un nouveau né. Redresse le menton. Derrière moi.
Dans le miroir. Une ombre passe pendant une fraction de seconde dans le cadre de la porte. Je me retourne en vitesse en poussant un gémissement d'effroi et prend un vif bond de recul. Mes tripes se serrent et mon cœur m'explose dans la gorge. L'angoisse rend l'humainement impossible trop réel. Je trébuche et m'enfarge dans la baignoire. Le rideau de la douche glisse sous mes mains qui tentent en réflexe de le saisir et mon coccyx va s'écraser dans le fond ivoire encore humide. Ma tête, elle, cogne son derrière contre le carrelage du mur de la sale de bain. Ce n'est bien fort, même assez doux, simplement douloureux.
Visage de douleur comme un choc électrique qui me saisit d'un coup. Je serre les dents et me caresse ma tête douloureuse. Puis ouvre les yeux grand. C'est vrai. J'ai vu quelqu'un. Mon aorte bat à tout rompre. Je tremble. Je ne sais aucunement me défendre. Que suis-je sensé faire?
Avec autant de peine que de misère, je m'extirpe de la baignoire dans laquelle j'étais tombé et me met sur mes deux pieds bien stables. Je suis bien éveillé, maintenant. Totalement à l'affut. Mais j'ai peur. Peur jusqu'au creux du foi. Mon souffle est rêche et mes tempes bruyantes. Je fais des pas minimes et plus qu'incertains jusqu'à la sortie de ma salle de bain. Au passage, je saisis le léger tabouret qui sert à strictement rien sinon faire beau tout près du lavabo. C'est une arme de fortune. Mais ça ne me rassure pas pour autant.
“
Il y a quelqu'un..?
”
Je lance dans l'appartement. C'est une plainte en bêlement plus qu'une vois à question. Et silence de mort, encore. J'avale difficilement. Dickens... Aide-moi. Je t'en supplie. Je serre le banc dans mes mains grelottantes.
Je fais quelques pas dans l'appartement. Je me risque. Je sens que le Mal va surgir derrière moi et m'étouffer à n'importe quel moment... Disgrâce et ironie à ce que je fais tous les soirs à ces gens dans le parc. Je déteste avoir peur. J'adore faire peur. Je sais que c'est injuste, mais je n'y peux rien. J'arrive dans le salon. Il y a un divan. Une télévision qui ne marche plus. Ainsi qu'une table basse.
Il y avait quelque chose d'étrange dans l'air. J'avais entendu crier. J'étais sure d'avoir entendu crier.
Ce soir-là, je me trouvais dans un square de la ville, non loin du vieil hangar que j'occupais provisoirement depuis quelques semaines. Le coin ne m'était pas inconnu, c'était une parcelle plutôt calme, peu habitée et il m'était déjà arrivé de venir m'y recueillir à plusieurs reprises. J'aimais voir la Nouvelle-Orléans sous son vrai visage, celui que seule la nuit sait révéler. En journée, la plupart des quartiers s'avérait d'un calme plat. C'en était presque triste. Puis le crépuscule arrivait, et d'un geste accueillant, ouvrait la porte aux esprits et aux démons qui peuplaient les ruelles obscures. Ce jour-là, ce n'était donc pas la quiétude nocturne qui m'avait sortie de mon antre. J'avais entendu quelque chose au loin. Une note aiguë, comme le son d'un violon que l'on aurait oublié d'accorder depuis trop longtemps. Cela aurait pu être anodin, mais ça avait suffit pour intriguer mon esprit fatigué. Au fond de moi, je savais que résoudre ce mystère n'était qu'un moyen factice de vaincre la langueur qui s'était lentement réinstallée dans ma vie. Cela faisait bien trop longtemps que j'avais arrêté de jouer au fantôme et que je déplaçais mon corps éthéré au gré du vent, sans vraiment savoir où aller. Je devais me donner un but à un moment ou à un autre, et cette nuit-là, trouver la source de ce son était devenu mon seul objectif.
Alors que je traversais les longs couloirs de verdures qui jonchaient les sentiers usés du vieux parc, je ne pus m'empêcher de me demander ce que je comptais trouver là-bas, à l'autre bout du square. Un cadavre ? Qu'aurais-je pu y faire ? Même la mort n'est plus définitive de nos jours. De l'action ? Quel intérêt ? Ma forme spectrale ne me permettait aucune interactions avec les vivants. Ah, voilà le hic. J'étais destinée à rester témoin du triste spectacle dont les êtres de chair étaient si fiers. Et le pire, c'est que je jouais le jeu. Alors que ces mots traversaient mon esprit, un autre côté de ma personnalité, moins raisonnable, commençait à s'impatienter. Une pointe d'excitation était venue s'ajouter à toutes les émotions qui se battaient au fond de moi. Je m'approchais du fameux endroit. Ce n'est qu'à mon grand dam que je me rendis compte que mon déplacement avait été inutile. En face de moi, des adolescents se trouvaient assis en cercle sous un vieux saule courbé. Pas de cadavres, pas d'esprits, juste un groupe de jeunes sortis tard pour faire les imbéciles. La déception en était presque ridicule, que m'étais-je donc imaginé ? J'avais beau étudier la situation, rien ne semblait pouvoir m'apporter une once de distraction. Une apparition les ferait fuir, certes, mais l'amusement ne serait que trop bref. Je n'avais qu'à tourner les talons et me trouver un autre but.
Une nouvelle note, plus rauque, plus grave, me fit me paralyser sur place . Ce fut un véritable orchestre de voix qui suivit et vint me percer les tympans. Lorsque je me retournai, un peu agacée par le bruit, je fus surprise d'apercevoir enfin quelque chose de récréatif dans cette nuit qui s'annonçait tout sauf palpitante. Une grande silhouette s'était incrustée dans le paysage paisible. C'était une sorte de costume d'Halloween, un lapin tout droit sorti d'un film d'horreur. Il avait un visage déformé, de grands yeux globuleux et des dents comme celle d'un crâne humain venu du fond d'un cauchemar. Esprit ? Psychopathe ? Canular ? Tout était possible à cette heure-ci. Dans tous les cas, c'était plus amusant que de retourner errer dans le reste du quartier. Les jeunes n'avaient pas prit leur temps pour déguerpir, et la bête les avait poursuivi quelques minutes avant de se mettre à chercher de nouvelles proies. Moi qui étais en quête de quelque chose d’intéressant, j'avais trouvé un as de l'originalité. Je ne pus résister à suivre l'ombre aux grandes oreilles, cela m'intriguait trop, et l'occasion ne se représenterait sûrement pas. Ne souhaitant pas être vue, ma filature était parfaitement indétectable. De toute manière, l'ami déguisé semblait bien trop occupé à effrayer la population environnante pour pouvoir remarquer quoique ce soit. J'aurais bien aimé avoir l'occasion de faire peur aux gens comme ça, moi aussi. Malheureusement, cela n'était possible que par le biais de la possession et je m'étais toujours refusée à occuper le corps d'un autre. J'y avais réfléchi quelques instants et avais déjà avancé deux hypothèses : soit Mr.Le lapin était un humain qui appréciait faire peur à ses confrères, soit celui-ci était possédé par un esprit tordu. Dans les deux cas, j'avais bien l'intention d'en apprendre un peu plus. Après avoir effrayé deux-trois groupes de passants supplémentaires, je vis la grande silhouette masquée rebrousser chemin en direction des zones d'habitations. Je sais que ça ne se fait pas, mais je suis sure qu'à ma place tout le monde l'aurait suivi. Puis pourquoi pas ? Je cherchais bien un endroit où loger, non ?
Comment pouvait-on vivre là dedans ? J'avais attendu quelques temps avant d'entrer dans l'appartement et rien que l'aspect du bâtiment m'avait suffit à comprendre dans quel état se trouvait l’intérieur. La porte n'était même pas fermée. J'avais commencé par faire un tour rapide des pièces et, même pour un lapin psychopathe, cela me semblait vétuste. Quand j'étais arrivée, l'inconnu était dans sa chambre à griffonner sur un bout de papier. Il y avait une pile d'illustrations sur son bureau étroit. Un artiste, évidemment. Le costume, quant à lui, avait été jeté négligemment sur le bord du lit, comme un vieux haillon inutile. J'aimais bien dessiner quand j'étais encore en vie. Pourquoi pas m'y remettre? Au final, je n'avais besoin que de papiers et de mines de plomb et c'était exactement ce que j'avais sous les yeux . Bien évidemment, cela aurait été beaucoup plus facile si le jeune homme n'avait pas fini par s'endormir dessus. J'avais déjà eu des tonnes d'idées pour hanter le lieux. Une fois les éléments rassemblés, je m'étais installée dans le minuscule salon et avais commencé à crayonner quelques esquisses. Cela faisait une bonne centaine d'années que je n'avais pas fait un seul croquis et le résultat s'en ressentait énormément. Mes coups de crayons sculptaient des formes fantomatiques, pâles. Je ne visais pas le chef d’œuvre, juste de quoi effrayer un peu le locataire. Avec plusieurs feuilles, je réussis à reconstituer un format assez grand sur lequel j’arrangeai grossièrement une silhouette de taille humaine dont le visage se perdait en spirale.
Ce sont des bruits de pas qui m’empêchèrent de donner les touches finales à mon œuvre. Le son venait de la salle de bain. J'y jetai un coup d'œil discret et y découvris l'artiste, debout, face à un grand miroir qui prenait presque la moitié de la largeur du mur. Il parlait, ou plutôt murmurait des mots que je n'arrivais pas à distinguer. J'avais à peine avancé lorsque une forme familière croisa mon regard et je compris vite que c'était bel et bien mon reflet qui s'était matérialisée dans l'arrière plan du miroir. Je ne voulais pourtant pas apparaître, comment m'étais-je retrouvée visible? Plus inquiétant encore, la grande figure déguisée que j'avais croisé plus tôt dans le parc se tenait aussi dans le cadre. Un autre spectre? Peu importe, si je voulais pouvoir rester un peu, il ne fallait pas que l'humain me voit maintenant. Je disparus aussi vite que possible et retournai en direction du salon. L'esprit devait savoir que j'étais présente, il fallait donc que j'éloigne le jeune homme du miroir. Et je devais agir vite. La seule solution qui me vint à l'esprit était d'un grand classique. Un bruit de verre brisé. Des rires. C'était le b.a-ba. Néanmoins, un peu d'originalité ne pouvait pas de mal. Je m'emparai d'un morceau de fusain et commençai à tracer des lettres sur le mur de l'appartement. Les cursives laissèrent apparaître un message en deux mots:
"Encore là"
Peut être aurait-il le courage de répondre.
♦ ...
D. Collin King Lapin de conte défait
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Le salon est chargé d'innommable. Je ne sais ce qui embaume la pièce. Mais c'est froid. Et creux. Je tremble plus qu'un flocon à la bourrasque. Et ma tripe serpente un nœud dans mon foie, entre mes poumons et dans mon larynx. Cette impression irréelle et carrément stupide d'être sur le bord de la mort me paralyse les orteils. Mon nerf sciatique a abandonné ses tâches, apparemment, et me tend le corps jusqu'à la moelle osseuse. Un pas. Deux pas. Ils me prennent des années à accomplir. Parce que là, dans l'ombre, j'ai l'impression qu'un œil me surveille. Un œil noir et invisible. Je vais vomir si mon coeur ne cesse ces battements infernal.
Je suis au beau milieu du salon, avec un tabouret. J'examine ce qui m'entoure; c'est-à-dire rien d'extraordinaire et tout de terrifiant. Je tourne sur moi-même. Puis l'idée de génie me frappe: je fous le camp. Je décampe de chez moi. Je prends ma veste et mes baskets et je vais jouer au somnambule au McDonald du coin. Oui. Idée irréprochable. Tête baissé je décide de prendre la pas pour sortir du salon.
Mais là. Juste là. Sur le mur. Il y a ce truc plus foncé sur le gris du salon qui attire mon iris. Juste... L'histoire d'une fraction de seconde. Je lève mon œil. Et lis. Je cris un gémissement et serre le tabouret contre moi. Je suis repoussé de frayeur. Comme si la détresse m'avait fait des ailes. Je titube en marche arrière rapidement pour finir ma trajectoire poussé contre le divan. Je suis assis sur le sofa. En nage. En angoisse. Mon visage pleure, sans larme. Et tout mon être tourbillonne de ce qu'on voit dans la densité du noir: la peur, l'anxiété, la frayeur, la panique... Je ne sais bouger. J'ose à peine toucher le sol de mes pieds. Et je fixe ces deux mots. Ma poitrine se soulève et s'abaisse comme toute vie qu'il me reste. Je mets de longues secondes à redescendre sur terre. À entendre autre chose que mes tempes douloureuses faire le tambour des myocarde en folie.
Mouvement. Je sursaute. C'est dans l'écran de la télévision. Elle est éteinte, éternellement. Mais je peux voir mon reflet à l'intérieur depuis ma position sur le confortable meuble à ressort. Et juste à côté de mon reflet, il y a celui de Rabbit Dickens. Il est assis. Le dos droit, à fixer le rien devant lui. Les pattes antérieures sur les genoux. Il est à côté de moi. Dans le reflet foncé de la machine, certes. Mais il est tout de même à côté de moi. Ça me réconforte, en quelque sorte. J'avale difficilement: il n'y a plus la moindre goutte de salive sur ma langue. Mais j'aimerais tellement, tellement, qu'il soit présent avec moi. Physiquement, je veux dire.
“
Ça va aller... Hein, Dickens? On... On... On va s'en sortir... Hein?
”
Moi voix frôle les bêlement d'un agneau qu'on égorge. Elle dit le contraire de mes dictées. J'ai l'impression que quatre siècles se sont écoulés. L'horloge sur le mur me dis moins d'une minute.
“
C'est qu-qui..? Réponds! Ou je... je... j'appelle la police.
”
Avec quoi? Un cellulaire imaginaire, sans doute. Je ne bouge de ma place sur le divan. Je suis incapable. Je tremble beaucoup trop. Et en ce moment, je suis à côté de mon ami. Alors j'y reste. Je regarde nos corps dans la télévision. Jamais je ne regarderais à ma gauche pour voir une place vide. Non. Je fixe nos reflets qui sont bien plus chaleureux que de se savoir physiquement seul.
Pourquoi suis-je aller à la quête d'une âme qui vive? Pourquoi n'ai-je pas été chercher mon costume pour faire peur aux brigands? Et surtout, pourquoi est-ce que je doute du plus profond de mon âme que ce soit des brigands? Parce que je panique. Et parce que les brigands n'écrivent pas de poèmes macabres sur les murs. Ils volent et partent. Je soupire une angoisse mal contenue. Je n'ai aucune crédibilité. J'ai cette impression romanesque enfantine d'être un oiseau dans son nid qui appréhende l'arrivée d'un mangeur de plumes. Je regarde Dickens. Je lui parle. Je le supplie.
“
Tu... Tu me protèges, hein? Tu restes avec moi... Ne t'en va pas...
”
Ça serait le comble. C'est lui qui me garde en vie. Sinon je fait la crise de cœur juvénile de la soirée. Encore là. Toujours là. Mais où? Insidieux. Perfide message. Tout pour me donner la trouille. Tout.
Je me tenais toujours à l'arrière du salon lorsque ma victime fit irruption dans la salle. Il s'était armé d'un tabouret, un outil plutôt efficace si il avait été question de faire fuir un oiseau coincé dans un des vieux rideaux souples qui couvraient les fenêtres . Malheureusement pour lui, c'était un esprit qui avait décidé d'occuper son nid, et même le plus tranchant des poignards n'aurait pu y remédier. J'avais toujours eu cette fâcheuse tendance à rester sur les lieux de mes crimes, impassible, pour observer les réactions de mes pauvres âmes tourmentées. Cette fois-ci, la scène en valait la peine. Teint blême, cheveux dressés, l'artiste ressemblait plus à une caricature de froussard qu'à un véritable humain. Il était à peine entré dans la salle et chacun de ses pas semblait ajouter une pointe d'effroi plus terrible au masque d'angoisse qui s'était affiché sur son visage. A le voir comme ça, le jeune homme semblait bien plus enclin à provoquer la peur qu'à la subir. Je ne faisais que remettre les choses dans l'ordre, finalement. Enfin, c'était surement là encore une de mes excuses pour justifier ma conduite.
La découverte de mon message fut le véritable drame. Je pus apercevoir l'instant exact où le jeune homme abandonna tout espoir, son faciès assimilant avec terreur les mots que j'avais inscrit sur le mur. Paralysé d'effroi, c'est une force étrange qui le poussa à se réfugier dans le petit canapé sombre, juste devant le téléviseur. Il mettrait du temps à s'en remettre, le pauvre. Je ne regrettais pas vraiment mes actions mais j'avais toujours eu de la peine pour ceux qui subissaient mes attaques. Ce n'était pas de la pitié. Non, je voyais ça comme une forme d'empathie. Ils me rappelaient mon moi d'antan. Quand je respirais encore et ignorais tout du monde. Parfois, cela pouvait même m'arrêter pendant quelques jours. Puis l'ennuie revenait. Que pouvais-je y faire ? Avec le temps, j'avais fini par comprendre que c'était bel et bien dans ma nature. Je me tenais toujours dans l'angle de la salle lorsque j'entendis (pour la deuxième fois) le jeune humain psalmodier quelques mots incompréhensibles. C'était avec amusement que je pris les menaces qu'il lançait à mon égard. Il pouvait appeler la police si il le voulait, ils le prendraient probablement pour un fou. Ou un drogué. C'est comme ça que la plupart des hantés sont traités et, parfois, ils finissent eux-même par douter de leur bon sens. Dans tous les cas, l'intimidation n'avait pas porté ses fruits, et le jeune homme ne semblait absolument pas en état d’appeler qui que ce soit. Loupé. J'avais fait mon boulot de fantôme, j'aurais pu partir à tout moment. Pourtant, au delà des divagations, quelque chose m'intriguait. Le dessinateur était resté assis sur son coin de sofa et, malgré mon graffiti qui trônait toujours sur le mur face à lui, il paraissait s'être calmé. Ses yeux fixaient le vide, l'au delà. Je ne compris qu'après qu'ils étaient en réalité rivés sur la télévision poussiéreuse. A ses côtés, dans le reflet sombre de l'écran, la figure squelettique du grand lapin s'était matérialisée. C'est moi qui fut surprise, cette fois-ci. Le numéro auquel j'avais assisté m'avait complètement sorti le spectre grimé de la tête. La bête ne parlait pas, ne me voyait pas, elle était seulement là comme une présence neutre et muette. Neutre ? Si la figure cauchemardesque veillait au bien-être de son possédé, les ennuis ne tarderaient pas à arriver. Je ne cherchais pas le conflit et il ne me restait donc plus que trois choix : soit je restais cachée et espérais ne pas être vue, soit je tentais d'entrer en contact avec l'homme-lapin, soit je partais en faisant une croix sur toute potentialité de retour.
Abandonner ? Moi ? C'était strictement hors de question. Lorsque l'idée m'avait traversé l'esprit, je m'étais empressée de l'effacer et d'opter pour une de mes deux autres solutions. Je décidai enfin de sortir de mon coin, et m'approchai avec discrétion du téléviseur éteint. Une grande prudence guida mes pas jusqu'à la petite boîte noire. Cette fois-ce, je ne me laisserais pas avoir, ce n'est pas par inadvertance que mon image se formerait sur la minuscule surface réfléchissante.
« Esprit . »
Cela faisait longtemps que je n'avais pas utilisé ma voix. Ma vraie voix. Deux ans sans adresser la parole à un être doué d'intelligence, pour être exacte. Deux années muettes, à ruminer les pensées dans mon crâne. Autant le dire tout de suite, mon altercation fut un réel désastre. Le son qui était sorti de ma bouche n'était qu'un souffle, une expiration froide qui se mua en un triste sifflement discret. Je n'avais plus l'habitude, je suppose, et ce premier échec me dissuada de toute autre tentative. C'est par dépit que je vint ajouter ma silhouette au cadre télévisé. J'avais trouvé la place de m'asseoir sur le sofa où s'était recroquevillé le seul être-vivant de la pièce. Au creux de ma main, le morceau de fusain s'était considérablement réduit. Si la parole m'avait failli, l'écriture restait mon seul médium d'expression. Malgré ma détermination, un doute vint paralyser mes gestes et pendant quelques secondes, le temps me parut être en suspension. Puis le crâne aux grandes oreilles tourna légèrement la tête en ma direction. L'humain quant à lui s'était à nouveau figé, les yeux écarquillés devant le petit écran.
♦ ...
D. Collin King Lapin de conte défait
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Je me blottis de plus en plus en boule sur le canapé qui est, dirait-on, ma seule bouée de sauvetage dans l'océan de mort et d'effroi qu'était devenu mon salon mal peint. Rabbit Dickens faisait le mort. Le mort assis et immobile. Comme n'importe quel mort. Mais il était la meilleure des veilleuse dans ce gouffre d'appartement. Je perds la notion du temps. De l'espace. Je commence à perde rationalité. Je le réalise quand c'est la troisième fois que je me répète avec certitude: je vais fixer le reflet, m'endormir ainsi et m'éveiller au petit matin sans la moindre trace de cauchemar. C'est une idée carrément débile. Mais je l'aime. Tendrement. Passionnément. À la folie.
Je serre les dents et le tabouret. En quoi m'est-il utile? À plus rien. Sinon me rassurer. Je suis un grelot de frissons. En coin de cadre noir, il y a les écriteaux à l'envers d'un agresseur caché. Caché. Encore là. Jamais je ne pourrais m'endormir, voyons. Alors me vient un murmure. Je ne sais pas ce que j'ai entendu, sinon un mot qui vient de l'au-delà. Est-ce que j'hallucine? Je n'ose bougé. Surtout pas me retourner ou déplacé mon regard de mon ami à mes côtés. Je ne sais trop si ma cervelle m'enduit de bêtises, si même elle s'octroie la fantaisie de croire aux esprits. Je ne crois pas. Les fantômes n'existent pas. Et Rabbit Dickens? Non, ce n'est pas un mort... Non... Voyons... S'il te plaît...
Mouvement dans la télévision. Mon échine se déchire sous la griffe d'un glaciale frisson. Je la sens me saigner et me dresser les cheveux sur la terre millimètre par millimètre. Je reste immobile. C'est une ombre. Difficile à discerner. Elle marche. Doucement. S'assoit à mes côtés. Dans la télévision. Dans le reflet, uniquement. Je ne sens pas le coussin du divan se morfondre à mes côtés. Et pourtant...
Et pourtant je sens quelques chose. Une présence me ferait trop penser à un revenant. Alors je ne pense à ce terme, non. Plutôt une aura. Une âme qui vient frôler la mienne. Un souffle inexistant qui me voile les pores d'une joue. Je bats des paupières sans être capable de mes fermer ne serait-ce qu'une seule fois. Je ne dérive mon regard de la télévision. De la scène qu'elle m'offre. Angoisse de fond de foie et apocalypse de mes poumons. Je n'ai jamais été autant terrifié de toute ma vie. Je vais éclater m'assécher éternellement sur dix mille nerfs tendus jusqu'à l'os qui ne comprennent plus leur fonctionnalité.
Je suis coincé entre les deux. Même mon orteil n'ose plus bouger. Et là, je vois. Rabbit Dickens tourne son cou et pointe son visage denté vers l'ombre près de moi. Je plisse le visage qui se retient de ne pas éclater. Je sais. Je sais que tu veux que je regarde à côté de moi. Je ne veux pas. Je le vois poser une patte sur mon bras. Je la ressens, aussi. C'est un velours à peine perceptible mais très froid, au loin. Un arrière goût à l'épiderme. Non. Non je ne veux pas me retourner.
Et il y a la seconde ou l'obstination n'est plus nécessaire. Car on a comprit ce qui allait nous arriver de toute façon. Alors je tourne mon regard à ma gauche. Mon cou se tourne, son menton aussi. Et il y a un visage blanc, blanc comme la soie, à quelques pouces du mien.
Je hurle, pris de panique. Je fais une course de quelques énormes pas vers l'arrière et pointe mon tabouret vers l'inconnue, comme s'il avait été d'un épée. Je retiens des viscères de cris dans mes tripes et la regarde derrière mes larmes.
“
Qui es-tu? Qu'est-ce que tu me veux? Ne me fais pas de mal, je t'en prie!
”
Je braille comme un bébé violenté. C'est une jeune femme. Début vingtaine. De minois doux et de beau macabre. Sa chevelure est une ondine foncé, sa robe est une couleur que je ne sais pas. Ses lèvres forment une expression que je ne comprends. Je ne comprends plus rien. Et je pleure, dans le silence d'un cillement d'horreur. Comme si elle allait me faire du mal. Elle ne pourrait sans doute pas me frapper. Ou peut-être que si. Je suis incapable de me défendre.
Puis, réflexe stupide, je regarde Rabbit Dickens dans l'écran de la télévision. Il me fixe. Me sourit. Continuellement. Mais là, présentement, j'ai l'impression qu'il est derrière tout ça. Pour le coup. Je sais, il me parle depuis les clochettes qui tintent dans ma tête. depuis cette petite voix intérieure. Alors je m'adresse à lui, comme si lui supplier des réponses à l'instant était une bonne idée.
“
Qu'est-ce que tu as fait, hein?
”
Je lui faisais confiance. C'était mon meilleur ami. Dois-je lui faire confiance en ce moment? Ou bien je trébuche dans mes idées et il n'y est pour rien? L'histoire n'est seulement d'explication que la panique était trop profonde en moi pour que je pense à parler et réfléchir intelligemment.
C'était une drôle de vision qui se réfléchissait dans le petit écran de la télévision cassée. Un voile sombre me couvrait le visage, je ressemblais un peu à une de ces revenantes que l'on pouvait observer dans le fond de ces vieilles photos tâchées par le temps. A mon grand dam, j'aperçus le motif du sofa à travers ma forme diaphane. C'était une chose à laquelle je ne m'étais jamais habituée, de me voir translucide, et même en des moments comme celui-ci, me confronter à mon apparence était une épreuve douloureuse . Cependant, malgré ce reflet morbide, j'étais loin d'être la figure la plus effrayante du cadre. L'ombre noire du costume se faisait de plus en plus présente à mes côtés, glaciale et conquérante. Aussi étrange que cela puisse paraître, L'artiste quant à lui semblait y trouver une forme de réconfort. J'avais déjà entendu ce genre d'histoires. Des esprits qui prennent des humains sous leurs ailes, les possèdent ou ou les aident, c'était courant dans les bouquins et les vieilles légendes. La plupart du temps, les êtres vivants concernés ne se doutent même pas de la nature de leurs nouveaux amis. C'était évidemment le cas pour le jeune homme qui se tenait encore blottis contre la présence invisible de sa peluche squelettique. Toujours tremblant, il s'était replié au fond du divan comme un enfant effrayé. Un enfant dont le seul allié, devait-il penser, se trouvait dans sa tête.
Il était pourtant bien là, le monstre, étouffant la pièce de sa compagnie lugubre. C'était comme si le regard froid de la bête tentait de transpercer le fond de mon âme , et cela aurait été visiblement un succès si j'en possédais une. Au fond, il n'y avait que peu de différences entre moi et l'esprit. Toutes les âmes errantes se ressemblent, non ? Peut-être avait-il seulement une meilleure raison que moi de se trouver dans ce minuscule appartement vétuste. Ici, la seule présence qui dénotait était bien celle du jeune homme paralysé d'effroi. Il n'avait pas tourné la tête et son regard évitait soigneusement de rentrer en contact avec le mien. Il s'abstint même pendant un temps de me remarquer, comme si il ne pouvait accepter l'idée qu'une présence réelle se soit assise à ses côtés. Il était pourtant difficile de passer à côté de tout le raffut que j'avais fait. Soudain, un cri violent sortit du fond de sa gorge, et ce fut comme si toute l'angoisse qu'il avait accumulée dans la soirée avait fini par trouver un échappatoire. Je ne bougeai pas, par habitude, et seul un rire clair et lointain m'échappa. Il avait beau me menacer de son tabouret en bois, je n'avais pas l'intention de me déplacer, ni de lui nuire d'ailleurs. C'était une situation cocasse, sans aucune logique. Il ne pouvait pas m'atteindre. Il ne pouvait même pas me voir. Quelle confrontation ! Ce n'est qu'après quelques secondes que ses plaintes craintives se transformèrent en son, et que les sons devinrent des mots.
« Qui suis-je ? » C'était une bonne question . Triste, mais intéressante. Malheureusement, ce n'était là que ma propre vision de son interrogation et je savais pertinemment que ce qui intéressait le jeune homme n'était pas de savoir qui j'étais, mais ce que j'étais. Cette figure pâle dans son miroir ne pouvait pas être humaine. Il le savait, le criait de tout son corps, de tous ses gestes. C'était la peur qui avait parlé à sa place. Car l'histoire des esprits, après tout, n’avait jamais intéressé le commun des mortels. Ceux-là ne voulaient connaître que la paix. Ils auraient tant à dire, les morts, si l'on s'y intéressait de temps à autres. Moi, comme par contradiction, j'avais choisi de ne parler ni aux humains ni à mes confrères. Du moins, jusque là. « Qu'est ce que je lui veux, au juste ? » continuai-je à me marmonner. C'était un autre problème. Sans son ami le lapin, je n'aurais probablement même pas remarqué le jeune artiste. La rue était remplie de gens comme lui, certains même visiblement plus riches. Je m'étais donc retrouvée là par incident, et ne voyais à présent plus aucune raison de le chasser de son humble logis, ou même de lui faire du mal. Piégée à mon propre jeu. Dans le reflet du téléviseur, je ne me voyais plus que comme un pathétique esprit assis sur un sofa bon marché.
Dépitée, je me levai sans attendre et attrapai une des feuilles blanches dans le petit tas que j'avais rassemblé plus tôt. Mes doigts laissèrent une trace noire sur l'angle du papier clair et je repris aussitôt mon stylet de charbon pour commencer à écrire. Je ne mis pas longtemps à inscrire mon message. Ophelia, ici pour rester. Un temps. Peu de temps. C'était un peu compliqué à exprimer avec de simples mots. J'avais passé le début de la soirée à terrifier le pauvre homme et voilà que j'essayais de lui justifier ma présence sous forme de phrases. Pire, je lui indiquais clairement que je n'avais pas l'intention de partir. Que pouvait-il y avoir de plus pitoyable qu'un fantôme cherchant à se légitimer ? Je me sentis mal en observant ce que j'étais devenue, cette conscience sans forme qui n'arrivait même plus à se convaincre d'effrayer un simple vivant. Trop jeune et trop bête, voilà ce que j'étais. J'avais beau penser, aucune idée ne semblait pouvoir me sortir de ce mauvais pas. Il ne me restait que mes mots, faibles et maladroits. Et dire que pendant tout ce temps, le regard du garçon s'était balancé vers son ami aux grandes oreilles. Il cherchait désespéramment des réponses et ne regardait même pas lorsqu'elles lui apparaissaient sous le nez. Mon abattement général passa vite au stade de l'agacement.
« Ophelia. Si quelqu'un m'entend. » réussis-je à articuler, me surprenant moi même.
J'en profitai pour jeter le petit bout de papier en direction du dessinateur. M'avait-il entendu ? Je l'ignorais. Je n’espérais plus rien. Si mon plan échouait, ma seule porte de secours serait la fuite. Je n'avais nulle part où aller, ma fierté serait froissée, mais après tout, je ne voulais vraiment pas avoir à faire à cet autre spectre...
♦ ...
D. Collin King Lapin de conte défait
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Le coeur à la bouche et les nerfs à la moelle. C’est tout ce que je donne à ces visiteurs de parcs qui passent les nuits sous les yeux de mon costume. C’est ce que je déteste avoir. Si seulement le karma aurait pu me faire filer entre ses doigts crochus… Mais j’imagine que tous les vivants, sans règle ou exception, devaient si confronter un jour. J’appréhendais ce que la vie pouvait me jeter. Tant. Parce que ce que je lui donne a des globes mats et des dents édentées. Sur un sourire, des poils défunts, et une monstrueuse gueule de lapin coquin.
Alors me voilà devant une peur de textile et de peau inexistant. Et pourtant, l’objet de ma peur porte un ravissant visage. Blanc comme ma frousse, suinté de cheveux gris très foncés qui enrobent avec gentillesse sa mâchoire de verre. Elle semble fragile, et morte. Surtout morte. Raison de plus de m’en prendre panique. Je n’avais cru aux fantômes que deux fois dans ma vie : à la première vue de Rabbit Dickens, et maintenant. Voilà qui était ragoûtante pour la suite des choses. D’accord. Je croyais aux esprits maintenant. Dame Karma avait gagné. Elle pouvait partir, maintenant, la ravissante terrifiante.
Pile de feuille comme bras gauche, lévite entre ses mains transparente un papier. Je sursaute et recul. Comme s’il avait s’agit d’un poignard meurtrier. Boule de noir dans mon estomac qui tend mes muscles si raides que je sens ma peau se gercer sous la sueur froide des trouilles. Je ne sais pas par quel moyen physique ma gorge si prend mais elle parvient à pousser un gémissent dans son désert de sècheresse. Je m’humecte les lèvres au passage. Mais ma langue non plus n’a plus la goutte d’une salive. Je m’assèche. Et transpire.
La feuille est toujours dirigée par un dessein sombre et maniaque. Oui, sans doute maniaque. Je le vois ainsi puisque je crains que tout, tout, tout, y comprit la moquette, est présent ici pour me tuer. Mais surtout la morte. Soyons clair sur ce sujet. Des taches de mains. Je remarque du fusain. La fantôme a prit mon fusain. J’écarquille le regard. Sur ce point, je n’ose la trouver effronté. Je suis trop ébahit par l’acte pourtant banal. Elle écrit. Elle sait écrire? Je me sens con à m’être posé cette question, et je me remercie d’être trop à bout de nervosité pour avoir pu l’éructer stupidement de ma voix. Bien sûre qu’elle le sait. Ce n’est pas un animal. C’est une morte.
Comment peux-je avoir autant de contentement dans cette idée? Les esprits ne sont pas supposés exister. Puis je me résonne tout bonnement qu’une morte fait le fusain sur le divan de mon salon à côté de mon ami invisible. Je me tourne vers lui une seconde dans l’écran cathodique. Je remarque qu’il est debout derrière moi. Et il pose ses pattes de poils doucement sur mes épaules. Je les sens, j’ai l’impression. Puis je baisse le regard, ma garde faux de tabouret par la même occasion. Je la garde serré dans mon poing à m’en blanchir les jointures. Mais je détends de quelque peu mes bras qui vont se déchirer si je continue de la sorte. Et puis, je fais confiance à Rabbit Dickens.
On me tend une feuille. Une fantôme me tend une feuille. Cette phrase se répète des millions de fois dans ma tête. Elle semble toujours irréelle. Je parle de la phrase et de la jeune femme devant moi. Il est écrit des auberges et des noms. Elle veut rester. Et elle s’appelle Ophelia. Je ne sais quoi en penser, comment réagir. Mais j’avale difficilement. Mon cœur pompe moins. Elle ne m’a pas encore égorgé. Peut-être est-ce parce qu’elle ne compte pas le faire?
Puis une voix. Ophelia, si quelqu’un m’entend. C’est un échos, céleste et féerique. Glaciale, aussi. Je sursaute encore et redresse mon épée en forme de banc devant moi. Le rabaisse. J’étais pris de court. C’est tout. Je serre les dents. Dis-moi, Rabbit Dickens, c’est une amie ou je me fais berner? Il serre mes épaules très faiblement, on dirait une brise qui s’appuie sur mon dos. C’est un oui, je le sens.
“
Alors… Tu ne me veux pas… De… De mal… hein?
”
Rire nerveux. Je laisse tomber le banc par terre. Je ne sais trop pourquoi. C’est sans doute stupide. Je regrette déjà. Mais mes moites mains n’en peuvent plus. La défense de mon incorrigible peur leur est un fardeau maintenant trop lourd.
“
Ophelia, c’est un très joli nom. Il te va très bien.
”
Ma voix tremble, comme le reste de ma peau. Je ne suis plus qu’une feuille qui geint et attend la tombe lors d’une bourrasque d’automne pâle. Je la complimente. Parce que je veux qu’elle me trouve gentil et qu’elle me fasse attention? Non. Je n’y avais pas pensé en fait. J’avais parlé de spontanéité. Ma cervelle boue et ne sait plus ce qu’elle a à dire. De toute façon, chercher la confrontation n’a jamais été dans ma nature. Je tends alors les mains devant moi, devant la translucide. Comme pour lui ordonner maladroitement de rester calme.
“
Si… Si tu ne me fais… pas de mal à moi ou… mon ami, je te laisse rester ici… Un peu…
”
Là, j’admets que j’accepte parce que j’ai la trouille et rien d’autre. Qui laisserait un inconnu hanter son logement, de toute façon? Et toujours je suis déconcerté par ma grande facilité à accepter le fait qu’une fantôme écoute la télévision éteinte avec nous. Peut-être suis-je simplement habitué à l’insolite. Comme aux gros lapins, par exemple.
Alors que je pense à lui, que le creux de ma cervelle le concerne, j’ai l’impression qu’il me pousse. Légèrement. Ou je deviens fou. Ou je l’ai toujours été. Je redresse les épaules, penche la tête et courbe le dos. Je suis une tortue qui cherche à s’enfuir dans sa carapace. Les grelots de mes mains s’entortillent, et je porte un ongle anxieux à ma lèvre inférieure. Je regarde… Je ne sais pas. Je regarde la patte du divan.
“
Moi c’est Collin.
”
Je ne lui présente Rabbit Dickens. Car en fait, je doute qu’elle ne le voit. Personne ne le voit, enfin. Mais la politesse fait son œuvre alors que je me présente. Elle l’a fait. Je l’ai fait. Qu’elle soit véritable fantôme ou non. Tiens, d’ailleurs, je demande :
“
Tu es… un… fantôme?
”
Irréel. Complètement irréel. Je me dis que je suis en train de rêver. Je suis idiot. Et complètement sous l’adrénaline. Je ne sais même plus mettre un pied devant l’autre. Figé, et stupéfait. Je ne crois vraiment à ce qui m’arrive encore.
Encore une fois, la scène était surréaliste. J'avais abandonné mon masque de fantôme frappeur et me retrouvais à discuter tranquillement avec la jeune personne qui, quelques minutes plus tôt, était encore paralysée d'effroi à la vue de ma forme spectrale. De son côté, j'imagine que cela devait être pire. Il était littéralement en train de parler au néant, fixant le sofa vide qui se trouvait maintenant à quelques pas de lui. Le concept de vie après la mort s'était soudainement jeté sur sa pauvre carcasse, incapacitant sa réflexion et bloquant toute la logique dont il aurait pu faire preuve. J'aurais eu le même genre de réactions si, alors que je respirais encore, un fantôme était venu bouleverser ma vision si raisonnable du monde. Je devais l'admettre, c'était une réalité dure et sauvage dans laquelle je balançais mes victimes. Nous vivions dans un monde cruel et personne ne méritait d'en souffrir aussi longtemps moi. Mais la pitié n'avait pas sa place ici, je restais calme et lointaine sur ce sujet. Lorsque je tendis le papier à l’artiste, je pus percevoir sur son visage une expression à la frontière de l'étonnement et de la crainte. Il mit d'ailleurs un long moment à se décider à prendre la feuille que je lui tendais. Bien qu'agacée, j'avais réussi à tenir le temps qu'il fallait pour que le jeune homme s'en empare. Sûrement par politesse. Ou plutôt par peur.
Visiblement, la trace écrite avait été inutile. Les mots que j'avais soufflé avaient atteints, à mon grand étonnement, les oreilles de l'humain. J'avais donc encore la capacité de parler. Aussi banal que cela pouvait paraître, c'était une grande nouvelle de savoir que ma part d'humanité ne s'était pas encore tout à fait dissoute. La jeune Ophelia persistait à travers les siècles. Cette idée me fit presque oublié l'accablement qui m'alourdissait les épaules quelques minutes plus tôt. Mes pensées s'interrompirent seulement lorsque j'entendis la voix de mon interlocuteur, de l'autre côté de la pièce. Sa question était plutôt amusante. Il était évident que je ne lui voulais pas de mal, ou du moins, que je lui étais indifférente. Si j'avais été un esprit malveillant, je n'aurais eu qu'un geste à faire pour le tuer. Un claquement de doigts. Moi, j'étais bien trop faible pour ça, ou plutôt encore un peu trop attachée à certaines valeurs de mon ancienne existence. Il m'était arrivé, à certains moments de ma non-vie, d'entraîner de tragiques événements, mais en cet instant je préférais ne pas me les remémorer. J'avais bien assez de chose à penser.
« Te vouloir du mal ? Pourquoi ? »
La question pouvait paraître un peu naïve, mais elle était sincère. J'avais toujours eu cet facette à la fois candide et provocatrice au fond de ma personnalité. Il faut le dire, j'avais traversé les années et c'était une raison valable pour justifier mon ironie. Puis après tout, je disais la stricte vérité. Ce n'était pas le genre de personnes que je traquais habituellement et, pour l'instant, il ne me donnait aucune raison de l'embêter plus longtemps. Lui aussi avait abandonné les armes, lâchant son tabouret à terre pour montrer patte blanche. Avec ou sans son bout de bois, ce n'était pas comme si il représentait un quelconque danger, contrairement à l'esprit qui me regardait toujours à travers son piège de plastique et de verre. Il y eut le son d'un rire nerveux, tout à fait décalé par rapport à l'ambiance qui régnait dans la salle. Le jeune homme, visiblement perdu, n'avait pas dû savoir comment réagir. A ce stade là, l'angoisse s'était dissipée dans une sensation d'irréalité déconcertante. Le dessinateur se remit à parler, brisant le silence froid qui avait reprit son trône pendant un court laps de temps. C'était un compliment qui sortit de sa bouche. Je savais que la peur poussait à l'incohérence, mais je ne m'attendais définitivement pas à ça.
« Oui, un nom charmant. De quoi finir noyée dans une rivière. » marmonnais-je le plus bas possible.
Je n'aimais pas ce nom. Ophélia,était juste une figure littéraire maudite à mes yeux. Néanmoins, je trouvais amusante l'attention du jeune homme. Depuis quand les humains venaient-ils flatter les fantômes ? Si il suivait une logique quelconque, c'était là une méthode pour ne pas s'attirer mes foudres. Il valait mieux jouer la sécurité quand on rencontrait un esprit. Mais, à en juger son expression, le jeune homme semblait toujours bien trop désemparé pour avoir vraiment réfléchi ses mots. Il avait juste réagi comme il l'aurait fait face à un humain. Cela me faisait bizarre d'avoir un vrai début de conversation. Comme pour rattraper son coup, il se remit à articuler quelques phrases avec embarras. J'eus ce que j'attendais, la confirmation que je pouvais rester dans les parages un peu de temps. C'était parfait. J'aurais préféré de pas avoir à le demander, bien évidemment, mais mon plan semblait au moins avoir fonctionné.
« Merci, je me ferais discrète, enfin, tu ne peux pas me voir de toute façon. »
Si j'avais regagné ma parole, mon assurance semblait en avoir pris un coup. Je m'étais bien aperçue que seule la peur avait décidé de l'issu de mon destin et cela me mettait quelque peu mal à l'aise d'être devenue le seul passager clandestin de cette collocation bizarre. Quand j'occupais une maison, j'aimais bien me sentir chez moi, être le véritable propriétaire du lieux. Dans un studio comme celui-ci, c'était tout à fait impossible. Alors que je m'attendais à ce que ça soit la fin de la discussion -ce qui me semblait plutôt logique- l'artiste récidiva. Collin. Il s'appellait Collin. Je suppose que j'allais devoir l'ajouter à la liste des nombreux noms que j'avais à retenir. C'était d'ailleurs plutôt banal pour quelqu'un qui partageait sa vie avec un costume de lapin hanté. Je n'eus pas le temps d'être sarcastique cette fois-ci. Le jeune homme avait enfin trouvé le courage de me poser la question qui lui démangeait la gorge depuis le début de la soirée.
« Un fantôme ? C'est à toi de voir. Je ne suis définitivement pas comme les autres gens qui se baladent dehors.»
Je ne voulais pas que l'on me voit comme un monstre d'Halloween. C'était peut-être encore là qu'un caprice d'adolescente, mais j'avais appris avec le temps que les morts étaient rarement appréciés par ceux qui respirent encore.
« Disons que je suis une anomalie. »
♦ ...
D. Collin King Lapin de conte défait
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Du mal? Pourquoi? Bonne question. Peut-être parce qu'elle venait de me foutre une trouille digne des meilleurs manoirs de frayeur. Peut-être parce que c'est une question toute bonne et légitime à demander à un esprit que l'on rencontre pour la première fois en face de soi. En face de soit était une grande expression, aussi poétique que confuse. Je la sais là, sur la place indécise du divan. Depuis sa légère voix, et un pressentit glaciale. Translucide. À m'entendre, je me trouve fou. Mais je ne m'entends pas, je pense. Alors je me donne cette excuse tout à fait valable pour continuer à mirer docilement quelque chose qui n'a qu'une place bien métaphysique et imaginaire dans ma vision.
Bien. Je n'ai à craindre. Bonne chose. Et si elle avait voulut me faire du mal - en serait-elle au moins capable? - il y aurait eut longtemps qu'elle l'aurait fait. C'est ma supposition. Depuis quelques minutes déjà je m'en donne. Et le Malin ne m'a encore rôder les côtes. Signe que je suis sur un voie peut-être précaire, mais rassurante pour le moment. Discuter avec un fantôme n'est-il pas un rêve à moi que j'ignorais? Peut-être. Je sais que discuter avec quelqu'un, entamer interaction avec bonne foi qui ne soit ma tante Gertrude ou les sermons de mon père, est un précieux souhait qui m'habite depuis plus de dix ans. Que celle qui exauce mes désirs impossibles soit vivante ou morte, quel en est la différence? Je peux me vanter avec le sourire au cœur que ma colocataire temporaire a tous les sujets de l'au-delà à m'apprendre et qu'elle ne coûte rien en épicerie.
Ridicule. Je me trouve ridicule de penser ainsi. C'est l'angoisse qui s'écroule sur un stress, puis un trac. Je reçois la plus charmante des fantômes à dîner alors que je ne l'avais entendu sonner à la porte. Je ne sais pas sur quel pied danser, alors je réfléchie et remâche n'importe quoi, je suppose. Encore. Encore.
À mon compliment, je crois entendre un murmure. Je crains halluciner - image du comble! Morte noyée? Je frissonne. Quelle horreur. Mort lente. Horrible. Glaciale. Et pourtant si poétique. Je ne me permets pas de souligner la beauté de ses derniers débats, par chance ma langue se retient. Je parais probablement stupide, à l'instant. Tentons de ne pas paraître effronté. Même si je ne le suis aucunement. Je suis simplement naïf. Et nerveux, bien sûre. De toute façon, je ne sais que répondre à cette phrase qui, je crois, n'appartenait qu'au vide. Pas à moi. C'était comme lorsque Maddox m'avait avoué le décès de sa mère. Mal aise. Gêne. Puis changement de sujet sur la calomnie d'une pitié et d'une tristesse.
En répondant à ma question, il y a cette pointe de honte, j'ai l'impression. Un fantôme ou un anomalie. Je plisse les sourcils et fait une moue pincée. Pourquoi penser cela? Les fantômes sont-il éternellement malheureux? Car je décide, effectivement, qu'elle est fantôme. C'est charmant, comme idée. Et ça me donne courage de continuer à lui parler. Le terme est splendides, je trouve. Ma voix rauque et minuscule réplique:
“
Pourquoi, une anomalie?
”
C'est une réelle question. Parce qu'elle est différente des autres qui se baladent dehors. Parce qu'elle effraie les gens. Oh. Je suis donc une anomalie aussi? C'est la première fois que j'entends ce terme. Habituellement on m'appelle... On n'a jamais pris la peine de m'adresser la parole, ni même pour m'insulter en fait.
Piteux, je m'assois timidement sur le divan. Sous toute réserve. Mais d'un air confus, lasse et triste. Je n'ose trop entrer dans la bulle de Ophelia, quelle qu'elle soit. Et je la regarde depuis la télévision. Parler à un visage est bien mieux, je dois admettre. Mais ce n'est trop à son satin blanc sur pêche de visage que je pense. Je pense plus aux anomalies. Je n'aime pas le terme. Autant parce qu'il me fait pitié de la voir se dénigrer que je sens qu'il m'appartient.
“
Je ne crois pas que tu sois une anomalie. Je ne crois pas que ce terme irait à un être humain de toute façon.
”
Pourquoi m'impliquerais-je de la sorte dans ses soucis? Parce que je m'en sens concerné. Parce que je ne veux certainement pas son malheur, non plus. Puis je me dis que peut-être elle n'est pas être humain ou n'aime pas se faire appeler de la sorte. Je ne sais plus. Je suis embarrassé. J'ai peur de la froisser, vraiment.
“
Enfin, je veux dire... C'est triste d'utiliser un terme aussi péjoratif envers quelqu'un bourré de qualités. Et je crois pas que tu sois... Bizarre ou singulière... Ou un défaut. Tu es ce que tu es. Et tu es une très bonne fantôme...
”
Je m'emporte. À parler à cette télévision. Je parle beaucoup. Peut-être un peu trop. Je dérape. Je renfonce ma tête dans mes épaules comme une tortue. Et je blottis contre moi-même sur le canapé. J'ai l'impression que mes mots vont la mettre en furie. J'essaie d'être conciliant. Gentil. Mais je gaffe trop rapidement.
Je remarque alors que Frank me regarde dans la télévision. Il ne m'aide pas. Il ne bouge pas. Il me regarde. C'est assez difficile de savoir ce qu'il pense de mes paroles. Mais je sais qu'il connait le fond de moi. Qu'il me sait gentil. D'ailleurs, je me demande vraiment si Ophelia arrive à voir Rabbit Dickens. Voire lui parler. Je me vois faire présentation entre deux invisibles et je jongle déjà avec le bégaiement.
Il devait être tard, à en juger l'obscurité qui avait envahi la pièce. Une poignée de minutes s'étaient écoulées depuis que j'avais joué mon sale tour au propriétaire de l'appart' et, malgré la contribution de toutes les cellules de mon crâne, je n'avais pas trouvé d'autre solutions que d'affronter l'épreuve difficile de la conversation. Collin n'était pas un gars méchant, ni désagréable. Mais c'était tout de même un humain. J'avais beau revêtir un visage poupin, j'avais traversé trop d'années pour soudainement me mettre à apprécier la compagnie des vivants. Peut-être étaient-ils trop naïfs, peut-être ne l'étaient-ils pas assez. Ou peut-être était-ce moi le problème. Quoi qu'il soit, j'étais persuadée que ma présence volontaire amènerait plus de douleur que de sourires. C'était toujours le cas, les esprits comme moi n'étant pas fait pour persister dans ce monde. J'aurais voulu fuir, partir dans un nuage fumée et ne jamais revenir. C'était comme si j'avais vu la lumière. Ce que je percevais comme de la lâcheté quelques secondes auparavant me parvenait à présent comme une forme de courage des plus nobles. Oui, j'aurais voulu prendre les jambes à mon cou comme jamais. Mais parfois la volonté n'est pas suffisante et mes pieds ne bougèrent pas là, comme cloués au sol.
« Pourquoi une anomalie ? ». Je n'avais jamais utilisé ce mot avant ce jour. Bizarrement, c'était la première chose qui me vint en tête et, aussi négatif que cela pouvais paraître, cela convenait parfaitement à mon état actuel. J'étais une aberration, un être dont l'existence ne tenait que de sa propre volonté. J'avais eu le choix là où d'autres n'en avaient pas eu, et en restant éveillée entre deux mondes, j'étais devenue une contradiction dans l'espace temps. Une anomalie. C'était un choix de vocabulaire parfait. Malgré tout, je perçus une forme d'incompréhension totale dans les yeux du jeune artiste. Il semblait presque l'avoir prit pour lui. C'est avec un air un peu triste et un peu perdu qu'il vint se rasseoir devant la télévision éteinte. Il recommença à parler soudainement. Je ne pus que décocher un sourire lorsque le jeune homme mentionna que je ne pouvais appeler un être humain ainsi.
«Être humain ? Ah !»
Si il y avait une catégorie à laquelle je n'appartenais pas, c'était bien celle-ci. Les vivants étaient des êtres futiles, ignorants, et pour la plupart d'entre eux véritablement idiots. J'étais au delà de tout ça à présent. Une fois les contraintes du corps libérées, il ne reste que l'esprit, pur et intense. Je n'avais rien à envier à ceux que possédait encore la matière. Presque rien. La franchise de Collin était cependant amusante à observer. Il venait d'apprendre l'existence d'une vie après la mort et continuait pourtant à me parler, comme si j'étais une voisine ou une amie. Enfin, pour une conversation tout à fait normale, mon choix de vocabulaire semblait avoir réellement perturbé le jeune homme et il ne tarda pas à enchaîner une nouvelle fois sur le sujet. Mais cette fois-ci, ses paroles vinrent raisonner comme des lames tranchantes dans ma tête.
« Écoutes, je ne suis pas bourrée de qualité. Tu ne me connais pas. Et si tu me connaissais, tu ne dirais pas tout ça. Je suis bizarre, je suis singulière, je suis un défaut. Juste, ne te fies pas aux apparences. J'étais là seulement pour te faire peur. Je ne suis pas gentille, je n'ai pas de bonnes intentions. Puis, s'il te plaît, ne m'appelle pas fantôme. Anomalie ça me va, je ne vais pas me mentir. »
J'avais parlé vite, sans me rendre compte de la froideur de mes propos. A l'entendre, j'étais passée d'ennemie à alliée. Je n'aimais pas ça. Un tremblement froid et discret passa le long de ma colonne vertébrale. Je ne savais pas vraiment quoi dire à mon hôte. Dans un certain sens, c'était moi qui était venue lui parler, et il était tout à fait en droit d'attendre une sorte de sympathie de ma part. Mais de l'autre, je ne connaissais que trop bien ma personnalité. Je n'étais pas quelqu'un de bien. Mon existence se résumait à l'errance, la casse et la tourmente. J'aimais manipuler les gens, j'adorais faire peur. J'avais déjà tué. C'était un fait, j'étais aussi mauvaise que mes comparses.
« Désolé. Je veux juste que ça soit clair. Je ne suis pas le genre de personne qu'on puisse vouloir comme amie. J'en suis navré, mais il vaut mieux pas que tu te fasses de fausses idées sur ma personne. »
Voilà que je me sentais être un imposteur. En réalité, j'étais aussi confuse que le jeune homme qui se trouvait à côté de moi. Cela faisait bien trop longtemps que j'avais perdu le sens des civilités, et me donner en spectacle ainsi ne me plaisait guère. C'était une situation à laquelle je ne m'étais pas préparée.
« Tu n'es pas obligé de me parler, si ça te dérange. »
Quitte ou double. Même si il était loin de se douter de quoi j'étais capable, il était prévenu. En tournant légèrement la tête, j'aperçus à nouveau l'esprit monstrueux assis invisible dans le reflet du téléviseur. Je l'avais oublié celui-là. L'étrange personnage m'intriguait depuis maintenant trop de temps, et, malgré mes derniers mots, je ne pus m'empêcher de poser une question supplémentaire :
« Juste une question, ton ami, celui avec la tête de lapin, c'est qui ? »
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Je me pince les lèvres et plisse des sourcils qui ont mal de peine. «Ah»? Pourquoi ce «Ah»? Pendant un moment j'ai l'impression qu'elle ne se considère plus comme la personne doté d'un encéphale sur-développé et de vingt doigts bien distincts. Si on peut encore parler de corps, dans son état. Du moins, elle a encore l'apparence d'un corps humain derrière l'invisibilité de sa forme. Dans l'écran mort de la télévision, par exemple. Quand même qu'elle n'ait plus la vie, un humain est un humain, décédé ou vif. Fantôme ou cadavre. Enfin. Est-ce? C'est une notion à laquelle je n'avais jamais porté les songes. Je dois dire que je n'avais eut vraiment à discuter avec un fantôme auparavant. Un fantôme, oui. Pas une anomalie. Je trouve le terme toujours trop péjoratif.
Alors je lui adresse un regard incertain et timide. Il craque pour ce qu'elle est mais n'ose rien donner de plus qu'une certaine excuse. C'est idiot comment les remords peuvent gruger. Comme si je me sens mal d'être bourré de vie à côté d'elle qui semble regretter la mort comme si elle avait été une maladie contagieuse. Et pour me caler encore plus dans le coussin de mon fauteuil, elle vint détruire tout ce que j'avais dit avec belle réflexion.
Elle, pas bourrée de qualité. J'ai cette tendance inné d'aimer les gens dès le premier instant. Parce qu'ils sont tous plus grands, beaux et forts que moi. Je les admire. Je les aime. Et elle vint défaire ce que je voulais penser d'elle. J'ai soudainement une boule à la gorge qui tremble et qui me donne les semblants d'une nausée. C'est un grelot, amas de brisures, contre les parois de mon larynx. Bizarre. Défaut. Point gentille. Je reste immobile et apeuré, en quelque sorte. Ce sont des paroles raides que je n'aime pas. Peut-être quelqu'un se serait levé et les aurait obstiné – car, je le jure, je suis bien contre toutes ces paroles – mais je suis faible. Alors je reste muet et statue sur mon divan.
Puis elle s'excuse. Preuve qu'elle n'est pas aussi méchante qu'elle prétend l'être. Nous ne serons jamais amis, qu'elle dit. Je sens mon ventre se tordre, mais j'y suis habitué. Bien sûre que non. Personne n'a le courage d'être mon ami tellement je suis ennuyant. La translucide à ma gauche n'en fait pas exception. Je serre les dents, avale enfin, difficilement. Tout ce que je murmure, c'est:
“
Je vais t'appeler Ophelia. Il te va à ravir, ce nom.
”
Dommage. Peut-être aurais-je aimé la connaître. Et je fixe je ne sait trop quoi. La tête renfoncée dans les épaules. Je n'ose affronter son regard, bien sûre. Surtout pas sur cette voix chevronnant d'anxiété. Et si elle s'empare de la colère et me frappe de toute ses forces avec? Je vais souffrir. Pleurer. Et je vais la laisser faire. Je ne sais rien faire d'autre. Et ma petite voix éraillée ose, d'elle-même. Je n'ai le temps de l'arrêter. Je porte mon menton à se tourner, vers le vide. Mais je mime du mieux que je peux la regarder. Dans les yeux, le plus possible. Et je dis:
“
Tu sais... être bizarre n'est pas un défaut.
”
Puis je rebaisse mes iris sur le rien du tapis. Inintéressant à souhait. Elle me dit que je ne suis pas obligé de lui parler. Je me raidis. C'est un signe qu'elle veut que je me la ferme? Sans doute. Je ne comprends pas trop. Et je suis encore dans les vapes de l'incroyable événement. Si ça se trouve, je vais me réveillé sur un plancher avec, dans la bouche, les paroles restantes d'un rêve trop étrange.
Mais sa voix me tire de mes réflexions. Et me secoue, comme s'il s'agissait d'une surprise de taille. Qu'elle me parle encore, certes. Qu'elle me parle de Rabbit Dickens, surtout. J'ouvre la bouche et ne dis rien, c'est l'étonnement. Tout ce que je fais c'est porter un regard intrigué et surpris sur la jeune femme assise à mes côtés dans la télévision. Il y a le costume de lapin qui est en concert avec cet échange via l'écran sombre. Et je ne sais trop ce qui opère dans ma poitrine; trouble, satisfaction, questionnement... De tout. De tout et de chaque. Elle le voit? Si elle n'est pas non plus le fruit de mon imagination – ce dont je doute fort – c'est que Rabbit Dickens existe réellement. Un ami imaginaire qui n'en n'est pas un. Plutôt un ami invisible, comme dirait Maddox...
“
Ce... C'est... Il s'appelle... Il veut qu'on l'appelle Rabbit Dickens... C'est... C'est mon ami depuis que j'ai seize ans. Il est vraiment gentil. Il m'aide...
”
M'aide à quoi? À trouver complémentaire à une vie sociale inexistante? Je n'ai pas à le dire. Je ne le dirai pas. Je me racle la gorge et me redresse sur mon coccyx, à force de m'aplatir le dos sur le sofa, j'ai des compotes aux omoplates. Et je fronce les sourcils, risque encore à parler. Une question qui m'éclate la langue depuis mon adolescence, ou depuis une heure, je ne sais trop...
“
C'est... Enfin... Tu le vois depuis tantôt? Je croyais être le seul à le voir... Il est... Je veux dire... Il est... Comme toi? Non. Bien sûre que non... Mais... Je veux dire... Il est mort?
”
Dickens ne m'aurait jamais répondu? Ce n'est pas un grand bavard, il faut l'admettre.
J'avais pu lire une grande déception sur le visage de Collin. Je l'admets, mon discours avait été plutôt acerbe pour une introduction. Je ne voulais pourtant pas paraître méchante, seulement rester distante, comme le ferait tout bon fantôme. J'avais depuis longtemps instauré une frontière nette entre le monde des vivants et celui des morts. C'était une notions des plus essentielles à mes yeux, et c'était aussi le seul moyen pour moi de ne pas me fondre dans la mélancolie la plus profonde. L'intention y était, je n'avais juste pas trouvé mes mots. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher d'avoir quelques remords face à la tristesse de mon hôte. Je n'avais jamais vraiment réfléchis à ce que pouvait être la vie d'un humain en ce siècle, et à ce moment précis, je remarquai que solitude rimait désormais avec quotidien.C'était une pensée plus que triste. Surtout que le jeune artiste ne méritait absolument pas l'exclusion dont il avait l'air de faire preuve. Le jeune homme, malgré la peur qui rongeait son regard, reprit la parole à plusieurs reprises. Mon ton agressif semblait l'avoir perturbé et, malgré ça, il continuait à faire l'effort de soutenir mon regard spectral, et même de me parler. Si il voulait m’appeler Ophelia, soit! Je n'allais pas le convaincre du contraire, il avait l'air d'avoir pris sa décision. Mais lui n'arriverait pas à me persuader que mon étrangeté n'était que poussière. La bizarrerie n'est peut être pas un défaut chez l'humain, c'est même au contraire un gage d'intelligence, mais pour moi, c'était un caractère inné à ma forme, une malédiction plus que tout autre chose. Si j'avais pu être un squelette dans un tombeau, comme tous les autres, cela m'aurait été sûrement moins douloureux.
Je n'eus pas le temps de pousser ma réflexion morose plus loin. Collin s'était enfin décidé de me présenter à son ami silencieux. Rabbit Dickens. C'était un drôle de nom, tout droit sortit d'un vieux conte de fée. Les esprits adorent paraître sensationnels, comme dans le show business, ils font toujours tout pour être les plus originaux. J'avais choisi d'être dans la sobriété totale en amputant quelques lettres à mon prénom, et pendant longtemps, je m'étais faite appeler Hel, comme la déesse nordique. Puis, me rendant compte que ce nom participait à la disparition du souvenir de mon ancienne vie, j'avais repris l'appellation maudite que l'on m'avait soufflé à la naissance. Je n'étais pas un être d'une grande excentricité, et décidément, même dans la mort je ne semblais pas aussi passionnante que les autres. Quoiqu'il en soit, le semblant d'amitié qui avait l'air de s'être lié entre mes colocataires de fortune était un mystère qui ne parvenait guère à sonner logique dans ma tête. En quoi le monstre pouvait-il aider le jeune homme? Et surtout, pourquoi l'avait-il pris sous son aile? Une myriade de questions traversait mon crâne alors que j'écoutais Collin balbutier timidement quelques mots. Il avait dû souffrir, celui-ci, pour accepter la présence envahissante du tas de fourrure en unique figure d'amitié. Lorsque mes yeux rencontrèrent à nouveau la gueule mutilée de l'homme-lapin, une autre question vint attaquer mon sens commun. Il y avait-il réellement une personne sous ce costume ridicule? Qu'est-ce qui avait pu le pousser à se cacher de la sorte? Collin lui-même n'avait pas l'air de connaître l'identité de son sauveur, et lorsqu'il me posa la question, je fus en quelque sorte prise de court.
"Euh, je ne sais pas vraiment. Si je le vois, rien n'est moins sur, mais sa nature me reste secrète. Je suppose qu'il est comme moi, heu... mort?"
C'était tout ce que j'avais voulu éviter depuis le début de la conversation. Le son même de ce mot me donnait des frissons. Il me semblait avoir un écho infini au fond de mon crâne, comme si un être malicieux s'amusait à le répéter encore et encore jusqu'à me rendre folle. Je savais que je ne pouvais échapper à la question, et bien que consciente de ma condition, en former le mot m'arrachait à chaque fois une partie de mon âme. J'avais répondu sans réfléchir, sans même penser aux conséquences. Non, ce n'était pas à moi de dire si la bête aux grandes oreilles était dans la même galère que moi. C'était une affaire qui ne me concernait pas, et en y repensant, mon silence aurait été une option judicieuse.
"Mort ou pas mort, je n'en sais rien." répétais-je tout bas.
J'essayais tant bien que mal de déceler une pointe d'approbation dans les yeux de l'esprit grimé. C'était en vain, il n'avait pas bougé, ni essayé de me dissuader de quoi que ce soit. C'était comme si, dans un sens, je lui étais totalement invisible. Je n'arrivais pas à sonder son âme comme je pouvais le faire avec les humains. Il faisait preuve d'une indifférence écrasante. Indifférence que je n'avais pas connu depuis mon adolescence, quand le sang parcourait encore mes veines. C'était à mon tour d'être déstabilisée, apparemment. Comme pour fuir l'ennemie invisible, mon regard vint se poser à nouveau sur l'humain. Lui, au moins, était expressif. Si il s'était redressé, il ne manquait tout de même pas d'afficher des signes d'angoisse et, parfois même, un air d’abattement absolu. Le silence s'était à nouveau installé dans le petit salon noir d'obscurité. Ma réponse avait été vague, et pourtant, Collin semblait avoir besoin de temps pour analyser mes dires. En une soirée, le jeune artiste avait appris bien trop chose pour l'esprit fragile d'un simple vivant. Ce n'était pas la première fois que j'avais révélé la vérité brute à un être de chair, mais ici, cela s'était fait sans crise et sans robe ensanglantée. En bref, je me sentais mal d'avoir bouleversé le monde déjà si triste de Collin. C'était probablement parce que, jusque là, aucun humain n'avait essayé de faire preuve de gentillesse envers moi. Je jetai un coup d’œil rapide au vieil écran télévisé en face de moi, et aussitôt, décidai de m'échapper la situation en reprenant une conversation plus légère.
"J'ai vu des illustrations sur ton bureau. C'est très beau, tu fais ça depuis combien de temps ?"
Je n'avais trouvé que ça pour me sortir de la tête la problématique que me posait le monstre sans parole qui se reflétait, impassible, dans le petit écran noir. J'avais été un peu rosse quelques minutes plut tôt, et espérais tout de même rattraper le coup, histoire de ne pas achever Collin. Je suppose que cela venait contredire mes principes, mais après tout, qu'avais-je d'autre à faire? Rester silencieuse et attendre que le temps passe?
♦ Pas de problème pour le retard! :p
D. Collin King Lapin de conte défait
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Elle me répond évasive. J'avale difficilement. Elle me répond deux fois, et par la première comptine il y a autant d'incertitude que dans la deuxième on y trouve de la mélancolie. Je la regarde dans l'écran cathodique. Elle me regarde. Ou elle ne me regarde plus. Son regard dévore une tristesse qui ne lui donne plus aucune direction. Elle avale les mots qu'elle prononce, et elle s'empourpre en blanc. J'ouvre la bouche pour m'excuse de si tôt, mais je ne m'excuse pas. Il n'y a rien qui sort de ma bouche; une note de silence et un embarras, tout au plus. J'ai été plus qu'impoli, sans trop savoir que l'impact la détruirait sur le coup. Je referme ma gueule qui a ravagé déjà, et je contemple le tapis du salon. Ses détails me donnent des gargouillis au ventre. C'est simplement que je digère mal ce que je viens de faire.
Comme si c'était plaisant, être mort. Je me suis toujours dit que ce l'était. Je suis trop poète. Car la mort n'a rien de beau, en fait. Ophelia vient de me l'apprendre. Trouver une splendeur aux catacombes est une œuvre de vivant, sans l'ombre d'un doute. Et le décédé approuvant doit être nostalgique ou dément. Peut-être que Rabbit Dickens est un fantôme. Peut-être pas. J'ai soudainement beaucoup de pitié pour lui. Et pour elle. Mes bras se vident, se sentent vide, plutôt. Ils ont faim d'un câlin que je ne donnerai jamais, mais auquel je penserai en m'endormant dans l'espoir de faire un rêve de pluie tiède.
Et pourtant, je ne sais vraiment pas comment agir avec les gens. Surtout pas avec ceux qui vient plus. J'espère qu'elle ne m'en veut pas trop; je la sait rude. Rude. Enfin. Pour moi, elle l'est. Quoi que je suis bien sensible. Ne rien ajouter. Je ne crois pas qu'elle veuille de ma compagnie – d'abord que je doute que le fait que je l'aperçoive soit volontaire. Je regarde Rabbit Dickens dans la télévision. Il a tourné son visage vers Ophelia et ne dit rien. Parfois j'arrive à comprendre ses propos lorsqu'il ne fait que hocher de la tête ou bouger la patte. Là, il reste immobile. Et ayant un masque, ses intentions ou idées sont indéchiffrables. Il fixait Ophelia, immobile. Carrément. On aurait entendu une brise rôder si l'image avait été celle d'un cartoon. J'adore quand il me fixe ainsi. Je me sens protégé. Et je sais que c'est un regard attentionné qu'il aborde sous ses yeux de plastique.
La voix d'Ophelia me tire de mes pensées. Je suis surpris. Je croyais qu'elle en avait marre. Et pourquoi n'étais-je pas retourné au sommeil, alors? Peut-être parce que je me sais dans un rêve. Ou pas. Je ne sais plus. Les vapes de la nuit sont épaisses et les octaves de ses subconscients sont pièges. La situation me semble bien trop réel. Et le fantôme de mon appartement bien trop gentil. Je me tourne vers son reflet dans la télévision; elle est toujours aussi belle, et son nom lui va toujours aussi bien. Non, elle ne sourit pas. Elle ne sourit jamais, apparemment. Elle est triste, c'est tout à fait compréhensible. Quoi que bien malheureux. Pour le restant d'une éternité, elle se contentait malgré elle à la moue. Toutefois, moi, je souris. Parce qu'elle m'avait posé une question. Un sourire débordant de joie et bien heureux. Tant que je me trémousse sur mon siège comme le gamin américain qui attend son dessert favoris après avoir ingurgité les brocolis.
Je croyais qu'elle ne voulait plus discuter? Je m'étais trompé. Apparemment, la compagnie, autant à elle qu'à moi, n'est pas de refus. Je cligne mes paupières renfermant un regard brillant – je me sens plus éveillé qu'à n'importe quel beau milieu de nuit. Et je gratte ses traits de loin, de mes iris. J'analyse ensuite la question que je n'avais trop écouté. Simplement entendu avec euphorie. Depuis combien de temps je dessine?
“
Depuis que je suis adolescent. Merci.
”
Merci du compliment. Merci de continuer la conversation. De ne pas m'abandonner. Tu promets de si belles choses, tu es si merveilleuse, et triste... J'aimerais te consoler et te montrer que tu peux être magnifique, encore! Ma réponse était vague, mais je ne voulait m'appuyer sur cela.
“
Tu dessines, toi aussi? Peut-être pourrais-tu essayer. Je peux te montrer si tu veux. Ou écrire. Tu aimerais écrire?
”
Tu aimerais jouer au vivant? Mes idées se cassent dans mon crâne. Je crains chaque syllabe que je peux prononcer. Et si elles étaient des accidents? J'avale difficilement et reporte mon attention sur le tapis irrésistible. Ma jambe bouge d'elle-même; c'est la nervosité. Suis-je aller trop loin? J'ai l'impression d'agir comme si elle était mon ami, en sachant pertinemment que je n'ai jamais eut d'ami. Sinon Maddox, tout récemment. Je baisse le menton. Lève une épaule. Et murmure en toute gêne:
“
Je suis désolé c'est juste que... Que j'ai l'impression que je serais peut-être capable de... de te faire sourire... juste une fois... peut-être...
”
Je n'ose la regarder. Oh non! Je n'ose vraiment pas. Je rougis même.
Je pus apercevoir un éclair de surprise sur le visage de Collin. Depuis le début de la soirée, je n'avais pas été très bavarde et j'avais même profité de mon infime temps de parole pour paraître la plus distante et secrète possible. Afficher le masque d'un spectre âpre et cruel avait toujours été une solution de facilité pour moi, une manière de ne pas avoir à me confronter aux sujets du réel. Mais cette-fois-ci, je n'avais pas eu d'autre choix que de me montrer un peu plus conciliante. Si je trouvais ma démarche plutôt naturelle, je fus étonné de l'engouement que mes nouvelles paroles avaient suscitées au jeune homme. Il avait quitté son air pensif pour afficher un grand sourire. Je n'avais pourtant pas dit grand chose ! D'ailleurs, son enthousiasme était tel qu'il semblait déjà avoir oublié la question que je lui avais posé quelques secondes auparavant. Le sujet m'était égal au fond, tant qu'il restait moins morose que les circonstances de ma mort, ou bien que les raisons de mon existence. On avait déjà assez discuté du monde des esprits, et il s'avérait que je commençais à être lasse de parler de ma personne. Le jeune homme se reprit lorsqu'il comprit que j'attendais une réponse. En réalité, j'étais vraiment intrigué par ce qu'il allait me révéler. Les Arts avaient toujours été une passion pour moi et, en une bonne centaine d'année, j'avais eu le temps de visiter tous les musées de la ville pour parfaire ma culture en la matière. Peut-être avais-je même croisé l'un de ses dessins dans une galerie, qui sait ?
J'eus à peine le temps d'assimiler sa réponse qu'il me posa à son tour une question . Cependant, si j'aurais aimé pouvoir exprimer autant d'allégresse que lui, cela m'était impossible. Une forme de nostalgie frappa tout mon être lorsque je compris le sens de sa phrase. Pour faire court, j'étais une fille d'un autre siècle, un siècle où l'écriture et le dessin faisait partie intégrante de l'éducation de la jeune femme modèle. Dès mon plus jeune âge, un précepteur m'avait enseigné l'art des lettres et des mots, comme il l'avait fait ensuite pour mes sœurs. C'était comme ça à l'époque . On naissait pratiquement avec une plume dans la main. D'ailleurs, si je devais me fier à mes souvenirs, j'étais plutôt adroite avec l'encre. Seulement, cela ne pouvait pas durer. Après ma mort, j'ai lentement abandonné toute activité artistique. Mes capacités en dessin furent vite réduites à néant, et, le peu de lettres que je pouvais encore écrire semblait aujourd'hui aussi tordues que mon âme. J'avais gâché les années tendre de ma nouvelle vie à essayer d'entretenir mon image. Ce fut progressif, mais je finis par comprendre que l'art est bel et bien un phénomène social, et que moi, j'étais seule .
« Non, je ne dessine pas. » murmurais-je tout bas . « Pas plus que j'écris. »
Ma réponse avait été évasive, détachée. En réalité, je m'étais presque parlé à moi-même. Collin, visiblement gêné, avait dû se rendre compte de mon malaise car il ne tarda pas à reprendre la parole. Bizarrement, son optimisme réussit à me faire oublier quelques secondes ce qui venait de traverser mon âme. Sourire ? Moi ? Cela m'arrivait plus souvent qu'il devait l'imaginer. Cependant, je me demandais si je ne les devais pas tous à la part de spectre qui sommeillait en moi. La plupart du temps, lorsque mes cibles n'étaient pas trop coriaces, je prenais un malin plaisir à les faire tourner en bourrique. C'était là mes seules rires sincères depuis bien longtemps. A vrai dire, je ne savais plus trop si ils l'étaient vraiment. Mes gestes et mes pensées ne m'appartenaient plus qu'à moitié, et je doutais qu'une quelconque vérité subsiste dans mon corps. Je coupai court à ma réflexion pour répondre au jeune homme :
« C'est...Gentil. Je suppose que j'apprécierais si tu me montrais comment tracer quelques lignes. Je connais les bases mais je suis un peu rouillée, depuis le temps. »
Après tout, si j'avais quelqu'un à qui montrer mes progrès, cela pouvait redonner un sens au travail. Collin était vraiment quelqu'un de bon. Il y a des gens sur qui ça ne se voit pas, mais lui, ça me paraissait évident. A la réflexion, cela m'étonnait presque qu'il semble si seul. Même si l'époque avait changé, les gens ne pouvaient pas être idiot au point de rejeter quelqu'un qui savait se montrer si aimable. Je repensai tout de même à la raison qui m'avait amené ici. Ce n'était pas le jeune artiste que j'avais suivi depuis le parc, non, c'était une personne tout à fait différente. Grimé comme son fantôme.
« Je t'ai aperçu dans le parc tout à l'heure. »
Ce n'était pas le meilleur moyen d'aborder le sujet, mais j'en avais dit beaucoup sur ma personne, et maintenant, je voulais savoir à qui j'avais vraiment à faire. Je ne doutais pas de la sincérité de Collin, par contre, rien n'était sûr en ce qui concernait le monstre qui se reflétait dans l'écran, à quelque mètre du sofa.
♦ Pas de problème pour le retard! :p
D. Collin King Lapin de conte défait
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Fiche RPG Votre Personnage Jauge de capacités: (100/200) Dons, capacités & petits plus: Ma boutique de Voodoo:
Je ne sais trop ce qui naît sur sa peau de porcelaine, qui semble de liège, comme la mienne, dans l'écran de la télévision que je ne veux pas quitter des prunelles. L'Art a ses dons et ses puissances, les émotions sont ses guides. Si je me fis à ses traits si mignons et si lointains, je ne perçois qu'une mélancolie qui vient ronger mes excitations, par tous les bonheurs s'effondrent les néants des peines. Qu'est-ce que le pinceau lui dit? Qu'est-ce que la craie goûte dans sa langue? Comment a-t-elle abandonné son vivant et ses toiles? J'ai l'impression de la plonger dans le ressasse d'un cauchemar d'une veille atroce. Ce n'est pas mon but. Je me trémousse sur mon siège pour y trouver un certain confort; mais comment le coussin de ce divan d'une grand-mère défunte peut-il paraître douillet à des cuisses si raides, comme le reste de leur corps? Défunte... Ce mot n'est plus pareil dans ma cervelle. Je ne saurais dire quelle syllabe le change tant, toutes ses consones semblent épeler différemment, mais il n'est plus du tout le même. Étrange qu'est la vie. Et sa suite.
Alors je la vois déconfite. Plutôt triste. Peut-être nostalgique. C'est idiot, mais j'apprends à chaque battement de mes cils nerveux à regretter ma question. Elle est pourtant banal. Elle n'est pourtant rien. Peut-être offusquante? Et pourtant, la belle à qui je parle sait manier le crayon. Elle m'a écrit très gentiment des craintes à avoir sur mon mur. Je les regarde, justement. Il s'agit d'une suit qui tache et qui reste. Je regarde le reflet de ses menottes dans la télévision. Elles sont des noires et des taches sur la blancheur de ses pores. J'avale difficilement. Elle a déjà pleuré. Elle est maintenant épuisée. Elle pourrait s'en aller, disparaître sous mon nez n'importe quand. Je dirais quelque chose de déplaisant à son esprit, Ophelia pourrait ne plus être sous mon nez. Et claquer la porte sans un bruit. Je le crains. Je ne le veux pas, pas pour rien au monde. Je veux m'attacher à elle. Je me suis déjà attachée à elle, un peu... Déjà...
La douce répond qu'elle ne dessine pas et qu'elle n'écrit pas. Elle écrit. Ça je sais. Mais d'autre chose. Ce qu'elle ne fait toujours pas, c'est sourire. Elle ne sourit pas. Jamais. Mais elle est soucieuse d'apprendre à dessiner, peut-être. Elle dit connaître les bases. Son ton n'est pas enjoué, il ne l'est jamais. Mais elle est réceptive. Alors je redresse le menton et hoche de la tête, bien heureux. Ça me ferait plaisir de lui montrer tout ça. Je me repositionne sur mon siège. Et je suis content. Je n'ai jamais eut d'élève en dessin. Ni d'une Ophelia qui vient faire des graffiti à ma maison. Il y a une première à tout, apparemment. Ma gorge aurait roulé n'importe quoi à ce sujet.
Mais la belle aborde le parc. Je m'arrête. Et me crispe. Le parc. Je n'ai pas besoin de lui demander de quoi elle parle, ni de me le demander à moi-même. Une Ophelia n'aborde pas un parc par simple soucis de conversation. Je baisse mon œil sur la moquette. J'y verrai peut-être un pied de lapin. Mais le seul lapin que je vois dans le gris gris écran cathodique de ma télévision brisée. Je lui adresse une pupille remplie de détresse, d'incertitude. C'est lui qui m'a d'abord poussé à agir de la sorte. Mais il ne m'a jamais dit quoi dire à ce sujet aux autres. C'est qu'il n'y avait jamais eut d'autres avant.
Ma jambe se secoue nerveusement et je me mordille la lèvre du bas. Me me terre dans mes épaules qui ne cachent pourtant pas beaucoup. Je les hausse comme si je ne savais pas. Je ne sais pas, en fait. Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire. Peut-être ne parle-t-elle pas de ça. Peut-être fait-elle référence à quelque chose d'autre. Peut-être elle se trompe. Peut-être je me trompe. Mais après tout ce que je pourrais essayer de me faire gober, je trouve que la vérité est bien trop évidente.
Je me lève d'un bond. Comme ça. Je deviens trop anxieux. Trop nerveux. De ne pas savoir quoi dire. Ou que faire. De paraître pour un cinglé alors que je voulais simplement un peu de compagnie d'une charmante Ophelia. Je ne sais pas où marcher et, toujours blottis contre moi-même, je me gratte le fond de la tête. Ce que je souhaite à l'instant? Pouvoir faire un énorme câlin à Rabbit Dickens. Je sais que c'est impossible. Alors j'ai une idée. C'est une éclair. Je ne sais que faire d'autre. Je plonge dans le corridor menant à ma chambre. Mon lieu de destination acquis, je fouille dans quelques boîtes pendant quelques instants. Et trouve enfin celle qui frappe ma conscience. C'est une boîte à chaussure, tout simplement. Je l'apporte avec moi et retourne dans le salon. Je ne vois rien sur le canapé, mais dans son reflet en télévision, je vois Ophelia toujours là. Rabbit Dickens n'est plus là, étrangement. Je ne sais pas pourquoi. Croit-il vraiment que je sois capable de ça seul?
Je m'approche de petits pas. Et mon cœur tremble de tous les battements du monde. Sur la table à café, je dépose la boîte en question. Et à l'intérieur, on y trouve des feuilles pliées, des crayons, des patrons, un désordres et du plomb étalé partout. Je tire une feuille au hasard et la déplie sagement. Je la mets devant Ophelia – approximativement, je ne peux plus. Il s'agit d'un dessin que j'ai fait il y a plusieurs années de cela. Il s'agit de Rabbit Dickens et moi adolescent. Il est beaucoup plus grand et imposant que moi. Il l'a toujours été.
“
La première fois que j'ai vu Rabbit Dickens, j'ai pensé qu'il était grand. Grand et indestructible. Qui irait faire mal à un énorme lapin comme lui?
”
Ma voix est petite et elle tremble. Je ne regarde toujours pas Ophelia. C,est la honte. Je laisse le dessin tomber sur le sol et retourne fouiller dans ma boîte. Je tire une autre feuille. Il s'agit maintenant d'une couverture de magazine que j'ai peint de noir en entier, où j'ai dessiner le masque de Rabbit Dickens de toutes les couleurs. À l'époque, je ne m'en souciais guère puisque je n'ai toujours vu que des teintes de gris.
“
Je le trouvais aussi fascinant. Quand je le voyais, je ne pouvais pas m'empêcher de le regarder deux secondes.
”
Je laisse encore tomber le coup de pinceau sur toile de fortune et retourne à la boîte. Je sors les esquisses d'un patron, celui d'un costume de lapin. Je le retire de la boîte et le lui montre.
“
J'ai voulu... Être comme lui un peu... Parce que les gens... Ils m'ignorent... Des fois...
”
Tout le temps. Ils m'ont toujours ignorés. Il se sont toujours foutus de moi. Fait comme si je n'étais pas là. Je les ai salué, il ne m'ont rien dit en retour. Il ne m'ont pas entendu. Ne m'ont même pas vu, en fait. Ce n'est pas grave. C'est comme ça. Ils vivent leur vie. Je passe inaperçu dedans. Alors je vis la mienne. Jusqu'à ce que j'enfile le costume. Difficile à expliquer. Mais voilà, c'était ma manière de l'imaginer. Pour Ophelia. Ne t'en va pas, je t'en pris...
hj:
pardon du retard ): absence monstre. je suis de retour dans la course <3