Je me souviens de la Nouvelle-Orléans, à l'époque où tout allait bien. C'était une ville florissante, touristique, où quiconque pouvait s'y retrouver. Quand j'étais gosse, je considérais ma ville natale comme la capitale du possible. N'importe qui pouvait devenir ce qu'il voulait, ici ... C'était aussi pour moi le théâtre de l'art et de l'amour. Ados rebelle, je me souviens de ces beaux soirs où je faisais le mur afin de retrouver mon premier petit ami, Josh, dans les coins les plus festifs de la ville. Dans la même période, je prenais connaissance des pouvoirs dont la nature m'avait investi. J'avais toujours su ce que moi et ma famille était, mais je ne comprenais véritablement qu'à ce moment-là ce que c'était d'être un Sorcier, et ce que cela impliquait. Mes parents m'enseignaient alors dans le plus grand des silences la puissance de la sorcellerie et de la divination. Depuis lors, mon existence n'a cessé de trépigner.

Je me souviens parfaitement bien de mon premier Samain. Ce fût le jour où je fusse considéré au sein de mon coven comme hériter à part entière de la lignée Bell. C'est ainsi que nous procédons. Un grand rit, réunissant toute notre famille ( Et peu savent combien nous sommes nombreux), nous mettant en avant face à la nature, et ce, le jour le plus important de l'année Wiccane. Tel était l'étape fondamentale de chacun de nos descendants arrivant à l'âge où ses pouvoirs se révèlent parfaitement.

Mon assemblée étant extrêmement tournée vers elle-même, nous obéissons à un code familial strict. La solidarité, l'entraide dans chacune des épreuves de la vie est de mise. En revanche, si jamais un ou une Bell venait à refuser cet héritage, ou à tourner totalement le dos à notre coven, il était alors considéré dans l'esprit collectif comme un membre mort de notre cercle. Soit il accepte les choses de cette façon et disparaît, soit il trouve la force nécessaire de convaincre ses compères de se lier à sa cause.

Autrement dit, nous accomplissons des merveilles et détruisons nos ennemis ensemble ( Imaginez la force de frappe de dizaines de sorciers et sorcières) ou tournons le dos à notre coven et opérons seul.

J'optai pour la première option, et peu de temps après, j'achevais l'écriture de mon premier livre, qui eût un certain succès. Ce n'était pas un bestseller, certes, mais je restais ambitieux. Mais c'était sans compter sur l'arrivée de Belaam, le plus infâme Dibbouk qu'il m'ait été donné de ressentir. Depuis son arrivée sur la florissante Nouvelle-Orléans, la vie semblait s'éteindre, jour après jour. Et tandis que la ville qui m'avait vu grandir mourrait, je me sentais mourir avec elle. J'écrivais un second bouquin, qui n'eût le moindre succès, et observai les bars et les musées se vider de leurs habituels touristes. De plus en plus régulièrement, des gens disparaissaient, ou mouraient, dans des conditions ombrageuses. Même les sorciers, craignaient la puissance de Belaam. Pas moi. Il était temps que j'agisse, que j'entre en jeu, au péril de ma vie. Je ne pouvais me résoudre à laisser les choses dégénérer davantage. J'étais l'héritier de dons puissants, je ne pouvais les user pour l'unique profit de ma personne. Ma magie devait servir la cause, bien que ma famille, mon clan, voyait les choses d'un autre œil, aveuglé par la peur. À moi de leur prouver que nous avons un rôle à jouer dans cette guerre.

Cela faisait environ une demi-heure que je faisais les mille pas dans mon appartement, au cœur du Quartier Français. C'était le seul lieu où nous pouvions encore nous sentir un peu près en sécurité. Je regardai par la fenêtre ; c'était une belle après-midi, le temps était chaud, mais le cœur n'y était pas vraiment. Un "je-ne-sais-quoi " me laissait vide, déprimé. C'était un "je-ne-sais-quoi" que j'avais appris, depuis quelques années, à identifier. Il s'agissait des énergies. À l'époque, je ne ressentais ce genre de sensations que dans des lieux maudits par de terribles événements. Dans les maisons où avait eu lieu un meurtre, et où un esprit révolté errait. Désormais, ce mal-être semblait s'être étendu sur la ville entière, ou presque. J'étouffais. Aussi bien physiquement que spirituellement. Je rêvais de plus en plus souvent de la mort et d'esprits profondément maléfique, commandé par Belaam. Lorsque je faisais ce type de songe, c'était toujours atroce, et lorsque je me réveillais, c'était comme si je n'avais jamais fermé l’œil. Alors j'allume des encens et j'incante, je demande protection, et ça va souvent beaucoup mieux. D'autres fois, autant dire que c'est totalement inutile.

Je marchai jusqu'à ma chambre et ouvris la porte d'un coup sec. Je faisais souvent ça, comme si je m'attendais à voir quelque chose surgir. Mais ce ne fût pas le cas. J'ouvrai le troisième tiroir de ma table de nuit et enlaçai de mes doigts le tarot de Marseille qui s'y trouvait. Je l'avais entouré d'un linge blanc, sous conseil de ma tante Delphine qui m'assurait que c'était un bon moyen de conserver leur efficacité. J'avais confiance en elle, elle était une bonne cartomancienne.
Je m'installai alors au sol et étalai le linge blanc comme support pour le tirage. Je rallumai le brin d’encens au Jasmin que j'avais entamé la veille, et me mis à battre les cartes.

" Cartes ... J'ai une fois de plus besoin de vos conseils et de votre clairvoyance, pensais-je, quel sera l'avenir pour moi ? "

Je serrai les cartes entre mes mains, tentant le plus possible de ressentir leurs pouvoirs, puis les tirai, une à une, jusqu'à obtenir une ligne de sept arcanes différente.

Se dressait alors devant moi une danse de symboles et d'arcanes majeures où figurait des épées, des bâtons, Le Diable, La Lune, et La Force.

Je serrai les cartes entre mes mains, tentant le plus possible de ressentir leurs pouvoirs, puis les tirai, une à une, jusqu'à obtenir une ligne de sept arcanes différente.

Se dressait alors devant moi une danse de symboles et d'arcanes majeures où figuraient des épées, des bâtons, le Diable, La Lune, et La Force.

Je restai indifférent face à la réponse que je venais d'obtenir. Elle s'affichait à moi comme une évidence. Je voyais de l'ombre, de la peur, de la manipulation ... Mais aussi du courage est une terrible lutte. Seul un détail attirait vraiment mon attention. Les cartes m'indiquaient que les énergies s'élevaient, et que mes pouvoirs, comme ceux de tous les autres les sorciers, étaient en train de s'amplifier.

C'était toujours ce qui se passait, en temps de crise. C'était une sorte de réflexe d'auto-protection, chez nos compères. Il n'y avait pas vraiment de surprise là-dedans. Ce qui me tordait les entrailles, en fait, c'était plutôt le fait que nous en soyons déjà à un stade si avancé dans l'échelle du danger. ....