Joshua. Paradoxal pour un possédé de s'appeler le Sauveur. Mais allez savoir, peut-être qu'un jour…
Ses parents l'avaient prénommé ainsi parce qu'il a sauvé leur couple. En effet les Newton étaient au bord du gouffre quand Elvira, sa mère, « tomba » enceinte. Cela faisait de nombreuses années qu'ils essayaient d'avoir un bébé, l'espoir cédant la place à l'attente puis à l'impatience, à l'inquiétude, puis aux regards chargés d'une rancune tenace et réciproque.
Le couple se rejetait la faute de l'absence de descendance avec toujours plus d'amertume et de violence.
Aussi quand la grossesse d'Elvira fut confirmée, les mots, les mauvaises pensées et les reproches volèrent en éclat. Et lorsque Joshua pointa le bout de son nez un 3 décembre, ses parents furent au comble du bonheur.
Arrivé sur le tard et seul enfant de la famille, il fut choyé mais élevé avec les principes auxquels ses parents croyaient. Il développa par dessus tout un sens aigu de la justice et de la morale, le poussant toutefois à outrepasser les limites quand il jugeait qu'un abus était commis et pas sanctionné. Les lois sont faites par des voleurs pour mieux voler n'est-ce pas ? Son sens particulier de la justice façon Robin des Bois le mit rapidement en butte avec ses parents qui ne comprenaient pas son idéalisme.
Chargé d'un influx nerveux important le petit Joshua fut rapidement un casse-cou qui désespérait sa mère. Pourtant en le voyant vous auriez juré avoir rencontré l'enfant modèle, avec son air sage et ingénu. Le temps que votre cerveau émette cette pensée le gamin n'était plus devant vos yeux. Il ne tenait pas en place et seules les activités sportives en tous genres (squash, voile course à pied, équitation, cross, hockey) arrivaient à canaliser un peu son énergie. Ça et un ordinateur.
C'était à la fin des années 90.Son père en avait un quand il était plus petit mais il avait fini par rendre l'âme et à ce moment Joshua n'avait pas prêté attention à la machine. Sans doute était-il trop jeune ou bien occupé par une autre marotte.
En revanche, quand son père ramena celui-ci un soir il fut fasciné et il finit rapidement par l'utiliser plus que son père, découvrant un nouvel univers où il pouvait s'évader, créer, découvrir, explorer le monde, fabriquer ses propres outils sans que personne ne vienne lui balancer un « dégage, minus » ou « disparaît, microbe ». Parce que oui ,cette boule d'énergie qu'était Joshua ne ressemblait pas à un Viking. Toujours petit pour son âge et plutôt fluet, il a toujours eu affaire aux gros durs, de par l'intransigeance de son caractère. Si vous voulez , c'est un peu comme s'il était un chihuahua dans les pattes d'un beauceron, à part que les chiens sont plus intelligents et sympathiques que les adolescents lourdauds.
Bref en grandissant il a fini par s'assagir et à canaliser son énergie (sports et informatique) et par développer son caractère et est devenu un bon informaticien, travaillant dans un environnement agréable dans une grande société. Professionnellement il ne cherche pas à faire de vagues, réservant cela à ses activités inavouées. Son sens de la justice n'a pas varié et il profite de ses compétences pour essayer de rétablir les comptes. C'est un hacker doué et reconnu, tant soit peu dans ce monde secret et travaille souvent sur commande.
Parfois vous le verrez partir avec son sac à dos. Il a besoin de quelques pauses "vertes" dans l'année. Il parcourt les parcs naturels, les lacs et forêts et part en solitaire se ressourcer, se poser, réfléchir, loin de tout, sans aucun objet technologique avec lui. C'est sa pause numérique.

C'est pendant l'une de ces pauses de relâchement et de décompression qu'Henry lui est tombé dessus et a sauvagement pris possession de son être, corps et âme.

Ça a commencé de façon banale, presque anodine, du moins c'est ce qu'il a cru au début.
Un soir qu'il faisait ses courses à côté de chez lui après le boulot, il croisa une jeune femme. Ils cherchaient tous les deux du sucre. Trivial n'est-ce pas ? Arpentant les rayons ils finirent par trouver et se séparèrent aussitôt. Ils eurent tout de même le temps de se présenter l'un à l'autre.
La rétine de Joshua resta imprimée du joli minois et des courbes sensuelles de Dahlia, ainsi que de son sourire et de ses yeux de biche. Il y repensa une fois la porte de son havre de paix fermée, devant son écran. Que voulez-vous ? C'est un célibataire qui ne déteste pas agrémenter ses nuits de quelques voluptés féminines. Et si la jeune femme avait laissé penser que… et bien il n'aurait pas dit non. Il avait même été à deux doigts de se lancer, mais…

Il ne s'aperçut pas qu'il ne rentrait pas seul chez lui. Quelque chose ou plutôt quelqu'un avait vu que la jeune fille était un hôte et qui elle abritait. Ce quelque chose ou plutôt ce quelqu'un s'était alors dit que Joshua et Dahlia n’habitaient pas loin l'un de l'autre s'ils s'étaient croisés au supermarché. Ce quelqu'un cherchait aussi un hôte pour s'y incarner, pour en ronger la moelle et la chair, pour passer aux commandes et en faire son jouet. Joshua était passé par là. Très bien. Tant pis pour lui.
Petit à petit le jeune homme de sentit épié, suivi, scruté, observé, étudié et scanné, mis à nu et épinglé sur une table de dissection.
Cette sensation de touffeur, de pesanteur sur son diaphragme et ses épaules, cette douleur sourde, permanente et lancinante à ses tempes et derrière les yeux ; ces brusques pensées intruses sans queue ni tête s'accentuèrent depuis ce soir là, allant crescendo.
Il n'arrivait plus à dormir, avait beaucoup maigri et ne parvenait plus à se concentrer et son travail, aussi bien l'officiel que l'officieux, s'en ressentait.
Au bout de quatre semaines il finit par consulter et son médecin l'arrêta deux semaines. Le connaissant bien il lui conseilla de se mettre au vert, de tout débrancher pendant un moment.
Il rentra chez lui après un tour à la pharmacie et une balade dans un parc. Allongé sur son lit il songeait à sa destination pour se ressourcer quand une voix fit irruption dans sa tête.
Henry Mazureau s'exprima et expliqua calmement, doctement et de façon très pédagogue à un Joshua sous le choc qui il était et pourquoi il était là. Cela lui prit trois minutes. Passé cela il diminua son emprise. A la seconde même où il relâcha ses serres de Joshua, celui-ci bondit de son lit, tomba sur le plancher, roula sur lui même et fonça dans la salle de bains, son premier réflexe étant d'aller se regarder dans la glace. Il se vit pâle, les yeux injectés de sang et l'air hagard, affolé, mais au moins c'était bien lui en face. Du moins il le voyait. Oui mais dedans ?
Il se demanda s'il n'avait pas eu une hallucination mais un rire sardonique lui parvint alors comme un vieil écho, anéantissant cet espoir.
Stupéfait toujours il se dirigea vers son ordinateur et entama des recherches, vérifiant ce que lui avait dit cette chose, ce truc, ce fantôme, esprit ? à propos de lui. Au fur et à mesure qu'il ouvrait les pages son horreur grandissait. Tant pour ce que cet homme avait subi, comment il avait été assassiné, que par son projet de vengeance et le moyen qu'il voulait utiliser pour l'assouvir : LUI !

Ecoeuré et révulsé il renversa sa chaise, prit son sac à dos, y jeta quelques affaires, empoigna sa tente, son tapis de sol et son duvet , sa lampe torche. Il claqua la porte de son appartement, laissant tout allumé. Il avait besoin de prendre l'air, de sortir, de partir, de fuir.
Il se retrouva quelques heures après dans un de ses endroits favoris, le Bogue Chitto State Park, sans avoir eu conscience de conduire jusque là, et en ayant la désagréable sensation de n'être pas venu seul.

Il se trouvait au mois d'avril en pleine nature et seul, au beau milieu de la semaine. Autant dire qu'il n'y avait pas âme qui vive autour, humaine en tous cas.

L'esprit le laissa tranquille, le temps qu'il se calme. Retrouvant l’intégralité de ses sensations, de ses pensées, débarrassé de ces pulsions malsaines qui l'encombraient et le minaient jusqu'ici, il passa une bonne soirée, enfin. Il savoura ce moment de paix car cela faisait longtemps maintenant qu'il n'en avait pas eu, il s'en rendait compte. Il s'endormit donc, confortablement installé, pensant qu'il était hors de portée de l'esprit en cet endroit. Rien ne se passa cette nuit-là, ni la suivante, tant et si bien que Joshua décida de rester. Il aimait ce parc naturel et y passa donc une petite semaine entre balades, pêche, rêveries, détente, natation, se relaxant complètement. Cette sérénité retrouvée et l'espoir de rentrer à la Nouvelle Orléans et d'aller voir Jayden, son vieux pote branché sur les choses bizarres. Il lui demanderait conseil et peut-être même de l'aide. Ce soir là en se couchant, il se dit qu'il rentrerait demain matin.
Il était redevenu le jeune homme charmant un peu timide qu'on ne remarquait pas toujours mais dont la compagnie était agréable et recherchée quand on le connaissait. Il baissa sa garde, confiant.

Mais Henry guettait. Il savait que Joshua résisterait lorsqu'il déciderait de s'emparer de lui. Il relâcha alors complètement son emprise le temps que sa proie ne se méfie plus, ne soit plus sur ses gardes. Par bonheur celle-ci s'était isolée pour se ressourcer en pleine nature et était donc encore plus vulnérable. Pas de secours possible. Personne pour l'entendre ou le voir se tordre. Il perçut que le jeune homme, ayant récupéré ses facultés reprenait du poil de la bête et voulait rentrer chez lui. Tant mieux! Il aimait les challenges et c'était le moment où jamais. Il attendit le cœur de la nuit. Joshua rêvait, parfait. Il lui fonça dessus, cherchant à éclater sa personnalité, à l'anéantir par la violence du choc.
Joshua se réveilla en hurlant. Il s'extirpa de son duvet, se mit debout, rua, renversa sa tente, creva la toile et se retrouva à l'air libre. Hurlant toujours il arracha ses vêtements, se cogna aux arbres, s'égratigna aux branches, s'écorcha les pieds, tomba, percuta le sol violemment, s'ouvrit la tête. Il se releva, courut jusqu'à en perdre haleine, tout en essayant de faire sortir cette chose de sa tête, de son corps. Il entra à pleine vitesse dans le lac et tenta de se noyer pour se débarrasser de cet intrus qui cherchait à prendre contrôle sur lui.
Henry le laissa faire un moment. Au pire Joshua mourrait et il devrait après un certain temps se trouver un autre corps. C'était dommage, celui-là n'était pas mal, il lui ressemblait un peu et surtout il était jeune et en bonne forme.
Joshua lutta toute la nuit et toute la journée. Il n'abandonna que parce que son corps le lâcha d'épuisement. Hagard, il suivit l'esprit qui le guida vers sa voiture, abandonnant son campement sur place, mais s'en foutant complètement. Il conduisit comme un automate, obéissant à l'ordre de rentrer.
C'est un zombie qui rentra donc, prit une douche, avala un burger et se coucha. Henry avait pris le contrôle. Les dommages physiques engendrés par la résistance de son hôte n'étaient pas graves, justes impressionnants. On aurait dit que le jeune homme avait été longuement et avec application passé à tabac. Pour le moment il semblait groggy mais l'esprit ne se faisait pas d'illusions. Il allait devoir s'imposer avec une poigne de fer car finalement c'était une tête de mule qu'il avait investi, dotée d'un instinct de survie de son âme et de la pleine possession de ses capacités. Cet instinct allait certainement le mener à des rébellions s'il n'y prenait pas garde. Il s'était trompé la-dessus ; le jeune homme n'était pas aussi sage et docile qu'il en avait l'air.

Henry Manuzeau avait averti Joshua de son programme, lui disant qu'il se vengerait de Delphine, sa chère et tendre épouse qui l'avait si gentiment et délicatement occis. N'étant pas non plus de son côté un enfant de chœur (qui se ressemble s'assemble, hein?) il avait cuit et recuit sa rancune et sa haine. Il avait déjà essayé plusieurs fois de s'en prendre à Elle mais il y avait toujours eu un grain de sable, un accroc dans le plan qui avait fait échouer le projet. La dernière fois, il y a presque vingt ans de cela, des Macarthy lui avaient échappé au dernier moment et il les avait perdus de vue pendant une trop longue période à son goût. Heureusement il les avait retrouvés, le nom changé en Montgomery, terrés à San Antonio dans une grande maison au milieu d'un parc arboré ceint de hauts murs. Cette retraite puait la peur et il savait que c'était lui qui l'inspirait.

Joshua était un bon outil pour repartir sur le sentier de la guerre. Henry avait réussi à le plier à sa volonté et hormis quelques rares moments où il lui lâchait la bride (qui va loin ménage sa monture), il faisait tout ce qu'il voulait. Il luttait bien sûr, mais n'était pas de taille. Avait-il conscience de ce qu'Henry lui faisait faire? L'esprit ne se posait pas la question et se contentait de l'utiliser comme un pion.

Les Montgomery. Bien. A San Antonio. Soit. Cela ne changeait rien. S'ils se croyaient à l'abri…
Il avait pris soin de se renseigner sur les habitudes de ses cibles. Il avait ordonné à Joshua de prendre des vacances et était donc parti pour la deuxième ville du Texas pour quinze jours. Là, il avait tourné dans leur quartier, étudiant les possibilités.

Joshua se présenta au portail de la propriété des Montgomery par un bel après-midi ensoleillé, doux pour la saison. On était en hiver mais tout le monde était en petit pull dehors. Quelques frileux avaient une écharpe. Il avait démarché les habitants du quartier les jours précédents, prétendant être jardinier-paysagiste, disant que c'était le bon moment pour élaguer les arbres. Il avait déjà visité quelques propriétés, prenant consciencieusement des rendez-vous pour les jours à venir. C'est fou comme les gens vous ouvrent facilement leur porte quand vous proposez un service, un peu moins cher que le prix du marché pour emporter la décision. Il entra donc ainsi chez ses victimes, comme innocemment, sur sa bonne mine.

Bien sûr il avait ses outils. Il fallait bien qu'il prouve son sérieux et la qualité de son travail en faisant une petite démonstration. Ce qu'il fit. Bien sûr cela lui donna chaud et Madame Montgomery lui proposa fort diligemment un rafraîchissement qu'il accepta, bien sûr. Laissant sa sacoche aux outils si bien affûtés dans l'entrée, il accepta une citronnade bien fraîche, servie dans le patio.

Il utilisa le plateau de service pour assommer brusquement le couple, commençant par la femme. Portant des gants de jardinage, qu'il avait pris soin de ne pas ôter malgré le regard curieux de ses hôtes, il se mit au travail. Le patio n'étant pas visible des voisins, il se déshabilla entièrement, sauf les gants. Il avait remarqué qu'il était à l'aise comme ça. C'était pratique : pas de tâche de sang sur les vêtements. Il lui suffisait de prendre une douche, de se revêtir et de partir aussi tranquillement qu'il était arrivé.

Les fois précédentes lui ayant servi de répétition et de mise au point, il prit le temps de faire les choses dans l'ordre, méthodiquement. Il attacha solidement ce cher Monsieur Montgomery en position assise et s'occupa de son épouse une fois qu'il eût repris connaissance, bâillonné cela va de soi. Quand il eût fini plus rien d'humain ne subsistait dans les restes des deux corps. La rage d'Henry lui avait fait faire un carnage. Il disposa soigneusement les membres abîmés de chaque corps sur les transats qui bordaient la piscine, bien détachés les uns des autres. Puis il mit de la musique, se prépara un autre verre de citronnade car décidément il avait chaud, puis nagea quelques longueurs, laissant dans son sillage quelques traînées de sang que l'eau lava au fil de ses mouvements.

Il lui avait semblé qu'ils avaient une fille, mais elle n'était pas là, dommage. Son tour viendrait en son temps, Henry n'était pas pressé.

Joshua sortit d'un pas souple et élastique de la propriété, le sourire aux lèvres. Delphine allait enrager c'est sûr.

De retour à la maison, Henry laissa son hôte tranquille. Il savait que ces meurtres le perturbaient car sans savoir comment ça marchait (et il s'en moquait d'ailleurs), Henry constatait que Joshua voyait ce qu'il lui faisait faire, en spectateur impuissant. Il savait que Joshua allait traverser des heures pénibles et dans ces moments là, il s'en allait, laissant l'humain seul, sans emprise.

Joshua regarda autour de lui. Il était dans son appartement, mais ne comprenait pas ce qui se passait. Il émergeait là, au milieu de son salon. Qu'avait-il fait ? Sa peau sentait le chlore et ses mains portaient des gants. Il regarda ceux-ci, affolé. Quelqu’un les avait lavés mais il subsistait des traces de sang, près des poignets. A qui était ce sang et pourquoi portait-il des gants de jardinage dans son salon ? Soudain en un éclair, l'horrible scène défila devant ses yeux, si réelle, odieuse. Il hurla et se jeta par terre, en proie à la panique la plus totale. Il finit par se calmer quelques heures plus tard, prostré dans sa salle de bains, assis par terre entre la douche et le lavabo, la peau rougie d'avoir été trop frottée. Jamais plus Joshua n'irait à la piscine.