Matt a toujours aimé les chiens. Durant son enfance, ses parents avaient adopté un berger allemand, déjà âgé de trois ans, et qui avait vieilli en même temps que Matt, alors âgé de cinq ans à l'adoption du chien. C'était un mâle castré, doux, joueur, et très protecteur envers lui. Il s'appelait Sultan. Un nom un peu con mais bon, c'était celui donné par les anciens propriétaires et son père n'avait pas cherché à le renommer, de toute façon, à trois ans, le chien avait déjà trop l'habitude d'être appelé ainsi. Bref, Sultan avait bien vécu et n'était mort que lorsque Matt avait eu seize ans. Sa perte avait été un véritable déchirement pour le garçon qui ne connaissait que ce chien pour calmer ses pulsions agressives... A sa perte, il n'eut plus rien pour le canaliser. On peut aisément dire que ce fut un tournant de sa vie qui décida de tout le reste.
Les années ont passé et Matt était devenu un boxeur en pleine montée de célébrité. Il avait alors craqué pour un American Staff couleur caramel, une femelle, qui venait d'une portée qu'un ami avait eu avec sa propre chienne. Katcha, qu'il l'avait appelée. Elle était brusque, n'avait aucune délicatesse et pétait en dormant. Elle ronflait, aussi, fort, au point de faire vibrer la maison. Puis, il épousa la pétasse qui avait ruiné sa vie. Fou d'amour, il ne vit pas qu'elle n'aimait pas Katcha et ignorait qu'en son absence elle était, disons, brutale avec sa chienne. Il finit pourtant par la surprendre en plein acte de violence envers elle et ce fut là l'une des pires disputes que vécut le couple. Il avait emmené Katcha chez le vétérinaire, heureusement, rien de très grave. Plus jamais il ne put aimer sa femme comme avant. Quand Katcha mourut, percutée par un chauffard, il fut déprimé. Seule cette peste semblait plus heureuse et Matt lui en voudra toute sa vie.
Et puis tout s'était chamboulé. Le divorce, le nouvel amant de sa femme croisé dans la rue, l'accès de rage qui tua cet homme à même le trottoir où il l'avait aperçu en train de rouler une pelle à cette... Et ensuite, la taule. Plusieurs années avant qu'il ne puisse sortir, et seulement grâce à son comportement irréprochable derrière les barreaux. Le déménagement en Nouvelle-Orléans, de l'autre côté de l'Atlantique, une nouvelle vie d'asocial, sans saveur, dénué d'avenir qui avait un quelconque intérêt à ses yeux. Morne, en un seul mot. Boire, boire, boire et encore, voilà l'activité qu'il fit pendant un bon moment. Il mit du temps à se remettre en tête que la boxe pouvait être son unique bouée de sauvetage dans ce précipice vers l'ennui mortel. Matt s'y remit, reprit du poil de la bête. Quelques semaines plus tard et une autre bonne nouvelle lui vint...
Dans un bar, un soir, il entendit un gars parler d'un nouveau refuge canin. Il se plaignait du bruit, ronchonnait, bavant dans sa bière. Matt l'avait accosté et demandé des informations sur ce centre. Après lui avoir offert les coordonnées, le mec s'était lancé dans un speech digne des meilleures lamentations au Mur occidental. L'ex-champion l'avait écouté distraitement avant de finir sa propre bière, de le couper net pour lui dire au revoir et de s'en aller. Il comptait dormir tôt, se lever tôt et se présenter sur place. Pour se proposer comme bénévole, tout simplement. Il avait envie d'être en contact avec des chiens, cela lui manquait et il savait que c'était un meilleur moyen, encore meilleur que la boxe au final, pour ne pas crouler dans la monotonie de son quotidien.
A l'heure actuelle, cela fait seulement deux semaines, avec une présence de deux heures le samedi et de quatre heures de dimanche, qu'il fait du bénévolat au Without Collar, la maison des sans-collier, des laissés pour compte. Chaque week-end, il donne son temps pour nettoyer les grandes cages, sortir les chiens, les nourrir et les soigner si besoin. Un dimanche, une voiture vint, une petite cage dans son coffre. Matt balayait une allée mais, de là où il était, il put voir qu'un nouvel arrivant allait prendre domicile ici. Intrigué, il s'était approché de la grille et avait regardé vers la voiture. Une petite boule de poils d'un gris ardoise s'agitait et couinait d'un air triste dans les bras d'un homme, qui discutait avec un autre des possibilités de le placer au centre. Plein d'énergie, le chiot à peine âgé de deux mois manquait toutes les quinze secondes de tomber de ces grandes mains, qui avaient un mal fou à le contenir. Sans trop savoir ce qu'il faisait, Matt lâcha son balai et vint à la rencontre du mec tenant l'animal. Il tendit les mains.
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Je peux ?Son collègue le regarda, haussa les épaules et lui plaça sans délicatesse le chiot dans le creux des bras. Matt passa un long moment à regarder le bébé s'agiter puis, petit à petit, se calmer et finir par émettre un léger ronflement, les yeux mi-clos.
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Vous avez le chic avec les chiens, vous, fit l'homme, sincèrement impressionné
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On peut dire ça, ouais. J'l'aime bien, ce p'tit.
- Adoptez-le, alors. On vient de le choper au bord de la route. Encore un peu et il passait sous des roues...
- Je sais pas trop...
- Prenez-le pour la journée, jouez avec lui, faites sa connaissance et peut-être que..., lui dit alors le mec en lui tapotant l'épaule avec camaraderie avant de le planter là.
Matt fit ce qu'il lui avait conseillé, plus parce qu'au fond il en a envie, lui aussi. Il passa trois heures avec le chiot. D'abord endormi, il finit par s'éveiller et à quémander pour jouer. Tout y passa : balles en caoutchouc, corde à tirer, bâton à lancer et biscuits à mâchonner. Puis encore une sieste. Le même type que tout à l'heure revint à ce moment-là, tout sourire, et lui lâcha :
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Alors ?Matt leva les yeux, resta pensif un moment, muet. Il reporta son attention sur le chiot assoupi sur un coussin, à côté de lui, lui-même assis sur le sol en béton. Un sourire vint flotter sur ses lèvres.
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Ouais. J'le prends. Il est vraiment trop. Il se tut et, dans un murmure, grattouillant la petite chose ronflante entre les oreilles, il ajouta :
Buck...© Gasmask