Sujet: Lonesome Mariachi - Nitzan Mar 18 Fév - 1:23
Il aimait bien la boutique, un lieu idéal dans lequel errer lorsqu'il avait besoin de calme. Ludwik ne se souvenait plus exactement quand il s'était rendu ici pour la première fois et cela était sans importance à vraie dire. Un autre esprit y résidait continuellement, lui, une femme. La grand mère de la jeune propriétaire, fantôme protecteur et amical du moins pour ceux n'ayant aucune envie agressive. Nitzan restait cependant assez femme-enfant pour ne rien avoir à craindre du poltergeist. Il s'amusait de son entrain, de son univers musical et de son petit monde tout simplement qu'elle cultivait tout autant en médium qu'en artiste. Ludwik aimait à écouter sa musique, bien qu'elle n'ait rien à voir désormais avec celle qu'il avait toujours connu de son vivant, mais le monde changeait lorsque lui restait condamné à ne plus être rien d'autre qu'un souvenir.
Aujourd'hui, Ludwik ne cherchait pas spécialement une compagnie, celle de la jeune fille ou celle de l'autre esprit. Mélancolique, rien ne pourrait vraiment l'apaiser. Trop tard pour ça, trop tard de quelques siècles. De toute manière ce n'était pas ce que l'homme cherchait...Lorsqu'il venait ici c'était pour les instruments, la musique. Pour les jeunes, la guitare semblait être l'instrument indémodable, le must en matière de compétences. Le violon ? Une chose désuète, oubliée, seul restait la guitare, électrique ou non. Cela manquait à Ludwik : assembler, créer... Savoir que des mains expertes un jour construiraient des mélodies par la simple force de ses instruments à lui.
Le calme. Le calme et la nuit, il voyait l'obscurité par les fenêtres, vacillant sous les lumières des lampadaires. Le bruit de quelques personnes au dehors, rien de vraiment capable de lui évoquer quelque chose. Trop vieux, trop daté, des mœurs différentes, une épique différente....
Une ville différente.
Il n'y pensait pas, il n'y pensait plus. Cela ne servait à rien, et puis Ludwik s'était trouvé un nouveau rôle, cela lui convenait. Il n'y gagnait rien, restait seul et souvent d'autres esprits l'évitaient de peur d'être contaminé par cette tristesse lui collant à la peau. Cette tristesse qu'il n'imposait pas pourtant, gardant cadenassé tout en lui. Ce n'était pas important....
Il aurait voulu sentir des odeurs de cire et de rose trémière, se rappeler du bruit du satin lorsqu'il dénouait les cordons d'une robe pour le temps d'une étreinte.... Ce n'était pas la vie qui lui manquait depuis toutes ces années, mais bien l'amour. Entouré de calme et d'ennui, l'esprit parvint à prendre une guitare sèche en exposition. A peu près accordée, celle-ci supporterait bien un peu de son jeu. L'homme n'était pas musicien mais savait jouer, du moins un peu. Il entendait parfois au gré de ses hantises des mélodies qu'il s'amusait à reproduire mais malheureusement pour un endroit comme la Nouvelle-Orléans, Ludwik détestait le jazz.
Perdu dans son propre monde à lui, l'homme essayait de retrouver les sons d'un concierto fait d'espérance et de mélancolie, comme si la force de quelques accords pouvait également lui faire évoquer sa vie passée. Deux yeux noirs, sauvages à aimer, les colères d'un couple, les amours aussi, la chaleur de la vie...
Des choses qui n'existaient plus. Sans importance, tout était sans importance dans cette simple boutique de disques et d'instruments au plus noir de la nuit. Est-ce que l'humaine viendrait ce soir, est-ce qu'elle entendrait ? Il n'était pas musicien mais portait en lui des notes différentes. Oh tristesse, pourtant la solitude avait un goût de réconfort et l'amertume viendrait bien assez tôt....
Aujourd'hui, tout avait un goût de ténèbres, alors l'homme, l'esprit frappeur souriait comme porteur du plus beau des secrets. Il n'avait ni larmes, ni peurs et si plus rien ne lui appartenait, il se souvenait bien assez de la vie et de l'amour encore aujourd'hui pour ne pas trembler.
Depuis plusieurs semaines, j’avais ressenti une présence supplémentaire dans la boutique. Quelqu’un d’autre en plus de Nana, un esprit. J’en croise souvent, attirés par moi et mon don comme des papillons de nuit autour d’un lampadaire, dans l’espoir que grâce à moi ils puissent renouer avec leur vie d’avant, rester un peu avec les vivants. Et j’essaie de leur faire comprendre que c’est une autre vie qui s’offre à eux maintenant, mais qu’ils sont morts, bien morts, et qu’il va falloir s’y faire. Certains sont tristes, d’autres s’énervent, et je ne compte pas les fois où j’ai eu des présentoirs de cordes de guitare renversés, des cordes d’instruments pétés et autres. La seule qui soit toujours restée auprès de moi, depuis mon arrivée à la Nouvelle Orléans, c’est Nana. Elle veille sur moi, et elle prend ça comme un devoir des plus sacrés, de protéger la petite princesse, la dernière de la lignée. La savoir auprès de moi, sentir sa chaleur et sa douceur me sont devenus aussi indispensables que le café du matin et l'air que je respire. Elle me donne du courage et de la force, partage mes joies et mes peines depuis le premier soir où mon don s'est déclaré, là-bas, dans une forêt profonde de Roumanie. Peut-être qu’un jour, moi aussi, je protègerai mes petits-enfants ou arrière-petits-enfants sous forme d’esprit. Je me demande parfois si elle n’aimerait pas faire autre chose, que de rester tout le temps auprès de moi, mais ça semble lui convenir. L’esprit dont j’ai senti la présence, par contre, est différent des autres. Je sais qu’il est là, mais c’est comme s’il cherchait à ne pas se montrer. A rester invisible, tout en étant retenu par quelque chose que je ne suis pas encore arrivée à identifier. Moi? L'endroit? Un objet qui se trouve ici?
Pourtant, je l’ai ressenti intéressé quand, un soir, je m’étais mise à travailler mon violoncelle. Le magasin était vide, tout était calme, et je m’étais installée dans un coin, à la lumière de quelques bougies. Mon archet avait commencé à courir sur les cordes, et l’instrument s’était mis à chanter. J’aime le violoncelle plus que le violon, car son son est plus chaud et plus profond. Presque comme une voix humaine, caressante, suppliante ou plaintive. J’avais senti que cet esprit avait réagi à ma musique. Il s’était rapproché de moi, comme pour m’écouter, et j’avais pu ressentir sa peine, sa mélancolie. Presque comme s’il s’était assis sur le canapé tout près de moi. Tout en continuant à jouer, j’avais commencé à parler.
Bonsoir… je m’appelle Nitzan. Je peux vous entendre, si jamais vous avez un message à faire passer à quelqu’un ou… si vous avez envie de discuter…
Ce soir, il est là à nouveau. Je descends les marches en entendant de la musique en bas. Ludwik ? Je n’allume pas les grandes lampes, pour ne pas l’effrayer, et de toute façon je peux me repérer dans ma boutique les yeux fermés. Je m’approche doucement et reconnais une guitare. Quelqu’un en joue, mais personne n’est là. Je m’arrête pour en savourer les notes, qui s’égrènent dans l’obscurité comme des pétales de cerisier à chaque coup de vent. Ses notes sentent le soleil et le parfum des fleurs, elles donnent envie de sourire, et pourtant, on sent de la mélancolie chez celui qui en joue. Comme s’il se forçait légèrement. Sans trop réfléchir, je saisis mon violoncelle rangé tout près de là, m’installe rapidement, et commence à l’accompagner. Mes interventions sont un peu maladroites au début, et petit à petit je colle de mieux en mieux à son air, le son chaud de mon instrument venant compléter le sien, cordes frottées contre cordes pincées. La nuit est à nous, rien n’existe plus que la musique, le monde se rétrécit aux quelques mètres de la boutique, dont les murs, les limites, se perdent dans l’obscurité. Je ferme les yeux, je me laisse emporter par la musique, notre musique.
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Sujet: Re: Lonesome Mariachi - Nitzan Jeu 6 Mar - 12:57
Malheureusement, le morceau avec lequel Nitzan choisit de se greffer était trop moderne pour s'accorder à la nature bien plus classique de l'air de Ludwik. Peu à peu, l'esprit laissa ses doigts mourir sur les cordes de la guitare jusqu'à ce que plus le moindre son ne vienne de son côté. Quelque chose, encore une, pour lui rappeler que son monde était mort, bel et bien mort. Ils avaient de bons compositeurs dans ce siècle, évidemment, Ludwik arrivait à en admirer quelques uns, mais il manquait encore et toujours cette étincelle que le luthier ne parvenait à retrouver. Celle capable de déchirer cœur et âme au nom de la tristesse et de la foi, celle tellement loin de la joie de vivre et des bons sentiments, choses que l'homme dépréciait tellement en musique. Il possédait cette notion d'éternité dans laquelle toute joie se devait d'être éphémère pour y avoir un sens, tenter d'en modeler dans un morceau ou une symphonie, cela ne rimait à rien. Demande-t-on à un poète d'être heureux ? Chanter la vie peut-être, louer l'amour, dieu et la foi, mais le faire par delà les épreuves et les obstacles, car c'est ainsi que vie et mort prennent leur sens.
Nitzan et son violoncelle, il l'observait, oui il l'observait et se souvenait lorsque lui-même fabriquait des instruments. Il avait eu un fils, un fils mort, il avait eu une fille aussi, capable de vivre, elle, et toujours prête à poser ses mains sur les instruments fabriqués par son père. Elle faisait cela, sourcils froncés nez retroussé, déclarant quel instrument irait à un grand génie, qui ferait un morceau capable d'être retenu, qui s'usera simplement à jouer dans la rue... C'était son jeu, comme une prêtresse, une pythie donnant une fatalité aux cordes et au bois. Et parfois elle jouait aussi, maladroitement, appliquée quand même, avant d'abandonner en secouant la tête et de repartir à d'autres rêves. Nitzan s'appliquait aussi, mais ne secouait pas ses cheveux. De toute manière elle ne lui ressemblait pas, et sa fille était morte tellement d'années auparavant. Le souvenir en était amer, mais accepté.
« Tu devras bientôt faire changer les cordes... »
Il murmurait pour lui-même, observant l'instrument, immobile avec la guitare dans les mains, lui qui n'avait jamais possédé personne....ou bien ne l'avait jamais avoué. Il y avait le vent entre eux, il y avait la nuit, le silence et la musique aussi. Il y avait la vie, et quelque chose d'autre qui n'en était pas, tout un monde aussi, tout un univers comme à chaque fois que deux êtres fondamentalement distincts sont en présence l'un de l'autre. Qu'avaient-ils à s'apporter vraiment ? Peut-être pas grand chose, mais ce n'était pas une raison pour fuir également et cette nuit, cette nuit au moins, Ludwik voulait être apaisé. Un peu, juste un peu, était-ce trop demander ? Non, jamais, oh jamais....
En douceur, Ludwik reposa la guitare qu'il tenait dans les bras. Rien ne le retenait ici, il pouvait partir, abandonner Nitzan à ses morceaux, mais il pouvait rester aussi, l'observer un peu, elle qui était fille d'une musique oh par combien différente. Elle était jeune, pleine de vie, elle avait un avenir devant elle tracé en de multiples routes maladroites peut-être, mais chacune capable de la mener quelque part. Cependant, cette époque possédait réellement lus de qualités que celles dont Ludwik venait ? Que devenaient les poètes et les maudits, que devenaient le rêve et la nuit ?
Il y avait un froid en lui, près de lui aussi, tout autant, château de neige et de glace, quelque chose, comme une armure, et nul ne la perçait, nul ne la perçait. Il était l'homme, l'éternel solitaire, il était le banni et l'errant, il était celui refusant tout sommeil et pardon, et nulle musique ne pourrait un jour être assez forte pour porter son âme à lui, telle était la vérité.
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Sujet: Re: Lonesome Mariachi - Nitzan Mer 12 Mar - 14:34
Lonesome Mariachi
Ludwik & Nitzan
Ludwik n’est pas un esprit causant. J’ai mis du temps à remarquer sa présence, à le sentir près de moi. Souvent, les esprits sont agressifs, ou perdus, ou en tout cas ils éprouvent des émotions violentes qui font que je les perçois plus facilement. En lorsqu'ils m’approchent, c’est qu’ils veulent quelque chose de moi. Pour lui, c’est très différent. Ce n’est que le soir où je l’ai entendu jouer pour la première fois que j’ai vraiment senti sa présence, discrète, à peine l'ombre d'un esprit. C’était un peu comme s’il appréciait d’être là, où qu’il avait juste besoin de rester ici, dans le magasin, comme s’il le voyait comme un refuge, ou un vestige de son passé. Il émanait de lui une grande tristesse, mais en même temps, il donnait l'impression qu'il essayait de la cacher, peut-être par honte, ou par pudeur, je ne sais pas. Au fur et à mesure des jours qu'il a passés près de moi, j'ai appris à le sentir, à savoir qu'il était là, mais pas une fois il ne s'est manifesté. Il a mis du temps à me parler, à communiquer avec moi. La première fois, c’est seulement après avoir joué un morceau de Bach qu’il a consenti à me dire son prénom. Depuis, je n’ai pas appris grand-chose de plus, à part qu’il était un passionné de musique, comme moi, et que la mort n’était pas arrivée à le détourner des cordes qu’il affectionnait tout particulièrement : Les violons, les guitares et les violoncelles. Ses instruments de prédilection.
Pour la troisième, ou peut-être la quatrième fois on communique en musique. On partage un moment d’infini qu’on tisse avec nos cordes et nos notes. Je le sens de façon plus forte quand il joue, quand il m’accompagne, un peu comme s’il se laissait aller, qu’il était moins en train de se cacher, de camoufler sa tristesse et sa mélancolie. C’est quelque chose qui m’a toujours plu dans la musique. Son côté universel. Des personnes qui ne parlent pas la même langue, qui sont de cultures radicalement différentes, peuvent être à l’unisson quand on leur met un instrument entre les mains, et créer des choses extraordinaires. Ludwik, lui, n’est même pas de ce monde, et pourtant, les moments où on a pu mettre nos talents en commun ont donné des pépites merveilleuses. Notre passion traverse le temps, l'espace, et même la mort. Malheureusement, ce soir, je sens que notre collaboration ne porte pas ses fruits. Le son de la guitare meurt doucement, comme le souffle vient à manquer à une tuberculeuse du 19e siècle qui s’éteint dans un soupir. Je joue encore quelques instants, avant de reposer mon archet et d’ouvrir les yeux. Une seconde, je me demande si je n’aurais pas dû le laisser seul pour jouer. Peut-être qu’il n’a pas aimé que je le rejoigne, et qu’il me le fait comprendre en s’arrêtant ainsi. Après tout, les esprits aussi peuvent avoir besoin de solitude.
Mais je suis rassurée, et un peu soulagée, quand il me dit d’une voix douce que mes cordes auraient besoin d’être changées. Je reste interdite une seconde, avant de les effleurer du bout des doigts, et de les tirer très légèrement. Force est de constater qu’il a raison.
C’est vrai… merci ! Je m’en occuperai demain !
Je devine l'endroit où il se tient à la guitare qui flotte, immobile. Depuis longtemps j’ai appris à ne plus m’étonner d’objets qui bougeaient tout seuls, qui changeaient de place, et autres. Sa remarque me confirme qu’il a été un musicien, et un très bon, vu la qualité de son oreille. Pourtant, sa façon de jouer a quelque chose d’ancien. Comme si sa technique datait d’un autre siècle. Ca se ressent aussi dans ce qu’il joue et compose, des suites d’accords remontant à loin, des sortes de beautés qu’on ne trouve plus de nos jours, un raffinement, une recherche, un soin particulier qui a disparu .
Je ne voulais pas te déranger, ou t’interrompre. Si tu veux que je te laisse seul, je peux remonter. Tu peux utiliser tous les instruments qu’il y a ici, n’hésite pas…
Je sens l’immense respect qu’il a pour ces objets, si simples quand on y réfléchit, et qui peuvent faire tellement de choses. Quelques bouts de bois, des tiges de métal, de l’ivoire, un morceau de cuivre, et on peut produire toutes les notes du monde, réécrire des univers… Il ne s’amusera pas à détruire ce qui se trouve ici, comme j’en ai déjà fait l’expérience avec d’autres fantômes. J’aime la déférence qu’il a pour ces objets d’art, et c’est pour ça que je lui laisse toute liberté d’utiliser ce qui est ici.
Je range mon violoncelle dans son étui, ainsi que mon archet, et je glisse le tout dans mon bureau. Il est encore là, il ne semble pas vouloir me faire partir. Je m'installe alors sur le tabouret du piano et j’égrène une suite de notes sur lesquelles je travaille depuis quelques temps, les jouant très doucement, tout en lui demandant.
Je ne sais pas grand-chose de toi… Est-ce que tu accepterais de me raconter ce qui t’a amené ici ? Et ce que tu faisais avant ? Mais ne parle que si tu en as envie… tout le monde a le droit d’avoir son jardin secret…
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Spoiler:
Oui je sais, j’adore Olafur Arnalds ! Tu joues vraiment très bien, j'ai l'impression que mes posts sont tellement médiocres à côté de toi!
Fut un temps, Ludwik savait tout des secondes, des heures et des minutes. Lorsqu'un cœur en ses chairs battait assez fort alors pour que le décompte ait un sens, qu'il pressait son oreille contre la poitrine d'une femme, la sienne, toujours la sienne, pour entendre au lieu de Badam Badam, des Je t'aime, je t'aime. A présent ne restait qu'une longue éternité déchirée de musique et de sanglots parfois. Aussi, lorsque l'homme regarda Nitzan, ce fut avec aux lèvres le tic tac d'une horloge. Elle était jeune, elle était belle, pleine de vie et s'éteindrait un jour sans que rien n'ôte de sens à son eistence même lorsque Ludwik lui-même restait un non-sens.
Les morts n'ont pas à revenir, encore moins pleurer, regretter ou pire : se souvenir. C'était pourtant ce que lui demandait la petite brune, avec ses grands yeux et ses petites, toutes petites questions.
« Je suis vieux, Nitzan, très vieux.... j'ai été marié, j'ai aimé ma femme, eu des enfants, j'ai vécu et j'ai souffert. Il est toujours irritant d'entendre son interlocuteur déblatérer toute une suite de malheurs, qu'on soit mort ou vivant alors je t'épargnerai cela car il y en a eu beaucoup dans ma vie. »
Par delà les soleils d'Anna, lorsqu'elle murmurait parfois dans une langue un peu à elle, comme pour se moquer de son allemand à lui. Et ses yeux d'indienne, son corps de chasseresse, femme-loup et biche à la fois... Le luthier avait des mots, pleins, il avait des notes aussi, des menuets, des orchestres et des symphonies mais rien jamais ne pourrait réellement peindre au couleur de la réalité celle qu'il avait adoré, les yeux humble et le cœur en feu. Celle dont il avait choisi d'être séparé, car Anna avait connu le repos il y a bien des siècles lorsque Ludwki décida de choisir l'errance. Avait-elle ouvert les yeux dans un autre corps, une autre vie ? Avait-elle trouvé un amant pour l'aimer tout autant que lui l'avait fait ?
« Je suis un luthier et je suis un idiot, le reste n'a que peu d'importances. »
Devant la jeune femme, ombre et lumière à la fois, lui qui n'était ni la vie, ni la mort, mais bien une éternelle suspension, Ludwik leva la main. Il l'avança jusqu'à effleurer presque la joue de l'humaine, sans chercher de contact toutefois.
« Je suis mort dans les bras de ma fille, elle te ressemblait un peu je crois, ou bien est-ce juste mon désir de retrouver un peu d'elle, même maintenant. Ma vie ferait de belles chansons, non de belles histoires. »
Il ne se souvenait pas du goût du vin, de la caresse d'une main dans ses cheveux, des battements d'un cœur plein de vie. Il se se souvenait pas des douleurs à ses mains après une trop longue journée de travail, du poids d'un enfant dans ses bras, de l'amour et des draps froissés. Alors pourquoi raconter toutes ces choses qu'il avait oublié ? Ne restait que la musique, lui qui jouait encore, lui qui jouait toujours, et ce sourire triste aux lèvres, gardien des secrets et des désespoirs.
« Pourquoi je suis ici ? Parce que j'erre dans des lieux de peine et de souffrance, et qu'ici il y a encore de l'amour. »
Spoiler:
Désolée du retard x__X Et ils sont très biens tes posts, oh ! XD
C’est très con, mais d’une certaine manière, j’ai besoin d’en savoir plus sur les esprits qui m’entourent, tout comme on a besoin de connaître les gens avec qui on passe du temps, les gens qu’on fréquente, et qu’on apprécie. Peut-être une sorte de garantie qu’ils ne me feront pas de mal, ou plus bêtement, ou simplement, les connaître pour mieux pouvoir les aider, les guider, leur faire accomplir les dernières tâches inaccomplies que certains laissent derrière eux. Ce n’était pas la première fois que je tentais de « bavarder » avec Ludwik, et il a toujours été très évasif. C’est pourquoi je suis surprise quand il se livre un peu, un tout petit peu même. Dans un certain sens aussi, ça me flatte, de savoir que j’ai réussi à gagner sa confiance, ou alors il en a juste assez de m’entendre jacasser et il me donne quelques miettes pour que je m’en contente et me taise.
Je ne pensais pas que tu aies été marié. Encore moins que tu aies eu des enfants…. Mais tu ne me déranges pas. J’aime écouter les histoires que racontent les autres. La seule question que tu dois te poser, c’est seulement si tu as envie d’en parler. Je suis désolée d’apprendre qu’il t’es arrivé des choses malheureuses…
Qui n’en a pas eues ? Des mauvais moments, des épreuves difficiles à traverser ? Mon don n’a pas toujours été facile à assumer. Pas évident pour une ado d’entendre des voix, de savoir qu’elle n’est jamais seule, mais qu’en permanence des âmes de disparus sont toujours autour d’elle et lui parlent. Je souris quand j’apprends enfin sa profession. Je m’en étais doutée.
Je le savais ! Je savais que tu avais dû travailler dans la musique ! Ton oreille est tellement excellente, tu avais forcément été soit luthier, soit musicien professionnel !
Un curieux frisson me parcourt et me fait fermer les yeux. Comme une sorte de contact, mais sans contact. Bizarre à expliquer, c’est certain. Mais c’est presque comme… une caresse. Quelqu’un qui veut me toucher. Dans un sens je suis touchée, c’est la première fois que Ludwik et moi sommes aussi proches. J’effleure ma joue du bout des doigts, me donnant l’impression de toucher sa main avec la mienne.
Je suis touchée que tu me compares à elle. Tu veux m’en parler ? Je suis certaine que tes histoires pourraient m’intéresser ! Et en faire des chansons ! Le public connaîtrait ta vie si je la mettais en musique… Mais c’est seulement si toi, tu en as envie. Et arrête de dire que tu es un idiot. Tu ne l’es pas du tout… loin de là… Au contraire. Il y a tellement de choses que tu pourrais me raconter. Tiens par exemple… où es-tu né ? A quelle époque ? Parle-moi un peu de toi…
Je sens que sa mélancolie se mêle petit peu à de la joie, à l’idée peut-être qu’il revive des souvenirs, ses moments heureux, qu’il retourne par la pensée auprès de sa femme, et de sa fille. Il y a quelque chose qui me touche chez lui. Pourtant, j’ai connu beaucoup d’esprits, mais la plupart restaient auprès de moi pour un laps de temps très bref. Et je ne me sentais moins… liée à eux. Ludwik est devenu une présence familière au magasin, réconfortante, comme un colocataire avec qui on ne discute peut-être pas beaucoup, mais dont la simple présence rassure. Il me veut du bien.
Et qu’est-ce qui a fait que tu sois encore ici, dans ce monde ? Parmi nous ? Tu ne voulais pas rejoindre ta femme, ta fille, et les autres personnes qui comptaient pour toi ?
Mes mains continuent à égrener distraitement des rubans de notes, qui volettent dans la boutique plongée dans l’obscurité. Je ne sais même pas quelle heure il est, mais j’aime cette impression d’infini qui flotte entre nous, ce sentiment particulier d’abattre les murailles du temps, de la distance, et surtout, de la mort.