« Arrête de pleurer, ta mère est partie rejoindre le seigneur. » Mais non papa, maman est encore là je te le promets, sinon comment aurait-je réussi mon exercice de mathématiques cet après-midi ? La claque qui s’abattit sur sa joue la fit sérieusement rougir, et la jeune enfant fixait le sol. Son père ne voulait pas la croire, elle ne pouvait pas voir les esprits. C’était impossible. Et ceux qui prétendaient voir les morts n’étaient que des menteurs et des fous bons pour la camisole et la cellule capitonnée. Pourtant, les croyants placent leurs foi dans quelqu'un qu'ils n'ont jamais vus eux non plus? La famille d'Athalie était catholique pratiquante.L'appartement parisien des parents de la petite rousse aurait pu filer la chaire de poule à n'importe quel athé. Croix en bois, chapelets, images du christ... Une dame venait aussi après le goûter faire le catéchisme à la fille Viel. A vrai dire, si actuellement Dieu devrait avoir foi en l'un de ses enfants, ce serait eux. Ils ne croyaient pas aux esprits, ni à la magie d'ailleurs. Il fallait être rationnel dans la limite du catholicisme.

«Maman, il ne m’as pas cru. Pourquoi papa ne me croit pas ? Pourquoi est-ce que personne ne veut bien m’écouter ? Et si papa avait raison ? Et que j’étais vraiment folle ? » Sa mère tenta de la rassurer en vain. Elles ne pouvaient pas se toucher, comme c’était dur pour une enfant de treize ans qui venait de perdre sa mère de la voir tous les jours sans ne pouvoir avoir aucun contact physique ? Marie Viel vint s’assoir sur le lit de sa fille, à ses pieds tandis que la petite pleurait à chaudes larmes. « Ma colombe, cesse d’obscurcir ton si joli visage. Tu sais que je suis là et c’est l’essentiel. Aussi longtemps que je le pourrai je resterai près de toi pour te protéger. Je ne partirai pas mon ange. Je te le promets. » Ses yeux disaient la vérité pourtant Athalie savait qu’un jour où l’autre elle partirait elle aussi. Les pensées fusaient dans sa tête. Des mots revenaient sans cesse, cognant contre ses tempes l’empêchant de se calmer. Elle n’était qu’un monstre, une bête de foire. Une horreur de la nature, une fille de lucifer. Elle aussi, irait en enfer ou finirait possédée par un démon. La petite tête rousse releva la tête de ses genoux, et son regard avait changé du tout au tout. Elle était livide, et ses yeux étaient vides. Elle se leva de son lit, et se dirigea vers son bureau où elle prit un cadre photo où se trouvait une photo d’elle et ses parents. Elle resta un moment immobile et elle revécu la scène d’un autre point de vue. D’un œil différent, celui de sa mère. Paniquée, l’enfant laissa tomber le cadre et le verre éclata en gros morceaux sur le parquet. Tout ce passait trop vite, tout était chamboulé, différent. Elle ne pouvait le supporter. Et si son propre père ne la croyait pas, qui aurait foi en elle ? Elle tomba à genoux, et ramassa un des bouts de verre. Sa mère se releva et se mit à hurler, provoquant l’explosion des fenêtres de la petite chambre. Sa fille se taillait les poignets sans s’arrêter. Il fallait que ça s’arrête. Que les voix se taisent. Qu’elle arrête de les voir. Que tout ce stoppe. « Tu n'es qu'un monstre, une enfant de satan. Tu n'iras jamais au paradis, tu es vouée à l'enfer. Monstre, monstre, monstre. »

Puis elle fut envoyée en hôpital psychiatrique, comme prévu. Là-bas, on pouvait trouver des esprits à la pelle. Des bons, comme des mauvais. Athalie sombra dans une dépression violente, elle ne pouvait s'empêcher de prier. Mais quand le seigneur ne lui répondait pas, elle se taillait les veines. Elle enchaîna les tentatives de suicide en vain jusqu’à ses 21ans, la date où elle eut l’âge de choisir de son destin. Elle partit sans un sou, quitta la France par bateau clandestinement pour arriver en Angleterre où elle apprit l’anglais et différentes langues. Pour se faire un peu d'argent, elle donnait des cours de catéchisme elle aussi. Elle ne cessa de bouger, traversant le monde à la recherche de gens comme elle, qui pourraient l’aider à mieux vivre avec son fardeau. Puis Athalie entendit parler de la nouvelle Orléans, un soir lorsqu’elle était dans un bar miteux et mal famé de Dallas. Là-bas une guerre surnaturelle venait d’éclater littéralement, et la ville grouillait d’esprits, de médiums et d’exorcistes. C’est ainsi qu’elle arriva en Nouvelle-Orléans, quand les feuilles commencèrent à tomber des arbres, rougies par la saison et qu’elle commença à chercher des gens qui lui ressemblaient. Elle tomba sur une association de médiums qui luttait contre Belaam, un mauvais esprit qui torturait la ville et ses habitants. Une nouvelle vie commençait, une vie où elle n’était pas la bête de foire. Une vie où peut-être elle trouverait sa place.

Le soleil commençait à se lever, ce qui eut le don d’énerver Athalie. Les rayons du soleil filaient à travers sa persienne la forçant à ouvrir les yeux. Sa vision fut troublée quelques instants, peut-être à cause du taux d’alcool présent dans son sang. «Tu sais, tu devrais éviter de boire comme ça. C’est pas très féminin. » Il se tenait là, dans l’encadrement de porte debout à la fixer avec un air moqueur. Putain d’esprit à la con. La rousse grommela et laissa tomber du canapé la bouteille de whisky avec qui elle venait de passer la nuit. Sa tête lui semblait être affreusement lourde et elle ne supportait pas la position assise c’est alors qu’elle se laissa glisser pour se rallonger. « Tu veux pas être un esprit serviable et fermer cette fenêtre au lieu de m’emmerder dès le réveil ? » Bon il faut avouer que la gueule de bois au réveil l’empêchait d’être aimable. Cameron le savait, et elle savait également qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle savait également qu’il en était incapable c’est alors qu’elle se saisit d’un coussin pour le plaquer devant son visage. C’était toujours dur de se lever le matin pour affronter le monde avec courage, mais en ce moment c’était comme plus facile puisqu’elle savait qu’elle se fonderait complètement dans la masse. Petit à petit, le soleil vint totalement éclairer la pièce pour le plus grand malheur de la rouquine. C’est comme si son crâne était sur le point d’exploser et c’est pourquoi elle décida de se réfugier dans la salle de bain. Elle se leva en titubant, essayant de calmer soigneusement sa sensation de malaise. L’homme présent la regardait, sans scrupules. Que c’était humiliant d’être dans un état comme ça avec quelqu’un dans les parages. Elle s’enferma à double tours dans la salle d’eau (comme si ça allait empêcher l’esprit de la rejoindre si l’envie l’en prenait). Athalie se pencha au-dessus du petit lavabo en marbre au cas où les nausées deviendraient trop fortes.

Une fois calmée, la rousse se mit sous la douche en position fœtale espérant réussir à émerger le plus vite possible. L’eau chaude roulait sur sa peau lui provoquant une sensation de bien-être puissante qui réussit presque à lui faire passer ce fichu mal de tête. « -Tu es subitement devenue une créature marine ne pouvant vivre sans eau ou tu t’es rendormie ? » La voix de l’homme derrière la porte vint perturber le silence reposant de la femme rousse. Certes il ne la suivait pas sous la douche, mais quand même, que c’est mal poli de déranger les gens pendant leurs douche ? Au moins, il avait la décence de ne pas pénétrer dans la salle de bain pendant qu’Athalie s’y trouvait. Une fois propre, celle-ci se mit en tête de sortir boire un café puisqu’elle n’en avait plus dans son appartement. Et puis prendre un bol d’air frais ne risquait pas de lui faire du mal vu son état de convalescente.

« Je vais sur Esplanade Ridge, y’a plus de café dans ce foutu appart. Et vas hanter quelqu’un d’autre je t’en prie, t’as rien de mieux à faire que d’emmerder quelqu’un d’aussi drôle que moi ?» Une dernière pique pour la route, elle prit son sac, ses lunettes et son grand chapeau noir puis sortit prendre son bol d’air quotidien. (…)