Mon caractère ? Je suis plutôt de nature calme, voir effacée ; bien que cela se soit incroyablement amélioré depuis l' "arrivée" d'Hécate dans ma vie. J'aime penser d'ailleurs que certaines de mes capacités viennent d'elle, comme mon intelligence légèrement au dessus de la moyenne. Un vestige de ses anciennes capacités de médium ? Peut-être. A moins que cela ne vienne originalement de moi. Dans tous les cas, sa compassion et son désir de prêter main forte m'ont apaisé depuis le début. Ma sympathie et ma reconnaissance pour cette femme ne se sont  jamais ébranlées ; mais l'envie de rejet est devenue trop forte, trop oppressante, trop naturelle pour ne pas réellement penser à redevenir moi. Quinn Marchand; l'humaine à part entière, et non une quelconque enveloppe corporelle à disposition du premier venu.   

Certains pensent que la mort n'est qu'une étape de la vie. Comme une station service au beau milieu de la nationale. Une épreuve, un passage, un changement, puis plus rien. Absolument rien de ce que vous étiez un jour ; ou de ce que vous auriez pu devenir. Plus de trace, si ce n'est un cercueil mal fermé au fond d'un trou. Certains pensent que la mort est une fin. Une impasse, un cul de sac, un point de non retour.
Sachez seulement que non. Le retour est toujours possible ;  et certains comme moi en font les frais. Je m'appelle Quinn Lucinda Marchand, est ceci est mon histoire.  

Oh je ne suis pas morte, détrompez vous. En vérité, je suis née le 6 Janvier 1994 à la Nouvelle Orléans. Je suis fille unique, malheureusement -impossible pour moi de partager ce fardeau capillaire qu'est ma chevelure rousse avec un frère ou une sœur. Mais les livres, les contes, les histoires, les classiques de la littérature ont de suite su combler cette absence. Je n'ai jamais été très sociable de toute façon : pas faute d'avoir essayé par moments ; la solitude elle-même s'avère parfois meilleure accompagnatrice que la moitié de vos amis. Et la chose s'est d'autant plus vérifié lors de mon adolescence.
Ah, l'adolescence ! Vous avez beau vous dire que c'est un passage obligatoire avant d'être adulte, si vous pouviez éviter de sauter à pieds joints dedans, vous le feriez ! Dieu sait seulement dans quelle flaque j'ai pu atterrir. Je ne m'attarderai pas sur ces années perdues ; je doute que mon désarroi et mes nombreuses heures passées à avaler les critiques comme des coups de poignards dans l'abdomen ne vous intéresse grandement. Et puis, de toute façon, j'ai lâchement abrégé mes souffrances une fois mes 15 ans atteints. Il faut dire que les cours à domicile ont légèrement moins tendance à vous faire tomber dans les escaliers par "accident".
Pourquoi vous parlais-je de la mort un peu plus tôt ? Bande de curieux, j'y arrive.

Ma vie a commencé à basculer l'année de mes 19 ans lorsque les miroirs sont devenus ma principale source de paranoïa. Les miroirs. Méfiez-vous des miroirs. Des rétroviseurs ; des vitrines ; des verres ; des écrans ; de tout ce qui pourrait renvoyer leur image. Parce qu'une fois que vous commencez à les voir, à la voir, c'est la descente. La véritable dégringolade. Oh, vous pouvez essayer de briser toutes ces surfaces, ça ne changera rien -c'est exactement ce qu'ils attendent de vous. Alors vous vous cachez, vous fermez les yeux ; vous avez entendus ces histoires folles et vous en avez subitement peur. Pourtant, plus le temps passe, moins elle vous effraie. A vrai dire, vous devenez avide d'en savoir plus. Puis un jour vous vous réveillez. Votre corps est le même, votre garde-robe n'a pas changé d'un pouce ; même l'air dehors est exactement semblable à celui du jour d'avant. Pourtant, tout est différent.

La possession peut paraître la pire des choses de l'univers, si l'ont en croit les exorcisés. Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi ... Confiante. Guidée. Aidée. Hécate m'a tellement assistée dans les situations invivables que j'en ai presque oublié le fait même que je vivais désormais avec l'esprit d'une femme morte. Mais depuis peu, Hécate est obsédée par l'idée de retrouver sa famille ; et malgré la seule rencontre désastreuse que j'ai réussi à établir avec sa descendante, Sophya, elle ne semble pas vouloir lâcher le morceau.

Le soleil était encore bas ; la chaleur davantage encore, mais mon cerveau avait apparemment décidé qu'il était l'heure de se lever. Encore groggy, je m'étirai avec une moue fatiguée avant de balancer une jambe par dessus le matelas. Je n'aurais vraiment rien eu contre deux petites heures de plus de sommeil, surtout lorsque le calendrier qui prônait fièrement sur la table de chevet me narguait en indiquant "dimanche" en lettres capitales. Un dernier coup d’œil au cadran du réveil, et je me levai enfin. L'effort titanesque effectué, je stoppai pourtant ma marche vers la porte de la cuisine. Quelque chose avait attiré mon regard, là, juste derrière, dans le coin de l’œil. Pinçant mes lèvres en une ligne mince, je retraçai pas à pas le parcours jusqu'à atteindre de nouveau le réveil. 6:45. L'aiguille avait à peine eu le temps de bouger. Intriguée en tout point, j'attrapai l'objet à deux mains, le retournai plusieurs fois sur lui-même avant de me laisser tomber bruyamment sur le lit. Le sommier protesta violemment dans un grincement douloureux, mais j'étais trop absorbée par le tic tac continu des secondes pour décider de mieux repartir le poids. Quelque chose clochait définitivement sur ce vieux réveil. Vérifiant les piles, comptant les secondes, inspectant les chiffres derrière le cadran en verre, je décidai finalement de l'amener à hauteur de mes yeux. Mauvaise initiative, Quinnie. M'attendant à ne trouver que mon reflet, je lâchai l'objet dans un cri en y découvrant une seconde personne. L'apparition avait pourtant été rapide. Me dirigeant en courant vers la pièce la plus proche, je claquai la porte de ma chambre avant de m'adosser contre elle. « T'as rêvé, ma belle. C'est ça, t'es juste pas suffisamment réveillée pour y voir clair. » Respirant profondément, je décidai d'effacer cette vision de mon esprit, bien que chaque battement de paupière semblait inexorablement ramener l'image de cette femme aux boucles brunes et à l'air étonnamment blafard.