Qui je suis ? Eh bien on m'appelle Tony. C'est le diminutif d'Anthony, mon nom de naissance. Je suis né de l'union de mes parents, comme tous les autres enfants. Mais est-ce que ma naissance vous intéresse vraiment, dans la mesure où la naissance est ni plus ni moins que la première étape de la vie ou rien n'est utile à révéler du fait que rien n'a encore été vécu ? Bien ce que je pensais. Mes parents étaient ensemble pendant neuf années avant de m'avoir et ont attendu que j'ai mes quatre hivers pour se marier. On était à la Nouvelle Orléans et on a déménagé à Seattle après l'union de mes parents. J'ai donc commencé ma scolarité dans une école primaire de Seattle. Une école catholique, pour un juif, notez la bonne idée de ma famille... Après, je ne suis en rien croyant, alors à partir de là, je ne suis pas vexé. Cependant, là où je peux me permettre d'être en colère, c'est qu'il existe ce qu'on appelait par le passé le "bizutage" qui est beaucoup moins pratiqué de nos jours. Je vous vois déjà avec un air choqué en vous disant qu'à un âge aussi jeune, on usait déjà ces pratiques barbares envers les petits nouveaux. Je m'abstiendrai de vous montrer mes radios qui prouvent le contraire. Tout petit déjà donc, j'ai été blessé par les autres. J'étais différent, oui, j'étais différent. Et cette raison suffisait bien assez à elle seule pour que je devienne la tête de turc de cette bande de déchets sociaux.

Voilà un moment intéressant de ma vie à raconter qui pourra peut être expliquer des choses me concernant... Le divorce mes parents. A l'instar de beaucoup d'enfants, je n'ai pas eu la chance de voir mes parents s'aimer ad vita aeternam. Cependant, je fais partie de ceux qui ont culpabilisé, croyant que leur séparation a été déclenchée par ma faute, ce qui avec le recul se retrouve totalement erronée, mais à l'époque, ça tombait sous le sens pour moi. C'est donc à mes six ans où mon âme a commencé à être tourmenté réellement. Être la tête de turc, on finit par s'y faire quand on est un gosse, et il semblerait que j'avais besoin d'un élément clé pour m'insurger et devenir un tourmenteur à mon tour. Pur esprit de vengeance, une vendetta que je savourais chaque instant. J'ai fini au bout d'un temps par vivre avec ma mère, à la Nouvelle Orléans, lieu de naissance de ma génitrice, mon père n'arrivant décidément pas à m'accepter -comment lui en vouloir après tout, c'était un putain d'irresponsable... Donc je disais être allé chez ma mère pour y élire domicile. Là bas, j'ai commencé à me faire une amie, oui, une amie. Une charmante fillette d'un an plus jeune que moi qui était la petite fille de la voisine d'à côté. C'est à partir de ce moment là que j'ai appris à éprouver ce qu'on appelle des sentiments. Ah bordel, cette chère Harleen était une véritable crème. Pour son âge, elle était aimable comme tout, le genre de fillette qu'on a absolument pas envie d'avoir pour ennemie parce qu'elle ne peut de toute façon pas nous faire de mal et qu'il serait inutile de lui en faire... On jouait tous les jours ensemble, c'était ce genre de moment magique entre deux enfants qui reste gravé en vous jusqu'à ce que vous passiez l'arme à gauche et qui vous... Arrache quelques larmes de nostalgie quand vous vous les remémorez comme c'est mon cas maintenant. Bref, vous avez saisi le tableau, à ce moment, j'ai révélé à ma mère que "Ca fait du bien d'être vivant !". Quelque part à cette époque c'était vrai, je le pensais, jusqu'à ce que j'aille au cours élémentaire. Je me défendais, je me rappelais qu'à une époque pas si lointaine que ça, j'étais malmené, brimé, détesté ou plutôt aimé parce que je me défendais pas, que je disais rien à personne. La victime parfaite... Ce passé me hantait, alors là où il n'y avait aucun de mes anciens bourreaux à punir, il y avait des enfants innocents qui ne cherchaient pas forcément à me faire du mal qui se sont retrouvé martyrisés. Certains étaient suffisamment masochistes ou curieux pour vouloir me parler, me comprendre, m'apprécier... Quelque part, ça me plaisait qu'on s'intéresse à moi. Ca me faisait croire que j'existais pour autre chose que pour servir de martyre, de punching ball, d'agneau innocent à crucifier par pur esprit de cruauté. J'avais peu d'amis au bout du compte, mais ces amis là ne m'ont jamais laissé tomber, ne m'ont jamais jugé, m'ont toujours souri. Mon psy disait que c'était bien que j'arrivais à avoir des liens sociaux avec les autres, que je finirais pas comme un ermite qu'on retrouverait mort parce qu'on sent son odeur de cadavre en putréfaction à deux kilomètres... Il avait de très belles métaphores et de comparaisons, n'est-ce pas ?

Je parle, je parle et je parle encore, mais je ne vous ai pas parlé de mon collège, alors accrochez-vous, ça va vous retourner l'estomac... Quand on arrive au collège, on est la plus petite classe, les plus petits élèves, et ça, c'est jamais bon pour eux, parce que qui vient les bizuter une nouvelle fois ? Je vous les donne en mille : Les plus grands ! Et ben ça a pas coupé, une nouvelle fois j'ai été victime d'agressions faites par des primates. Des vrais primates. Je me suis défendu, je me battais quasiment tous les jours à la sortie de l'école à chaque semaine. C'était non pas par vengeance, mais comme une défense, je devais sortir les crocs et dire "J'me laisse pas faire, moi". Mais comme si le destin avait cette envie de me troller tout au long de ma vie, à chaque fois, c'est moi qui étais vu comme celui qui attaquais alors que je me défendais. Combien de mercredis j'ai passé à rester au collège à faire des heures de colle, des devoirs inutiles pour l'aveugle qui ne voyait pas que mon seul et unique but c'est de me protéger et qui du coup me retenait dans une salle de cours vide pendant trois heures à chaque fois ! Ca a duré des années, oh oui, des années ! Une fois j'ai même fini au tapis, le nez en sang, de la terre plein le visage... C'était Harleen qui m'avait aidé à me relever, d'ailleurs... Mais cette foutue justice était aveugle ! On représente souvent la justice comme une femme qui a les yeux bandés... J'avais qu'une putain d'envie, c'était de lui dessiner des yeux sur son bandeau et de planter un panneau devant elle avec écrit dessus "Ouvre tes yeux, tu verras plus clair" ! Qu'est ce que j'ai fait alors, je vous le demande ? Me défendre avec encore plus d'ardeur ! ça suffisait peut être pas à faire fonctionner la justice, mais au moins, ça montrait que je protestais, c'en était assez ! Ca a duré deux, peut être trois ans, étant donnée que j'ai redoublé ma première année de collège. J'ai fini par m'émousser. Je me suis alors rappelé du divorce de mes parents, je croyais encore que j'étais la raison, d'ailleurs... Toutes ces années de violence, de chagrin et de souffrances, à quoi avaient-elles servies, putain ?! Pendant une de mes innombrables heures de colle, j'ai manifesté tout ce concentré de négatif en moi, en supposant alors que le monde irait bien mieux sans moi, que ce serait mieux pour les autres et pour moi même que je vienne à disparaître par la force d'un noeud coulant ou quelqu'autre arme mortelle. Le soir même j'avais voulu mourir, je me suis couché sans manger, larmes aux yeux. Ma mère, cette idiote croyait à une peine de coeur et donc a préféré ne rien me dire, me laisser tranquille... Le lendemain, le collège avait fait venir ma mère qui lut la lettre que j'avais fait pour devoir de colle, elle s'était effondrée... J'avais quatorze ans. Une nouvelle fois, je suivis un psychologue qui suggéra à ma mère de me mettre aux calmants, aux antidépresseurs, toutes ces saloperies de drogues inutiles te donnant un effet placebo que tout va bien, que tu possèdes la toute puissance alors qu'elles ne font que te bander les yeux... La justice se drogue ?

On m'avait prescrit ces médicaments absolument immondes. J'en pris un seul, une seule fois. C'était quelque part bon, mais j'avais trouvé un meilleur remède à cette putain de dépression et ce depuis quelques temps d'ailleurs : l'art. Ecriture, dessin, musique, tout ! j'essayais tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à l'art. J'ai commencé à écrire à mes douze ans, mais jamais je n'ai montré quoi que ce soit à n'importe qui... Peur d'être jugé, de donner une raison supplémentaire à ces connards de me tomber dessus ? Après tout, la plupart des artistes ont été détestés, brimés, ou incompris. Pour éviter d'être comme eux, j'avais conservé ça dans ma chambre, le tout sous clés. Je crois qu'en fait, ce qui me connait le plus dans ce monde c'est des feuilles de papier. J'écrivais beaucoup plus que je ne parlais, et alors je ne vous parle pas de quand j'eus enfin des nouvelles de mon géniteur, car pour vous rappeler l'époque, la dernière fois que je l'avais vu j'avais six ans. Je vous raconte l'époque de mes quatorze ans. Il m'avait annoncé que j'étais devenu grand frère d'une Elisabeth. Elle avait déjà quatre ans, j'avais alors une profonde haine contre elle ainsi que contre lui... Elle n'y était pour rien, mais cette haine, c'était trop pour être centrée sur un seul homme, il allait forcément avoir un dommage collatéral. J'avais refusé de parler à Elisabeth. J'ai fermé ma porte à une fillette. Comme l'était Harleen à l'époque où je l'avais connue... Mes années collège se sont terminées par une conspiration contre moi. Une bande d'enflures, encore une, s'était mise d'accord sur une version de faits totalement fictifs qui m'impliquaient comme quoi j'aurai écrit des propos racistes, homophobes, sexistes et proféré des menaces de mort... Quand on me connaît bien, ça fait doucement sourire, moi qui suis raciste envers les racistes eux mêmes, que je suis bisexuel et que j'ai grandi entouré de femmes comme Harleen ou ma mère... Les menaces de mort, ça semblait crédible, mais on va dire que c'était plus mon style de faire des lettres de suicide... Pour une fois que j'avais une voix avec moi ! Le proviseur lui même m'a accordé le bénéfice du doute... Enfin quelqu'un qui était pas con dans ce foutu monde...

Seize ans. Je crois que c'est à cet âge là où je me sentais le mieux. Pendant les vacances, j'avais rencontré une fille. Oui, une fille. Et cette fille, je m'en étais fait une très bonne amie, une précieuse alliée. Mona, c'était son nom. Néanmoins, c'est pendant ces vacances là que j'ai perdu de vue Harleen... Elle était partie je ne sais où, pour ne plus revenir... Mais revenons à Mona. Vous connaissez dans les romans, les contes de fées et autres dessins animés pour enfants le procédé physique qui s'appelle le Coup de foudre ? Eh ben c'était ça. J'ai eu le coup de foudre pour elle. On avait gardé le contact via courriel, messagerie instantanée, ce genre de conneries que la technologie a pu produire d'utile. Et grosso modo, c'est celle à qui j'ai ouvert mon coeur, à la moindre parcelle de ma vie, elle était tout pour moi et j'étais tout pour elle. On se complétait, tout comme l'ombre complète la lumière, tout comme le jour complète la nuit... Je l'aimais à en mourir. A ce moment là, je transpirais la joie de vivre, cette utopie si sucrée, si douce, acidulée à souhait, et pourtant tellement... Utopique, justement. Mais qu'à cela ne tenait, j'étais amoureux. Je me souviens d'ailleurs encore aujourd'hui de notre premier baiser. De notre première fois, de notre première Saint Valentin où pour unique cadeau, j'avais à lui offrir... Une demande en mariage. J'employais le terme "Promesse de fiançailles" mais l'idée était là, la seule différence, c'était que nos familles n'étaient pas au courant... Ha ha ha... Le bon vieux temps. J'étais pendant cette période très ouvert à tous les arts, même au rap alors que j'avais horreur de ça, c'est pour vous dire à quel point cette femme m'avait changé... Elle m'avait même offert un jeu de tarot comme cadeau pour mon diplôme de fin de lycée, je m'étais alors mis grâce à elle à la cartomancie..! C'était bon d'être en vie. Et c'est alors que je ne m'attendais absolument pas à des nouvelles de la part de mon "père" une nouvelle fois qui me nomma une nouvelle fois grand frère. Mon passé avait fini par me rattraper. J'étais devenu plus méchant, plus agressif... Mona, la pauvre, subissait mes sautes d'humeur... Et a fini au bout de trois ans de relation par m'abandonner. Qui j'étais pour la juger ? J'aurai certainement fait pareil... C'est à ce moment là où j'ai commencé à avoir un dédoublement de personnalité. A l'époque, je ne m'en rendais pas compte, mais celui qui était agressif, c'était Lui, pas moi... Lui, je l'appellerai toujours comme ça. Je vous en dirai plus plus tard. Je pense que ce qui va vous intéresser, c'est Marianne. Marianne, en fait, il s'agit d'une demoiselle aux cheveux longs roux et aux yeux bleu cristal. Elle est de taille moyenne et sa peau a une belle couleur laiteuse... Elle apparaît dans le coin de la porte de ma chambre, juste en face de mon lit. Oui, c'est bien ce que je pourrais appeler soit un fantôme, soit un esprit... Ou je ne sais pas quoi qui n'est pas vivant ! Elle me pétrifie à chacune de ses apparitions. Notez que j'emploie le présent. Encore aujourd'hui je la vois... Ces douleurs qui m'ont été infligées mentalement devinrent vite ingérables et afin d'équilibrer tout cela et pour ne pas finir par sombrer dans les ténèbres de la folie, j'ai fini par me scarifier le torse et les bras. J'ai encore les traces aujourd'hui...

Aujourd'hui, parlons en. J'ai vingt trois ans, je suis devenu un critique artistique étant moi même artiste. J'écris à l'heure actuelle un roman, mais je vais pas vous en dire plus... J'ai renié mon père, mes demi frères et soeurs. Mon rêve ? C'est de pouvoir un jour à nouveau rêver.

Noir. Noire. Une grande salle toute noire. Froide. Une atmosphère peu rassurante, inquiétante pour n'importe qui. Cette pièce était sombre, l'obscurité régnait. Cette salle contient une porte. Non. Deux portes, plutôt. Une espèce de commode contre un mur et au dessus du meuble d'ébène, un miroir. Un grand miroir dans lequel je me vois. Sur la commode, quelques bougies allumées. Ces seules lumières, Il les tolère. Moi aussi. Ces flammèches qui brûlent lentement dans leur bougies de cire blanche qui ne fondent jamais. Dans cette salle, j'entend une musique. Serait-ce un air de boîte à musique ? De piano ? De violon peut être ? Un son méconnaissable... En fait, c'est un peu comme si tous ces sons se chevauchaient et qu'on les entendait très distinctement les uns des autres. Il règne une odeur de viande cuite au barbecue dans cette salle, ce qui est plutôt étrange dans la mesure où il n'y a pas la moindre trace d'une cuisinière, d'un quelconque plat ou même d'une table. Ah, si. Il y a une table au pied du mur à ma gauche, elle a le droit d'avoir une bougie sur elle... Je tourne dans cette pièce qui semble parfois grandir et rétrécir à sa guise d'ailleurs... Je me regarde dans ce grand miroir, sombre, éclairé uniquement par les petites flammes qui sont sur chacun de ses côtés. Je me vois moi, je le vois Lui. Ses yeux rouge sang sont à glacer le mien. Il s'est approprié mes lentilles de couleur alors... Il ne bouge pas, je ne bouge pas. On se regardait dans les yeux d'ailleurs il me déstabilise... Ses yeux sont creusés par des cernes, mais on dirait qu'il a mit du maquillage noir par dessus... Son sourire s'étire et il m'adresse un regard sadique, dénué de bon, plein de mal. Plusieurs espèces de vignettes comme les négatifs d'une pellicule d'un vieil appareil photo se mettent entre nous. Je reconnaissais très bien les images qu'elles montraient et j'en touche alors une... Un événement passé aujourd'hui. Je vais chercher dans ma boîte aux lettres mon courrier. Facture, facture, publicité, publicité, avis de passage pour un recommandé, et une lettre qui sentait la chataigne. A moins qu'il ne s'agisse de chocolat aux noisettes ? Quoiqu'il en soit, cette odeur avait réveillé de doux souvenirs de mon enfance. Une fois à table dans ma cuisine, je regardais cette lettre. l'enveloppe était bien blanche, l'encre qui avait écrit mon adresse bien noire... C'est alors que je la retourne pour l'ouvrir. Je souris à la remémoration de ce moment. Je lisais cette lettre qui avait de toute évidence été écrite par une main féminine. Cette main m'avait donné des nouvelles que je n'attendais plus, qui me faisaient sourire autant sur le moment qu'à sa remémoration. J'ai pu lire alors le nom de l'expéditeur : Harleen Sirkhis. Elle avait joint une photo d'elle, et force était de constater qu'elle était devenu une belle jeune femme... Sur sa photo, je vois un fondu inversé blanc, un peu comme de la brume qui trouble toute ma vision et me revoilà dans cette pièce... Ma pièce. Je crois avoir compris l'existence de cette pièce... Je porte ma main sur la clanche d'une des deux portes que j'ouvre. Une forte lumière blanche luit de dehors. Je commence à me retrouver pris d'une grosse fatigue, ce qui n'était pas le cas quand j'étais dans mon lieu noir. Je me réveille dans mon lit, la couverture sur moi, mon canif sur ma table de nuit, je n'avais pas bougé... J'étais dans mon intermédiaire entre sommeil et rêve... Depuis ce jour, j'appelle ce lieu obscur mais pourtant apaisant mon Imaginaerium. Et si quelqu'un un jour venait à connaître l'existence de ce lieu ? Qu'y trouverait-il ? Qu'y ferait-il ? Je ne préfère pas savoir...