Charismatique. C'est le genre d'homme que vous trouvez sympathique au premier abord. Souriant, courtois, avenant,  direct, on l'aime bien, Alexey, quand on ne le connait pas. Doué de la parole et sûr de lui, il sait charmer, mettre en confiance,  et peut ainsi plus facilement influencer.

Manipulateur. Il arrive à lire dans vos yeux l'image que vous avez de lui, il vous appréhende, vous anticipe, et vous cerne rapidement. Son regard est vif, perçant, laissant une impression dérangeante qu'il sonde l'esprit, voire l'âme. Et peut-être est-ce le cas. Pour être psychiatre, il faut chercher à comprendre. Comprendre quelqu'un, c'est le mettre à sa merci, et guérir le mental d'un patient, le sortir de sa pathologie, c'est aussi un travail de manipulation : vous remodelez l'esprit et vous lui faites prendre la forme que vous voulez. Alexey y avait trop prit goût. Il aime ce pouvoir qu'il exerce sur les autres, sa capacité à les influencer, les guider dans une direction lors même qu'ils regardent dans celle opposée.

Présomptueux. Son arrogance le pousse à la manipulation et la manipulation le rend arrogant, c'est un cercle dont il n'a jamais réussi à sortir, pas même maintenant, alors qu'il ne peut plus exercer son métier. Son ancienne relation avec ses patients étaient des plus étranges et lui-même n'aurait su la définir. Il voulait leur bien et les traitait avec toute la condescendance qui le caractérise. Les soignait-ils pour eux ? Pour lui-même ? Les deux, sans doute.

Énigmatique. Si d'un côté il donne l'impression de vous cerner, lui reste insaisissable. On ne sait jamais ce que cache ses sourires. Sincérité? Cynisme? Crainte? S'il lui arrive d'avoir la parole facile, il parle très peu de lui-même. Il prend parfois un plaisir malsain à exploiter les faiblesses des autres et il ne vous tendra pas la perche pour que vous exploitiez les siennes.

Nerveux et violent. Il ne l'a pas toujours été. Alexey possédait autrefois un flegme à toute épreuve. Sa rencontre avec un cas particulier à la psychose incurable détruisit progressivement son naturel patient. Quand il se sent poussé à bout, il perd son calme et peut en devenir perfide, cruel et brutal.  Même si à sa sortie de prison, Alexey n'a plus l'intention de s'y faire prendre, il est loin d'avoir réellement chassé ses … démons.

Tourmenté. Il était convaincu d'oeuvrer pour le bien, mais les accusations portés contre lui et son emprisonnement témoignent du contraire. Certes, il maltraitait un patient, mais son principal objectif était de le sauver, non? Le métier d'Alexey satisfaisait son égo et son désir de domination tout en lui donnant bonne conscience,  il venait en aide aux autres et il était doué pour ça. Il aimait le sentiment de supériorité que lui donnait sa position, et maintenant qu'il ne la possède plus, il a l'impression d'avoir perdu ses repères.

Alexey est né en Nouvelle-Orléan au sein d'une famille modeste. Il n'a jamais eu à se plaindre de son enfance, vu qu'il ne manquait de rien. C'était un gamin assez marginal et qui se complaisait dans cette asocialité, songeant sans doute que les autres n'étaient pas assez bien pour lui. C'était un enfant malin et assidu, très bon élève, ce qui devait sans doute déranger les autres pour qui le terme "intello" était encore péjoratif. Il se fit ses premiers amis au collège, un endroit où la diversité était de mise et facilitait un peu plus l'intégration. C'est son intérêt pour les matières scientifiques au lycée qui le poussèrent à vouloir se spécialiser en médecine. En fait, il voulait plus particulièrement devenir chirurgien, eux qui, l'espace d'un instant, pouvaient tenir la vie d'une personne entre leurs mains.

Alexey quitta assez tôt le cocon familial, ses notes brillantes lui permettant de prétendre à Harvard. Mais il semblerait qu'à l'entretien, on ait jugé que la voie qu'il choisissait lui était … inapproprié. On le réorienta en psychologie, ce dont il fut contraint de se contenter. Il n'a jamais réellement digéré cet échec, même s'il s'en est vite relevé pour exceller dans le domaine qui lui avait été proposé. C'est durant ses études qu'il fit la rencontre de Lidia, une fille qui avait réussi à intégrer la faculté de médecine en vue de devenir pédiatre. Ils s'étaient rencontrés lors d'une journée d'intégration de leur université et avaient tout de suite sympathisé. De fil en aiguille, des sentiments naquirent entre eux et ils entamèrent une relation sérieuse seulement vers leurs dernières années à l'université.

Après ses études et donc son diplôme en main, Alexey commença à exercer à proximité du Massachusetts en attendant que Lidia termine ses études, puis il retourna en Nouvelles-Orléans en sa compagnie. C'était une sorte de lieu mystique où l'on trouvait certainement tous les cas de pathologie, notamment les plus difficile à traiter. C'est là-bas qu'il se fit un nom. Alexey venait à bout de tous les cas qui lui étaient présentés. Sa patience et son acharnement finissaient toujours par payer et il prit rapidement conscience de ce pouvoir d'influence et de manipulation qu'il exerçait sur les autres, s'en servir en était presque devenu une drogue, si bien qu'il relégua sa famille au second plan. Jamais il ne leur rendit visite, il était bien trop obnubilé par sa nouvelle passion, par cette relation de supériorité qu'il avait avec ses patients. Lidia avait partiellement conscience du changement opéré sur son conjoint et accepta de vivre avec, et ceci, jusqu'au jour ou Alexey décida finalement de la présenter à sa famille. Les deux menaient une presque parfaite vie de couple, il était donc normal d'officialiser leur relation auprès de ses parents. En entrant dans le domaine familial, les deux tombèrent sur une vision d'horreur : le père d'Alexey baigné dans le sang de sa mère et de sa soeur, répétant inlassablement qu'il fallait "tout nettoyer" en se balançant nerveusement sur sa chaise. C'est Lidia qui eut la présence d'esprit d'appeler les autorités avant de disparaitre de la vie d'Alexey à jamais. Ce jour tragique marqua profondément le psychologue. Il n'avait rien vu venir … mais en avait-il seulement eu quelque chose à faire ? Que représentait le grain de sable familial au sein de tout son océan d'égocentrisme? Alexey avait conscience de sa responsabilité, lui le grand psychologue qui avait été incapable d'anticiper la folie meurtrière de son propre père. Et malgré son traumatisme, il continua d'exercer. C'est d'ailleurs sa profession qui l'aidait à garder la tête hors de l'eau, il voyait en chaque patient qui s'en sortait un moyen d'expier ses fautes… Jusqu'au jour où il fit la rencontre de Maddox P. Seerlek.  

C'était un patient particulier, unique en son genre puisqu'il semblait ne pas faire la différence entre la réalité et l'imagination. Alexey a fait preuve de patience avec lui, tentant de l'extraire du monde dans lequel il s'était enfermé… en vain. Il avait tout tenté, consentant à écouter ses discours insensés retranscrits la plupart du temps sous forme de dessins sur lesquels le psychologue prenait le temps de se pencher. C'était comme si le patient étaient influencé par plusieurs forces occultes méconnues, un cas qui relevait donc plus de la schizophrénie que du dédoublement de personnalité. Et après des semaines à ne pas percevoir la moindre lueur d'amélioration chez son patient, Alexey commença à s'enfoncer dans une névrose, un désespoir que son impuissance face à Maddox ne faisait qu'accroitre. Comme il n'avait pas pu sauver son père, il semblait qu'il ne pourrait le sauver, lui non plus. Or il le devait. Le soigner était devenu une nécessité, une obsession, et son incapacité à y parvenir lui fit perdre peu à peu la raison. La méthode douce ne marchait pas, il commença les sanctions. C'étaient des choses enfantines au départ, comme le priver de dessert, jusqu'au jour où il en vint à lui faire sauter les repas, puis à l'enfermer. Il s'en prit à lui par la parole, les menaçant et l'insultant, passant de "gamin" à "malade", parfois même "chien"… jamais Alexey ne s'était montré aussi cruel avec qui que ce soit. Et le mal qu'il procurait à son patient semblait panser ses propres plaies, il tirait une satisfaction malsaine du désespoir qu'il lisait dans le regard azur de Maddox. Mais ce n'était jamais assez. Maddox ne comprenait pas et Alexey alla plus loin, le privant du dessin, son principal moyen de communication, et brulant toutes ses oeuvres achevées. Sa victime pleurait, suppliait, et fournissait autant de soulagement que de frustration à son psychologue qui en entendait à la fois trop et pas assez. Il céda à la véritable violence, et quand Alexey n'en venait pas aux poings, il trouvait d'autres moyens de lui faire du mal, n'éprouvant pas le moindre remord à le passer sous l'eau glacial de la salle de bain, comme si les coups portés allaient le sortir de son monde imaginaire et le soustraire aux voix qui semblaient parler dans sa tête. Maddox subit une transformation désastreuse autant physiquement que mentalement, il n'était plus craintif mais terrorisé, ses traits étaient tirés et ses joues creuses en raison de sa mauvaise alimentation. Alexey souffrait de le voir ainsi, de voir ce qu'il avait fait de lui, mais il ne pouvait se résoudre à arrêter. Il était aller trop loin pour abandonner, il ne pouvait pas avoir fait tout ça pour rien. La guérison de Maddox serait leur délivrance à tous les deux, mais rien ne pouvait être aussi simple, n'est-ce pas? Le patient réussit un jour à prendre la fuite et dénonça les mauvais traitements de son psychologue qui fut arrêté dans les plus brefs délais.

C'est une histoire qui fit beaucoup de bruit en Nouvelle-Orléans, et Alexey fut pas mal trainé dans la boue. Son procès marqua la fin définitive de sa fonction de psychologue, la fin de toute une carrière, de tout un investissement. Son jugement avait beau être récent, sa véritable condamnation remontait à sa rencontre avec Maddox. Ses priorités avaient changé, rien ne seraient plus jamais comme avant. Chaque instant passé en prison était marqué du souvenir de son ancien patient. Il avait tout eu de lui, la crainte, la souffrance, le désespoir, tout sauf ce qu'il voulait réellement. Il devait donc le retrouver et s'emparer à nouveau de lui pour que tout redevienne comme autrefois, comme lorsqu'il était en position de force, en position de le faire plier.  … Et alors qu'il sortait de six mois d'emprisonnement, à entretenir ce désir, c'était désormais possible. En retrouvant la trace de Maddox, Alexey découvrit que son patient était passé sous la tutelle d'un autre psychologue, une femme, ce qui le faisait enrager intérieurement. Il importait peu désormais que Maddox finisse en pièce et totalement détruit, pourvu qu'il soit à lui. Et puis, peut-être que la véritable guérison résidait dans la destruction après tout.

En sortant, Alexey leva machinalement la tête. Le soleil brillait dans un ciel sans nuage, d'un bleu glacial. Cette vision n'était pas différente de celle que l'on pouvait avoir derrière les barreaux, ou encore dans la cour de prison. Alexey avait seulement eu le geste que font tout les prisonniers enfin libres qui regardent vers l'horizon, vers un avenir meilleur, même s'il savait pertinemment qu'il ne pourrait jamais y prétendre. Il avait beau sortir de prison, il avait toujours la sensation d'être enchainé. Et il l'était. Enchainé à un fou. Il avait tout perdu, son métier, sa position, sa renommée… tout lui avait été arraché et la seule chose qui lui restait était le souvenir de Maddox. Maddox qu'il n'avait su guérir et qui, dans sa folie interminable, le renvoyait constamment à son propre échec. Travailler à sa guérison avait signé leur condamnation à tous les deux et Alexey s'était vu entrainé dans un abime dans lequel ni lui ni son patient ne pourrait sortir. L'échec de sa thérapie sur lui le rendait fou, Maddox lui-même le rendait fou. Pourquoi ne s'en sortait-il pas, comme les autres ? Pourquoi persistait-il dans ses délires malgré tout ce que son psychologue faisait pour l'en sortir ? Alexey l'avait maudit pour ça, autant qu'il se maudissait de son échec. C'est comme si tout le mal, toutes les insultes, tous les coups qu'il avait porté sur lui le guérissait de sa propre impuissance. Et Alexey s'enfonça dans la perversion, trouvant un plaisir malsain dans la souffrance de son patient. Le besoin de le tourmenter était devenu viscéral, il se nourrissait de ses peurs, de ses peines, et de ses larmes dont il était devenu dépendant. Maddox le dépouillait de tout, même de sa raison, et Alexey aurait pu continuer éternellement à vivre ainsi pourvu qu'il puisse le garder pour lui, pourvu qu'il lui restait au moins ça. Mais un jour, sa tendre némésis prit la fuite et le dépouilla du reste et du plus important : lui-même.

Alexey ne lui en a même voulu pour ça… pas à lui du moins. Il en voulait surtout à ceux qui l'avait pointé du doigt en le traitant de monstre impitoyable. Alexey aurait aimé qu'on lui épargne toute cette incompréhension et tous ces jugements manichéens et simplistes portés sur ses actes. Oui, il avait blessé Maddox. Mais ne donnait-ton pas de la chimiothérapie, cette substance pourtant destructrice, pour guérir du cancer ? Ne punissait-on pas l'enfant pour lui faire comprendre ses erreurs ? Maddox était un grand enfant malade, après tout. Tout ce mal n'était qu'en vu d'un bien, mais personne ne le comprenait, pas même son patient…

"Et maintenant Eastwood, tu vas faire quoi ?", demanda le gardien qui était sorti pour l'accompagner, attendant avec lui qu'un taxi vienne le chercher.

Ce n'était pas une prison pour grands criminels, au contraire, la plupart étaient des hommes "honnêtes" qui avaient malheureusement fini par déraper : détournement de fonds, vol, escroqueries, intimidations étaient les crimes les plus récurrents ici. Les gardiens les traitaient donc avec une certaine indulgence et certains s'étaient d'ailleurs pris de sympathie pour Alexey. L'ancien psy était un homme agréable, intelligent, et apparemment dépourvu de l'aigreur qui caractérisait l'ensemble des prisonniers. Certains mettaient ça sur le compte de son temps d'emprisonnement largement inférieur à la moyenne, mais la réalité était tout autre. Les pensées de l'homme étaient en réalité constamment tournées vers ce qu'il avait perdu de plus précieux et qu'il comptait reprendre. Il avait attendu paisiblement le jour où cette opportunité se présenterait à lui, à nouveau.

"Reprendre le cours de ma vie là où je l'ai laissé, je suppose",  déclara t-il le plus simplement du monde en envoyant au gardien un sourire aussi sincère qu'engageant. Et récupérer ce qui me revient de droit.