Je pose le pied sur le sol en laissant tourner le moteur de ma HYOSUNG GV650i. Je n'en reviens pas de retourner dans cette ville moi qui m'étais juré de ne plus y remettre le moindre orteil. J'observe le panneau « Nouvelle Orléans » avec une appréhension et une peur que je n'aurai pas cru encore présentes. Je me souviens parfaitement de la dernière fois que j'ai vu ce panneau, je le regardais à travers mes yeux d'enfants. J'avais 13 ans, j'étais dans une voiture banalisée du service de la protection de l'enfance et n'osai quitter des yeux le panneau de ma ville natale de peur de ne plus le revoir. Quand j'y pense, il ne m'a pas fallut longtemps pour réviser mon jugement sur l'amour que je portais à cette ville. Il n'y avait qu'à se souvenir des raisons de mon départ sans ma famille, entièrement décédée. Je suis née en été sous un soleil de plomb en 86. Mon père était un Français venu ici pour son travail et ma mère une native de la Louisiane. Brillante, elle était devenue Chirurgien sans grande difficulté contrairement à mon père qui, apparemment n'était pas quelqu'un de très fréquentable durant ses jeunes années. L'histoire est banale, ils se rencontrent un jour d'été près du Bayou. D'après ce que je sais, mon père se croyait fin dragueur mais n'était qu'un, je cite, « petit prétentieux ». Toutefois, qu'importe ce qu'a pensé ma mère à ce moment là, ils finirent ensemble et eurent trois ans plus tard un garçon qu'ils s'empressèrent d'appeler Daniel Jack Martin à la mémoire de leur parent respectif. L'histoire reste banale jusqu'à mes 13 ans. Nous habitions une maison aux abords du quartier français et j'évoluai au milieu d'une double culture que j'appréciai. J'étais un enfant « actif » souvent qualifié « d'hyperactif » par le voisinage qui en avait marre de me voir faire tout et n'importe quoi dans le quartier. Le repos se trouvait souvent au fond de mon lit ou dans mon cahier de dessin que je trimbalais partout avec moi. Mon père m'avait offert le premier qu'en j'avais 5 ans, depuis j'ai du en noircir près de 6000.... Bref une vie tranquille à osciller entre l'école, les copains, la famille et les activités extra-scolaires souvent lié à l'association du quartier. Cette association était un vrai lieu de vie. Si mes parents faisaient tout pour être les plus présents, ils leur étaient difficile de toujours garder leur promesse si bien que je finissais souvent entre les murs de l'association tenue par une vieille amie de ma mère, Louisa. Cette dernière est décédée peu de temps après mon départ emportée par une maladie. Musique, théâtre, atelier de dessin, sport, c'est bien simple on faisait tout chez elle. J'imagine qu'après son décès personne n'a repris l'affaire...

Je mets la béquille et fais glisser mon sac à dos vers mon ventre pour l'ouvrir et en tirer mon élixir : de l'eau plus fraîche depuis longtemps. Qu'importe, tant qu'elle fait son taff et m'hydrate un chouilla. La bouche pâteuse, les lèvres sèches et l'impression de respirer du souffre depuis maintenant une heure représentait à peu de chose près 30min dans le désert du Sahara. Bref, la ville s'étant devant moi mais je ne suis pas si pressé que ça d'y faire mes premiers pas depuis 14 ans. Je referme la bouteille que je range puis me gratte la barbe naissante qui dessine mon visage. Et si je faisais demi-tour ? Il me serait facile de le faire bien que je viens de me taper plusieurs jours de route juste pour y venir avec ma moto. Rentrer au bercail serait aussi la mise à mort de ma carrière bien que celle-ci ne soit pas d'un haut niveau depuis quelque temps mais disons que payer mes factures me semblait utile. Je secoue ma tête, plus lourde avec le casque, plus lourde avec la pression de devoir retourner dans cette ville. La pression exercée est aussi importante qu'à mon départ. L'incompréhension, la peur, l'abandon trois sentiments largement suffisant pour m'empêcher de revenir ici.

On était en octobre, il faisait beau et chaud. Mes parents étaient à la maison lorsque je suis rentré chez moi. L'ambiance était étrange depuis quelque temps, ma mère n'était plus vraiment là même ce que je ne m'expliquais pas. Je craignais qu'ils divorcent, c'était ma plus grande crainte alors que j'aurai pu craindre pire. J'avais à peine passer la porte que mon père m'ordonna de sortir, d'aller à l'association et de penser à prendre du pain pour ce soir. Je n'avais pas passer la porte que je pris un coup sur la tête. Quelques temps plus tard, je me réveillais dans le jardin la maison déjà entièrement recouverte de flammes. Un pompier me portait vers une ambulance alors que je me débattais. Mes cris étaient camouflés par l'action des autorités et des pompiers. Le ballet des pompiers aurait été impressionnant pour n'importe qui d'extérieur, pas pour moi. Un policier vint avec moi à l’hôpital, le temps qu'on « contact » un membre de ma famille. Aucun contact ne fut pris puisque je n'avais que mes parents. Louisa m'amena chez elle en attendant avec l'accord des autorité. La mort de mes parents fut communiqué dès le lendemain. Quelque jours plus tard, on attesta à un incendie volontaire, d'après les rapports d'enquêtes ma mère avait tué mon père pour finir par mettre le feu. Impensable. Incompréhensible. Je n'y croyais pas et ce pendant longtemps avant de lire moi même les rapports d'enquêtes. Évidement, on ne m'autorisa pas à vivre avec Louisa, malade depuis déjà plusieurs mois et on m'envoya dans une autre ville au service de l'enfance afin de limiter « l'impact des actes de ma mère sur mon état psychologique ». Bref, j'ai atterri à Houston au Texas. La bas j'ai pratiqué le vol, les combats de rue et tout ce qui pouvait se rapporter à la délinquance pendant près de 3 ans. Comment j'en ai fini là ? Aucune idée peut être les gènes. Rejeté et mis à l'écart de la société dans une ville qui n'était pas la mienne, j'ai fait tout le contraire de ce que j'aurai fait en d'autre circonstance. L'orphelinat où j'étais placé n'était pas abominable mais j'étais trop grand pour être adopté et bien trop « sauvage » de toute manière. Dans tous les cas je me suis pas souvent fait prendre mais juste assez pour avoir le droit à un ultimatum. Étrangement, le juge eut raison de mon tempérament puis de mes frasques. A 17 ans, je me rapprochais d'une existence plus calme. J'ai fini mes études avec un diplôme littéraire à Houston. Ne sachant pas vraiment quoi faire avec ça, je devins pompier volontaire. Enfant je voulais être agent spécial du fbi, militaire, puis illustrateur. Rien à voir avec les pompiers mais j'imagine que l'incendie et la mort de mes parents m'influencèrent. Je sais juste que cela me permis d'accepter de vivre avec les actes de ma mère. Désireux de faire quelque chose de ma vie, je pris le premier avion pour l'Afrique et devint bénévole dans une association locale près du Congo. Outre la mission humanitaire, je pris pour ambition de faire connaître les actions des bénévoles au pays en envoyant des articles au journal d'Atlanta. Un an et demi plus tard on me proposa un emploi à plein temps que j'acceptai. Ma carrière prit son envol à mesure que j'acceptai des missions de reportage à l'étranger malheureusement, cela ne dura pas. En m'opposant au nouveau rédacteur en chef, je me suis placé dans une situation délicate si bien que cela fait un an que je ne fais que des petits papiers et voilà que cet enfoir* m'envoyait dans cette ville dans le simple but de me pourrir la vie. Un autre ultimatum à mon effectif : faire le papier sur le surnaturel de la Nouvelle Orléans et l'affluence des touristes ou être viré. N'ayant pas de diplôme élevé, j'étais à peut près sur de ne pas retrouver d'emploi dans le domaine...

Un coup sur le guidon fit vrombir de nouveau ma ravissante moto et je m'élançais dans les rues de ma ville natale. Heureusement je n'étais là que pour quelques jours, non ?

J'ai mal au crâne quand j'émerge. Mes mains atterrissent sur mon visage pour l'éveiller. Je m'étire en étoile de mer et me redresse, un simple coup d’œil dans la pièce m'indique que je me suis battu en dormant. Nous sommes le 22 décembre et le même cauchemar m'assaille chaque année. J'ai beau accepter mon passé, rien y fait, mon cerveau prend un malin plaisir à me rappeler cette soirée-là avec un réalisme fatal. Je me secoue la tête et passe une main dans mes cheveux avant de me lever et de me diriger vers le toilette. Je prends le temps de me laver les mains puis de passer de l'eau sur mon visage. Je redresse la tête, sûrement un peu trop vite et crois voir ma mère dans le miroir. Toujours pareil, cela ne me surprend même plus, les réminiscences de mon passé ne me font plus peur depuis longtemps. Elles sont encrées en moi et ne délivre aucun message si ce n'est que je n'ai plus de famille. En caleçon je me déplace vers la fenêtre de mon deux pièces, elle donne vue sur le parc de la 6e à Atlanta ce qui a toujours pour effet de me détendre. La vie urbaine a été difficile à reprendre et cet appartement parfaitement bien situé pour moi et affreux pour les autres, y a contribué. Le 20 décembre en plus d'être une date importante pour ma cervelle sans que je ne me l'explique et également le jour de mon départ. Mon baluchon est prêt, le même qu'à mon départ pour le Congo. N'importe qui penserait que rien ne peut être mis dedans mais ce serait bien la pensée d'un ignorant, quiconque est initié au sac très rependu dans l'armée devient un convaincu. Je passe dans la cuisine et me prépare un bol de céréales avec un jus de fruit tout en feuilletant le journal de la veille. Petit rituel du matin que je sais apprécier à sa juste valeur. Je souris en voyant le visage de mon boss en compagnie du buteur de l'équipe d'Atlanta, le con, il a l'air malin avec son postiche a moitié décollé. Ce salopard a eu raison de toutes mes barrières simplement en une question : veux-tu garder ton emploi ? Nous savions tous les deux qu'il était tout à fait apte à me saquer sur le marché du travail et si redevenir pompier volontaire ne me dérange pas ça ne paye pas. Énervé, je fis de sa tête de con des jolis détritus qui finirent avec le reste de mon repas de la veille : dans la poubelle. Frapper dans un sac m'avait appris à choisir mes combats et les personnes à frapper, heureusement pour lui. Passant une nouvelle fois la main dans mes cheveux, je pris ma douche, m'habillai et descendis la poubelle avant de remonter pour prendre mon baluchon, mon sac à dos et les clefs de ma bécane. Je pris un certain temps pour installer mes affaires sur la grille arrière, ajuster mon blouson et mon casque puis enclenchai avec un coup rapide du pied, le moteur. Il me fallut près d'une heure pour traverser l'ensemble de la ville et parvint enfin à la sortie ouest d'Atlanta. J'étais prêt pour les 470 miles soit 678 km, 6h38 de route, et les deux étapes de l'itinéraire. Le premier à Montgomery pour un bon Beagles sur la route 85 et le second à Mobile pour un muffin et une bière. Au moins un point positif à ce voyage : la balade en deux roues, pour le reste... je n'étais pas encore sûr à ce moment là de passer les frontières de la ville ou de faire demi tour.