Deux semaines qu’elle avait croisé le chemin d’Alesana pour la première fois. Cette enflure lui avait volée son sac et tout ce qu’il contenait dans les transports. Et dans ce fameux sac il y avait son ordonnance pour tous les médicaments qu’elle prenait, son stock de secours… Tout en clair. Si au début les choses allaient bien ces derniers jours c’était compliqué. Depuis qu’elle avait cette fille inanimée sur les bords du Mississippi elle voyait des choses. Elle voyait des ombres dans son appartement, le miroir lui reflétait d’autres choses que ce qui existait, le téléphone sonnait et personne ne lui répondait lorsqu’elle décrochait… Elle perdait pied avec la réalité.

Ce matin là elle se préparait tranquillement pour aller travailler lorsqu’elle vit une femme dans son miroir de salle de bain. Les mains plaquées contre la vitre elle semblait lui crier quelque chose qu’elle ne parvenait pas à entendre. Le cœur battant elle l’avait observée plusieurs minutes avant de comprendre ce qui se passait, il n’y avait rien à côté d’elle comment cette femme pouvait-elle apparaître dans le reflet ? Billie décrocha son téléphone et composa le numéro du thérapeute qui la suivait habituellement. La secrétaire l’informa qu’il n’était pas présent aujourd’hui mais qu’elle lui prenait un rendez-vous pour la semaine suivante. A la limite de l’hystérie Billie la supplia de décaler des rendez-vous ou d’appeler le thérapeute pour qu’il revienne aujourd’hui. Mais il n’y avait rien à faire c’était la semaine prochaine et pas autrement, elle n’était pas la seule patiente du docteur. Elle raccrocha avec l’idée de partir au travail pour penser à autre chose mais alors qu’elle récupérait son sac pour sortir tous les téléphones se mirent à sonner en même temps, les appareils électroniques s’affolaient, la télé s’était mise en marche le son à fond.

Terrorisée elle s’effondra, les larmes aux yeux. Pourquoi tout ça lui arrivait à elle ? Elle lâcha son sac et prit la fuite. Elle ne chercha même pas à réfléchir à l’endroit où elle se dirigeait. Il lui fallait un endroit en hauteur et loin de tout. Dans son quartier elle avait une antenne téléphonique plutôt facile d’accès où elle allait quand elle se retrouvait dans ses états. Elle grimpa rapidement l’échelle en métal et referma la petite trappe qui donnait accès à la plateforme située tout en haut de la fine tour. Les jambes dans le vide, fermement accrochée à la barrière qui servait de sécurité pour les agents qui devaient faire la maintenance des lignes, elle pleurait tout ce qu’elle avait sur le cœur. Au moins ici elle était tranquille ou presque, elle avait attiré l’attention de certains passants qui l’observaient et qui du coup avaient rameuté d’autres personnes. Elle entendit quelques personnes lui dire de ne pas faire de bêtises ou des choses du genre, elle aurait eu envie de leur balancer une chaussure histoire qu’ils la mettent en veilleuse. Si elle avait eu envie de sauter elle serait allée sur son toit ou elle l’aurait fait devant un train. Non mais franchement les gens étaient vraiment cons.

« On a appelé les pompiers. » dit un homme d’en bas.

Non sérieux pourquoi ils s’acharnaient à essayer de lui sauver la vie alors qu’elle n’était même pas en danger ? Depuis qu’elle était à la Nouvelle Orléans à cause de ses phases psychotiques elle avait rencontré presque toute l’unité des pompiers, limite si elle ne devenait pas leur mascotte. Avec un soupire elle s’éloigna du rebord de la plateforme pour se recroqueviller contre la tour. Elle pleurait toujours, ses oreilles bourdonnaient encore de tout le son qui s’était déclenché en même temps dans son appartement, mais surtout elle revoyait cette femme dans son miroir et de son air désespéré. Elle se rappela de ce qu’Alastair lui avait dit : ils te veulent peut-être du mal. L’idée même lui donna des frissons et lorsqu’elle entendit les camions de pompiers elle sentit son cœur se serrer. S’ils l’envoyaient cette fois-ci dans un centre spécialisé ? Ou si simplement ils contactaient ses parents elle était finie. Ils allaient la remettre dans un centre et elle finirait sa vie comme un pauvre légume pourri oublié dans le frigo. Mais concrètement que pouvait-elle faire pour éviter de péter les plombs ? C’était peut-être eux qui avaient fait toute cette mise en scène pour qu’elle craque et qu’ils puissent la récupérer. Terrorisée à l’idée de retourner dans un hôpital elle décida de ne pas se laisser faire. Elle resterait là où elle était jusqu’à ce qu’elle en décide autrement. Elle entendait la tôle vibrer sous les pas des pompiers qui avaient décidé de venir la récupérer. Elle essuya les larmes qui coulaient encore sur son visage, elle devait vraiment avoir une dégaine de tarée avec son maquillage qui avait coulé lui faisant un regard de panda mais pour le reste tout était toujours en place c’était déjà ça.

« Laissez-moi tranquille, je descendrais pas. » hurla-t-elle à l’attention de l’assemblée réunie au bas de la tour.

La nuit de Drake avait été une fois de plus agitée. Un cauchemar de plus, ce n'était jamais le même, mais c'était à chaque fois terrifiant. Le pauvre ne parvint pas à se rendormir comme toujours. Du coup, il alla prendre une douche bien chaude pour faire partir la sueure et se changer les idées. Sa nuit c'était terminée devant la télé à zapper de chaine en chaine en espérant trouver un programme intéressant, mais comme toujours il n'y avait rien d'intéressant. Son vieux démon intérieur l'avait poussé à ouvrir son bar pour y chercher de l'alcool. Ces derniers temps, il marchait beaucoup à ça. Boire c'était le seul moyen d'oublier sa peine et de ne plus entendre ses voix ou voir ses choses étranges qui le rende fou. Il n'était que quatre du matin et il ouvrit sa bouteille de Jack Daniels qui était neuve. C'était quoi... la deuxième de la semaine, fraichement acheté la veille. En l'achetant, il s'était promit de s'en servir seulement quand il aura des invités. Encore faut-il qu'il ait des invités chez lui. Sa résolution n'avait pas tenue, son cauchemar l'avait trop chamboulé. Sans attendre, il ouvrit la bouteille et versa le liquide dorée dans un petit verre. Au départ, il ne versa qu'un petit fond, une dose tout à fait normale pour ce genre d'alcool. Son regard s'attarda sur la bouteille et il décida de remplir totalement le verre. Oui, c'était une mauvaise idée, mais il en avait besoin. Au final, il dû boire la moitié de la bouteille à lui seul.

Son téléphone sonna et le sortit de son sommeil. La bouteille de Jack était toujours sur la table basse. La télé continuait de présenter des émissions totalement inintéressantes et son verre vide jonchait le sol d'une manière négligente. Sa main sur le visage, il frotta ses yeux et ressenti immédiatement un petit mal de crâne en s'asseyant. Une mini gueule de bois ! Drake souffla avec un air déprimé en voyant qu'il avait une fois de plus cédé à l'alcool. Si quelqu'un le voyait, il dira clairement qu'il a un problème, sauf qu'il ne le reconnaitra jamais. La sonnerie du téléphone lui agressant les tympans, il décrocha et reconnu la voix de son patron lui demandant clairement ce qu'il foutait. Merde, sa garde avait commencé il y a vingt minutes. Le pompier s'excusa et indiqua qu'il avait eu un problème avec sa voiture et qu'il serait là d'ici une vingtaine de minutes.

En conduisant jusqu'à la caserne il faillit avoir un accident. Pourtant, il conduit très bien, c'est juste quand regardant dans son rétroviseur intérieur, il remarqua quelqu'un à l'arrière de sa voiture. Logiquement, il était censé être seul dans son véhicule. En faisant une embardée sur le côté, il faillit juste ce prendre un arbre. Une chance qu'il se reprit rapidement. La journée s'annonçait plus que mauvaise pour lui. Par chance, à peine arrivée, une première intervention était prévue. Le camion parvint rapidement jusqu'à l'adresse indiquait par la personne ayant téléphoné. Une jeune femme soit disant suicidaire était sur le point de se jeter dans le vide. Une unité de police était également sur les lieux. L'un des flics voulus prendre la parole, mais Drake l'en empêcha. Ces types ne savent pas s'y prendre. C'est pour cela qu'il se porta volontaire et décida de monter dans la petite tour. Quand il arriva juste en dessous de la trappe, la voix de la jeune femme indiqua qu'elle n'avait pas besoin d'aide. Vu le ton qu'elle avait employé, elle n'avait pas l'air très en forme du moins moralement. "Est-ce que je peux entrer ?" demanda soudainement le pompier juste en dessous de la trappe. Pour ne pas la brusquer, il préférait avoir son autorisation plutôt que d'arriver en fanfare, lui faire peur et la voir sauter. "Je m'appelle Drake, je suis pompier. Je viens pour discuter." Pourquoi discuter plutôt que "aider" ? Simplement, car le mot aider peut faire peur. Discuter ça n'engage à rien et ça signifie aussi qu'ils peuvent parler de tout et de rien. C'est un moyen de détourner son attention ou juste d'avoir sa sympathie et sa confiance.

Recroquevillée, la tête contre ses genoux, Billie essayait de faire le vide dans sa tête. Elle avait le cœur battant tellement vite qu’elle n’entendait plus que ça. Elle sursauta lorsqu’elle entendit quelqu’un lui demander la permission d’accéder à la plateforme. Elle releva la tête et lança un coup d’œil à travers la grille. Elle l’entendit se présenter. Un pompier, elle l’aurait deviné à sa tenue mais passons elle n’allait pas le rembarré pour ça. Il voulait discuter hein ? Elle soupira et tira sur son tailleur, inutile de lui laisser voir plus que ce qu’il ne voyait déjà : une femme complètement tarée à bout de nerf. Mais elle n’était pas folle, enfin pas totalement, il y avait quelque chose que les médicaments lui cachaient et ce n’était pas des hallucinations banales. Parce que si c’était vraiment son cerveau qui clochait comment tout l’électronique avait pu se dérégler comme ça ?

Finalement avec un nouveau soupire elle leva la trappe comme une autorisation au jeune homme de grimper sur la plateforme avec elle. Elle commençait à connaître toute l’unité de pompier de la ville et lui il était inconnu au bataillon. Drake qu’il avait dit, elle s’en souviendrait pour les prochaines fois. Au moins il avait un discours plutôt professionnel. Discuter… A d’autres il ne voulait surtout pas qu’elle saute en bas c’est tout.

« C’est bon laissez tomber votre char. Je vais pas sauter, vous pouvez nous épargner la psychologie à deux balles. » dit-elle d’un ton cassant.

Elle ne voulait pas lui faire perdre son temps pour une cause qui était déjà acquise. Elle aimait bien sa vie même si parfois elle craquait sous la pression. Elle songea qu’une fois qu’elle aurait retrouvé ses ordonnances et son traitement tout irait mieux. Il ne servait donc à rien de s’inquiéter, sa vie allait reprendre son cours normal. Maintenant il ne lui restait plus qu’à trouver le courage de descendre et de continuer cette vie sans pilules. Elle préféra repousser l’instant fatidique en essayant d’oublier l’épisode éprouvant qu’elle venait de subir. Pour ça elle jeta un coup d’œil à l’homme en tenue de pompier.

« Je suis désolée Drake, la journée commence juste mal pour moi. Vous deviez avoir mieux à faire que venir repêcher une pauvre timbrée en haut d’un pilonne, non ? » demanda-t-elle en se disant que si elle parvenait à parler d’autre chose cela lui permettrait de remettre un pied à l’étrier.

Elle était gênée de se présenter ainsi, le maquillage qui avait coulé abondamment, sa tenue était toute froissée et ses chaussures étaient dans un état déplorable. Elle essaya d’arranger un petit peu tout ça mais finalement elle ne faisait qu’aggraver les choses. Finalement elle abandonna en allongeant ses jambes, les bras croisés sur sa poitrine elle gardait la tête baissée sur le bout de ses chaussures en attendant de voir ce que ce sauvetage qui n’en était pas un allait donner.

Drake était monté en haut afin de pouvoir dialoguer plus facilement avec la personne se trouvant en haut. Les policiers auraient été assez cons pour utiliser un mégaphone et hurler dedans pour faire descendre la jeune femme. Ce n'est pas toujours comme ça qu'il faut si prendre pour aider quelqu'un. Ce n'est pas une criminelle qui est en train de cambrioler une banque, juste une jeune femme qui a besoin de s'isoler un peu. Les gens disaient que c'était une tentative de suicide, qu'elle allait sauter et s'écraser sur le sol. Pour le moment, le pompier n'en avait pas vraiment l'impression. Si c'était vraiment une suicidaire, elle serait toujours assise sur le rebord criant peut être qu'elle allait sauter si quelqu'un venait. Hors, elle n'était plus assise sur la sorte de rambarde, il ne la voyait même plus. Derrière la trappe, il attendit que l'inconnue lui réponde pour savoir s'il pouvait entrer. La trappe s'ouvrit et il put enfin voir le visage de la jeune femme. Ses yeux rouges et son maquillage qui avait coulé sur son visage indiquait qu'elle avait pleuré. Dans un premier temps, il fit en sorte de ne pas trop attarder son regard sur elle. Au contraire, il s'approcha du bord pour observer le paysage. C'était plutôt sympa d'être en haut et surtout c'était calme. La demoiselle se trompait sur le compte de Drake, il n'allait pas la dissuader de quoi que ce soit. De toute manière, il voyait clairement qu'elle n'avait rien de l'attitude d'une suicidaire. "Je vous crois. Vous ne me donnez pas l'impression d'être prête à en finir." Ses mains posées sur la rambarde, il regarda en bas et cru entendre des murmures s’élever. Ces gens devaient émettre des théories tristes et fumeuses. "Si ça peut vous rassurer, vous n'êtes pas la seule dont la journée n'a pas super bien commencé. Vous avez trouvé un endroit parfait pour vous évader un peu." Le pompier se laissa glisser sur le sol afin de s'asseoir juste en face de la jeune femme. "Si c'est pas indiscret, qu'est-ce qui vous pousse à vous réfugier ici ?" Oui, c'était indiscret mais il voulait instaurer un dialogue. Au moins, le temps qu'il restera en haut, il n'avait pas à être en bas pour rentrer à la caserne et avoir à répondre aux questions du chef sur son retard. Il finit par fouiller dans sa veste pour en sortir une petite flasque argenté qu'il ouvrit pour en boire une gorgée. Boire au travail...ce n'était pas vraiment une bonne idée, mais la nuit avait été difficile pour lui. Gentiment, il tendit l'objet vers la demoiselle en disant "Vous en voulez ? Je sais que c'est pas vraiment bien, mais c'est le seul remède que j'ai trouvé contre mes problèmes." Boire le mettait dans un état second pouvant jusqu'à l’assommer pour l'empêcher d'entendre et de voir des trucs qu'il ne veut pas. Il présume que pour une personne ayant d'autre problème, ça doit aussi réussir à les "masquer" ne serait-ce qu'un moment.

Billie l’observa, il semblait plutôt à l’aise après tout ça devait arriver souvent des gens qui menaçaient d’en finir avec la vie. Au moins elle avait évité la police et leurs mégaphones barbares crachant leurs sommations. Mais bon à choisir elle aurait préféré rester seule tout de même. Avec une pointe d’inquiétude elle le suivait du regard pour voir ce qu’il allait faire. Elle haussa un sourcil lorsqu'il lui avoua qu'il la croyait. Elle renifla en se demandant si c'était encore une technique foireuse pour la mettre en confiance ou la vérité. Fatiguée elle préféra opter pour la seconde option. Elle avait assez d'essayer de se battre contre le courant pour changer elle allait voir jusqu'où ça la mènerait de juste croire en la sincérité des gens.

Sans le lâcher des yeux une seule seconde elle le vit s'assoir en face d'elle après lui avoir avoué que lui aussi n'était pas dans un bon jour. Comme quoi ça arrivait à tout le monde même aux meilleurs songea-t-elle. Finalement il lui demanda la raison de sa venue ici. Elle pouvait pas lui dire qu'elle voyait des gens dans les miroirs ou que son appartement tout entier lui était devenu hostile sans raison rationnelle. Elle s'appuya contre le poteau centrale de la plateforme, comme pour s'assurer que rien ne pourrait lui venir de derrière sans qu'elle ne s'en aperçoive. Elle accepta de donner une partie de la vérité.

« Disons que je suis malade, quelqu'un m'a volé mon traitement et j'ai l'impression de devenir folle avec tout ce bruit en bas. Ici au moins je peux être tranquille quelques heures. Pas de téléphones, personne qui vient vous emmerder, enfin sauf quand toute la cavalerie arrive... » dit-elle avec un soupire.

Elle avait toujours eu cette attirance pour les endroits en hauteur quand les choses n'allaient pas. En haut on avait l'impression de marcher sur le monde et que les emmerdeurs étaient ridicules. Généralement elle retrouvait son calme rapidement avant de redescendre mais ça c'était uniquement quand elle n'avait pas la police qui lui hurlait de descendre sinon quelqu'un viendrait la chercher. Elle savait que ce n'était pas une solution en soi, qu'elle devait simplement faire des efforts comme son psy lui disait mais elle n'y arrivait pas. Même les médicaments ne faisaient plus autant d'effets qu'avant.

Elle le vit se saisir d'une petite flasque, ben ça au moins c'était pas commun. Elle n'allait pas le juger pour ça, elle-même avait recours à ce genre de solutions parfois. Alastair lui avait dit lui-même, elle était alcoolique ou s'en approchait grandement. Mais elle chassa cette idée de la tête et lorsqu'il lui proposa la flasque elle hocha la tête et se saisit de la flasque. Elle avait le regard rivé vers cette petite chose argentée qui avait le pouvoir de faire disparaître les problèmes le temps de quelques instants. Elle haussa finalement les épaules en buvant une gorgée de l'alcool. Dès le matin c'était pas vraiment le truc le plus cool qu'elle ait fait jusqu'à présent.

« Et vous, Drake, qu'est-ce qui vous pourri la journée au point de vouloir noyer ça dans l'alcool dès le matin ? On m'a dit un jour que noyer ses problèmes dans l'alcool ne servait à rien parce qu'un problème flotte toujours. » dit-elle en lui rendant la flasque.

Avec un peu de chance elle pouvait continuer à discuter, il continuerait à boire et tout le monde en bas attendrait de savoir ce qu'il se passait. Pour une fois elle pourrait prolonger son répit. Mais bon l'heure n'était pas à ce genre de spéculations.

Maintenant qu'il était en haut, Drake devait plus ou moins faire son boulot. Quoi qu'il n'y avait rien à faire étant donné que la jeune femme n'allait pas enjamber la rambarde pour faire le saut de l'ange. Le jeune homme n'était pas un spécialiste, mais il avait déjà vu des personnes suicidaires avec son boulot. Hors, la demoiselle ne l'est pas, du moins pas aujourd'hui. Si elle l'était vraiment, elle n'aurait jamais accepté qu'il monte et surtout elle ne serait pas restée assise. Elle serait plutôt prête à se jeter dans le vide au moindre écart de la part du pompier. Que les gens peuvent être bête des fois. Peut-on toutefois rejeter un acte civilisé voulant sauver la vie d'une personne ? Peut-être que les gens feraient mieux d'apprendre à regarder et décrypter les signes qui ne trompent pas. Personnellement, Drake ne serait pas tenté par un suicide de ce genre-là. Sauter d'un immeuble pour s'écraser sur le sol. Imaginez-vous un instant que vous vous raté et qu'une fois en bas vous n'êtes pas mort. Avoir tous les os du corps brisés et souffrir le martyr... non merci. Si un jour, il doit tenter de se tuer, il choisira quelque chose de plus rapide et efficace. Pourquoi pas un flingue, une balle dans la tête et c'est fini. Ou une méthode plus lâche : une overdose de médicaments. Oui, ça semble être plus doux, moins sale et beaucoup moins douloureux de mourir comme ça. Quoi que pour lui, il reste une solution... Plutôt que tout le monde sache qu'il s’est suicidé, il pourrait simplement se jeter dans les flammes lors d'un incendie. Ainsi on pourra le prendre pour un héros. Mouais... le suicide ce n’est pas pour tout de suite. Du coup, il demanda à la demoiselle ce qui n'allait pas. Elle expliqua simplement qu'elle avait perdu ces médicaments et que sans eux elle ne se sentait pas bien. C'est pourquoi elle s'était réfugiée en haut de la tour, pour se sentir mieux. L'explication lui paraissait plausible, bien qu'il se demande ce qu'elle peut avoir comme maladie pour être si mal sans ces médicaments.

Pensant à ses propres problèmes, il sortit ce qu'il pourrait appeler son médicament. Une flasque d'alcool dont il but une première gorgée avant d'en proposer à la demoiselle. L'action du pompier devait être étrange et peu commune, car elle demanda au jeune homme pourquoi il buvait. Un petit rire nerveux lui échappa en se souvenant de la nuit merdique qu'il venait de passer. Qui pourra le croire ? Il voit et entend des choses qu'il ne devrait pas. C'est fou, totalement fou. Oh, il pourrait aller voir un médium ou un des types qui avaient exorcisé sa soeur. Mais non, pour lui ce sont justement ces mecs-là qui ont causés la mort de sa tendre soeurette. "Si je vous dis ce qui me pousse à boire, vous allez me prendre pour un fou !" Par contre, il ne croyait pas la citation qu'elle lui cita sur les problèmes et l'alcool. Quand il boit, il finit ivre mort et oublie justement ce qui l'entoure, c'est le seul moyen pour lui de faire partir les voix et les apparitions. "Pour le moment, l'alcool à toujours réussi à noyer mes problèmes. Je devrai pas, mais c'est le seul moyen de ne pas devenir cinglé." Ce don était une malédiction. En fait, Drake ne le voit pas comme un don. C'est juste le mauvais sort qui s’abat sur lui, comme-ci la mort de sa petite sœur n'avait pas suffi. "Mais si le fond de votre question c'est de savoir si je suis alcoolique. Non, je ne le suis pas !" Peut-être pas encore, mais il est malheureusement sur la bonne voie pour le devenir.

Dire que logiquement il était en haut pour aider la jeune femme et maintenant, il se retrouve à discuter avec elle. Bon c'est son boulot, mais là ça dépense le professionnalisme vu qu'il parle presque de lui. Un pompier avec une flasque d'alcool dans sa poche faut avouer que c'est assez peu commun à avoir. Encore plus un type qui pense être fou et ne veut justement pas parler de ses problèmes pour ne pas finir à l'asile. Peut-être qu'il serait mieux à l'asile, on lui filerait tellement de médicament qu'il serait un vrai légume et qu'il n'entendra même plus les voix qui le tourmente de temps en temps. Pourtant, il n'a pas envie de finir de cette manière. Être légume ça ne le tente pas, pas plus que de devenir alcoolique. Hélas, il ne trouve du réconfort que dans l'alcool pour le moment et il pense se contrôler assez pour ne pas devenir addict à cette drogue. La demoiselle avait l'air prêt à l'écouter, avoir une oreille attentive qui ne le jugera pas de fou. Ceci le fit sourire légèrement, c'est vrai qu'elle n'était pas là pour la beauté du paysage, mais pour s'isoler. "Peut être que je ne suis pas fou. Enfin, je ne le suis certainement pas, mais ce que je vis me rend fou," tenta-t-il d'expliquer mais c'était assez confus et bancal comme explication.

Le jeune homme soupira et tenta de chasser ses souvenirs par rapport aux apparitions qu'il peut voir que ce soit chez lui, ou n'importe où ailleurs. Médium... tu parles d'une malédiction. Lui il n'a jamais voulu de ce don, d'ailleurs ce don est apparu comme ça sans qu'il ne le demande. Sincèrement, il aurait largement préféré rester un pauvre type normal qui ne peut pas voir le monde des morts. La demoiselle lui posa une question pleine de raisons. En parler à quelqu'un... Oh oui bien sûr, pour qu'on lui ris au nez ou qu'on l'enferme de force dans un asile, ou que ça lui fasse perdre son job. "Sincèrement, je ne vois pas à qui je pourrai parler de ça. Un docteur me fera interner dans un asile, mes amis se moqueront de moi... Disons que je suis obligé de vivre avec. Il faut juste que j'arrive à gérer ça, mais je n'y arrive pas." Un nouveau soupire et il se mordit la lèvre inférieure. C'est une inconnue, elle dit qu'elle n'allait pas le juger pourquoi ne pas lui en parler ? Après tout c'est parfois plus facile de parler de certaines choses à des inconnus. "Vous n'allez pas me juger, hein !" demanda-t-il quand même pour s'assurer avant de se lancer. "Vous croyez aux esprits ?" questionna-t-il pas très sûr de lui avant de se taire un instant. "Je... j'entends et je vois des choses que je ne devrai pas. Ça arrive n'importe quand, n'importe où. Le problème c'est que je n'ai aucun contrôle là-dessus. Surtout, je n'ai pas la moindre envie de voir tout ça." Et voilà, il vient d'expliquer qu'il est totalement cinglé et qu'il voit "Casper" un peu partout. Maintenant, la jeune femme peut se mettre à rire en lui jetant des tomates dessus.

Drake venait vraiment de péter un plomb pour se mettre à parler de ses problèmes à la jeune femme. C'était une parfaite inconnue ayant aussi des problèmes. Alors pourquoi l'embêter avec les siens ? C'était peut-être juste le moment de le faire. L'occasion lui semblait parfaite, ici en haut de cette tour sans personne d'autre pour écouter. Ce n'était pas quand dans une maison ou un appartement ou les murs pouvaient avoir des oreilles. Enfin, quoi qu'il en soit, elle venait de promettre qu'elle n'allait pas le juger. Alors le pompier se mit à expliquer simplement qu'il voyait et entendait des choses étranges. Pour lui c'était des esprits ou des démons. Quelques choses qui n'est pas toujours sympa et peut s'en prendre à vous pour vous rendre fou. En gros, on pourrait résumer en disant qu'il est hanté. Ce n'est pas la même chose à chaque, ça peut être des "fantômes" différents. Visiblement, la jeune femme ne le croyait pas. C'était une déception pour lui. Les seuls qui pourraient le croire ce sont ces idiots de médiums et d'exorcistes. Elle disait voir des choses aussi, mais que c'était le fruit de son imagination. Ceci fit hocher la tête de Drake de manière négative de gauche à droite. Non, ce n'était pas son imagination. Et ceci n'a rien à voir avec le fait de se sentir seul. Ce n'est pas non plus un mauvais sort qu'on lui aurait lancé. Qui aurait fait ça d'abord ? "Vous ne me croyez pas, n'est-ce pas !" déclara-t-il en baissant les yeux pour regarder ses pieds. "Vous savez, avant je ne croyais pas à ce genre de choses. Les esprits, les démons, la magie... C'était le genre de choses que je pensais bonne que pour les films. Ma soeur c'est retrouvée "hanté" jusqu'à être possédé par quelque chose. Ça doit vous paraitre fou, même moi je n'y croyais pas. Sauf que j'ai été forcé de voir qu'elle n'était plus elle-même. J'ai vu un tas de médecin pour elle... et rien. Je me suis tourné vers ce à quoi je ne croyais pas : des médiums et des exorcistes. Je ne sais pas par quel miracle, mais ils ont libérés ma soeur." Plus il racontait son histoire et plus il trouvait tout ça impossible à croire. A la place de la jeune femme, il serait surement en train de ce traité de dingue. "Malheureusement, elle ne s'est pas remis de tout ça. Elle était dans un hôpital psychiatrique. Elle est morte il y a quelques temps..." Drake arrêta de parler, sa voix était tremblante et ses yeux devaient briller à cause des larmes qui n'étaient pas très loin. "Depuis toute cette histoire, je vois et j'entends des choses. C'est rares, mais parfois, des objets bougent... et c'est en train de me rendre dingue !" Ce qu'il vit en ce moment est similaire à un cauchemar, un cauchemar n'ayant pas de fin. Il prit sa flasque et but une nouvelle gorgée d'alcool pour se détendre un peu. "Peut être que je suis vraiment fou ?" demanda-t-il totalement dans le vide, une question qu'il se posait à lui-même, à l'air, aux fantômes, à la jeune femme...

Mais quelle idée lui était passée par la tête pour raconter son histoire. C'était totalement fou, comment est-ce qu'on pourrait le croire ? Si elle est du genre rationnelle, c'est sûr qu'elle ne pourra pas le croire et c'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Au final, le voilà encore plus mal d'avoir tout déballé à une parfaite inconnue. On pense que parler de certaines choses à une personne qu'on ne connait pas est plus facile et qu'elle ne nous jugera pas... il avait tort. Drake baissa la tête et regarda ses mains et sa flasque qu'il tenait toujours. Tu parles d'un pompier, un héros à deux balles hantés et qui perd la tête. C'est presque fou qu'il soit venu aider quelqu'un. Malgré tout, la demoiselle n'avait pas l'air de le prendre pour un fou qu'il faut mettre dans une camisole de force et enfermé à triple tour dans une pièce capitonné. Elle venait de déposer sa main sur la sienne dans un geste plein de compassion qui ne lui était absolument pas familier. La demoiselle se montra même gentille en disant que c'était peut-être possible, que certaines personne pouvaient réellement voir ce que l'on ne devrait pas voir. Le pompier ne la trouva pas convaincu à cent pour cent. Elle essayait de se montrer gentille. Il lui adressa un petit sourire, le mieux qu'il puisse faire pour le moment avec sa pseudo déprime. Parler de sa soeur n'arrangeait jamais rien. C'était encore trop douloureux et il se jugeait responsable de sa mort.

La jeune femme lui demanda alors s'il était allé voir les mêmes personnes qu'il avait vus pour sa soeur. Après tout, si des médiums l'avaient aidé, ils pourront faire de même avec lui. Que ce soit une possession ou voir des esprits ça reste dans leur domaine après tout. Drake secoua la tête négativement. Non, il n'était pas retourné les voir. D'ailleurs, il n'a aucune envie de leur rendre visite pour leur parler de ce qui lui arrive. Le pompier tient les médiums pour responsable de la mort de sa soeur. Ils n'ont pas réussi à l'aider comme il faut, même s'ils ont réussi à faire partir la chose qui la possédait. Une fois qu'elle est redevenue elle-même, qu'ont-ils faient ? Rien ? Aucun accompagnement psychologique, aucune aide, ils ont juste fini. "Non, je ne retournerai jamais voir ces types. Ils ne pourront pas m'aider et je ne veux pas de leur aide. De toute façon, mon cas est différent de ma soeur. Je ne suis pas possédé. C'est juste que...je... je vois et j'entends des choses. Qu'est-ce qu'ils peuvent faire contre ça ? Rien !" Le jeune homme y mettait de la mauvaise volonté c'est certain. Mais le passé et cette histoire avec sa soeur ont laissé des marques chez lui. Plus jamais il ne fera appel à un médium. C'est totalement hors de question ! Alors pour le moment, il se contente de se "guérir" en buvant de l'alcool. Il but une gorgée et entendit en bas l'un des gars l'appeler pour savoir si tout va bien. Oh c'est vrai, il était en plein boulot, il va bien falloir qu'il descende. "Vous vous sentez prête à redescendre ? Si on reste ici, d'autres gars vont venir." Il rangea la flasque et se leva. Drake se pencha un peu pour regarder en bas et fit un signe à son collègue pour lui dire que tout était sous contrôle.