« Comment vas-tu l'appeler ? »

La jeune femme leva le regard vers sa mère, tenant contre elle la petite fille qu'elle avait mise au monde quelques minutes plus tôt. Il n'y avait pas de père. En tous cas, il n'était pas convié à la naissance et ne savait même pas qu'il avait une fille. Il avait été un flirt, plutôt agréable, jusqu'à ce qu'il apprenne que la femme qu'il fréquentait pouvait voir les esprits et savait même les invoquer. Une prêtresse vaudou. Cela l'avait fait fuir et elle en avait eu le cœur brisé, avant de découvrir qu'il n'était pas parti sans laisser sa trace. Et aujourd'hui, elle tenait entre ses bras le fruit de cette idylle trop courte. Il était des secrets qui ne devaient pas être révélés, au risque de tout perdre. Elle baisa le crâne couvert d'un léger duvet de l'enfant qui remua un peu.

« Caleigh, je vais l'appeler Caleigh. »

La grand-mère hocha la tête, posant sa paume sur la tête de la petite, comme pour lui donner sa bénédiction. C'était une famille de femmes, les hommes n'y trouvaient pas leur place.

« Bienvenue dans la famille petite Caleigh. »

Une famille de femmes fortes, indépendantes, hantées par les morts. Chacune choisissait sa voie et personne ne décidait pour elles. Pourtant, elles ne se revendiquaient pas comme prêtresses, préférant rester discrètes, même si on savait les trouver quand on en avait besoin.



« Allez mama, encore ! »

« Caleigh, ça suffit, on rentre, il est déjà tard ! »

La petite fille afficha une moue boudeuse alors que sa mère venait d'intervenir et de lui ôter tout plaisir. Mama lui racontait des histoires de magie, de vaudou, parlait de leurs ancêtres. Et cela captivait la petite fille de 6 ans. Elle était jolie comme un cœur avec sa tignasse bouclée, épaisse et indomptable et ses airs boudeurs. Caleigh avait un caractère bien trempé et savait déjà ce qu'elle voulait. Elle vivait seule, avec sa mère, tandis que sa grand-mère était au service d'une riche famille de blancs.

« S'il te plaît maman, encore 5 minutes ! Mama, parle moi de Marie Laveau ! »

Leur illustre ancêtre, la première de toutes, si célèbre à la Nouvelle Orléans et même dans le monde. Une femme que Caleigh admirait déjà alors que sa grand-mère lui parlait de leur ancêtre, avec passion. Elle avait de réels talents de conteuses, des talents qu'elle mettait à profit pour le fils de la famille qu'elle servait également, que Caleigh n'avait jamais vu. Sa mère avait fui ce milieu là, pas décidée à servir une famille comme au temps de l'esclavage, même si sa mère lui serinait qu'elle était juste une employée et que la couleur ne comptait pas. Finalement, sa mère obtempéra et vint s'asseoir près de sa fille et de sa mère, passant la main dans les boucles folles de Caleigh qui ne dissimula même pas son petit sourire de triomphe. Elle avait encore gagné. Les trois femmes entrèrent alors en communion en évoquant le souvenir de la célèbre Marie.



« Maman ! Maman ! »

Caleigh pleure en secouant sa mère. C'est le matin, le réveil a sonné mais sa mère ne s'est pas levée. Inquiète, l'enfant de 8 ans est allée trouver sa mère dans sa chambre et la secoue désormais en espérant la réveiller. En vain. Paniquée, la petite fille s'empare du téléphone et appelle sa grand-mère.

« Mama, c'est Cali. Maman... maman, elle se réveille pas ! »

« Caleigh, ma chérie, calme-toi, j'arrive tout de suite. »

L'enfant renifle, raccroche, retourne dans la chambre, secoue sa mère, la pince, la gifle même, sans résultats. Vingt minutes plus tard, sa grand-mère pénètre dans la maison, se précipitant vers sa fille, inquiète. Elle qui semble toujours tout contrôler... Cela inquiète d'autant plus Caleigh.

« Oh non, non, non... Milah, je t'avais dit de ne pas faire ça... »

« Faire quoi . Mama, qu'est-ce qu'il y a, pourquoi elle se réveille pas maman ? »

« Elle s'est perdue... Son esprit a voyagé et elle n'a pas su revenir... »

« Fais-le ! Fais la revenir ! »

« Je ne peux pas. »

« SI ! TU PEUX ! Tu es une prêtresse vaudou, la plus puissante, fais-le ! »

Caleigh pleure, hurle, attrape sa grand-mère et la tambourine de ses petits poings. Sa grand-mère la prend dans ses bras, une larme s'échappant de son regard.

« Chut, Caleigh, chut... Ça va aller mon ange. »

Mais non, plus rien n'irait bien maintenant. Sa mère était là, elle respirait, mais son esprit, son âme, eux, étaient loin... Jamais plus elle ne pourrait l'atteindre. Il ne restait qu'une coquille vide.



« Je vais te présenter mon ange. »

Caleigh se tait, tenant la main de sa grand-mère. Sa mère est internée. On s'occupe de son corps et voilà tout. Sa mère ne réussit pas à retrouver le chemin de son corps. Plus le temps passe, moins il y a d'espoir. L'enfant fait grise mine depuis. Elle entre dans la maison où l'attendent un couple et un adolescent. Les adultes échangent quelques paroles, des condoléances, des détails pratiques pour la suite. La dame se penche à la hauteur de Caleigh, lui souriant et lui disant qu'elle peut faire comme chez elle. La petite fille hoche la tête, une larme silencieuse coulant sur sa joue. Cela a raison des réserves de la femme qui prend la petite fille contre elle et la câline. Caleigh se raidit... Avant de se lover contre cette femme qui sent si bon.

Ici, elle va retrouver des repères, une famille d'adoption. Un père de substitution. Et un frère. Qui, a 16 ans, se fiche pas mal de cette gamine qui pleure. Connor. Connor, qui pourtant, va prendre une place de plus en plus importante dans la vie de la jeune fille. Sa grand-mère l'emmène dans sa chambre, l'aide à s'installer.

« Ils ont l'air gentil. »

« Ils le sont ma chérie. »

« Maman disait que tu jouais l'esclave pour les blancs. »

« Ta mère avait... a un avis trop tranché sur les choses. Je suis une employée, ils sont mes patrons. Et je suis bien mieux traitée ici que la plupart des employés, je te l'assure. »

Caleigh hoche la tête et récupère son nounours qu'elle serre dans ses bras. Sa nouvelle vie pouvait commencer.



Elle n'arrive pas à détacher ses yeux du trou béant où les deux cercueils sont déposés. Ses yeux la brûlent. Cela a été si subit... Deux ans après l'accident de sa mère, voilà que ce sont les parents de Connor qui meurent et le laissent orphelin. Et elle orpheline, parce que pendant ces deux années, elle s'est sentie intégrée, aimée. Elle a été choyée, gâtée. Elle s'est reconstruite. Elle, qui avait une fascination pour le vaudou, n'a plus voulu en entendre parler après ce qui est arrivé à sa mère, ne voulant pas subir le même sort. Sauf qu'elle ne peut nier sa nature et que les esprits ne la laissent pas tranquilles. La première fois qu'elle a été abordée, elle a hurlé, terrorisée, avant que sa grand-mère ne vienne la rassurer. Et lui expliquer que c'est normal, que cela fait partie de leur sang, le don qui va avec. Un don que Caleigh a refusé en bloc, essayant d'ignorer les fantômes à chaque fois qu'ils venaient. Ce qui était rare au départ, se faisait de plus en plus récurrent. Caleigh aurait aimé bloquer ce don, mais ce n'était pas facile.

Connor se tenait à côté, très droit. Il venait de perdre ses parents, à 18 ans. Si Caleigh avait été mauvaise, elle aurait pu penser que lui, au moins, avait pu profiter des siens pendant 18 ans. Pas elle. Mais elle n'était pas mesquine. Elle pleurait, sincèrement peinée par ce double décès, alors que la vie lui donnait l'impression de s'acharner sur elle. Elle n'écouta que d'uune oreille l'office du prêtre. En deux ans, elle avait apprivoisé Connor et il la considérait comme une petite sœur, la taquinant souvent, un peu bourru. Aujourd'hui, il était triste. Elle déposa une rose sur les cercueil, à la suite de Connor. Finalement, elle le rattrapa et se jeta dans ses bras, sans dire un mot, juste pour lui signifier qu'elle souffrait elle aussi, qu'elle comprenait, et qu'elle était là. Il restait Mama aussi. Cette vieille dame qui avait vu naître Connor, qui s'était occupé de lui enfant et qui demeurait à son service maintenant qu'il était un homme.



« Non, tu ne peux pas faire ça ! »

Caleigh avait fait irruption dans la chambre de Connor en fulminant. Plusieurs mois étaient passés depuis la mort de ses parents. Et voilà qu'elle apprenait qu'il voulait partir à l'armée ? Qu'il voulait l'abandonner lui aussi ? Non, elle ne voulait pas, elle avait besoin de lui !

« Connor, tu peux pas partir, risquer ta vie à la guerre... tu peux pas me laisser toi aussi ! »

« Ah Calie, t'es mignonne, mais tu n'y comprends rien, ne te mêle pas des affaires des grands crevette. »

La jeune fille se rebiffa, levant le menton, vexée de ne pas être prise au sérieux.

« S'il te plait, reste ici avec Mama et moi... »

« Non Calie, il y a trop de choses ici. »

« S'il te plait. »

« Va-t'en, je n'ai pas fini de ranger mes affaires. »

Caleigh ouvrit la bouche pour dire quelque chose... Avant de battre en retraite, blessée d'être de nouveau abandonnée. Sa grand-mère la retrouva dans sa chambre, en pleurs.

« Je ne veux pas qu'il parte ! C'est dangereux l'armée. »

« Oui, c'est dangereux, mais c'est son choix et on doit le respecter. »

« Tu es devenue folle ? »

« Non. Connor souffre, il ne le montre pas comme toi, mais il a besoin de partir pour guérir. Tu devrais comprendre et l'accepter, au lieu de le supplier et de le faire culpabiliser, rendant son départ plus difficile. »

« Je ne veux pas qu'il parte. »

Elle avait prit une moue boudeuse.

« Et pourtant, il partira, mais il sera malheureux parce que tu ne lui donnes pas ta bénédiction... Caleigh, s'il y a une chose que j'ai apprit, c'est qu'il ne faut jamais se quitter fâchés... »

« Il reviendra. »

« Oui, mais on ne sait jamais ma chérie. »

Caleigh médita longtemps ces paroles. Et finalement, elle se glissa dans la chambre de Connor la nuit venue.

« Tu vas me manquer. »

Rien de plus, mais ce fut suffisant.



« NON ! »

Caleigh se réveilla en sueur, s'asseyant d'un bond et allumant la lumière pour chasser les brumes de son cauchemar. Elle frissonna violemment en apercevant un esprit dans le coin de la pièce, qui l'observait. Elle ferma les yeux, se bouchant les oreilles en scandant :

« Laissez-moi, laissez-moi ! »

Elle avait 14 ans et si elle refusait de développer son don et d'apprendre la magie vaudou avec sa grand-mère, elle ne pouvait pas refuser de voir ou d'écouter les esprits qui pouvaient entrer en contact avec elle. Mama arriva en trombe, alertée par le hurlement de Caleigh.

« Cali, chérie, qu'est-ce qu'il y a ? »

L'adolescente leva le visage vers celui, familier et réconfortant de sa grand-mère.

« J'ai... j'ai fait un cauchemar... C'était... Connor. »

Elle s'humecta les lèvres, encore tremblante de peur. Elle avait rêvé qu'il était prit dans une embuscade et qu'il y avait été mortellement blessé, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Une peur glacée lui étreignait encore le cœur.

« Ma chérie, il va bien. Ce n'était qu'un cauchemar, né de tes peurs les plus profondes. »

« Je sais, mais cela m'a semblé si réel... J'ai peur pour lui. Tout le temps. »

Sa grand-mère lui caressa les cheveux avec tendresse, un doux sourire sur son visage de sage.

« Et je vois de plus en plus d'esprits... J'essaie de les ignorer, mais... »

« Tu dois apprendre à contrôler cela Caleigh. Et à apprivoiser la magie qui coule dans tes veines. »

« Non. »

« Caleigh... »

Mama soupira. Elles avaient déjà eu cette conversation.

« Ignorer cela ne fera que te confronter à la peur. On n'a pas peur de ce qu'on maîtrise. Le vaudou n'est pas une religion malfaisante. Ni bienfaisante. Tout dépend de l'usage que l'on en fait. Suis-je une vilaine sorcière ? »

« Non, bien sûr que non, mais ce qui est arrivé à maman... »

« T'arrivera aussi, plus sûrement encore si tu n'apprends rien. »

La jeune fille ne dit rien, tournant la tête et signifiant ainsi que la conversation était close. Mama se retint de soupirer une seconde fois, embrassa Caleigh et retourna se coucher, inquiète pour cette jeune fille obstinée.



« Eh sale négresse, t'as rien à foutre ici ! »

Caleigh se figea devant l'insulte. Ce n'était pas la première fois qu'elle était confrontée au racisme, mais cela lui faisait toujours mal. Mais cette fois, au delà des insultes, son instinct lui hurlait de s'enfuir. Ils étaient trois jeunes, d'une vingtaine d'années. Elle en avait 15. Elle serra son sac contre elle, se forçant à ne pas reculer pour camoufler sa peur grandissante.

« Regarde-moi cette pute qui se trémousse en jupe. »

La jeune fille sentit son cœur battre dans sa poitrine à toute allure. Vive comme un serpent, elle fit demi tour et se mit à courir, comme si sa vie en dépendait et ce n'était peut-être pas une image. Malheureusement, elle ne courait pas assez vite et fut rattrapée par l'un des garçons qui la fit tomber lourdement à terre.

« Eh ben alors, notre compagnie te plaît pas négresse ? »

« Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! »

Elle se débattit, arracha les cheveux de l'homme, le griffa, mais ne récolta qu'une gifle qui la sonna. Pourtant, elle continua à hurler.

« Au secours, à l'aide ! »

Nouvelle gifle. Personne ne viendrait à son secours... Pas quelqu'un de vivant en tous les cas. En revanche, un esprit se matérialisa non loin de là, attirant l'attention des trois types.

« Dégage ! »

C'était une femme. Elle ne dit rien et s'approcha. Cela ne plut pas aux agresseurs et l'un d'eux approcha pour la saisir et fut stupéfait de passer à travers.

« Putain de merde ! »

Il recula, blême de peur et ses compagnons se figèrent.

« Un fantôme ! »

Caleigh sentit la pression du poids de son assaillant disparaître et resta ainsi, alors qu'ils s'enfuyaient à toutes jambes. Elle se redressa en pleurant silencieusement, récupérant son sac alors que l'esprit de la femme la regardait tristement.

« Je... Merci. »

L'esprit disparut.

En rentrant ce soir là, Caleigh alla trouver sa grand-mère, et lui demanda de lui enseigner son savoir, avec une détermination qui alarma la vieille dame. L'adolescente refusa de lui avouer ce qui avait motivé ce choix subit, se contentant de biaiser. Mais dans son cœur brûlait la soif de vengeance. Ces trois garçons ne s'en sortiraient pas si facilement. Méthodique, Caleigh conserva ses affaires, les cheveux arrachés. Elle savait ce que pouvait faire le vaudou et elle avait bien l'intention de ne pas laisser cette agression impunie.



« Connor, attends ! »

La jeune fille de 17 ans dévala les escaliers pour rejoindre Connor, habillé en treillis, déjà prêt à repartir. Cette permission a été trop courte, beaucoup trop, et Caleigh n'a pas pu profiter autant qu'elle le voudrait de son frère d'adoption. Mais pouvait-elle vraiment le considérer comme tel alors qu'elle se surprenait à nourrir des pensées peu chastes pour lui ? Connor avait toujours eu une place particulière dans son cœur et plus elle grandissait, plus elle le voyait autrement que comme un frère ou un ami. Il était séduisant et, pour l'avoir croisé torse nu et avoir manqué d'air, elle pouvait avouer qu'il ne la laissait absolument pas indifférente... Le soucis était que lui, il ne la voyait que comme une gamine, pas une femme... Elle avait décidé d'en prendre son parti, se disant qu'elle ne connaissait rien à l'amour et qu'elle s'embrouillait toute seule.

Cela faisait deux ans qu'elle apprenait à maîtriser ses dons de medium et le vaudou auprès de sa grand-mère. Mama disait qu'elle était vraiment douée. Assez pour parvenir à jeter une sort sur l'un de ses agresseurs... Assez pour associer ses cheveux avec une poupée et se venger ainsi de lui, avec une absence de remords presque terrifiante. Il n'était pas mort, bien sûr, elle n'avait pas l'intention de tuer, mais il avait souffert de divers maux que la médecine ne pouvait pas soigner. Il n'était qu'une poupée entre ses mains vengeresses. Il ne saurait jamais qu'il s'en était prit à une victime qui avait décidé de riposter, mais Caleigh était satisfaite.

Mais elle savait aussi protéger. Du moins, elle essayait. Patiemment, elle avait confectionné une amulette de protection pour Connor, y mettant tout son talent, tout son amour. C'était sa première, pas totalement parfaite. Elle allait la lui offrir.

« Tiens, c'est pour toi. »

Elle tendit la main, lui révélant l'amulette. Elle vit du scepticisme dans le visage de Connor et de l'amusement.

« Je crois pas à ces choses là gamine. »

Elle réprima un mouvement d'impatience, mais claque la langue, agacée.

« Ce n'est pas une histoire d'y croire ou non, Connor ! Comment peux-tu être si obtus en ayant été élevé par Mama ? Comment peux-tu nier ce genre de choses ? »

Mais Caleigh ne savait rien du quotidien d'un soldat, des défenses que Connor avaient mis en place pour survivre à l'enfer parfois.

« S'il te plaît... Cela ne t'engage à rien. Porte là, elle te protègera. Fais-le pour moi. »

La jeune fille lui fit un sourire attendrissant et des yeux suppliants, si bien que Connor marmonna avant de se saisir du présent et de le passer autour de son cou.

« Si ça peut te faire plaisir. »

Caleigh sourit. Même si Connor n'y croyait pas, elle, elle serait un peu plus rassurée.



Caleigh était encore toute retournée. Mais grands dieux, qu'est-ce qui lui avait prit d'aller voir Connor sous la douche ? Oh, elle avait fait genre qu'elle n'avait pas fait attention qu'il était là. Même si elle se demandait s'il était dupe de son petit numéro d'actrice... Il ne repartirait plus. Il n'était plus dans l'armée. Maintenant, il allait reprendre ses droits sur le domaine, sa place à la Nouvelle-Orléans, après avoir fui pendant presque 10 ans. Caleigh n'était plus un adolescente, elle était devenue une femme de 22 ans... Et malheureusement, ses sentiments pour Connor ne s'étaient pas amoindris avec le temps, bien au contraire. Elle avait eu des petits amis, mais cela ne l'avait jamais vraiment fait vibrer. Alors qu'il suffisait que Connor la regarde pour qu'elle se sente fondre.

Et lui, il n'en savait rien.

Poussée par la curiosité et l'envie de provoquer quelque chose, elle s'était introduite dans la salle de bain, attendant pile le moment où Connor sortait de la douche pour tomber nez à nez avec lui. Et même si ce fut fugitif, elle n'en loupa pas une miette, impressionnée par ce corps d'athlète. Un corps façonné par et pour la guerre. Un délice. Elle avait rougi, avant de bafouiller et de battre en retraite, refermant la porte et s'y adossant une minute, le cœur battant, mais un sourire aux lèvres. C'était décidé, elle allait conquérir Connor, par n'importe quel moyen. Il fallait qu'il la voit comme une femme. Plus comme une enfant. C'était primordial. Et si cela ne marchait pas...

Caleigh soupira. Elle apprenait le vaudou depuis 7 ans maintenant. Une activité qu'elle gardait secrète bien sûr, même Connor ignorait l'ampleur de cet apprentissage. Si elle lui avait parlé des morts qu'elle voyait il y a quelques années, elle n'en soufflait plus un mot désormais, essayant de paraître... normale. Elle bossait à la bibliothèque, parallèlement à ses études d'histoire. Et dans ses heures creuses, les heures sombres de la nuit, elle apprenait de Mama et découvrait la puissance qui pouvait être la sienne.

Dés qu'elle ouvrit les yeux, elle sut qu'elle n'était plus vraiment là... Elle frissonna alors qu'autour d'elle, s'étendait un paysage brumeux. Elle avait l'impression d'être dans du coton et elle ne connaissait que trop bien cette sensation. Son corps était assoupi dans son lit... Son esprit, son âme même, avaient voyagé et elle se retrouvait dans l'au delà. Un voyage qu'elle avait pratiqué pour la première fois il y a quelques années et qui l'avait terrifiée. En plus, ce n'était pas comme si sa mère avait eu le même don, les mêmes facilités et s'était perdue un jour. La jeune femme gardait profondément ancré en elle le souvenir de ce matin où sa mère n'avait jamais rouvert les yeux. Elle était jeune à l'époque, mais elle avait compris que quelque chose clochait... Et elle s'était retrouvée orpheline. Sa mère n'était pas morte, son esprit était quelque part, ailleurs, trop loin. Et son corps restait là, inerte, mais son cœur battant toujours... Un légume en quelques sortes. Une situation épouvantable pour Caleigh.

La jeune femme regarda autour d'elle. Elle était plus à l'aise dans ce monde, moins paniquée, même si croiser des fantômes restait assez... étrange. Elle les voyait quand elle était éveillée, parfois du coin de l’œil, parfois venant la solliciter. Elle avait voulu étouffer ce don, en vain. Elle était née avec et devait l'apprivoiser, voilà tout. Mais ici, c'était différent, elle n'avait aucun pouvoir, elle était une intruse...

Caleigh avança, se frictionnant les bras, peu rassurée néanmoins. Depuis qu'elle voyageait elle essayait d'appeler sa mère, espérant qu'elle l'entende et revienne, même si les espoirs s'amenuisaient au fil du temps. Mama ne lui en laissait aucun d'ailleurs, mais au fond de Caleigh, il demeurait une petite fille qui avait besoin de sa maman... Même si sa grand-mère s'était très bien occupée d'elle, même si les parents de Connor avaient joué le rôle de parents... un rôle trop éphémère avant que la mort ne les ravisse eux aussi... Et que cela n'arrache Connor à Caleigh. Elle l'avait supplié... En vain.

La demoiselle sursauta alors qu'une main se posait sur son épaule et qu'elle faisait volte face pour se retrouver nez à nez avec Curtis, l'ami de Connor. Elle recula vivement, étouffant un cri derrière sa main. Oh non... Si Curtis était là...

« Connor ! »

Le fantôme la regarda, un peu perdu, mais avec une ombre de sourire. C'était étrange... C'était Curtis, mais plus tout à fait en même temps.

« Ah non, c'est Curtis ma belle. »

« Qu'est-ce... Qu'est-ce que tu fais là ? »

La voix de Caleigh était un espèce de murmure horrifié, mélangé à un couinement. Curtis sembla réfléchir à la question, avant que son regard ne devienne vague alors qu'il regardait sa main.

« Il y a eu un attentat... J'étais avec Connor, je me suis jeté sur lui et après... le trou noir. J'suis où ? Je m'rappelle pas avoir été rapatrié... C'est bizarre ici. »

« Tu... Tu n'as pas survécu. »

« Ah... Surement... J'le savais en fait. Merde, j'voulais pas crever comme ça... »

« Et Connor ? »

« Tu sais, je t'ai toujours trouvé jolie. Bonne en fait. Connor a pas aimé, il m'a collé son poing dans la gueule. »

Caleigh avait l'impression de le perdre. Le fantôme avait la mémoire qui s'embrouillait.

« Curtis, concentre-toi, où est Connor ? Tu l'as vu ici ? »

Pitié non... Tout mais pas ça... Il devait survivre, elle lui avait fabriqué une amulette pour le protéger.

« Non, je l'ai pas vu... »

Caleigh se mordit la lèvre, osant espérer qu'il ai survécu. Elle s'éloigna de Curtis, appelant Connor, sans le trouver.

Et elle se réveilla, en sueur, tremblante. Elle se leva aussitôt, courant jusqu'à la chambre de sa grand-mère pour la réveiller, faisant peur à la vieille dame.

« Mama, mama ! »

« Quoi, Caleigh, qu'est-ce qu'il y a ? »

« Curtis est mort, je l'ai vu cette nuit ! »

La prêtresse ne dit rien, comprenant ce que voulait dire sa petite fille.

« Qu'a-t-il dit ? »

« Il y a eu un attentat, il a protégé Connor de son corps et il en est mort. Pour Connor, je ne sais pas... il faut se renseigner ! »

La pauvre était paniquée. Sa grand-mère la prit dans ses bras, comme quand elle était enfant et lui chuchota quelques paroles réconfortantes pour l'apaiser.

Plus tard, les deux femmes apprendraient que Connor avait juste été blessé, mais que cela risquait de compromettre sa carrière dans l'armée, ce qui n'était pas pour déplaire à Caleigh qui tenait trop à lui pour revivre un jour cette angoisse... Et surtout sa mort.