Qui es-tu ? Parfois, tu l'oublies toi-même. Alors tu le répète, inlassablement, tel un mantra un peu curieux. Adam Crossfire. Tu t'appelles Adam Crossfire. Pas Haeden. Tu avais un chiot, lorsque tu étais gamin. Spottie. Un Jack Russel Terrier. Tu te remémore le chiot qui mordillait les tapis. Ton père qui le grondait. Tu te concentre sur ces détails insignifiants que cet être n'a pas pu entâcher. La pelouse si verte. Le ciel si bleu. Tu te souviens du cerf-volant en forme de poisson, nageant sur les vagues aériennes. Tu te souviens de ton enfance. Ton père qui passait son temps à te punir, toi aussi. Parce que tu n'étais pas assez sage. Parce que tu n'apprenais pas assez vite. C'est lui qui t'a inculqué ce respect des lois, des règles.

On pourrait donc croire que c'est pour cela que tu as fait tes études de droits. Mais non. Ta mère, Rosemary. Tu avais dix-sept ans lorsqu'elle fut assassinée. En fait, c'était un accident. De la négligeance. Un chauffard éméché. Quel horreur pour toi quand cet homme s'en est sorti avec une simple amende. Quelques mois plus tard, tu t'en souviens, il s'était tué dans un nouvel accident, ayant encore une fois bû. Tu t'étais alors promis de faire en sorte que les coupables ne puissent plus jamais reproduire leurs crimes.

Trois ans plus tard. Sarah. Ton premier amour. Le premier vrai. Elle faisait battre ton cœur, te faisait perdre la tête. Au point où tu n'as simplement rien vu. Elle allait en voir bien d'autres en plus de toi. Elle n'en avait jamais assez. Bien entendu, elle t'a brisé le cœur. Et ça, il s'en est servi. Oh non, penses à autre chose qu'à ce démon, Adam. Souviens-toi. Qu'y a-t-il eu après Sarah ? Le diplôme. Le premier job. Ton propre cabinet. Ta réputation qui gonflait. Tout le monde à travers Londres te connaissait. Si tu défendais quelqu'un, tout le monde savait d'avance qu'il était innocent. Ta propre petite maison. Puis le cauchemar.

Ça a commencé par des objets qui changeaient de place et des marques qui apparaissaient sur ton corps. Des marques en forme de mains. Des morsures. Tu avais cet adorable berger allemand, Rexie. Tu le trouvas, un soir, pendu dans ta douche, le ventre ouvert. Son sang gouttait lentement et chaque "ploc" te donnait l'impression de compter une seconde écoulée, une seconde de moins avant que ce ne soit ton tour. Tu étais persuadé que c'était quelqu'un qui te harcelait, quelqu'un que tu avais refusé de défendre ou simplement un malade mental. Jusqu'au soir suivant. Sarah t'attendait dans ton lit. Sauf que tu étais allé à ses funérailles l'année précédente. Elle était morte. En t'enfermant dans ta salle de bain pour fuir ce mirage, tu croisa ton reflet dans la glace. Deux regards, l'un hagard, l'autre moqueur. Un sourire sadique. Il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. C'est à ce moment-là que tu as commencé à chercher des spécialistes. Mais la charlatante sur laquelle tu es tombé n'a fait qu'empirer la situation. Il est devenu plus agressif. Une nuit, tu te réveillas en sentant une poigne de fer autour de ta gorge. Tu ne pouvais plus respirer. Il te libéra au dernier instant, alors que tu allais sombrer dans l'inconscience. Alors tu ne pu plus dormir. Sitôt que tu fermais les yeux, tu sentais ses doigts effleurer ton cou. Il t'épuisa, t'harcela, jusqu'à ce que tu réalise que, non seulement tu n'avais aucun espoir de t'en sortir, mais tu avais aussi hâte qu'il en finisse, pour mettre fin à ta torture.

Ce qu'il fit peu de temps après. Tu fus repoussé dand les tréfonds de ton corps, presque inconscient. Lorsque tu repris tes esprits, Haeden avait déjà quitté l'Angleterre. Vous étiez aux États-Unis. Ce démon était incapable de ne pas tuer, il aimait bien trop cela. Mais le pire était, pour toi, qu'il jouait avec ses victimes comle un chat particulièrement cruel. Tu assistas à tout cela, impuissant, sans force, ni volonté. Ressassant encore et encore tes souvenirs. Comle tu le fais maintenant. Puis il y eu Belaam. Haeden aimait le chaos, la mort, c'était tout ce qu'il attendait de sa non-vie. Belaam était pour lui une façon d'avoir encore plus de tout cela, sans plus avoir à craindre l'Association. Haeden n'était pas particulièrement fidèle, c'était plutôt le genre solitaire. Il évitait normalement les autres esprits. Il aimait sa tranquilité. Mais le rêve que Belaam faisait miroité était suffisant pour le faire changer provisoirement d'avis. Vous vous rendites donc en Nouvelle-Orléan. Et toi, tu tremble à l'idée de ce qu'Haeden serait capable de faire, allié à un esprit comme Belaam.

Tu vois, je te l'avais dit. Tu devais te concentrer sur les jolis souvenirs, sur Spottie et le cerf-volant. Là, ferme les yeux. Vois le chiot qui court vers toi, tout heureux. Laisse toi bercer par la chanson que chantonne Haeden en dépeçant cette enfant. Laisse-toi bercer par sa voix. Par ma voix.

Je me demande, Adam, peux tu sentir cela ? L'odeur salée de l'océan, celle visqueuse des poissons et le relent dégoûtant de la pollution. Quel doux parfum. Peux-tu sentir le vent froid qui plaque mon manteau contre notre corps ? Peux-tu voir tous ces bateaux amarrés au port pour la nuit, les drapeaux qui claquent, la lune qui disparait derrière les nuages, la jeune femme à mes pieds, en larme ? Bien sûr que tu peux, mais y porte-tu attention ? C'est amusant cette habitude que tu as de t'enfermer dans ton passé, te coupant de tout. Amusant et pratique, je n'ai même pas à me soucier de toi. Quel homme pitoyable tu fais.
" Chuuuuut, ma belle, tu ne voudrais pas que je t'arraches la langue pour t'empêcher de crier, hm ?"
J'adore ce moment où ils hurlent, pas de douleur, mais de terreur. Pas toi ? C'est tellement facile. Il me suffit de lire ses pensées, de trouve sa peur la plus profonde. Et d'en user. Comme j'ai fait avec toi, mon petit Adam. C'est simple de créer une illusion, de lui donner la forme que je veux. Comme pour cette grosse araignée qui se promène allègrement sur le corps de la femme attachée, directement vers son visage, vers sa bouche. Elle pousse un nouveau hurlement - si doux, si beau ! - et l'araignée en profite pour s'engouffrer dans sa bouche.
" Je t'avais dit de ne pas crier pourtant "
Elle gémit, incapable de crier cette fois, alors que l'arachnide descend dans sa gorge. Puis elle cri encore. Bon, je ne sais pas pour toi, mais cela devient lassant et je dois m'installer dans cette ville. J'ai beaucoup à faire. La fille hurle d'épouvante en voyant son ventre bouger, comme si des dizaines d'araignées y bougeaient. D'un vif mouvement de poignet, je lui ouvre le ventre, comme j'ai fait avec ton chien Adam, tu te souviens ? Je maintiens l'illusion le temps qu'elle meurt, des bestioles sortant de la blessure béante et dévorant sa peau. Je me redresse et regarde autours de moi.
Bienvenue à la Nouvelle-Orléan. Je sens qu'on va bien s'amuser.