Avec un sourire modeste, Valerie baissa la tête pour accepter le compliment qu’on lui venait de lui faire sur sa soirée et tendit son manteau à la quinquagénaire. Être patiente et prêter l’oreille à ce qui disaient les clients étaient essentiels pour pouvoir continuer à les garder dans son carnet d’adresse et maintenant qu’elle l’avait, la brune ne comptait pas aussi facilement faire une croix dessus. Toutes ces bonnes femmes payaient des sommes assez élevées pour venir aux soirées qu’elle organisait, alors autant dire qu’elles attendaient une attention particulière à leur cas à chaque fois, et vu que c’était grâce à elles que la fausse voyante pouvait payer ses factures en tout genre à la fin du mois, Valerie était prête à les écouter des heures.

Ceci dit, elle devait impérativement faire attention à ce qu’elle disait ou ce qu’elle faisait pendant les rares soirées de spiritisme qu’elle organisait car la concurrence commençant à monter et se faire dure. Seuls quelques uns sauraient se démarquer et continuer à vivre de ce qu’ils faisaient. Son regard bleu se tourna vers son associée de la soirée, Darlene, l’exemple parfait de femme dont elle aurait du se méfier si elle n’avait pas trouvé en elle une parfaite associée. La jeune femme vivait des soirées qu’elle organisait mais Valerie pouvait parfaitement s’en sortir en restant simplement sur le marché des séances de tarot, boule de cristal et chiromancie. Ses soirées n’étaient qu’un petit bonus pour ses bénéfices à la fin du mois, elle pouvait parfaitement s’en passer si jamais… L’avantage de faire front commun avec miss Daniels, c’était qu’elles pouvaient s’entraider à travailler toutes les deux mains dans la main, d’autant qu’elle en savait autant d’elle sur le sujet des mises en scène, un vrai plaisir de discuter avec cette fille. Le plus amusant à connaître — du moins de son point de vue, elle n’était pas certaine que ses clientes auraient trouvé la chose aussi drôle — c’était surtout qu’elle non plus ne croyait pas aux esprits et faisait uniquement cela pour l’argent. Comme quoi elle n’était pas la seule à avoir vu un secteur à exploiter dans la crédulité des bonnes gens et des touristes de la Nouvelle Orléans, qui se faisaient d’ailleurs, pour son plus grand bonheur, de plus en plus présent dans la ville, cherchant le frisson et l’occulte.

« Et surtout, rentrez bien ! Bonne soirée ! »

Souhaita t-elle sur le pas de la porte en agitant la main avec un sourire purement commercial. Avant de calmement refermer la porte et de s’approcher de la table pour commencer à débarrasser maintenant que sa dernière cliente était partie. Elle rassembla ses assiettes en une pile bien nette avant de se retourner vers Darlene avec un sourire satisfait. Toutes les deux allaient pouvoir repartir les poches un peu plus pleines que lorsqu’elles étaient arrivées mais ce n’était pas ça le plus important. L’important, c’était le jeu et l’esprit. Valerie adorait raconter n’importe quoi et voir ses clients et clientes s’agiter comme des fourmis dérangées dans leur travail, essayant de trouver un sens ou d’interpréter ce qu’elle disait pour pouvoir le coller à leur propre vie. Un nom, une lettre, un message bien choisi et c’était la Tante Margaret qui revenait de l’au-delà pour les prévenir d’un héritage caché au grenier. C’était passionnant à étudier.

Et puis on ne parlait même pas des petits effets, du oui-jà qui bougeait tout seul, de la fenêtre qui claquait, la bougie qui s’éteignait… là, on révélait les grands talents à récompenser pour les Oscars de l’année. Son associé de toujours avait un peu de mal avec le fait de se moquer des clients, même sans aller dans la moquerie, c’était bien d’avoir quelqu’un avec qui partager ses impressions. Valerie s’appuya sur la table en regardant la jeune femme, les bras croisés sur sa poitrine.

« Tu t’es amusée ce soir ? »

Demanda t-elle avec un petit sourire en coin.

Tes doigts remontèrent le long de ton cou, redressant alors quelques mèches folles pour les attacher. Un peu de maquillage, quelques paillettes pour envoûter, et la préparation était terminée. Ce n'était pas une partie de plaisir, de te bourrer la face de lotions en tout genre, mais c'était le prix à payer pour rentrer dans les stéréotypes d'une voyante passionnée. Il fallait que tu brilles, étincelle comme les esprits le feraient, du moins, dans un idéal commun.

Cette histoire durait depuis plus d'un an déjà, et tu avais appris à mener ton petit commerce en solitaire. Pourtant, lors d'un meeting pour spirituels, tu avais fait sa rencontre. Valérie était une de ces femmes charismatiques qui se démarquaient, qu'on repérait toujours de loin. Elle n'avait aucun problème à attirer la clientèle, et répondait avec aisances à leurs demandes. Un atout qui avait aiguisé en toi une pointe de curiosité. La première fois que tu te rendis chez elle, donc, ce fut en temps que cliente, cachant en réalité une espionne en quête d'astuce.

Peut-être était-elle réellement voyante, qui sait ? Car dès ce jour, le premier, tu fus démasquée.
Mais au lieu de te renvoyer dans tes jardins, elle avait rit, d'un rire franc et amusé. Depuis, elle était un peu ton mentor et ta camarade de thé. Vous avez toujours quelque chose à vous dire, toujours des remarques en tête. Des esprits pertinents et motivés.

- Mmmh, plûtôt oui. Pas mal le coup de l'héritage dans le grenier.. J'aurais bien aimé qu'elle nous le donne en guise de remerciement mais bon...

L'avantage avec Valérie, c'était que tu n'avais rien à lui cacher. Elle te savait vénale au possible, mais elle ne te jugeait pas pour ça. Au contraire même, elle t'aidait à rentabiliser ton petit marché quand parfois tu avais du mal. Ca lui arrivait même de t'envoyer des clientes des fois.

- Et les bougies, impressionnant !

Ton visage se rua de droite à gauche, comme à la recherche de quelque chose

- C'est quoi le truc ? Un petit ventilateur caché ? Automatique ? Un retardateur ? Ou alors peut-être qu'il s'active quand tu prononces un mot spécial. J'avais vu quelque chose comme ça sur internet.. mais trop cher pour moi, et mon pauvre niveau en technologie ne me permet pas de recréer ce petit système.... Ah..

Tes yeux s'envolèrent vers le plafond, rêveurs. L'avantage de ce « métier à temps partiel », c'était qu'il tournait toujours, il n'y avait jamais de pause, de stagnation. Les modes, les tendances, il fallait être à l'écoute de tout, et s'en servir comme arme pour percer.

A sa remarque, Valerie ne put s’empêcher d’éclater doucement de rire en hochant de la tête simplement pour montrer qu’elle était d’accord avec Darlene. Même si elle s’en sortait honorablement avec son affaire et les petites soirées comme celle-ci e temps à autre pour ajouter un peu d’argent sur son compte en fin de mois, l’argent appelait à l’argent et la brune aussi aurait été ravie d’avoir un peu plus d’argent à se mettre dans les poches. Ce ne serait certainement pas la jeune femme qui allait lui reprocher cela, bien au contraire même puisqu’elle était carrément à l’origine du commentaire.

« Avec un peu de chance, on finira par en toucher un bout si elle décide de revenir. »

Mais leurs honoraires étaient la seule et unique façon qu’elles pourraient avoir venant de cet argent, si Valerie et son détective privé ne s’étaient pas trompés et avaient bien fait d’interpréter la disparition du marché des bijoux d’une des aïeules de sa cliente comme un pied de nez aux agents de impôts de l’époque, enfin, vu ce que Salomé avait vu dans le fameux grenier, il y aurait bel et bien quelque chose de valeur à dénicher là-dedans. Ce n’était qu’une question de logique.

Valerie abandonna son débarrassage de table pour attraper la bouteille de champagne qui traînait sur la table et s’en verser un fond dans sa coupe de la soirée. La question de son associée sur les bougies qui s’éteignaient comme éteintes par le souffle des esprits la fit sourire aussi. Elle avait tant de choses à apprendre.

« Oh ça ? Un simple détournement d’attention. Il suffit d’une grande agitation et d’un allié zêlé caché dans le groupe.»

Dit-elle en levant sa coupe de champagne à son associé Esme, pendu au téléphone sur la terrasse mais qui l’aperçu et leva sa coupe en guise de réponse avant de reprendre le fil de sa conversation comme si de rien n’était. La brune se retourna vers Darlene en croisant les bras pour s’expliquer.

« Jusqu’ici, ça a toujours marché. Tu fais des grands mouvements, tu deviens plus bruyante ou tu prévois une distraction pour attirer toute l’attention sur toi et pendant ce temps-là, quelqu’un d’autre souffle la bougie pour toi. Avant j’utilisais un ventilateur mais les gens ont tendance à être moins crédules quand ils sont entourés de ventilateurs ou de tout appareil qui pourrait servir d’excuse. »

Elle désigna la pièce de la main, élégamment mais sobrement décorée, n’offrant aucun recoin, aucune zone d’ombre où aurait pu se cacher diverses machines et mécanismes cachés. Juste quelques tableaux, des gravures, quelques objets occultes posés sur les commodes, rien de trop kitsch, rien qui ne laisse penser qu’elle prenait ses clients pour des pigeons.

« La recette, c’est d’en faire le moins possible.»

Conclut-elle simplement.