Alastair n'en n'avait pas cru ses yeux quand il avait vu quelques jours auparavant une brunette s'introduire dans la demeure de ce vieux riche. Le mauvais esprit savait pertinemment que ce tableau, qui représentait une séance de polo faite par un groupe de femmes, se trouvait chez cet vieil homme. Ce tableau avait été celui de Rebecca et à sa mort, sa famille avait pris soin de tout vendre, comme pour effacer sa présence impure dans leur maison de riche. Après tout, la famille de Rebecca avait détesté dès le début Alastair. Lui et son rang inférieur, lui et sa passion des chevaux mais aussi des femmes. Il l'avait donc regardée, cette humaine, décrocher le tableau et se tirer avec. Le Dibbouk s'était mis aussitôt à la suivre, l'observer dans ces habitudes de petite voleuse. Il la hanterait pour lui faire payer son pêché. Une femme de son rang n'avait aucun droit d'avoir un tel tableau qui valait en réalité une fortune. Furfur s'était mis à la suivre ce jour-là dans un bar. Il avait bien vu qu'elle avait pris le tableau avec elle et à moins qu'elle change de logement, cette brune allait vendre ce bien.

Une chose que le mauvais esprit ne laisserait jamais faire. Alors peut-être bien qu'elle buvait du whisky – ce qui la rendait intéressante du coup - mais il était bien décidé à ne pas se laisser faire. Un sourire mauvais sur le visage, d'une poussée d'énergie il se rendit visible, s'installa non loin d'elle et demanda lui aussi un whisky. Il resserra sa main autour de son verre sans rien faire, attendant patiemment que cela vienne. Son regard bleu clair s'assombrit à mesure qu'il s'imaginait lui faire du mal. Quand elle se leva pour partir, il attendit quelques instant pour se rendre invisible et la suivre en grimpant dans sa voiture. Du bout du doigt, Alastair caressa la toile qui était cachée. Sale garce d'humaine, il lui ferait payer. Il ne savait pas son prénom et il n'en n'avait pas besoin pour ce qu'il comptait faire. Oh il aurait pu mieux chercher et donc le savoir mais franchement, vu son plan il s'en moquait. Elle pourrait s'appeler Gertrude que cela serait le même effet pour le Dibbouk à dire vrai. Un reniflement de dédain lui échappa quand il vit la femme garer sa voiture devant l'hôtel des ventes et qu'elle emporta la toile.

Alastair la suivit pour savoir principalement où était le tableau compte tenu du fait qu'il récupérait son joyaux. Il ne pouvait en aller autrement, jamais il ne renoncerait à son tableau, c'était vite vue pour lui. Il devait l'aborder avant la vente pour lui faire peur, sinon, il emploierait la force. Alastair se rendit encore une fois visible, ce petit jeu risquait de lui coûter terriblement cher s'il continuait ce genre de connerie. Il s'installa à côté de la brune, l'air de rien et tourna la tête vers la fameuse femme quand elle l'interrogea. Plus facile que Furfur ne le penserait, si en prime elle s'adressait à lui ! Le mauvais esprit savait très bien quelle allure il avait. Celle du palefrenier, sa dernière tenue avant de se faire pendre. Le visage mal-rasé, un air canaille avec son pantalon usé, sa chemise foncée aux manches relevées et enfin, ses bottes d'équitation usées et en véritable cuir. Il n'y avait que ses yeux d'un bleu profond qui pouvaient convaincre les filles qu'il avait un charme fou, si on aimait ce genre bien entendu.

« Le numéro quarante-deux vous dites ? Et ben à votre place j'irais me boire un verre ! Vous allez devoir attendre. »

Il fit un sourire charmeur. C'était ainsi qu'Alastair, en règle générale, coinçait ses proies, avec un sourire et jamais autrement.

« Sérieusement, tout dépend si quelqu'un s'acharne sur la vente. Vous allez vendre quoi de beau ma petite dame ? »

Il avait cet accent particulier qui rappelait l'accent irlandais, son pays natal mais avec une pointe de ce qui était aujourd'hui, l'accent américain. Alastair était arrivé à la Nouvelle-Orléans avec les premiers colons. Bien entendu, au fil des siècles, il avait bien dû tendre l'oreille et adapter son langage aux jeunes d'aujourd'hui sinon il se serait vite dévoilé. Jeune, dans cette époque où tout était jeunisme, trente ans n'était rien alors qu'à son époque, il était considéré comme vieux. Mais parce qu'à son époque, à quarante ans vous étiez dans une tombe et fin de l'histoire. Son regard s'attarda sur la silhouette de sa voleuse. Il devait l'isoler, coûte que coûte et dès qu'elle serait seule avec lui, il lui apprendrait quelques règles de cette ville. Ici, il ne fallait pas voler un vieil esprit sinon, cela vous retombait sur le museau, forcément.

Faire face à sa voleuse faisait grimper son adrénaline. Alastair avait envie de l'attraper vite fait et de l'assommer violemment. Il devait prendre sur lui, de toute manière, il ne pouvait pas l'attaquer ainsi, c'était tout simplement impossible. L'humaine en face de lui ne semblait pas avoir de morale. Elle était tranquille, comme n'importe quelle personne au monde. Sa haine grandit à mesure qu'il l'entendait jacasser comme une dinde. Il n'avait pas l'habitude qu'une femme offre un verre, à son époque c'était l'inverse. Mais cette époque-ci était différente, les gens étaient vraiment différents, bien plus qu'on n'aurait pu le penser. C'était le monde à l'envers selon lui, mais enfin. Un léger sourire aux lèvres, il lâcha quelques mots.

« Vous avez gagné au loto pour inviter le premier inconnu venu ? »

Non pas qu'il dise non, même s'il ne pouvait pas descendre l'alcool. Le liquide lui passerait à travers. Pour un alcoolique, c'était la pire des punitions, ne plus pouvoir boire. Mais par chance, il ne ressentait pas l'effet de manque du fait de l'alcool. C'était un peu comme si son corps avait été purgé de toutes les drogues, sauf la soif de sang, bien entendu cela aurait été trop beau sinon. Alastair eut envie de tordre son cou en la voyant sourire en parlant du tableau, du tableau de Rebecca. A cette pensée, il crut sentir le parfum suave de sa compagne, voir sa chevelure de feu parcourir son corps, sentir son souffle chaud contre son oreille. Le mauvais esprit la regarda mettre le billet dans sa poche. S'il le prenait, alors cela voulait-il dire qu'elle ne pourrait plus prouver qu'elle était la « détentrice » du tableau ? Il ne savait pas trop. Le Dibbouk se leva et logea ses mains dans ses poches tout en la suivant en direction du bar. Il ne marchait pas très vite, traînant volontairement la patte.

Il faisait jour et donc, pour attaquer, ce n'était pas du tout l'idéal mais tant pis au fond. Il écouta sa question, se demandant s'il devait dévoiler son jeu de suite. Soudainement, Furfur s'arrêta et releva son regard bleu clair sur elle. Il était d'humeur particulièrement joueuse aujourd'hui et il comptait bien s'y mettre.

« Je viens regarder les tableaux qui se vendent. »

Il ne la lâcha pas du regard, comme le fait qu'il ne bougeait plus. Lentement, il retira ses mains de ses poches et pencha la tête de côté de manière presque féline. Son regard bleu ciel brillait d'une lueur étrange, une lueur de haine. Il cachait encore sa haine sous son masque mais c'était de plus en plus difficile. C'était comme un feu qui refusait de s'éteindre et qui vibrait au creux de ses reins, tout simplement.

« En faite je vous avoue, votre tableau m'intéresse vraiment. »

Il s'appuya contre un mur, l'air de rien. Finalement ce verre, il ne l'intéressait pas. Il préférait rester dans cette ruelle de passage à tenter de capter l'attention d'une femme qui en avait probablement rien à fiche de lui. Mais c'était là tout l'intérêt. C'était que lui en avait quelque chose à cirer. Alastair se demandait si la femme en face lui allait sentir le piège. Qu'elle allait comprendre qu'il avait compris que c'était une voleuse. Principalement car il l'avait vue à l'attaque. Pourquoi ne l'avait-il pas arrêtée durant le vol ? Peut-être parce que Furfur avait été curieux de voir jusqu'où elle serait capable d'aller. Oui, il l'avait carrément sous-estimée pour le coup. Il avait cru que c'était une faible créature qui prenait un tableau pour le revendre au marché noir. A la place, Alastair se retrouvait à essayer de récupérer le tableau de sa défunte épouse, qui se trouvait aux ventes aux enchères, youpi !

« Vous en êtes l'heureuse propriétaire ou on vous a envoyée faire le sale boulot ? »

Il restait encore poli, ne l'accusant pas de suite, modérant ses propos mais cela ne saurait tarder. Il préférait voir jusqu'où elle s'enfoncerait dans son mensonge. Déjà que naturellement il méprisait les femmes, il sentait que celle-ci, elle allait gagner la palme de sa haine. Il n'y avait rien de pire selon lui, que les femmes. Celle-ci semblait rassembler toutes les tares de ses compatriotes.

Le prix....Sale petite garce, elle n'avait aucune idée de la valeur des choses. Les gens d'aujourd'hui étaient des acheteurs compulsifs qui jetaient sans arrêt. Ils ne savaient pas voir les merveilles dans un tas de composte.

« Et pourquoi je vous le dirais ? »

La titilla-t-il cyniquement. Il n'était pas prêt à desserrer les lèvres à ce sujet, sauf si elle voulait le mettre en premier pour avoir le tableau. De toute manière, Alastair ne payerait pas pour ce tableau, il tuerait. Il tuerait comme il tuait depuis 249 ans en la mémoire de Rebecca. Un schéma qui ne se défaisait jamais et qui le satisfaisait en tout point. Alastair pouvait toujours courir pour apprendre qu'elle était la voleuse. Elle ne le dirait pas, pas ouvertement du moins. Le Dibbouk n'aimait pas l'idée de s'enfiler dans un lieu public. Un accident pouvait arriver et un vivant pouvait se rendre compte qu'il était un ectoplasme. Néanmoins, l'ancien palefrenier s'enfonça dans le pub et observa la décoration minable et sommaire qu'il avait eu le loisir de déjà observer. Son regard clair se posa la brune qui s'installait et il s'installa en face d'elle. Il ne la laisserait jamais vendre son tableau. Il était juste question de savoir s'il la tuerait ce soir ou pas. Il se tâtait encore, hésitant. Il préférait tuer quand il avait un hôte mais peut-être qu'il ferait une exception pour cette fille.

De la vodka, un alcool aussi désagréable que son nom l'indiquait. Alastair ne toucha pas son verre, ni les amuses-gueules. Il se contenta de laisser glisser son regard sur la serveuse qui frémit. Probablement alertée par son instinct, elle tourna les talons et partit faire d'autres commandes. Il y avait des humains plus sensibles que la moyenne qui se rendaient compte de temps en temps que quelque chose clochait. Bon sang cette femme était une véritable pipelette ! Elle ne savait pas se taire ou quoi ?! Le mauvais esprit reporta son attention sur elle quand elle dit son prénom. Faux ou vrai, il s'en moquait. Il avait son visage en tête et s'était suffisant.

« Alastair. »

Pas d'enchanté, pas plus. Il n'était pas enchanté, il était plus excité, ayant hâte rien qu'à l'idée de lui faire peur.

« Vous me semblez nouvelle dans cette ville. Votre tête ne me dit rien Sarah. En tout cas vous savez trouver les gens qui ont des vieux tableaux. Savez-vous seulement l'âge de cette œuvre ? »

Elle ne devait même pas le savoir, elle devait même s'en moquer. Alastair se laissa aller dans sa chaise, un bras sur le dossier de celle-ci. Il continua de la fixer. Son ton s'était durci et même s'il pouvait apparaître agréable, il était fondamentalement désagréable en ce moment.

« Bien entendu que vous ne devez pas savoir. Vous êtes une petite voleuse, un parasite, un rat d'égout. Combien de temps dure cette vie ? Je suis étonné que vous n'aviez pas été tabassée encore. Je crois que vous ne comprenez pas bien les règles qu'il y a ici. »

Il se pencha en avant et son regard bleu se mit à luire de rage.

« On ne vole pas les biens d'autrui surtout quand on s'avère aussi faible que vous. Un petit insecte qui coure parmi des oiseaux affamés. Êtes-vous bête Sarah ? Bien évidemment que vous êtes bête ! »

Il fit un sourire mauvais. Furfur tenait farouchement à son territoire et détestait quand une petite humaine qui aurait l'âge d'être sa descendante de plusieurs générations volait un bien, et surtout, quelque chose qui avait appartenu à Rebecca. Le Dibbouk attrapa le verre et le retourna pour laisser la vodka inonder la table.

« En plus des mauvais goûts en vodka. »

Siffla-t-il. Il parlait assez bas pour que seule la femme l'entente mais son ton menaçant ne laissait place à aucun doute.

Plus le temps passait et plus la rage du Dibbouk augmentait comme une vague silencieuse et sournoise qui léchait ses entrailles. Il voulait récupérer ce tableau et cette seule idée le maintenait en place. Il regarda la brune fuir son regard. Enfin la voleuse semblait comprendre qu'il ne rigolait pas et qu'il venait de la coincer de la plus vil des manières. Un sourire mauvais courut le long des lèvres quand il la vit s'énerver et le menacer. C'était plus excitant quand quelqu'un répondait à ses remarques que quelqu'un qui ne réagissait pas, tout simplement. Un frémissement courut le long de son échine et fit dilater ses narines comme un prédateur en pleine chasse. Il était bien incapable de sentir les odeurs mais Furfur restait un prédateur et quand il décelait une proie, il ne se gênait pas pour la chasser. Mais le Dibbouk n'était pas prêt à s'arrêter là vu qu'il déversa l'alcool sur la table sans un mot, plutôt avec une satisfaction discrète. Il ne vit pas que cela atteignait la jambe de l'autre femme mais il vit bien qu'elle n'était pas contente. Finalement, Alastair allait s'amuser.

Une petite discussion ? Elle ne croyait pas si bien dire la poule ! Lentement, il se leva tandis qu'elle paya et s'en alla la première. Alastair la suivit alors que la femme dit qu'ils devaient parler au calme pour ne mêler personne. Ils étaient déjà dehors.

« Qui crains-tu ? Les flics ? C'est vrai que je pourrais te coincer. »

Il la dépassa sans aucune crainte et se plaça devant elle, bien décidé à lui faire face et à lui faire comprendre qu'elle ne dirigeait rien, il dirigeait. Furfur la toisa de longues minutes, bien loin d'être dérangé d'être au milieu d'une rue. Il ne voulait aller nul-part qu'ici. Elle pouvait tout aussi bien aller seule dans son parc ou son lieu de vente. Alastair allait passer à une autre stratégie. Une stratégie un peu plus dangereuse mais soit cette fille plierait, soit pas du tout.

« Si je m'y connais en ce tableau chère madame, c'est qu'il est mien. Comprenez, je le confie et j'apprends qu'une espèce de petite imbécile le vole. Un bien précieux émotionnellement mais vous l'ignorez. Une voleuse ne sait rien de la vie. Elle dépouille les gens. »

Le mauvais esprit apparut soudainement devant elle par un petit tour de passe-passe typiquement esprit. Néanmoins, il ne pouvait la toucher, il restait esprit et elle vivante. Cela n'empêchait pourtant pas de lui souffler dessus pour qu'elle sente un vilain courant d'air courir le long de son corps.

« Alors de nous deux, c'est vous qui êtes en danger. Vous ignorez tous des règles de cette ville et vous n'êtes pas la plus forte. »

Il était le plus fort d'eux deux. Il n'était pas le plus fort de la ville, mais il n'avait pas besoin de le dire. Ce genre de détail, après tout, il pouvait le garder pour lui, pas vrai ? Exactement ! Alastair savait qu'il prenait énormément de risque mais il n'était plus lui-même quand on parlait d'un objet ayant appartenu à son épouse défunte. Dès qu'on parlait de Rebecca, il perdait la tête, mais alors complètement. Plus rien n'avait d'importance qu'elle et il était incapable de se contrôler. Comme c'était le cas là. Le mauvais esprit était comme hors de son esprit, ce qui n'était pas possible vu que déjà, il n'avait plus d'enveloppe charnelle. Parfois, l'amour faisait faire des choses étranges. Elle faisait faire qu'un homme tue sa femme mais qu'ensuite, il passe son temps à errer et à veiller sur les objets qui lui avaient appartenu. Étrange, n'est-ce pas ? Mais c'était tout ce qu'avait et était Alastair. Il avait eu cette femme, il ne restait qu'elle et elle dicterait son existence jusqu'à il n'aille dans l'autre monde, pour la première fois et définitivement.