Alastair leva légèrement son regard sur l'esprit boudeur qui le toisait dans l'ancien complexe sportif chezlousia. Le Dibbouk n'en n'avait que faire et appuyé contre un muret, il avait les jambes croisés et les bras derrière sa nuque comme pour former un oreiller. Les vivants évitaient maintenant ce lieu en plein abandon car ils sentaient bien que quelque chose clochait. La mort rôdait mais surtout les esprits qui voulaient la main mise sur la ville. Lentement, le Dibbouk se redressa, il n'aimait pas quand on venait l'emmerder et cet esprit devant lui l'emmerdait. La femme le toisa avec une certaine dureté. Aucun mot n'était échangé entre les deux esprits. Pourquoi ? Car la parole pour les deux protagonistes était futile. Ils n'avaient pas besoin de parler pour exprimer leur rage mutuelle. Un bruit attira l'attention des esprits qui tournèrent la tête. Un groupe de jeunes venait de s'introduire dans les lieux et gloussait, inconscients de ce qui les guettait. Les esprits étaient invisibles à leurs yeux. Comme deux prédateurs, le Dibbouk et l'autre esprit contournèrent le groupe puis chacun prit un côté.

Furfur laissa son souffle se promener le long de la nuque de l'une des adolescentes qui sursauta violemment et regarda autour d'elle.

« Qu'est-ce que c'était ?! Bryan c'était toi ?!
- Hein ? Mais arrête ton délire ! »

L'adolescent qui venait de parler sèchement hurla quand l'esprit féminin l'effleura légèrement. Alastair et l'autre Dibbouk éclatèrent d'un rire mauvais tandis que la bande fuit. Enfin la paix ! Furfur tourna à peine la tête qu'il vit l'esprit féminin partir et il ne fit rien pour la retenir. Il ne retenait jamais et même s'ils avaient passé un chouette moment à embêter les vivants, cela ne signifiait rien. Le Dibbouk poussa un bref soupir et sortit de l'ancien complexe sportif. Il observa la foule dense des gens qui allait dans différentes directions. Ils voulaient s'amuser, ils voulaient oublier le chaos qui sévissait depuis quelques temps dans la ville. Alastair Noam se mit à marcher derrière certains groupes, les mains dans les poches. Il portait la même tenue depuis 249 ans, la même avec laquelle il était mort. Un pantalon usé brun ou marron selon la vue de tout à chacun, des bottes d'équitation en véritable cuir, à son époque, on ne craignait pas de tuer des bêtes. Il avait aussi une chemise aux manches relevées sur des bras musclés et bronzés. Son corps était figé dans le passé, ainsi que son visage mal-rasé éternel.

Alastair s'arrêta au milieu du chemin, se demandant bien où il allait. Il errait, les pensées en vrac des dernières paroles de Sophya. Sa descendante la plus directe qu'il aurait pu trouver était l'ancienne femme du médium qu'il hantait. Mais quel petit chanceux dites-voir ! Un soupir rauque franchit la bouche du Dibbouk. Il avait besoin de se défouler, d'oublier rien que trente secondes ces conneries. Sans plus attendre, il se dirigea vers la brasserie du quartier pour se changer les idées. Rien de mieux pour un alcoolique mort que d'errer dans des brasseries ou des pubs pour passer le temps en attendant d'avoir un hôte digne de ce nom. Alastair était invisible aux yeux de tous mais d'une poussée d'énergie, se rendit visible. Il leva son regard bleu clair et il la vit. Le même visage, ce petit quelque chose qui l'avait frappé chez sa victime.

Elle était morte, Grace, mais sa jumelle était là, en tenue de serveuse. Le Dibbouk n'en croyait pas ses yeux. Après quelques mois à peine depuis le meurtre qu'il avait commis, jamais il n'aurait pensé croiser un jour la survivante. Il fronça les sourcils, elle était différente... Ses sens d'esprit lui permirent de voir la différence, c'était une possédée. A croire que le destin avait décidé de l'enquiquiner. L'humeur détestable du Dibbouk ne s'en trouva que plus mauvaise. Lentement, l'esprit s'approcha d'elle. Tout le monde pouvait le voir en ce moment car il le désirait mais à cet instant, il aurait voulu la coincer dans un coin pour tenter de comprendre.

« Toi. »

Il avait bloqué son passage et posé son regard, où couvait une méchanceté évidente, sur elle.

« Comment as-tu fait ? »

Il s'adressait à son ancienne victime, pas vraiment l'hôte. Alastair n'était pas content et il ne s'en cachait pas. La guerre qu'avait engagé Belaam le forçait à chercher un hôte et savoir qu'une ancienne victime en avait trouvé, contrairement à lui, venait de le mettre dans une rage folle.