« A quoi tu penses ? »

Je retourne mon attention sur mon collègue qui profite de sa pause pour fumer sa clope. Je ne l'ai pas vu arriver, je me croyais seule et je réponds du coup d'abord par un bref silence gêné. Lui répondre que j'étais en fait en train de discuter avec ma sœur morte ne donnerait rien de bon. Pour une fois, nous sommes parfaitement d'accord, elle et moi. Tamsin se contente donc de paraître surprise :

« T'es là depuis longtemps ? »

L'homme hausse des épaules et souffle une fumée grise qui m'accompagnait aussi avant. Tamsin n'a jamais touché une cigarette évidemment, elle est trop bien pour ça. Elle aurait choqué les parents et la petite fille à son papa ne voulait choquer personne, encore moins son papounet d'amour. Évidemment, moi, je ne me suis pas gênée. Le contraire aurait sali ma réputation. Tamsin l'observe, un peu inquiète. Elle a toujours été inquiète de ce que les gens peuvent penser d'elle.

« - Assez longtemps pour remarquer que t'étais dans la lune. T'es le genre de fille à toujours rêver, hein ? 
- Un peu, j'admets. Mais là je pensais au réveillon, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vraiment fêté. Et toi, tu as quelque chose de prévu ? »

Elle lui adresse un petit sourire, comme elle en avait le secret avant et qui faisait fondre les gens. Je ne sais pas si ça donne le même effet maintenant qu'elle « cohabite » avec moi. On a beau être jumelles, je n'ai jamais voulu lui ressembler, copier ses mimiques de lécheuse de bottes. Mon visage à moi n'est pas fait pour ses airs. Enfin je crains ne pas avoir le choix lorsque ce sont ses jours... Ils parlent quelques minutes avant que sa pause ne se termine. Pour nous, c'est l'heure de rentrer. Le passage par la petite salle n'avait que pour but de se réchauffer avant de faire la route à pieds. Avant de partir, le type prévient néanmoins :

« Fais gaffe sur la route. Il s'passe des trucs bizarres depuis quelques semaines. »

Des trucs bizarres, c'est le moins que l'on puisse dire. La vision de la femme baignant dans son sang, alors que personne n'avait vu personne la poignarder. Alors qu'on l'avait vu courir mais vu aucun poursuivant. Oui, c'est indubitablement bizarre. Et glauque. Et angoissant. Le souvenir nous donne des frissons à toutes les deux, aucune n'a envie de s'attarder là-dessus.

Dehors, le vent est froid. L'heure n'est pas avancée dans la soirée, alors il y a encore pas mal de passage dans les rues. Logiquement, pas de problème à l'horizon. Non, c'est plus vicieux que ça. Le problème en puissance a les traits d'une femme. On ne lui donnerait pas le bon dieu sans confession, mais on ne change pas de trottoir non plus en l'apercevant. D'ailleurs, Tamsin n'a pas changé de trottoir. Celle-ci continue son chemin normalement et la nana l'accoste.

« - Hé dis, t'aurais une clope, stiplaît ?
- Non, désolée. »

Ça aurait dû en rester là, seulement la blonde plisse les yeux et réplique :

« Tu pues la clope, te fous pas de moi. Dis plutôt que tu veux pas m'en donner une ! »

Tamsin n'a jamais su faire face à ce genre de personnage. Le genre agressif et chiant, qui s'énerve au premier truc qui lui plaît pas. Alors elle se contente de rouler des yeux et de reprendre sa marche. Ce qui ne plaît pas du tout. La blondasse la suit, mauvaise.

« - Ça te coûte quoi une clope, bordel ? Tu te crois trop bien pour moi que tu peux même pas répondre ? M'en fous, j'te lâcherais pas.
- Je vous ai dit que j'avais pas de cigarette. Je ne fume pas, je ne peux pas vous donner ce que j'ai pas.
- C'est ça, joue la pète-cul. »

Sur ce point-là, je ne peux pas vraiment la contredire : Tamsin peut paraître très snob. Ce qu'elle est d'ailleurs, mais dans ce genre de cas ça empire alors qu'elle devrait se la jouer moins « gosse de riche qui te regarde d'un œil méprisant ». Oui parce que c'est ce qu'elle fait là. Et pourtant je sais qu'elle a peur. Mais c'est pas comme ça qu'elle va se débarrasser du pot-de-colle, oh non. En tout cas, moi, je la ferais encore plus chier.

« Laissez-moi tranquille ou j'appelle la police. »

Voilà, son ton impérieux, son regard hautain. Tamsin est adorable mais ça dépend avec qui. Elle était à peu près comme ça avec moi. Et on s'étonne qu'on ne se soit jamais entendues. La nana se place devant elle pour lui bloquer le passage. Elle est pas contente, oh non.

« Tu me menaces, la pétasse ? »

Et merde. Tamsin ne fait plus tant la fière que ça maintenant.

Baisses les yeux avorton, ne croise pas leur putain de regard ou tu vas le regretter ! Regardant toujours où il mettait les pieds, nul n’avait l’honneur de croiser ses beaux yeux bleus, bousculé par les voix qui n’étaient nulle part ailleurs que dans sa tête, il ne saurait probablement jamais leur échappé, d’ailleurs pourquoi devrait-il les fuir ? Elles avaient toujours été à ses cotés, comme de vieilles amies auxquelles il pouvait pleinement faire confiance bien qu’elles n’hésitaient pas à le manipuler ou à se moquer de lui, mais jamais Maddox leur avait été rancunier car elles étaient d’une aide précieuse et d’une compagnie qu’il n’avait pas toujours. Il était affreusement seul dans cette vie. Seul, il l’était dans la rue, il avait dit à Tamina qu’il désirait voir son amie Nitzan et était sorti seul malgré la crainte depuis sa dernière sortie où cette femme avait été tuée devant leurs yeux. Il avait assuré à sa thérapeute que tout irait bien, elle avait l’air tellement fragile depuis ce jour. Et lui, il n’avait été que davantage fasciné parce ce qu’elle avait pu voir ce fantôme. Alors qu’il arrivait dans la rue de la boutique de Nitzan son téléphone se mit à sonner, signe qu’il avait reçut un sms « Papillon, papillon ! Oh mon mignon, tu apprends que tu n'es pas seul dans ton délire et ta psychologue voit aussi les autres. Serait-elle aussi malade que toi, ou alors, ne serais-tu pas si malade que cela ? Seule ta très chère amie le sait... » Les lèvres entre ouvertes il fixait l’écran stupéfait, numéro masqué... Qui lui faisait une telle farce ? Il ne comprenait pas, doucement son regard se levait et il entendait rire de lui ; qui riait ? Chère amie ? Nitzan ? Jillian ? A vrai dire, la liste de ses amies ne savait se résumer qu’à ses deux personnes. Qui était là ? Qui lui avait envoyé ce message ? Et si on l’observait ? Alexey ? Les idées se désorganisaient quelque peu et il se mit à fuir, courant sous les éclats de rire menaçant.

Maddox ne savait plus vraiment où il était quand il ralentissait le pas, les voix avaient cessé de rire de lui et Prince avait serré si fort son téléphone entre ses doigts qu’il avait fini par l’éteindre en faisant pression sur les boutons. Le beau brun soupirait faiblement ; le papillon rêveur était une fois de plus perdu dans cette grande ville. Soupirant faiblement avant de continuer à marcher à pas lents ; particulièrement anxieux. Etait-ce un hasard qu’il entendait justement la voix de Jillian, presque plaintive... Ce n’était vraiment pas drôle... Mais c’était trop réel et il suivait cette voix avant d’arriver derrière une jeune femme qui venait d’insulter son amie de pétasse. « Jillian... » Interrogeait-il pas vraiment sur de lui-même; c’était tellement vraisemblable et absurde à la fois. Il pensait plutôt avoir en face de lui le double de Tamsin, celle que Maddox protégeait toujours alors qu’en fait c’était plutôt Jillian qui le protégeait ; c’était ce qui rendait leur amitié si particulière. La jeune femme s’était alors tournée vers Maddox le regardant de la tête au pied avant de rire faiblement. Prenant toujours son courage à deux mains pour aider son amie, il approchait de la scène avant de dire « Laissez-là tranquille maintenant. » Il aurait presque eu l’air sur de lui, mais dans le monde de Maddox le papillon il ne savait imaginer qu’une femme puisse être armée en pleine rue et qu’une clope puisse être une motivation nécessaire pour être agressif. Aussi quand il voulu s’approche de son amie, il se retrouvait face à un couteau alors que sa voix moqueuse lui disait « Qu’est-ce qu’il y’a mon minet ? T’as peur ? » Oui, bien sur qu’il avait peur ; mais il ne pouvait pas laisser Tamsin seule, pas après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble. Elle avait été la seule à le protéger à l’hôpital psychiatrique alors que les grands psychotique obsessionnel et manipulateur qui avait vu en Maddox la cible parfaite.

« Non... » Mentait-il, mais il était si bon menteur qu’il en fit éclater de rire la jeune femme qui semblait tout simplement obsédé par le fait de fumer. Maddox savait que cela rendait accro, d’ailleurs il ne fumait pas. Mais à ce point, c’était absolument déroutant. Une voix lui portait conseille et il essayait de ne pas les écouter parce qu’il savait que ce n’était pas toujours de très bon conseil. Observant la jeune femme qui la séparait de son amie, il avait besoin de lui poser tellement de question et lui qui avait été si heureux à l’idée d’entendre sa voix et de la revoir. Le beau brun dévisageait la jeune femme qui avait l’air... « Pourquoi es-tu si en colère ? » Ne put-il s’empêcher de demander...

A peine l'inconnue a-t-elle sorti son juron qu'une autre voix reprend. Non, c'est l'autre pétasse aujourd'hui ! Si j'étais le guide à ce moment-là, j'aurais sûrement répondu ça d'un ton amusé, avec un regard d'avertissement à la blondasse. Bref, cette voix est familière à Tamsin. Surprise, elle détourne son attention pour la porter sur l'homme qui est apparu. Elle ouvre d'abord la bouche d'étonnement pendant que ses yeux s'agrandissent. Elle ne pensait pas le retrouver, encore moins dans une situation pareille. Un sourire naît sur son visage, mais s'éteint vite quand l'agressive se tourne vers lui. Celle-ci se marre, mais ça ne démonte pas Maddox qui s'approche. Il compte la débarrasser du pitbull, adorable qu'il est. Les rôles inversés, je l'aurais empêcher d'intervenir, mais Tamsin n'est pas apte à se défendre seule. Elle est terrifiée quand le couteau apparaît. Sa vue la paralyse. Et pour cause : l'acier a mordu sa chair pendant ses dernières heures. Pendant des heures, il l'a fait hurler aussi douloureusement que possible. Un pas de recul, un regard affolé vers son ami. Elle n'a pas la force de courir et, même si elle l'avait, ne pourrait pas décamper sans Maddox. Des mois qu'ils ne se sont pas vus et quand, enfin, le hasard fait bien les choses une folle furieuse les menace. J'ai souvent pensé à lui après son départ, puis à ma sortie de l'hôpital. Je n'avais rien pour le contacter sinon je l'aurais fait. Il n'était resté que quelques mois, mais sa présence a changé pas mal de choses. Il me manquait pour être honnête. Et le revoilà et un couteau se dresse entre nous. Vraiment pas de chance.

La femme les gratifie d'un rire moqueur quand il assure ne pas avoir peur. Connasse. Il fait un sacré effort pendant que Tamsin reste plantée là, glacée. Elle ne lâche pas l'arme des yeux, obsédée. Obsession morbide qui éveille d'horribles souvenirs. Elle est devenue un pantin tenu en laisse par sa souffrance. Son cœur – enfin le mien plus précisément - bat en s'accélérant quand l'agressive agite ses mains pour s'énerver contre Maddox.

« Ta copine se fout de moi et, j'te préviens, t'y mets pas ! »

Elle se tourne vers Tamsin blanche comme un linge, la plaque contre le mur et, la maintenant de son bras, la menace du couteau. Figée, ma jumelle est au bord de la crise d'angoisse. Ce sera pour quand elle pourra de nouveau bouger. La mauvaise a l'air de savoir très bien se servir de son arme, ce n'est pas une amatrice... Elle ne peut pas l'afficher sur sa tête, non ? Au moins Tamsin aurait changé de trottoir, on n'en serait pas là ! Elle ne veut pas subir à nouveau ce supplice. Évidemment la femme s'en fout.

« Tu tiens à elle, hein ? Oui, sinon tu n'aurais pas joué au chevalier servant, tu aurais sauvé ta soirée. J'imagine que tu ne voudrais pas qu'il lui arrive du mal ? Chante-moi quelque chose, mon beau. »

Elle parle de façon moins excitée, de manière plus sournoise. Ce qui n'est probablement pas positif. De même que sa façon de glisser la lame sur ma joue. Aucune goutte de sang pour le moment. Des larmes silencieuses coulent doucement sur ma peau. Si Maddox ne chante pas, un cri les accompagnerait. Menace douteuse ; cette femme est complètement cinglée. D'abord une cigarette, maintenant une chanson... Les criminels ne sont plus ce qu'ils étaient.

« Tu n'as pas toute la nuit, allez. Ou j'vais devoir t'encourager... »

Sourire sadique. Qui tue pour avoir un ménestrel de nos jours ? Il se passe des trucs bizarres que le collègue a dit. C'est plus que bizarre. C'est absurde. Bien sûr, ce doit être un moyen pour faire flipper et pour assouvir ses pulsions sanguinaires en se jouant d'eux, mais... quand même. Chante et la jouvencelle restera saine et sauve ! Bienvenue au vingt-et-unième siècle. Le siècle où les chevaliers sauvent les donzelles en détresse en chantant.

Pourquoi est-ce qu’elle se moquerait de cette fille ? Maddox ne comprenait pas vraiment, à vrai dire à ses yeux c’était inconcevable qu’on puisse vouloir tuer quelqu’un ; pauvre Candide n’est-ce pas ? Il demeurait immobile quand elle plaquait Jillian contre le mur et cette violence le fit pourtant avancer d’un pas vers la scène. Il ne voulait pas que son amie souffre, elle l’avait tellement protégé par le passé ; quand les autres patients manipulateurs c’étaient mit à roder autour de lui ; elle avait toujours été là pour le défendre. Il se souvenait encore du jour où il était partie ; les larmes sur son visage, la peur aussi… Il avait eut peur sans elle, qui serait là pour empêcher les vautours de lui tourner autour ? Il avait du apprendre à se « débrouiller » sans elle. Mais elle lui avait manqué, son franc parlé, son rire, cette façon qu’elle avait de n’avoir peur de rien alors qu’il était terrorisé par tout ce qui l’entourait… Tamsin avait peur et il ne savait pas vraiment quoi faire parce que lui aussi avait peur… Si seulement Jillian était là… C’est alors que la jeune femme lui demandait s’il tenait à elle, mais il n’eut pas le temps de répondre car celle-ci déduisait que oui, il tenait à elle. Elle n’était pas une femme stupide c’était une certitude. Maddox aurait pourtant voulu que cette situation n’existe pas, il voulait encore marcher dans le parc avec Jillian et même si c’était pour aller nulle part au moins ils étaient ensemble. Chanter ? Fixant la jeune femme avec des yeux assez étonnés, pas vraiment certain de ce qu’il venait d’entendre. Pourquoi est-ce qu’il devrait chanter ? Il chantait pas si mal que ça certes, mais il n’avait pas de réel talent en la matière. Et pourquoi devrait-il faire cela ? Il n’en avait pas vraiment envie, surtout pour elle. Puis il n’avait pas d’idée en tête ? Que voulait-elle qu’il lui chante à présent ? La fixant toujours silencieux, regardant Tamsin qui semblait tellement terrifié. Elle pleurait et cela brisait le cœur de Prince qui se sentait tellement triste de ne pas être capable de l’aider… Il aurait voulu faire quelque chose pour l’aider et la seule chose semblait n’être que : chanter.

Elle insistait et il baissait lentement les yeux avant de s’aventurer en mobilisant le plus de courage qu’il le pouvait « Alouette… Gentille Alouette… » En parallèle, il commençait à approcher des deux jeunes femmes à pas lents tout en continuant mal à l’aise « Alouette je… » S’arrêtant juste devant la jeune femme, il était à porté de lame ; il était tout ce qu’il y avait de plus troublé ; fixant cette inconnue de ses beaux yeux bleus. Perdu dans ses pensées et son regard en disait long sur ses doutes. Puis enfin il lui disait « J’veux pas chanter… J’voudrais juste qu’on s’en aille… Jillian… Qu’est-ce qu’il se passe ? » Bien sur qu’il n’y avait pas écrit sur leur front « patient de psychiatrie », mais Maddox avait toujours cette lueur au fond des yeux bien que de première approche on pouvait le prendre pour un type tout simplement excentrique. Il n’avait pas la capacité à se fondre dans la masse parce qu’il était de ceux qui étaient complètement déconnecté à la réalité, vivant dans son petit monde que personne ne pouvait comprendre. Des images se bousculaient dans sa tête, se souvenant du jour où l’un des patients avait volé un couteau en cuisine pour agresser son voisin de chambre. Ce souvenant de cette altercation dans le couloir et… Soudain, Maddox sautait sur la jeune femme la faisant tomber à terre et lui maladroitement lui tombait dessus. La peur pousse les gens à faire des choses étranges, surtout quand ces personnes le sont également.

ahahahaha:

Face à cette demande originale, Maddox est décontenancé – plus encore qu'il ne l'était avant. Perdu dans une situation qu'il ne comprend pas. J'ai de mon côté appris que les personnes représentent un mystère pour lui : il ne saisit pas les motivations des gens, à vrai dire il semble ne pas être du tout sur la même longueur d'onde que le monde qui l'entoure. Un charme comme une faiblesse. Il en a souffert, abusé par des enflures, traumatisé. C'est bien beau de l'encourager à quitter « son monde imaginaire » (encore des abrutis qui s'arrogent le droit d'énoncer des vérités absolues) mais... Pourquoi voudrait-il s'aligner sur ces connards ? Personne ne lui a donné de bonnes raisons de travailler à ressembler à monsieur tout le monde. Au contraire. Et maintenant, avec ses tristes expériences, comment pourrait-il faire peur à la psychopathe ? C'est plutôt elle qui va le terroriser. A cause de Tamsin, je n'arrive pas à reprendre le contrôle de mon corps. Impossible donc de lui venir en aide. J'essaye, je fais pression sur la conscience de ma sœur, cependant elle est tellement tétanisée qu'on ne peut pas effectuer le changement. En bref, on est dans la merde.

Pourtant, je n'abandonne pas. Je la presse et hurle pour la faire réagir. Intérieurement passe une véritable tempête pendant qu'à l'extérieur, l'immobilité de l'esprit côtoie le sadisme féminin et l'homme poussant la chansonnette. Il n'y a que cette solution pour retarder l'échéance, chanter. Puis Maddox s'approche, arrête de chanter. Les yeux de Tamsin s'agrandissent de terreur. J'entends mon nom, proche de la conscience active, il me demande ce qu'il se passe. Il se passe une scène démente d'un écrivain soûlé à la fée verte, voilà ce qui se passe ! Je crie son prénom, cri brisé contre le mur de terreur qu'est devenue Tamsin. Il ne peut pas m'entendre, je ne peux pas me faire entendre, on se trouve dans une impasse. Une impasse sombre dont raffolent les criminels. Celle qui nous tient n'est pas contente d'ailleurs et enfonce le bord de la lame dans ma joue, comme promis. C'est déjà ça, elle commence doucement. Sans doute veut-elle y aller par étape, histoire de nous tenir entre ses griffes le plus longtemps possible. Cette pensée me choque quand je réalise que c'est tout à fait le mode de pensée de... Soudain tout s'accélère, tout se débloque.

Maddox saute sur la blondasse et l'éloignement du couteau permet à Tamsin de se secouer suffisamment pour aller se réfugier dans mon ombre. Je prends une goulée d'air, tends mes muscles, sens le feu qui taillade ma chair et le fer qui en coule. Je ressens la tension dans tout mon corps, les battements rapides de mon palpitant et le goût de peur sur ma langue. J'éprouve l'urgence. Rapidement, l'adrénaline me submerge.

J'écrase la main de la femme venant d'être aplatie à terre et m'empare de l'arme blanche. Ma reprise de contrôle n'a duré que quelques secondes, lui laissant juste le temps de se fracasser contre le sol et à peine de reprendre complètement ses esprits. Sa main coincée sous ma bottine, elle assène un coup de genou à Maddox de rage, ce qui augmente ma fureur. Une colère noire me brûle les veines. Je serre plus fermement le couteau que j'ai envie de lui planter dans le cœur. Je veux la faire disparaître de la circulation. La tentation est si forte qu'elle en est douloureuse. Mais pourquoi me retenir ? C'est de la légitime défense. Elle ne fera plus jamais aucun mal à Tamsin. C'est tout ce qu'elle mérite. Seulement quand je lève l'arme, mon regard passe sur Maddox. L'envie meurtrière ne s'évapore pas, cependant je ne peux me résoudre à faire ça devant lui. Je ne veux pas être ajoutée à la liste de ceux qui l'ont traumatisé. Par contre, l'éloigner du monstre, oui, plus que tout. C'est le plus important.

« Maddox, cours ! »

Tandis qu'elle se relève, je plante le couteau dans sa cuisse. Elle crie et je l'arrache brutalement avant de prendre moi aussi les jambes à mon cou, poussant Maddox devant moi. Normalement, elle ne pourra pas nous suivre. Et j'ai toujours sa lame.

Il ne sait pas vraiment ce qu'il lui a prit ; il n'était pas quelqu'un de violent. Mais il avait tellement peur, peur que son amie soit blessée ; peur de tant d'images. Il ne pouvait pas imaginer qu'elle lui fasse du mal et quand elle avait enfoncé la lame dans la joue de la jeune femme, même en superficielle ; il avait réagi comme jamais il ne l'avait fait de sa vie. Se défendant pour la première fois, ne se laissant pas soumettre, ne se laissant pas mené par le bout du nez ; un acte courageux bien qu'assez maladroit. Il était tombé sur elle et il était à sa merci pour un bon coup de poignard dans le dos qui risquait bien de le renvoyé à l'hôpital, un endroit qui avait des allures d'enfer aux yeux de Prince qui y avait vécu les pire misères de son existence... Les pires, peut-être pas finalement... C'était bien dans sa maison, chez lui, là où il devait être en sécurité qu'il avait été battu presque à mort pendant des mois par cet être pour lequel il avait voulu tout faire pour le contenter, mais ce n'était jamais suffisant. Puis il avait fini dans cet hôpital calciné de partout et il avait rencontré Jillian mais aussi bien des monstres qui avaient abusé de ses faiblesses. Ses yeux bleus s'étaient posés sur cette main armée, mais un pied était venu se poser sur celle-ci sans douceur, si bien qu'il reçut un coup de genoux assez violent dans la fosse iliaque, la douleur le fit plisser les yeux, incapable de crier ou de pleurer tant bien qu'il se sentait choqué par cette situation. Il se reculait tant bien que mal, la vision quelque peu flou ; il ne savait plus vraiment où il était et surtout comment il était arrivé là ; se relevant avec beaucoup de peine quand il reçut l'ordre de courir ; entamant de doubler la jeune femme au sol en titubant quelque peu, jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule quand il entend crier ; du rouge...

Puis soudain on le pousse ; il suivait la direction imposée bien que les images se brouillaient peu à peu ; hanté par le cri de douleur de la jeune qui pourtant lui avait voulu du mal. En tournant sur la rue à droite, brutalement il fit volte face à la femme qui le poussait et il manquait de se casser la figure ; l'inquiétude régnait dans son regard azuré si bien que l'incohérence de ses pensées si innocente et dépourvu de cruauté ou même de rancune venait le pousser à lui dire les mots suivants « Elle a si mal... Il faut l'aider... » Un tel altruisme était si rare de nos jours et c'était bien pour cela qu'on le qualifiait de fou à l'heure actuelle, la rationalité conventionnelle n'était pas d'aider la personne qui venait de vous menacer de mort ; mais pour Maddox toutes personnes souffrante avait le droit d'être aidé et c'était également parce qu'il ne supportait plus la souffrance et la tristesse. Il avait cette sensation de se voir dans un miroir et ce reflet était tout simplement insoutenable.

Tentant de s'engager dans le chemin inverse, il sentait Jillian le retenir et rapidement les larmes venaient inonder ses yeux pour se déverser sur ses joues alors qu'il ne se sentait pas même la force de repousser une femme, mais il fallait avouer que Jillian était loin d'être la plus faible qui soit « Il faut l'aider... Il faut l'aider ! Jillian... J'voulais pas ça ! Qu'est-ce que tu fais... Jillian... » Se calmant lentement, la rue était silencieuse ; il ne pouvait pas même voir cette femme. Est-ce qu'elle était partie ? Sa nature humaine était si douce qu'il en était que plus vulnérable encore. Il ne savait pas, il était terrifié par la situation. Se laissant pousser par Jillian en marche arrière pour s'éloigner encore de la scène ; cette réaction paradoxale était plutôt caractéristique de sa pathologie par ce transfert et cette identification qu'il se faisait à la douleur des autres, à moins que ça ne soit un autre élément qui influençait à cet instant son comportement ; à moins que tout cela ne pouvait qu'échapper à la logique et donc au science et comme tout ce qui ne s'explique pas on le jeté dans la case psychopathologie « J'veux pas qu'on m'abandonne... »

J'ai réprimé mon envie meurtrière pour éloigner Maddox de cette folle furieuse. Elle est dangereuse et a déjà fait suffisamment de mal pour ce soir. Elle a eu le culot de s'en prendre à Tamsin, elle n'en aura plus pour s'attaquer à lui. Je m'en assure en lui enfonçant la lame dans le genou. Et juste au cas où, je reprends l'arme... Blessée ainsi, il y a peu de chance qu'elle nous poursuive mais si jamais un autre emmerdeur s'approche, il n'aura plus la même chance que la blondasse. Bonsoir, c'est Jillian aux commandes et aucun trouble ne sera toléré sous son commandement.

L'arme blanche récupérée, je me mets à courir à la suite de l'homme, le poussant pour le faire accélérer. Au plus vite on sera loin de la connasse, au mieux on se portera. Enfin, on se portera mieux plus vite. Et je sens que Maddox en aura besoin. Garçon hypersensible, tout à fait le genre que je ne supportais pas avant. Pas que je les aimais pas, mais geindre tout le temps, ça va une minute et puis... Seulement, j'ai changé à l'hôpital et Maddox n'est pas comme les autres. Il a de bonnes raisons de flipper. J'ai eu affaire à un seul esprit, et je suis passée par le meurtre, la dépression, la tentative de suicide, je suis devenue une triste créature effrayée. Lui est hanté quotidiennement, jamais laissé tranquille, inondé de pensées qui ne lui appartiennent pas. Et pour ce qu'il m'en a dit, ils ne sont pas du genre à penser à la fête. Je ne sais pas comment il fait, mais il tient. Il ne baisse pas les bras, il vit. Il a plus de force de caractère qu'on ne se l'imagine.

Ce qu'il prouve en se retournant, pour réclamer de... Quoi ? J'ai failli me casser la gueule en le percutant, mais là je tombe d'un immeuble de dix étages au moins. Calme, Jill'. Il veut juste que... qu'on aide la bonne femme qui a essayé de nous prendre pour des guignols. C'est ça, secourir la nana qui a paralysé Tamsin, m'a coupé au visage en ayant l'intention de faire pire, pris Maddox pour un con et l'a frappé. J'ai voulu l'achever, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ça. Même si là, l'envie est partie. Je veux juste qu'on trouve un endroit sûr. Cependant, je me suis peut-être calmée, mais pas assez pour accepter la demande de mon ami. Je me plante bien devant lui pour l'empêcher de faire demi-tour.

« Non. Il faut pas l'aider, il faut rester loin d'elle. Elle est dangereuse, Maddox ! »

Il commence à pleurer, mais je garde ma position. Dans quel état elle l'a mis, saloperie ! Je n'aime pas le voir pleurer, encore moins pour une pauvre tâche. Je porte une main sur un de ses bras, pour le retenir mais aussi pour... Je ne sais pas vraiment. C'est con, comme si mon raisonnement allait passer par le contact.

« C'est une folle furieuse, on sait pas ce qu'elle va faire si on revient. »

Je ne hausse pas le ton, je parle d'un ton aussi posé que je peux en sachant que ne je suis pas spécialement rassurée de rester dans une rue sombre après ce qui s'est passé. Doucement, je le pousse vers l'arrière (pour lui, l'avant pour moi). Heureusement, il ne résiste pas. Il est même plutôt bien consentant. J'ai résisté à mes pulsions parce qu'il était là, et maintenant je le fais pleurer, le plonge dans une panique que je ne comprends pas. Fichue blonde. Puis mes yeux s'agrandissent sous la surprise.

« On t'abandonne pas, Mad'. Je t'abandonne pas, je veux justement que tu viennes avec moi. T'es pas comme elle, il t'arrivera jamais un truc pareil. »

Je prends ses mains dans les miennes, et serre ma gauche autour de ses doigts tremblants – la droite incapable de faire de même – face à lui. Je ne sais pas comment réagir ni comment le rassurer ou l'apaiser. J'accepte sa manière d'être, ça ne veut pas dire que je le comprends.

« Reste avec moi, s'il-te-plaît. »

Prit d'une violente panique, frappée d'incohérence guidée par des murmures incessants. S'entêtant à vouloir rebrousser chemin et porter secours à celle qui avait voulu leur nuire. Mais elle refusait ; il ne fallait pas l'aider ? Pourquoi ? Est-ce que si quelqu'un était en danger on devait la laisser ? Comment pourrait-il de nouveau se regarder dans un miroir en sachant qu'ils avaient laissé derrière eux quelqu'un en souffrance ? Laissant les larmes noyer ses joues d'une culpabilité qu'il ne devrait pas ressentir ; ils sauvaient leurs vies. Elle le prenait pas le bras ce qui eut le don de doucement faire diminuer cette panique qui le hantait ; se laissant pousser en marche arrière, voyant s'éloigner le coin de la rue au travers de ses larmes ; il ne résiste pas ; se laissant faire docilement parce qu'il se sentait tout simplement perdu alors que ses lèvres exprimaient son désarroi. « Folle furieuse » ; il ne comprenait pas... Les murmures se faisaient de plus en plus oppressants ; cherchant cette distraction en le tourmentant en brisant le peu de raison qui pouvait bien lui rester après tant d'années de torture psychologique. Briser son âme pour la posséder, mais nul n'y avait parvenu. Cependant, il n'était pas invincible et un jour probablement serait-il bien trop vulnérable et il se laisserait engloutir dans les ténèbres et jamais plus il ne sera de ce monde ; car si faible son âme s'endormirait et laisserait son corps à la possession des esprits qui le convoitaient depuis si longtemps.

Qu'on ne l'abandonne pas ; qu'on ne le laisse pas aux griffes de ces esprits. Il ne voulait pas être un ange tout de suite ; il voulait encore voir beaucoup de choses et... Il ne savait pas, mais il s'était attaché à sa nouvelle psychologue et il voulait apprendre à vivre à ses cotés, à être un peu plus fort. La voix de Jillian le rassurait par des mots qu'il voulait vraiment entendre. Elle prenait ses mains et il essayait de cesser de pleurer, voulant se concentrer sur Jillian et rien d'autre ; tentant d'ignorer les murmures qui l'accablaient serrant même un peu fort les doigts de son amie quand elle ci lui demandait de rester avec elle. « Je reste avec Jillian... » Répondait-il, repoussant tant bien que mal les esprits qui s'étaient agglutiné autour de sa peur. Il ne voulait pas aller avec eux... « J'ne veux pas aller avec les amis de la mort... » Pas tout de suite du moins... Maddox était la vie et il était hanté chaque instant par la mort. Douce innocence attractive pour ses esprits souillés de bien des péchés de leur vivant. L'être de Maddox était un havre, une tentation et en soit un péché auquel il était difficile de résister quand on a prit le goût à entacher ce qui restait de beau en ce monde. Puis il accepte de se remettre dans le bon sens de la marche, se faufilant dans les rues aux cotés de la jeune femme ; chassant les larmes de son doux visage d'un revers de la manche. Son âme avait demeuré innocente et bonne au travers des épreuves qu'on lui infligeait, mais Prince n'était pas parfait car il était humain.

Arrivant à une artère de la ville ; ils s'arrêtaient là devant un abri de bus vide. Pourquoi est-ce qu'il n'y avait personne ici ? Se tournant vers Jillian, lui serrant toujours la main pour échapper à sa peur ; plongeant son regard dans celui de la belle démente puis il dit « Où sont tous les gens... » Cherchant des yeux, c'était décidément bien trop étrange dans son monde... S'accrochant toujours au bras de Jillian, douleur à la tête, il se sentait tout à fait étrange. La fixant de nouveau, il se sentait assez perdu dans les deux mondes. Il savait que Jillian ne comprenait pas vraiment son mal être, elle disait que sa soeur était avec elle ; mais Maddox pensait bien qu'ils étaient juste différents du reste du monde, que les autres ne veulent pas comprendre. Puis enfin, il laissait les traits de son visage s'adoucir en signe que la panique s'essuyait lentement.

Il pleure, panique. Il paraît inconsolable. Je ne sais pas quoi faire. Comment je suis censée réagir?Comment peut-on apaiser un être si fragile ? Surtout quand on n'est soi-même pas beaucoup moins paumé. Je ne sais pas quoi faire et ça me frustre. Une chose est sûre : je ne veux pas qu'il retourne auprès de la blondasse. Après ce qu'il s'est passé, il risque plus qu'une obligation de chanter et un coup de genou. Elle doit être en rage. Si elle voulait seulement s'amuser, maintenant nous tuer est probablement plus important. Heureusement qu'elle ne peut plus courir. Cette pensée me rassure, pourtant j'ai besoin de mettre plus de distance entre nous. D'enlever l'idée stupide qui consiste à la secourir de la tête de Maddox. Il ne se rend pas compte de la situation, malheureux utopiste. Je le secouerais sans ménagement s'il le faut. Avant d'en arriver là, je tente la méthode douce. Si je peux éviter d'aggraver son état, ça m'arrangerait. Reste avec moi. Une supplique qui en révèle bien plus que je ne l'aurais voulu. Qui en cache une autre : j'ai besoin de toi. Ne me laisse pas seule avec mes pulsions meurtrières. Si Maddox n'avait pas été là, j'aurais poignardé la femme. Je crois. Enfin si, j'en suis persuadée. Quasiment. Mais c'est suffisant. Je ne retournerais pas à l'asile et n'essayerais pas la prison. Alors reste avec moi, Mad'.

Une vague de soulagement me traverse lorsqu'il resserre son étreinte autour de mes mains. Elle s'intensifie quand il répond de vive voix à ma prière. Il a choisi qui il aiderait. J'aurais sans aucun doute très mal pris qu'il choisisse la sanguinaire. Ragaillardie, je lui souris, mais ses mots suivants me troublent. Se fait-il harceler en ce moment précis ?

« T'iras pas, tu viens avec moi. J'ai un ami bien plus cool ! Viens. »

Dit d'une voix assurée, de façon à ce que la crainte de l'homme s'évapore, ne pouvait que croire à mes paroles. Qu'il n'a rien à craindre puisque je l'emmène ailleurs. Comme si je pouvais dissuader des esprits à aller au bout de leur plan. Mais si on se résigne, c'est à ce moment-là qu'on n'a plus aucune chance de l'emporter. J'entraîne donc Maddox à travers les rues obscurcies. Il ne lâche pas ma main, du coup je le tiens fermement. Le couteau, je l'ai glissé dans ma poche plus tôt, et je m'assure qu'il ne se fasse pas la malle. Je le jetterais dans la première poubelle croisée. J'aurais préféré simplement le lâcher et l'abandonner sans plus y penser, mais je n'ai pas osé. Manquerait plus que ça me retombe dessus. Je risquerais vraiment de tuer cette pétasse. La marque qu'elle m'a laissée coule encore doucement, je sens la fine traînée de sang chatouiller mon cou. Trop tard pour sauver mon pull, une partie s'est déjà aventurée sous mon col. Je l'essuie quand même de ma main libre – autant ne pas trop attirer l'attention. Puis je regarde autour de moi, observant ce que le torturé a relevé. En effet, il n'y a pas grand monde...

« J'imagine que les gens veulent pas squatter trop longtemps les rues le soir après ce qui est arrivé... » Jetant un œil du côté de Mad', j'me dis qu'en parler n'est pas l'idée du siècle, d'autant plus qu'il semble se calmer. « On reste pas dehors t'façon. J't'emmène dans un endroit fun ! J'espère que ça va te plaire en tout cas. »

Je lui adresse un sourire, espérant sincèrement que ça lui videra l'esprit de ses tourments – sans mauvais jeu de mots. Notre destination est le Rock'N'Bowl. Sur la route, je jette discrètement l'arme blanche aux déchets. Quand on arrive au but, je lui demande d'un ton léger :

« Tu préfères le billard ou le bowling ? »

Personnellement, je serais plus tentée par un billard mais c'est à Maddox de décider ce soir. Je veux qu'il s'amuse un peu aussi, en plus de zapper ce début de soirée désastreux. J'en profiterais par la même occasion pour rincer la trace rouge qui sillonne ma joue et envoyer un sms à Hayel pour le prévenir de ne pas s'inquiéter de mon retour tardif. Et peut-être que je demanderais à quelqu'un une clope. J'en ai vraiment envie sur le coup. Mais le truc rassurant, c'est que je n'agresserais pas pour avoir ce que je veux, moi.

Elle lui disait qu’il n’irait pas avec les amis de la mort ; la fixant de ses grand yeux bleus ; il ne désirait qu’une seule chose : que ce soit la vérité. Et puisque cela lui convenait, il prenait cela pour argent comptant. Elle lui disait d’aller avec elle, et Maddox avait clairement confiance en Jillian aussi folle peut-elle être, il l’était aussi après tout. Se laissant entraîné par la jeune femme ; l’observant avec cette tendresse qu’il témoignait toujours à ceux qui acceptaient de le secourir. Main dans la main, comme dans les couloirs de l’asile ; il se souvenait encore… Elle lui tenait la main alors qu’il ne voulait pas sortir de sa chambre, boitant encore de sa fracture du trochanter ; puis enfin arrivait dans le jardin où les gens en pyjama vaquaient à leurs occupations. Lui aussi était en pyjama, est-ce qu’il était comme tout ces gens ? Cette familiarité entre les deux patients était assez mal vue par les soignants qui suspectaient la personnalité de Jillian tenter de manipuler la fragilité de Maddox et l’avait mis en garde à plusieurs reprises ; ce que Maddox refusait de croire. Elle ne lui ferait jamais le moindre mal. Il voulait retourner dans ce parc avec Jillian, mais sans tous ces gens en Pyjama, il voulait juste marcher à ses cotés et juste tenir sa main. Il aimait cette fille. Mais de quel nature était cet amour ? Il ne savait pas lui-même, il savait juste qu’il l’aimait et il l’avait prouvé en essayant de tout faire pour la libérer quelque minutes plus tôt quitte à se mettre en danger, il avait mis de coté sa peur pour elle. Mais Maddox était comme un enfant et l’amour était une chose abstraite à ses yeux. Il aimait Harry, il aimait Nitzan, il aimait Tamina. Mais comment est-ce qu’il les aimait ? Il ne savait pas, il les aimait c’était tout. Ce regard tendre et amoureux d’enfant et à la fois si adulte. Il était complexe, et c’était bien pour cela qu’on n’avait jamais su le soigner. Mais était-il seulement malade ?

Il ne comprenait pas où étaient passaient les gens, c’est alors qu’elle lui répondait que ceux-ci n’avaient probablement plus envie de sortir, que c’était trop dangereux. Il se souvenait alors de ce cadavre dans la rue ; cette femme assassinée ; mais le souvenir bien trop présent dans l’esprit de Prince : elle devait mourir, cela préviendrait les autres. C’est alors qu’elle lui disait qu’ils allaient dans un endroit « fun » ; lui adressant un léger sourire. Maddox faisait partie de ces personnes qui n’osent vivre, il n’avait pas vraiment l’habitude de sortir ; les gens dehors le croyaient tous fous. Mais avec elle, il avait moins peur. Il avait toujours le sentiment qu’elle le comprenait, qu’elle vivait la même chose que lui, mais ce n’était pas tout à fait exact. Elle non plus ne le comprenait pas et il restait incompris ; mais c’était plaisant d’envisager le contraire.

Il la suivait calmement, tenant toujours sa main dans la sienne. Il ne remarque même pas qu’elle jette le couteau à la poubelle ; ils arrivent enfin à destination. Sa question le perturbait quelque peu ; jetant un regard craintif à la jeune femme avant de répondre « Je ne sais pas… Je n’ai jamais joué… » Il fallait dire qu’il ne sortait pas beaucoup, et c’était uniquement depuis que Tamina était sa tutrice qu’il découvrait de nouvelles activités ; qu’il apprenait à vivre et que parfois il y allait franchement à reculons surtout quand il y avait beaucoup de personnes. Il lui était arrivé dernièrement d’aller patiner avec sa tutrice et il avait probablement battu un record de chutes bien qu’à la fin malgré l’épuisement il commençait enfin à tenir sur ses jambes ; après cela il avait dit à Tamina le souhait de ne jamais plus y aller en vu des hématomes qu’il pouvait avoir sur les fesses et qui lui rappelait odieusement des souvenirs sombres d’un passé auprès d’un homme qu’il avait aimé et qui lui avait voulu du mal. Mais elle commençait à le connaître et elle comprenait que tôt ou tard il finirait par exprimer le désir d’y retourner. Caché derrière les mèches de ses cheveux qui pendaient devant son visage ; pas franchement à l’aise. Découvrir de nouvelles choses était toujours source d’inquiétude à ses yeux. « Avec toi, j’ai moins peur. Mais je voudrais qu’ils arrêtent de dire que je dois aller avec eux. Dis leur toi… Dis leur que je reste avec toi… » Particulièrement insistant sur la notion du fait qu’il se remettait à elle, une lourde responsabilité quand on y pensait ; mais il c’était toujours comporté ainsi avec elle. La fixant avec insistance de ses yeux bleus qui semblaient près à la hanter de culpabilité si elle ne venait pas à son aide, bien sur qu’il n’avait pas conscience de tout cela ; Prince était juste royalement à coté de ses pompes et cela depuis le début de sa vie. Tenant toujours sa main, c’était rassurant pour lui, elle était son repère et il avait peur de la perdre et de se perdre.

Pourquoi ça ne m'étonne pas qu'il n'ait jamais joué aux deux ? Maddox n'ose pas, il se renferme dans ce qui est sûr. Normal quand il s'en prend plein la gueule dès qu'il s'aventure. Bizarrement, parfois il fait ou dit des choses qui lui attireraient plus facilement des ennuis qu'une simple expérience. Je me souviens qu'au début, je devais presque le tirer dehors pour qu'il prenne un peu l'air. Juste sortir l'inquiétait et, à côté de ça, il posait des questions parfois gênantes aux gens. Et certaines de ces personnes n'étaient pas forcément bien disposées envers lui. Aussi étrange, j'étais moi-même beaucoup plus franche quand il était là. Je suis sûre que je me serais plus vite débrouillée à ma sortie de l'hôpital si j'avais dû veiller sur lui en même temps.

En cet instant, il y a autre chose qui l'inquiète. J'ai eu l'impression que la perspective de sortir ne l'enchantait pas – vraiment pas – et qu'il préférait rentrer dans son cocon, mais la source est plus grave. Surprise, je regarde autour de nous en sachant pertinemment que je ne verrais pas ceux dont il me parle. Ce n'est pas pour cette raison que je ne le crois pas. Ils ne veulent pas se montrer, voilà tout. Les esprits sont des saloperies vicelardes. Mon visage se transforme en un puits de colère.

« C'est pas parce que j'vous vois pas que j'peux pas vous causer. Alors, vous allez arrêter votre cirque et laisser Maddox tranquille, bande de merdeux. »

Je fais une pause pour regarder le vide. Ils n'ont pas décidé de se montrer. Je m'en fous, ce détail ne m'empêchera pas de clarifier la situation. Rien à cirer de leur réaction, ils veulent déjà tuer Maddox... Qu'est-ce qu'ils feront de plus ? Me tuer d'abord ? Il faudrait, pour ça, qu'ils aient plus de couilles. Parce que s'ils veulent la mort de Mad', ils ne cherchent pas à le tuer de leurs mains. Ils le tourmentent sans cesse pour le pousser à franchir le pas lui-même. Ils n'ont rien dans le ventre. Ce sont juste des parasites.

« J'vous jure que si vous continuez, j'trouverais un moyen de vous crever une deuxième fois et d'vous coincer en Enfer ! »

Il faut bien trouver une menace... Parce que menacer des morts, c'est pas évident tout de même. Je ne sais pas comment je pourrais l'exécuter, c'est un détail. Une chose à la fois. D'abord m'énerver, avec l'infime espoir que ça leur fasse quelque chose. Comme ça ne fonctionnera sans doute pas, alors je passerais à l'étape suivante : réaliser des recherches. Il devait bien exister un moyen de se débarrasser d'esprits ? Maintenant que j'ai perdu huit ans de ma vie à cause de l'un d'entre eux, je ne risque plus de me laisser faire. Je ne suis plus le pantin. J'agis.

Face à Maddox, les mains sur les hanches, je déclare le plus sérieusement du monde :

« S'ils t'emmerdent encore, tu me préviens, d'accord ? J'vais leur faire passer l'envie de jouer avec de la chair fraîche. »

Alors qu’il lui avait demandé de leur dire de partir, Jillian fit preuve d’une conviction rassurante. Elle le croyait, il le sentait. Comment pourrait-elle mentir après tout ? Elle avait l’air si sincère. Le beau brun glissait sa main dans celle de la jeune femme qui menaçait de tuer une deuxième fois ces esprits qui le hantaient, il ne savait pas si c’était bien de se réjouir du fait qu’elle les menace ; mais il se sentait rassurer qu’elle le fasse. Compris et aimé. Elle avait les mains sur les hanches et il en avait profité pour lui prendre la main, un geste enfantin et tellement rassurant à ses yeux. Elle lui disait alors de la prévenir s’ils recommençaient, doucement il affichait un sourire à la jeune femme ; chassant la mèche brune qui barrait son doux visage. Il était physiquement plus grand qu’elle et pourtant, il avait l’air d’un gamin. Ses yeux bleus la fixaient et il répondait alors « D’accord… Merci Jillian… Ils me font tellement peur parfois… Je sais qu'avec toi, il ne peux rien m'arriver. Hein ? » Oui, parfois ils étaient des amis, parfois non. Il ne savait pas vraiment si elle comprenait vraiment, elle ne pouvait pas les voir ; mais elle le croyait et cela était suffisant aux yeux de Prince. Les voix se taisaient, pourtant il ressentait toujours cette présence qui le toisait ; puissante noirceur qui désirait le dévorer tout entier. Le lien que Maddox avait avec les souvenirs des esprits en dérangeait plus d’un, c’était suffisamment dérangeant pour envisager la mort du médium comme simple solution.

Puis enfin il lâchait sa main, il ne voulait plus avoir peur. Jillian avait toujours été celle qui le poussait vers la vie, celle qui le sortait de sa chambre pour lui redonner goût au soleil, celle qui lui montrait qu’il ne devait pas avoir peur de manger lui aussi en sale à manger avec les autres, celle qui lui avait prouvé qu’il pouvait respirer de nouveau sans que rien de grave n’arrive. Il voulait apprendre à jouer maintenant, il avait confiance en elle. Ils entraient enfin dans le bâtiment, c’était bruyant. Son regard se perdait sur les néons au plafond, toutes ces couleurs… Cette musique… L’ambiance l’envahissait et ses cauchemars étaient resté dehors, il le sentait ; ici il était protégé. Un type se tient là, il demandait d’office à Maddox sa pointure ; pourquoi cette question. Il ne savait pas vraiment, son regard se pose vers la belle folle, il était fou lui aussi ; et alors ? Rougissant de plus belle « Je veux pas mettre les chaussures de quelqu’un d’autre… » Non, ce n’était pas à lui. Il regardait l’étalage chaussures ; il les regardait avec appréhension ; n’ait pas peur petit prince… Déglutissant ; il adressait un sourire à la jeune femme avant de lui dire « Jillian… J’suis tellement heureux de te revoir… Tu vas rester avec moi ? » Oh non, il ne voulait plus être seul, il voulait qu’elle le protège comme avant, peut-être tous ces « amis » allaient cesser de le tourmenter maintenant qu’elle était là. Il ne voulait plus qu’ils se séparent ; il se souvenait encore du jour où il était parti avec Harry ; en larmes. Apeuré parce que finalement il s’était habitué à sa prison, parce que c’était l’inconnu qui le terrifiait parce qu’il n’avait pas de repères qui puisse lui assurer que tout irait bien. Il prenait encore sa main, ensemble…

J'avais oublié à quel point je pouvais me mettre en colère. Surtout pour défendre quelqu'un d'autre. A l'hôpital, j'étais seule, à me défendre contre les accusations, à me protéger d'elle, à m'en vouloir comme je n'en avais jamais voulu à qui que ce soit. Ensuite, j'ai réussi à me libérer de mon poison, mais le reste était loin d'être réglé. Le pardon de Tamsin n'allégeait rien. Je pensais que si elle apprenait la vérité, que si elle comprenait, que si elle me pardonnait, cela ferait une différence. Mais ça ne fait aucune différence. Il n'y a que Maddox qui me donne cette impression de pouvoir être quelqu'un de bien. Quelqu'un qui n'a pas tué sa sœur de sang-froid. Quelqu'un qui n'a pas pensé au massacre de sa famille. Combien de fois Cateline m'a-t-elle annoncé que telle personne méritait de mourir ? Et combien de fois l'ai-je approuvé ? Tout semblait si limpide, si logique avec elle. Tout devenait plus simple. Je me mettais en colère sous son impulsion, et maintenant je me mets en colère pour Maddox. Pour lui. Pour le protéger, c'est ça qui fait la différence.

Je me calme face à son sourire. Je le regarde, cet homme à qui je n'aurais jamais adressé la parole dans le meilleur des mondes. Il est bien plus âgé que moi, or même quand il est silencieux, sa fragilité est déconcertante. Pourtant, c'est ce qui me rassure. C'est ce qui me fait sentir en sécurité. Je ne le comprends pas et il ne me comprend pas, mais ce n'est pas ce qui importe. Tamsin me comprend et n'accepte pas. Je sais qu'avec toi, il ne peut rien m'arriver. Hein ? Je lui adresse un sourire qui se veut tranquillisant, un sourire qui veut dire « il ne t'arrivera rien ». Cependant, je sais que je ne peux pas le lui promettre. Et je ne veux pas énoncer de fausses promesses, alors je préfère rester silencieuse et resserrer son étreinte.

Apparemment, cela lui suffit. A ma grande surprise, il lâche ma main et entre sans m'attendre dans l'établissement. Il semble ragaillardi. J'ai l'impression de le revoir à la fin de son séjour à la clinique ; presque franc, ne comptant en tout cas plus sur l'isolement, caché dans sa chambre. Moi aussi, cela faisait longtemps que je ne me sentais pas aussi bien. Je le rattrape en vitesse et la salle nous réchauffe enfin. A l'accueil, le gars nous demande nos pointures. Je lève un sourcil suite à la remarque de Maddox puis, après avoir demandé une seconde à l'homme, je l'entraîne un peu à l'écart. Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche, je suis prise de court. Il prend ma main et je reste d'abord sans dire un mot. L'épisode qui a suivi son départ me revient plus fort ; je me retrouvais à nouveau seule, retrouvais les pensées que j'avais réussies à refouler en sa présence. Je n'étais de nouveau plus qu'une psychopathe.

« C'est toi qui est parti l'autre fois... Je ne partirais pas, je ne serais jamais loin. »

Je lève mon regard vers le sien ; qu'il voit que je suis sincère et que j'attends la même chose de lui. Puis je fais un pas en avant pour passer mes bras autour de son cou.

« Ne m'abandonne plus, s'il-te-plaît. Maddox, j'ai peur sans toi. »

Alors que je le serre contre moi, je sens une larme perler au coin de mon œil. Celle-ci est pleine de terreur. De ce dont je suis capable de faire, de ce que je pourrais encore faire, de ce que je peux penser. Ce soir l'a prouvé une nouvelle fois ; j'aurais tué cette femme sans réfléchir. A mes yeux, elle le mérite. Et si n'importe qui peut le mériter ? Seule sa présence m'a arrêtée. Alors oui, j'ai peur de moi sans Maddox.

Son sourire le rassurait, comme une douce promesse silencieuse ; il voulait la croire parce que c’était sécurisant. Il croyait son sourire ; il avait moins peur parce qu’elle était Jillian et parce qu’il avait confiance en elle. Ils entraient, il s’était engagé en premier ; plein de bonne volonté mais il se sentait rapidement submergé par des choses qui le dépassaient complètement. Les gens ont tous les mêmes chaussures ici, pourquoi ? Il ne comprenait pas, se tournant vers Jillian toujours aussi stressé ; les petites habitudes de monsieur perturbé et c’était la panique à bord. Elle le prend par le bras ; il la suivait gentiment sans la moindre once de résistance, il prenait sa main parce qu’il en avait envie tout simplement. Parce qu’il se souvenait comme il était doux de marcher à ses cotés, à quel point il était agréable de se promener sans regarder au sol dans la crainte de croiser un regard sombre et qu’aucun cadavre ne le poursuive. Il avait moins peur quand elle était là, il savait qu’elle ne le laisserait pas les rejoindre, qu’ils ne pourront pas le casser en morceaux pour l’enfermer dans un cercueil minuscule. Que les hommes qui flottaient arrêtaient de dire qu’il aurait les lèvres cousues au fil noir. Il savait qu’elle le protégeait de ces choses là, du froid quand les yeux vides le fixaient et que sur le sol traînait du sang qui coulait de leur âme. Il prenait sa main parce qu’il se souvenait que dans les couloirs de l’hôpital (terrain de jeu préféré des esprits) elle avait fait naître les rayons du soleil.

Elle lui fit remarquer que c’était lui qui était partie… Alexey avait dit la même chose… C’était lui qui fuyait ; pourtant il n’était pas parti pour fuir Jillian, il s’était réfugié dans cet appartement où il était resté d’abords une heure, un jour, deux jours ; une semaine puis toujours. Revenant à chaque fois à l’hôpital encore secoué et effrayé d’avoir revu le monde ; là, quelque part dehors où les gens vivent et le regardent. Son cœur se serre, il était parti alors qu’ils étaient amis. Pourquoi est-ce qu’il avait fait cela ? Il n’arrivait plus vraiment à se souvenir pourquoi il était parti sans elle ; quand avait-il lâché sa main ? Elle passait ses bras derrière sa nuque, le genre de contact qui lui faisait faire des bonds et qu’il avait appris à accepter avec elle, à les aimer… Il la fixait de ses yeux bleus emplis de culpabilité. Elle le supplie de rester avec elle, son petit cœur se serrait. Doucement il laissait ses mains venir sur les omoplates de la jeune femme pour la serrer contre lui. Pardonnes-moi Jillian… Il était comme un enfant qui se laissait prendre par la main, suivant aveuglement tout ceux qui prétendaient agir pour son bien, perdant parfois la notion de contrôle de ce qu’il faisait et maintenant, il l’avait abandonné avec tous ces gens en pyjamas ; les gens qui sont fous.

« On restera ensemble… » Soufflait-il ; il avait tellement envie de pleurer à présent. -C’est de ta faute Prince tout ce qui est arrivé, si seulement tu avais obéis !- Il aurait supplié pour que les mots de cet homme cessent de résonner dans sa tête. Il collait sa joue contre la tempe de la jeune femme ; fermant tendrement les yeux… Elle lui avait manqué… « J’voulais pas t’abandonner ; ils disaient que tu ne pouvais pas venir avec moi. » Murmurait-il en caressant ses longs et doux cheveux noirs ; si doux… La chaleur caressait son cœur, il se sentait bien à cet instant… « Je t’aime Jillian… Je t’aime mon amie… » Il fallait qu’elle le croit parce qu’il ouvrait son cœur et il était sans protection, petit candide écorché vif.

Le retrouver m'a fait comprendre toute l'ampleur de ma terreur. J'ai compris que j'avais besoin de lui, qu'il était mon garde-fou – expression plus exacte, tu meurs. Ces mois passés ensemble ne représentent qu'une infime part des années que j'ai vécues à l'hôpital et pourtant ils font partie des plus significatifs. Je ne sais pas comment c'est possible, je ne sais même pas comment on a fait pour arriver à nouer cette relation ; je ne sais pas grand-chose sur peu de choses, alors sur la sociologie, n'en parlons même pas... C'est comme ça et c'est tout. Je ne veux plus qu'il m'abandonne. Je veux qu'il me redonne confiance en moi et qu'il voit le meilleur de ma personne. Qu'il me rassure, qu'il me protège, qu'il tue définitivement l'ombre de Cateline. Je suis devenue si faible. Pauvre créature pathétique. Je ne suis même pas pour les câlins normalement. Les larmes et les beaux discours, ce n'est pas mon truc non plus. Si je peux éviter, je fonce tête baissée. Mais Maddox et sa foutue question... Pourquoi fait-il ça ? Comment arrive-t-il à provoquer ça ?

Je ne pouvais pas venir avec lui. Tu m'étonnes. Je savais qu'ils n'auraient jamais voulu,mon changement d'attitude était trop récent. A l'arrivée de l'homme, les infirmiers n'avaient pas vu de façon très positive que je lui rende visite. S'ils m'avaient laissée partir avec lui, ils auraient craint que je l'embarque dans ma folie meurtrière, je songe cyniquement. Que je finisse par le torturer serait plus crédible. Bien que ce n'aurait pas été le cas évidemment. Bande d'incapables, leur diplôme ne leur servait franchement à rien. Maddox fut le meilleur traitement que j'ai jamais eu. Médicament efficace et sans effets secondaires – si on ne comptait pas cette crise d'affection. En parlant de crise... Les larmes coulent de plus en plus. Je resserre mon étreinte, calant mon visage dans son cou. Je ne veux pas qu'il me voit pleurer, encore moins les gens autour de nous. Mais je ne veux pas non plus le lâcher, parce qu'il est parti trop longtemps, parce qu'il m'a manqué et que j'ai peur qu'il disparaisse. Je t'aime Jillian. Il n'a pas besoin de dire ça, bon sang. Silencieuse, je sanglote dans ses bras, relâchant toute la pression accumulée depuis son départ. Je le déteste. Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, à m'accrocher à lui comme à une bouée de sauvetage. Mais c'est bien fait pour lui.

Finalement, je me détache, frotte mes yeux. En plus, les larmes sur ma coupure, ça piquait.

« On dit pas des choses pareilles enfin... »

Je lui fais le reproche, seulement c'en est pathétique avec ma petite voix et mes yeux rougis. Non, les élans de tendresse et les déclarations d'amour, c'est vraiment pas mon truc. J'ai beau adoré Maddox, il a beau être un médoc dont je ne peux me passer, ça me met mal à l'aise.

« Je te crois quand tu dis que tu voulais pas me laisser... Mais ne recommence pas, d'accord ? S'il-te-plaît. »

J'essuie une nouvelle fois ma joue, honteuse de ma démonstration. Je n'ose pas regarder autour de nous, je ne veux pas avoir attiré l'attention. J'ai l'impression d'être une gamine pleurnicheuse. Et ce que je détestais les gamines pleurnicheuses. J'essaye donc de retrouver mon aplomb.

« On peut commencer par un billard si tu préfères, pour ça il faut pas changer de chaussures. » Je lui désignais les quelques tables dans le fond de la salle. Une seule était occupée sur trois. « T'as une championne devant toi en plus ! Et tu me raconteras en même temps ce que tu fais depuis ta sortie. Qu'est-ce que tu en dis ? »

Un sourire renforce mon encouragement muet. Il en avait des choses à me raconter et, j'espérais, que des bonnes.

Elle pleurait tout contre lui et il ne savait pas vraiment comment faire pour que ses yeux ne soient plus aussi tristes. Maddox avait passé sa vie en pleine dépendance des autres et non pas l’inverse. Il était si heureux de la revoir et il avait tellement honte d’avoir envie de sourire alors qu’elle était en larmes. Il était si bien avec Jillian, avec cette femme qui l’avait aidé à avoir moins peur des autres parce qu’elle aurait toujours été là pour lui. Il se souvenait encore de la première fois où elle était venue dans sa chambre, elle cherchait à se planquer des infirmiers pour une raison qu’il ignorait encore et il s’en fichait parce que les gens en blouse sont mauvais. Il était allongé dans son lit, encore particulièrement blessé et dans l’incapacité motrice de se lever sans hurler de douleur. Elle s’était cachée sous son lit et il n’avait rien dit. Terrifié et à la fois fasciné par ce regard de feu. Elle été sortie de sa planque, l’avait remercié et il été resté immobile et muet. ‘T’es mort ?’ Cette question l’avait secoué tant le ton avait été emprunt de cette force qui la caractérisait et il avait enfin ouvert les lèvres pour répondre fragile ‘Je crois que oui, madame…’

Elle n’avait cessé de lui prouver à quel point il était en vie. Il lui disait à qu’il l’aimait, elle se détachait de lui en lui demandant de ne pas dire de telles choses ; il baissait doucement les yeux. Elle est mal à l’aise ; pourquoi tu ne m’aimes pas ? Il encaissait durement la nouvelle ; observant la jeune femme qui lui fit alors promettre de ne plus l’abandonner. Il répondait d’une voix frêle « C’est promis… » Il avait peur des promesses ; il savait à quel point c’était fragile. Mais il ne voulait pas l’abandonner encore, il voulait qu’elle l’aime de nouveau.

Elle l’entraine vers les tables de billards ; il l’observait alors qu’elle lui demandait de lui dire ce qu’il avait fait d’intéressant depuis sa sortie définitive ; il observait les boules disposées en triangle sur la table alors qu’elle lui tendait un bâton qu’il tenait assez maladroitement avant de répondre « J’ai une nouvelle tutrice, elle s’app… Elle s’appelle… Tamina… » En l’espace de trois secondes il était passé de son teint un peu blafard au rouge pivoine ; penchant légèrement la tête en avant pour laisser ses cheveux tomber devant ses yeux assez honteux de sa propre réaction. Seigneur, c’était compliqué parfois la vie tout de même… Oh non, il ne pouvait pas dire qu’elle était très belle et qu’elle l’avait embrassé parce qu’il ne savait pas vraiment s’il devait en parler. Il n’avait pas compris ce qu’elle lui avait expliqué, lui disant que les gens ne voulaient pas voir ça, qu’ils ne voulaient pas le savoir. Pourquoi ? Les gens s’embrassaient bien dans les rues… Pourquoi était-il à ce point différent ? Pourquoi ne pouvait-il pas être comme tous ces gens ? « Il y a toutes ces voix… Elle dit que ce n’est pas réel ; mais ça l’est pour moi. » C’était parfois bien plus réel que certaines choses qui paraissaient plus raisonnables aux yeux d’autrui. Non, il ne comprenait rien au monde des hommes parce qu’il était un rêveur. Tous les esprits étaient bien là et ils étaient vivant comme lui.

« J’ai peur de sortir, tous les gens me regardent et leurs yeux me disent que je suis fou. Ce n’est pas pareil dans ce monde… Les gens ont besoin d’argent et moi j’n’en ai pas. Je ne sais pas pourquoi ils sont là, à prendre toutes ces choses et toujours en vouloir plus parce qu’ils n’en ont jamais assez. Oh non, les gens veulent toujours ce qu’ils n’ont pas et ils oublient tous ce qu’ils ont déjà. Ils se rendent tellement malheureux et ils sont aveugles et sourds… J’ai peur de sortir… » Doucement, il glissait de nouveau sa main dans celle de la jeune femme ; il aurait voulu qu’elle lui montre comme avant qu’il pouvait ne plus avoir peur. Mais cette jungle était vraiment dangereuse pour lui et son insouciance était morte depuis bien longtemps. Le beau brun jetait un coup d’œil à leurs voisins plutôt bruyants et bière en main ; une image si vulgaire qu’il ne la comprenait pas. Leurs ventres énormes étiraient leur tee-shirt au point d’en déformer les motifs ; les observant avec cette insistance gênante.

‘Salut, vous voulez jouer avec nous ?’ Interrogeait l’un d’entre eux en reluquant Jillian. Le dément serrait un peu plus ses doigts autour de ceux de la jeune femme avant de planter son regard azuré dans celui de la jeune femme. Toujours à la recherche de cette lueur dans les yeux des autres qui signifiait qu’eux aussi peuvent voir…

Il me promet. Il ne me laissera plus livrée à moi-même. Il ne laissera plus d'opportunité à la psychopathe qui sommeille en moi de surgir. C'est bête, je sais bien que les gens ne cessent de briser leurs promesses. Je sais qu'il faut toujours se méfier et je garde d'ailleurs toujours du recul ; j'apprécie l'effort, mais je garde en tête que rien n'est joué. Que des mots ne font pas loi. C'est probablement pour ça que je n'ai jamais été enthousiasmée par la littérature ou les discours. Moi je donne du crédit aux faits, aux agissements des gens. Si je fais une confiance presque aveugle Hayel, c'est qu'il m'a prouvé que ses paroles n'étaient pas du vent juste bon à m'amadouer. Et je garde, tout au fond de moi, ce recul que j'ai appris à brandir comme un bouclier. Celui-ci est juste plus petit. Dans le cas de Maddox, je me doute qu'il fera ce qu'il peut pour tenir son engagement. C'est quand même l'homme qui a insisté pour secourir la femme qui voulait l'égorger quelques minutes plus tôt. Je pense que ça résume assez bien son cas.

Je retrouve peu à peu ma dignité – en tout cas, j'y travaille. J'essuie mes yeux rougis et dévie sur un sujet moins délicat. Enfin je passe à autre chose. Parce que pleurer dans les bras d'un type, ça va une seconde, mais il faut penser à se reprendre. Et ça vaut aussi si au lieu d'un type, c'est une nana. Je lui propose donc un billard pour qu'il n'ait pas à batailler avec l'idée de changer de chaussures – je ne comprends pas ce qui le dérange, mais ça le dérangeait de toute évidence – et de me raconter comment il vit depuis sa sortie de l'hôpital. J'adresse un sourire contrit au réceptionniste en passant devant lui. Il ne doit pas avoir l'habitude de ce genre de scènes dans son établissement, c'est certain d'après l'arc que forment ses sourcils au-dessus de son regard. En somme, on lui paraît un peu fêlés. Comme tout le monde, rien de nouveau à l'horizon. Quoique j'ai réussi à ne pas trop me faire remarquer au boulot jusqu'à présent... Un exploit dont je me félicite. Il faut dire que je ne saurais pas travailler quelque part où l'on me dévisage comme la dernière attraction en date. J'en ai suffisamment soupé lors de mon procès, merci. J'attrape deux queues et en tends une à Maddox qui observe la table comme une curiosité. Il entame finalement une réponse pendant que je dépose mon sac sur une chaise et ôte ma veste. Je reporte bien vite mon regard sur lui pour confirmer ce que j'ai entraperçu du coin de l’œil. Et oui, il rougit ! Il semble même très gêné. La surprise marque mon visage alors que je m'interroge sur la raison de cette moue presque honteuse. Avoir un tuteur n'est pas nouveau pour lui et il n'a pas plus peur des femmes que des hommes. Le voyant essayer de cacher ses yeux, j'étire un sourire malicieux.

« Elle est jolie ? »

Je le taquine à son sujet, mais je suis déjà pleine de préjugés à son égard. Après avoir vu ce que lui avait infligé son ancien tuteur, je peine à ne pas me méfier de la nouvelle. Surtout si sa méthode consiste à le faire passer pour un menteur ou une victime d'hallucinations. Après le départ de Maddox, j'ai souvent demandé des nouvelles aux infirmiers et aux médecins, pour au moins apprendre que son préposé ne l'enfermait pas et ne lui ouvrait pas seulement pour le cogner. On lui avait dit que ça se passait bien et il n'était jamais revenu, donc c'était un fait positif. Pourtant, à mes yeux, cette Tamina ne l'aide pas si elle se contente d'essayer de le convaincre que ce qu'il vit n'est pas réel. J'imagine que s'il tentait de s'en convaincre, les esprits se manifesteraient avec plus de force. J'imagine seulement, mais de toute façon les doutes quant au bien qu'apporte la tutrice à Maddox se renforcent quand il me raconte sa peur de sortir et des gens qu'il ne comprend pas. Est-ce qu'elle fait le nécessaire histoire d'être payée et ne cherche pas à se fouler plus ? Elle devrait lui expliquer ce qui est évident pour les autres et pas pour lui, lui apprendre à ignorer le regard des autres, à s'affirmer, à apprécier sortir... Au moins elle ne le frappe pas. Face à mes conclusions, je me dis que j'ai de la chance avec mon propre tuteur. Je baisse mes yeux sur sa main avec laquelle il étreint la mienne.

« On sortira à deux. Ce que disent les gens, on s'en fout. Tu sais, on peut pas... »

Je relève les yeux, coupée par un butor. Il a vu où qu'il pouvait s'incruster dans notre conversation pour faire sa proposition à la con ? Je le jauge de la tête au pied, visiblement agacée, puis jette un œil du côté de ses potes. Leurs auréoles sous leurs aisselles et leur ventre bedonnant et poilu qui dépasse de leur t-shirt achèvent l'image du bof en puissance.

« T'as pas vu qu'on était occupé ? »

« Oh ça va, c'est pas drôle à deux, vous vous amuserez plus avec nous. »

Derrière, l'un de ses amis m'adresse un sourire se voulant charmeur et quand je détourne mon regard, je surprends l'autre en flagrant délit de matage de seins. Il doit être vraiment désespéré parce que ma poitrine n'est pas du genre à donner des fantasmes. Je lâche Maddox, serre les poings et plisse les yeux. Mauvais signes.

« J'en ai rien à foutre. »

Au moment où j'allais ajouter qu'il avait intérêt à lever le regard, toutes les lumières s'éteignent.

Il avait rougie nerveusement, le beau brun essayait de dissimuler cette honte qui s’inscrivait sur son visage de pensées qu’il pensait qu’il ne devrait pas avoir à l’égard de sa tutrice tant c’était « mal ». Qu’il y avait-il de mal d’être un homme comme les autres avec des désirs… La question de la jeune femme le fit rougir de plus belle et il porté ses mains sur ses joues pour se cacher en jetant à son ami un regard presque implorant pour qu’elle ne se moque pas de lui. Il essayait de reprendre le contrôle de son propre corps, des choses qu’il ne parvenait pas à faire en règle générale. Il avait peur de sortir, du regard des autres. Et enfin, malgré ses joues un peu trop rosées il s’exprimait. Il prit la main de la belle pour se rassurer. Et elle resserrait ses doigts, il la fixait de ses yeux bleus quand elle lui disait vouloir sortir avec lui, l’emmener et alors qu’elle parlait ils furent interrompus par des types à cotés ; les regardant sans savoir s’il était le seul à les voir. Apparemment non puisqu’elle se taisait. Tenant toujours la main de la jeune femme dans la sienne quand elle leur répondait un peu sèchement. Alors que l’homme insistait ; elle lâchait sa main pour les envoyer paitre ; il la fixait de ses yeux bleus et tout à coup. Tout avait disparus. Il se raidissait d’effroi ; les yeux grand ouverts dans l’espoir d’y voir quelque chose. Les gens criaient, réclamaient la lumière… Puis enfin il lâchait la queue de billard qui tombait sur le parquet dans un bruit sourd. Il avait peur à présent, il savait que les ombres semaient l’obscurité et maintenant, oui… Elle était prête à l’engloutir…

« Jillian… » Soufflait-il à peine, effrayé… Il ne savait pas où elle était et naissait par des coins de la salle les lumières d’écran de téléphones que les propriétaires utilisé comme lampe torche d’infortune. Un rire lui parvenait aux oreilles ; se moquant de lui une fois de plus. Ô tu ne voulais pas venir avec moi ; je t’y mènerais de force mon petit Prince ! Toutes ces visions d’horreur l’avaient fait complètement disjoncter au fil du temps, paranoïaque persécuté. Son état n’irait jamais en s’améliorant parce que la menace des esprits était réelle et qu’il était bien trop faible pour lutter. Il fuyait et n’avait nul refuge. Les ombres étaient cachés partout jusque sous son lit ; ce lien étrange qu’il avait avec les esprits ; cette incapacité qu’il avait de cacher ses dons. Passant pour un fou aux yeux des ignorants ; délicieux festins pour les morts.

« Jillian… Jillian… » Appelait-il un peu plus fort ; il avait froid et ses joues avaient repris une coloration pale de peur. Cherchant des mains la jeune femme, les posant sur l’un des types qui avaient voulu jouer avec eux au billard ; chose qui déplus au gros bras qui lui jetait un « Ne me touche pas. » Repoussé un peu trop brutalement, son poids bousculait tout entier et il se retrouvait le dos sur le parquet alors que les néons se mirent à clignoter de façon menaçante. Clignant également des yeux éblouis par ces sortes de flashes qui le toisaient ; les esprits se nourrissant de sa peur gagnant en force alors qu’ils le détruisaient. Ils avaient besoin de bien plus de force pour avoir un corps, harcelant les habitants de la ville jour après jour. Une guerre de l’invisible sur le point d’éclater…

« Au secours… Les ombres sont là… » Chouinait-il en se recroquevillant sans savoir où il était. Pourquoi personne ne venait le secourir ? Oh Tamina, tu m’as abandonné ici… Ce désespoir intense qui l’envahissait… Tu dois nous suivre… Il avait peur ; pourtant il se relevait. Les larmes faisaient brillaient ses yeux magnifique alors que l’obscurité régnait de nouveau ; les clients poussaient des râles exaspéré alors qu’il se mit à évoluer dans le noir sans savoir où il allait. Guidé par cette voix qui lui parlait, qui lui disait de le suivre ; marchant sans le savoir vers les piste glissante du bowling. Cette marche crispée, tendue… Chaque pas semblait un supplice ; ce calvaire de vivre. « Jillian… » Il chutait de nouveau, le sol était trop lisse ; il se cognait la tête dans la gouttière et se mit à saigner derrière celle-ci. Son regard se perdait quelque peu….

Il se mit à hurler à plein poumons ; ouvrant brutalement les yeux. Il était toujours allongé au sol où le type l’avait fait tomber à coté du billard. Il était mort encore une fois, une vision d’horreur qu’on lui avait imposé pour le torturer une fois de plus. Un flot de larmes s’échappaient de ses yeux bleus alors que d’autres personnes se mirent à pleurer et crier, persécuté à leur tour. La mort était si cruelle…

Le noir complet. La surprise, les « c'est quoi ça encore ? ». Du côté des pistes de bowling, quelqu'un percute le sol. Ça fait un énorme bruit au milieu de cet étrange silence malgré les protestations, que seule l'obscurité sait provoquer. Un silence oppressant et menaçant. Je ressens presque le choc à l'intérieur de moi, comme une déflagration qui me secoue. Mes doigts se sont resserrés autour du bâton que je comptais enfoncer dans le pied du bof l'instant d'avant alors que je me retournais vers la source du bruit. Un autre me fait sursauter, bien plus près. Je recule avant de me rendre compte que c'est Maddox qui a lâché la queue de billard et qu'il m'appelle. Avant de me tendre sous un froid mordant. A mon tour, je fais chanter le sol. Un pas en arrière, puis deux. Je n'ose pas avancer et la sensation de froid me colle. Encore un pas. Un murmure. Un souffle qui aurait pu se confondre avec le bruissement d'un vêtement. Mais que j'ai malheureusement entendu ; en cet instant, il n'y a plus que cette voix qui bourdonne dans mes oreilles, comme s'il y avait eu une explosion et que je n'entendais plus que ça. Des putains d'esprits. Et celui-là en particulier qui ne me lâche pas. Personne ne le verra mais ma couleur de peau a soudainement pâli. Je déglutis. Aucun mot ne franchit mes lèvres. J'en ai oublié jusqu'à Maddox, tétanisée par les desseins du fantôme. Si seulement je pouvais m'en éloigner...

Une lumière attire l'attention de mes yeux, jusque là fixés sur le vide devant moi, où je peux presque deviner les contours de l'agresseur. Quelqu'un utilise l'écran de son téléphone portable pour contrer l'obscurité. Mais ça ne sert à rien contre eux. Mon regard se reporte vite sur le spectre. Je ne le vois pas, je le devine, je sens sa présence. La chair de poule, les tripes qui se tordent, le plomb dans les jambes, le cœur qui s'emballe. Il est proche, trop proche. Je recule toujours, lentement mais je ne reste pas sur place au moins. Oh merde. Mon pied roule sur un objet et évidemment je glisse. Un cri s'échappe, le premier son depuis le face-à-face. Et je tombe, me faisant un mal de chien aux coudes que j'ai utilisés pour me réceptionner. A terre, je continue à reculer, un peu plus vivement. Je veux voir cette saloperie ! Montre-toi !, j'ai envie de lui crier, prouve que t'es pas un enfoiré de lâche. Bien sûr, je reste muette. Je ne fais pas la fière, loin de là. L'idée qu'il puisse fondre sur moi à tout instant sans que je ne le vois arriver me fait paniquer. C'est pas juste, on n'est pas à armes égales. Je ne sais pas comment me défendre face à de l'ectoplasme ; est-ce que c'est seulement possible ?

Tout va tellement vite et en même temps j'ai cette impression de scène au ralenti, tout bonnement insupportable dans les films. Je sens le froid s'accroître à nouveau. Ma respiration est bruyante tandis que mes battements cardiaques s'accélèrent. Des hurlements déchirent l'air poisseux et me percent le cœur.

« Maddox ! »

Enfin des paroles intelligibles. Deux syllabes hurlées avec terreur. Je ne sais pas ce que j'espère en l'appelant ; il n'est pas en état d'entendre, encore moins de suivre ma voix pour me retrouver. Moi-même, je suis en train de me mettre à genoux pour le rejoindre mais une main glacée attrape mon cou. Instinct de survie, ma main valide accroche le poignet de mon adversaire pour... Rectification, elle passe à travers. Il peut me toucher, mais pas moi, c'est quoi cette foutue connerie de merde ?! Et il serre, serre... Et brusquement, de l'air s'engouffre de nouveau dans mes poumons. Je ne cherche pas à comprendre. Tout en récupérant ma respiration, je m'éloigne d'abord à quatre pattes. Pas si loin que ça, je remarque quelqu'un à terre. La gorge mal en point, je ne prononce pas un mot en découvrant qui c'est. Je me poste à ses côtés, pose une main sur une moitié de son visage.

« C'est Jill'. Tu es blessé ? »

Penchée, je lui souffle à l'oreille d'une voix encore saccadée. Les yeux glissent sur son corps pour essayer de distinguer une blessure malgré la noirceur de la salle. Je passe ma main dans ses cheveux puis la redescend sur sa joue pour le caresser du pouce, tentant de le rassurer et d'essuyer ses larmes. Pourtant moi-même je tremble encore et je crains une nouvelle attaque. Au loin, quelqu'un prévient d'une voix forte mais tremblante que les pompiers ont été appelés ainsi qu'une ambulance. Des sons de verres brisés répondent à sa déclaration. Des éclats tombent en pluie sur nous, sûrement du lustre juste au-dessus de la table de jeu. Rapidement, je me penche au-dessus de Maddox, ma joue contre la sienne, la main émigrée sur son torse et l'autre bras appuyée sur le sol, autour de sa tête, les doigts agrippés à ses cheveux. L'angoisse me fait respirer fort. D'une voix faible, je lui murmure une nouvelle fois :

« Faut qu'on sorte de là, Maddox. Je veux pas rester là. Tu peux te lever ? Faut qu'on sorte, faut qu'on sorte, faut qu'on sorte, faut qu'on sorte, faut qu'on sorte... »

Psalmodie qui ne me rassure pourtant pas. Une larme roule au coin d'un de mes yeux. Je ressens le froid et les ténèbres m'oppressent.

Il hurlait car il était tout simplement terrifié et c’est alors que son prénom fut prononcé dans ce néant, la voix de Jillian au milieu de cette ambiance nauséabonde. Puis il n’entendait plus la voix de la jeune femme, sanglotant alors qu’il sentait le froid autour de lui ; il était terrifié et la mort semblait roder autour de lui avec avidité cruelle. A qui appartenait-il à présent ? Il ne savait plus, il aurait voulu être ailleurs à cet instant. Ô Jillian, pourquoi m’as-tu conduis dans cet endroit ? J’ai si peur… Personne n’a dit que c’était facile de vivre, mais personne n’avait dit que c’était aussi dur. Parfois il suffisait d’aller trouver et de dire tout simplement : j’ai besoin de vous, ramenez moi au début…

Puis une main le sortait de sa torpeur ; elle palpait son visage et il se crispait à ce contact tiède cette fois ci ; il n’eut pas même l’énergie suffisante pour faire le moindre geste de recul ; ses yeux bleus fixaient le vide et craignaient ce qu’il s’y cachait. Est-ce qu’il était blessé ? Doucement, il passait sa main derrière sa tête, il avait mal puisqu’il était tombé, mais il ne saignait pas. Son regard s’accrochait à l’ombre qu’était son visage, il n’arrivait pas à la reconnaître. C’est alors qu’un bruit de verre qui se brise lui parvenait ; il fermait les yeux brutalement, ses bras se crispant autour de Jillian venu le protéger de son petit corps. Il pleurait en silence comme si une main invisible lui serrait la gorge et l’empêchait de crier. Elle finissait par lui murmurer qu’ils devaient se lever, qu’ils devaient partir… Sa main finissait par aller sur la joue de la démente « Allons nous en Jillian… Les ombres… Elles gagnent toujours… » Parvenait-il à dire enfin, toussant faiblement. Posant une main au sol dans les débris ; se coupant la paume de la main dans une douleur qui le fit grimacer. Une vielle douleur à l’omoplate le maltraitait ; d’accord assis puis il se levait avec toutes les peines du monde.

Une fois levé, il tenait la main de la jeune femme un peu trop fort. Son sang coulait et il se sentait perdu. Il suivait la jeune femme sans savoir où il allait. Il se sentait poussé, il se sentait mal à l’aise. Oppressé et enfin, oui enfin l’air extérieur… Prince collé à la plus jeune, cramponné à celle-ci terrifié ; maladroit et cette douleur qui irradiait tout son bras devenait insupportable. « Oh j’ai mal Jillian… Pardonnes moi… Tout cela est de ma faute… » C’était lui qui attirait les esprits, qui les faisait valser autour de lui dans un bal infernal parce qu’il refusait de les rejoindre, luttant avec ces pauvres larmes. Le pauvre fou pleurait encore ; il voulait rentrer chez lui ; il voulait retrouver Tamina. Il ne savait pas pourquoi, il était déchiré par cette volonté qu’il avait parce que Jillian lui avait tant manqué et pourtant ses pensées le guidaient vers Tamina comme si elle pouvait le protéger. Il le croyait et c’était suffisant. Il s’en voulait, les larmes de Jillian qu’il avait causé encore une fois. Il se sentait coupable et c’était parce qu’il était une éponge de culpabilité qu’il était si manipulable. Il avait envie de prendre ses jambes à son cou, parce qu’il était lâche par-dessus le marché. Les gens hurlaient encore à l’intérieur et Maddox frissonnait d’effroi ; plus jamais il ne mettrait les pieds dans cet endroit ; non jamais.

Cette fois, c'est Maddox qui réagit. Je me laisse entraîner par son mouvement pour se relever. Je déglutis fort, cherchant le courage de faire face à mes démons. Oui, les esprits sont mes démons, à la différence que je ne peux pas leur jeter de l'eau bénite dessus. Je ne peux rien faire contre eux et c'est ce qui me terrifie le plus. Comment combattre quand il n'existe aucune arme ? Contre n'importe quel trou du cul, on peut toujours envoyer une droite, voire un genou dans les bijoux de famille. Mais contre eux, il n'y a rien à faire à part courir. Et encore. J'ai peur de leur faire face. De me rappeler Cateline. Les éviter à tout prix... Sauf qu'ils ne laissent pas le choix. Difficile de se redresser dans le noir complet quand on tremble et que le sol est recouvert de débris de verre. Je tâtonne un moment, grimaçant lorsqu'un tesson se fraie un chemin dans ma jambe. Finalement, nous retrouvons les hauteurs et, à l'instar des autres moments critiques de la soirée, Maddox s'accroche à ma main. S'il ne l'avait pas fait, c'aurait été mon tour.

Je respire un grand coup. Je le sens proche. Plus question de pisser dans son froc. Sans s'arrêter, on file droit vers la sortie. Je ne sais pas pourquoi les gens pensaient que la porte était bloquée, mais dès qu'ils voient le contraire, ils nous suivent d'un pas précipité. Voilà. On est dehors. Mais est-ce qu'on est loin d'eux pour autant ? Je ne m'arrête pas avant que nous arrivions au trottoir d'en face. Au moins, le parking est entre nous, où il y a des victimes potentielles sur lesquelles se jeter avant de venir nous emmerder. Pensée dégueulasse, mais, en l'instant, je m'en contre-fous.

A l'air frais, je reprends la respiration que j'avais coupée sous le coup du stress. J'ai réussi, ma récompense est de respirer. C'est cool. Pas sûre que Tamsin y aurait eu droit, elle que je sens en boule au fin fond de ma conscience. La soirée a été forte en émotions – et on n'est pas encore rentrée à l'appartement – je ne peux pas lui en vouloir... En tout cas, maintenant je suis fixée sur une chose : inutile de compter sur elle pour me sortir du pétrin. J'en connais une qui va en fin de compte être contente de retrouver Hayel ; deux même. Cependant, avant de fêter notre retour en un seul morceau, il faut faire le chemin et s'assurer que Maddox rentre lui aussi bien. Terrorisé et cramponné à moi, je ne sais pas quoi faire... Moi aussi, je dois me reprendre, alors dans un premier temps je ne fais rien. Quand j'ai repris plus ou moins le contrôle, je me libère doucement pour lui faire face, tout en restant toute proche.

« C'est pas ta faute ! Dis pas de conneries ! »

Une fois n'est pas coutume, je reprends sa main dans la mienne avant d'ajouter :

« Tu nous as sortis de là... »

J'allais continuer, mais je m'arrête brusquement pour lever sa paume à mon regard. Ce n'était pas le fruit de mon imagination morbide, elle est bien pleine de sang. Super. Pour le moment, je ne sens pas ma propre petite blessure qui ne saigne par ailleurs vraiment pas beaucoup.

« Oh merde... »

Un peu de chance dans une soirée aussi pourrie, c'est apparemment possible. Autant ne pas faire de bêtise, j'emmène Maddox auprès de l'ambulance se garant comme un tank sur le parking de l'établissement. Ils nous emmèneront à l'hôpital, là petit rafistolage, puis on est bon pour rentrer enfin. Lieu connu où aucun signe de surnaturel n'a été enregistré à ce jour et ami rassurant. Des jours comme ça me font regretter les journées barbantes réglées comme du papier à lettre.