On ne pouvait pas dire que les enquêtes s'amoncelaient, bien loin de là. La brune faisait beaucoup de surplace, manquant encore de technique d'approche et de renseignements de la part des personnes qu'elle interrogeait. Tout ce qui était intéressant était bien souvent retenu par la police qui se contentait pour la plupart des cas de lui rire au nez lorsqu'elle venait leur demander d'avoir accès aux archives des dossiers concernés. Sophya s'était donc concentrée sur les informations qu'elle possédait déjà et creusait toute sorte de piste les concernant. D'ailleurs, l'une d'entre elle la menait ici, devant cette habitation de Treme qu'elle n'avait fréquenté que pendant quelques années. Se souviendrait-il seulement d'elle, cet homme qui avait réussi à la réconcilier avec elle-même ? Dans le fond, la jeune femme espérait que oui, parce qu'elle allait lui demander de lui faire passer une étape largement supérieure que ses petites mises en pratiques précédentes.

Son dossier traitait d'une disparition d'enfant, une dizaine d'années plus tôt. Les frères et soeurs avaient fini par refaire appel à la presse devant le manque de nouvelles et d'investigations de la police, suspectant d'autres enlèvements dans leur quartier par la même occasion. La jeune femme s'était donc attelée à la tâche de repérer les lieux, prendre contact avec la famille, relever les articles, les potentielles victimes, de dresser un portrait de chacune d'elle et ensuite avait constitué un nouveau dossier, cependant bien moins fourni que ce qu'il aurait pu être avec l'aide de la police. Sophya avait sué pour en arriver ici, mais elle avait fini par avoir accès aux preuves retrouvées sur le lieux de chaque enlèvement et avait collecté tout ce qui pourrait effectivement l'aider. Après tout, le dossier allait se clore très prochainement, et elle avait promis de ramener chaque effet lorsque ses propres recherches seraient terminées. C'est ainsi que la jeune femme avait fini par découvrir qu'un lien était à chaque fois présent sur chaque scène, comme une signature du ravisseur. Et cela ne présageait malheureusement rien de bon à ses yeux. Ce mouchoir qu'ils avaient supposé comme étant à l'enfant, présent sur chaque lieu, alors qu'ils ne côtoyaient ni la même école, ni le même mouvement de jeunesse. Et puis, il était rare de nos jours de voir des mouchoirs en soie encore. Toujours était-il qu'il s'agissait de sa seule preuve... et que celle-ci l'avait menée dans une impasse. Ce symbole avait été dessiné à la main par un couturier de l'époque qui avait fini par faire faillite, par perdre tout ce qu'il possédait. Il s'était enterré dans son propre lieu et y était mort, probablement de vieillesse. Mais il détenait une grande partie de l'histoire, elle en était sure. Et sûrement des corps dans son vieil entrepôt sans aucun doute.

Elle sonna à la porte et sourit devant la vieille femme noire qui vint lui ouvrir. Cette même femme qui avec son caractère facile avait réussi à redonner un semblant de sourire à l'adolescente pertubrée qu'elle était alors et qui avait enterré bien profondément en elle cette capacité de voir les esprits, comme un fardeau bien trop lourd à porter.

« Mama... »

La vieille femme l'attira contre elle et la serra dans ses bras avant de la repousser en avant, la maintenant par les avants-bras.

« Tu avais perdu l'adresse, Sophya ? Trois ans ! Trois ans qu'on ne t'a pas vue ! »

La jeune femme émit un sourire avant d'embrasser tendrement la joue de la vieille dame et de se relever.

« Je sais Mama. Je sais. J'ai besoin d'aide. »

Son interlocutrice la considéra un instant avant de se dégager de la porte et de la faire entrer. Un sourire naissant pointa le bout de son nez alors qu'elle observait les cadres et décors de la maisonnée. Tout ici sentait le Vaudou, tout en pointait son origine. Les masques, les sculptures, les dessins protecteurs sur les murs. Tout. Et cela lui réchauffait le coeur de se retrouver dans cette maison qui lui avait permis de devenir... Son propre maître.

« Pa' n'est pas là pour le moment, il est parti chercher de quoi préparer le Gombo. Tu restes dîner avec nous petite ? Il est hors de question que tu partes comme ça, tu es si maigre. Je suis sure que tu ne te nourris pas bien, tu as toujours été du genre à éviter certains repas. Tu nous as manqué gamine. »

La médium prit place dans le sofa moelleux et renfoncé, acquiesçant. Sa main serrée autour du mouchoir, l'autre autour de son alliance, elle détailla la décoration environnante. Rien n'avait changé, des cadres représentant tous les enfants que Pa' avait aidé – dont elle – et tout le reste.

« Ma'... Il faut que je voie Pa'. C'est vraiment important. J'ai besoin de contacter un esprit. Encore... là-bas. »

La vieille femme se retourna, l'oeil accusateur et la main levée en l'air avant de s'époumoner que c'était une mauvaise idée, qu'elle allait encore faire des bêtises, qu'ils en faisaient tous lorsqu'ils se rendaient là. Dans l'au-delà. Alors Sophya lui expliqua sa démarche pourquoi elle faisait ça, terminant son récit lorsque la porte d'entrée s'ouvrit et se referma dans un fracas assourdissant. Malgré tout intimidée, lorsque l'homme corpulent entra dans la pièce et la détailla de son regard sombre, le visage inexpressif. Se relevant et se redressant face à lui, l'ancienne juriste se retint de se ratatiner avant de jeter un coup d'oeil rassurant à Ma'.

« Je ne t'aiderais pas, petite. C'est trop dangereux. »

Elle ne put retenir le soupir résigné avant de franchir quelques pas et de se placer devant le vieil homme, enchaînant les paroles pour le convaincre. Elle était consciente du danger de la situation, de ce qui pourrait se passer si les choses dérapaient. C'est pour ça qu'elle était venue le trouver lui et pas un autre, parce qu'il avait son entière confiance. La brune finit par gagner et se retrouva assise sur une chaise, les pieds dans l'eau pour faciliter l'accès à l'autre monde, l'encens fumant autour d'elle, la chaîne de son alliance dans une main, la caressant distraitement, le mouchoir dans l'autre. Concentrée, elle planta une dernière fois ses yeux dans ceux de Pa' avant de les fermer et de laisser sa tête reposer vers l'arrière, tandis que Ma' lui glissait de l'eau sur le front avant qu'ils n'entament les litanies. Les mains serrées autour des totems, la brune finit par partir quelques minutes plus tard, glissant dans l'abysse peu rassurant des Enfers.

Tout y était sombre, noir, effrayant. Etouffant. Elle n'appartenait pas à ce monde et le sentait bien. Le Tartare. Cet endroit où les légendes semblaient tellement plus sympathiques en rapport à la réalité. On voyait la torture, la douleur, la peine. Cet endroit était la damnation éternelle, à n'en pas douter.

Et elle n'était qu'une brebis galeuse dans ce chemin sinueux, qui ne tarderait certainement pas à attirer l'attention sur elle. Spécialement lorsqu'elle croisa le regard de cet homme qui se faisait torturer juste devant ses yeux. Cet homme qu'elle cherchait. Providence? Elle n'y croyait pas, spécialement dans ces lieux. Son regard se figea sur la lame que tenait un autre homme, qui lui entaillait la chair pour faire siffler ses hurlements. Elle comprenait pourquoi Pa' n'était pas très heureux de l'envoyer là. Elle se sentait mal ici, parce que tout lui était hostile. Pourtant elle finit par glisser d'une voix mal maîtrisée.

"Vous en avez besoin encore longtemps? Parce que moi j'en ai besoin tout de suite."

L'au-delà était affreusement monocorde. Si la douleur ne consumait pas la conscience, la monotonie suffisait à affadir l'âme. De toute manière, personne ne désirait se faire surprendre en Enfer. Une surprise équivalait à un mauvais présage. Scáth préférait largement un quotidien morne. Après tout, il était mort, il était damné. Qu'attendre de plus ? Il ne connaissait plus que la nuit qui s'enflammait et la terre qui rougissait. Comment se plaindre alors que le pilori lui était dispensé. Une généreuse rétribution contre un travail de privilégié. Règle simple que peu saisissaient. Tant mieux, l'équilibre persistait, soutenant ainsi l'ordre établi par Babel, la tour des tout-puissants. L'ordre chaotique nécessitait des forts et des faibles. Ainsi l'horreur pouvait poursuivre son chant funeste.

Le faible pendait misérablement, ses pieds effleurant à peine le sol poisseux. Il hurlait cette souffrance qui tuait une étincelle au fond de ceux qui n'avaient pas encore été complètement avalés par les ténèbres. Leur espoir se fissurait et la fatalité s’immisçait insidieusement. Trois personnes de cet acabit faisaient face à leur ami. Elles ballottaient dans le vide, accrochées au plafond par des crocs de boucher. Elles devaient regarder avant que ce ne soit leur tour. Ils avaient transgressé la loi ensemble, la punition les réunissaient pour que chacun comprenne que s'unir ne provoquait qu'un déchirement plus grand encore. Au milieu, Scáth retirait le clou de l’œil du premier malchanceux. Ses gestes étaient maîtrisés, son silence lourd et son visage inexpressif. Des prisonniers avaient tenté de s'échapper, ils avaient été rattrapés, amenés dans cette salle où se rendait la justice et le bourreau était arrivé exécuter le jugement. Ce dernier n'avait aucun mot à dire. On lui présentait les criminels, il les condamnait à regretter leur acte. A se promettre de rentrer dans les rangs, parce que c'était leur unique moyen d'être sauvés. L'ancien Liam avait peut-être pitié d'eux. Il les considérait sans conteste stupides.

Scáth déposa le clou sur la table à tréteaux, fit glisser sa main d'outils en outils avant de s'arrêter sur le trancheur. Son regard voyagea sur les suspendus ; l'une était secouée de sanglots et se mordait si fort la lèvre inférieure qu'elle la sectionnerait bientôt, les autres affichaient des yeux exorbités, tremblaient comme des feuilles. Un cri leur échappait lorsqu'ils bougeaient. Qu'ils ferment les yeux et profitent de leur situation. Ils pourraient prier pour que celle-ci dure éternellement, cependant les prières n'avaient aucune signification ici bas. Il prit fermement le couteau trancheur dans sa main gauche et rejoignit le fou. La lame fut presque posée en parallèle sur son grand muscle pectoral et, brutalement, s'enfonça dans la chair. Une fine tranche tomba à ses pieds. Puis une autre. Aussi fines et régulières qu'un boucher qui couperait un jambon. Bien que Liam ne se souvenait pas de ce genre de boucher, encore moins de la viande. Inconsciemment, ce geste faisait davantage écho à celui qu'il avait effectué des milliers de fois durant sa vie, le corps humain remplacé par du bois. Une autre coupe, le muscle foisonnait de torrents tumultueux s'échappant de leur lit.

Lentement, il baissa l'arme et se retourna. S'attendant à la présence d'un supérieur, il fronça les sourcils lorsqu'il vit la jeune femme. Elle avait besoin du coupable. La requête aurait pu passer si la peur ne la souillait pas et s'il avait reconnu ce visage. Néanmoins, pour la première fois depuis des lustres, quelque chose s'animait en lui. Mouvement minime, quasiment imperceptible.

« Besoin pour quoi ? »

Le tortionnaire avança de deux pas, la lame le long de sa jambe. Il fixait la gamine indéniablement perdue de son regard sombre et impassible. Il la dominait largement et faisait le double de sa carrure. Du sang avait éclaboussé sa figure et ses vêtements, ses mains en étaient dégoulinantes. Concernant celui de la victime, sinon il avait toujours ces cinq plaies béantes sur son torse desquelles s'écoulait inlassablement sa vie. Derrière, l'homme enchaîné geignait dans ses larmes, la moitié de sa poitrine écorchée et le muscle apparent taillé. Le trio aux crochets observait dans un silence terrorisé.

Bienvenue en Enfer.

Spoiler:

L'atmosphère était réellement dérangeante, étouffante. Elle ne vivait pas dans ce monde et le sentait pertinemment. Mais est-ce que quelqu'un appartenait vraiment à cet univers tellement... tellement glauque, horrible et presque démoniaque ? La brune n'était pas spécialement sure de vouloir en savoir la réponse. Tout ce dont elle avait conscience maintenant c'était de la montagne de muscle dégoulinant de sang qui se tenait juste devant elle, la dominant largement de sa carrure imposante. Bon dieu, ce type aurait pu être un viking que cela ne l'aurait pas spécialement étonnée. Ses lèvres se serrèrent à son approche tandis qu'elle se redressait un maximum s'étirant pour en pas se laisser impressionner. Tout en apparence bien sûr parce que dans le fond, la brune était littéralement terrorisée. Parce qu'il fallait bien avouer que Monsieur Muscle avait tout pour impressionner, et que ça marchait plutôt bien sur elle.

Sa voix basse la fit frémir, tandis que ses yeux s'attachaient aux perles sombres et que sa bouche s'ouvrait pour se refermer. Courage mais pas téméraire. Son regard finit par tomber sur le torse lacéré, puis sur la lame dégoulinant de sang. Elle déglutit légèrement avant de relever les deux opales vers celles du mastodonte et alors qu'il avançait de deux pas, elle reculait d'un, ne cherchant pas vraiment un rapprochement physique entre eux. Cependant, la jeune femme tint à soutenir son regard, ne cherchant pas à fuir le contact visuel qu'elle serait le seul amène d'affronter sans le moindre doute. Sa projection ne serait pas bien longue, et ici le temps parraissait tellement lent, qu'il serait tout à fait possible qu'elle ait déjà passé plusieurs minutes dans sa projection et que Pa' allait la ramener. Alors autant ne pas traîner dans des tremblements inutiles. Elle était ici pour des réponses pas pour se laisser impressionner par un géant des glaces.

Impressionnant tout de même le géant des glaces. Sa bouche se rouvrit, laissant échapper une voix plus affirmée qu'auparavant.

« J'ai des questions. A lui poser. Et je perds du temps à répondre aux vôtres. »

La jeune femme s'était montrée ferme, alors que ses yeux passaient de l'homme à la victime, du bourreau au meurtrier. En voyant son visage, la médium n'avait réellement aucun doute sur sa culpabilité et se demandait sérieusement comment des inspecteurs confirmés avaient pu manquer d'autant de jugeote. D'ailleurs, il ne devait pas passer à la torture pour rien ou se retrouver aux Enfers pour rien. L'idée du Gombo de Ma' la faisait vraiment frémir en cet instant alors que son regard s'attardait sur les crochets maintenant des êtres. Des futurs esprits pouvant revenir à tout moment sur Terre. Des Esprits qui avaient vu son visage, qui connaissaient son origine sans aucun doute désormais. Qui venaient du pire endroit pouvant jamais exister. L'Enfer. Dans quoi s'était-elle embarquée encore ?

Elle sentit un souffle dans sa nuque et retint un frisson d'horreur tandis qu'une moue dégoûtée et inquiète se glissait sur son visage et que quelqu'un prenait place derrière elle. Pourtant la demoiselle ne se démonta pas, serrant ses poings inconsciemment, encore moins consciente du fait que son enveloppe corporelle en faisait de même, gémissant comme dans un sommeil empli de cauchemars. Ses lèvres se pincèrent avant qu'elle ne chasse d'une main cette impression, redressant son regard dans celui de l'esprit qui l'avait abordée.

« Est-ce que vous allez me laisser l'interroger ? Je n'ai pas que ça à faire. J'ai des corps à retrouver. »

La brune vit le torturé tourner son visage vers elle à une vitesse hallucinante. A en juger par sa rapidité, il n'avait pas dû être là depuis très très longtemps, et semblait savoir exactement à quoi elle songeait en cet instant. Bon sang, si elle avait eu plus de cran, elle aurait enfoncé elle-même cette lame dans le corps de ce... sale type. Par contre, celui qui se trouvait derrière elle commençait sérieusement à l'agacer, à la renifler comme si elle n'était qu'un morceau de viande. Ce qu'elle était en fait, actuellement. Une médium aux Enfers, ce n'était pas forcément courant. Malheureusement, la jeune femme n'était pas sure de pouvoir le faire partir sans en payer les conséquences. Alors elle se contentait de repousser la colère grandissante, flambant dans ses tripes, espérant qu'il la laisserait au moins réaliser son désir.

Lorsqu'il avança, elle recula. Un jeu qui aurait pu continuer jusqu'à ce que l'intruse décide enfin de le laisser travailler. Il aurait pu s'évertuer à l'effrayer pour qu'elle s'éloigne de ce sort qu'elle ne méritait sans doute pas. La curiosité était pire qu'un vilain défaut sur ce territoire. N'importe quel damné savait qu'il était préférable de se tenir à distance des jugements de la Tour, bien que ceux-ci soient rendus publics. Il s'agissait d'un avertissement, d'une manière de détruire tout courage, d'anéantir l'optimisme, d'enchaîner les déchus à leur misérable place... Il existait plusieurs raisonnements de leurs utilités, mais inviter à la discussion n'en faisait en aucun cas partie. De toute évidence, cette nouvelle recrue ne saisissait pas ce qui lui arrivait. Pourtant, le spectacle qui s'offrait à ses yeux résumait crûment la situation. Il ne poursuivit pas le jeu de l'intimidation, s'arrêtant pour écouter comment elle justifiait ce lamentable manquement aux règles de base.

Quelles questions pouvaient-elles être d'une importance quelconque quand on ne composait pas la classe dirigeante ? Précisément à cet homme, sanctionné pour avoir essayé de fuir la cité en emmenant des idiots dans sa quête vouée à l'échec. Scáth appréciait de moins en moins ce qui était en train de se dérouler. Il n'aimait pas les imprévus, ils n'apportaient jamais rien de bon. De plus, il n'avait pas encore atteint le stade où il se délectait d'ajouter une personne à sa liste de victimes. La jeune femme paraissait morte depuis un temps infime, si infime qu'elle ne semblait pas... vraiment morte. Elle ne se comportait pas comme quelqu'un qui venait d'apprendre sa fin. Elle avait l'air aussi saine qu'un nouveau-né, en dehors du fait qu'elle interrompe un bourreau pour réclamer une entrevue avec le coupable. Son corps ne montrait aucune trace mortifère.

Son attention fut détournée par un esprit qui se glissait auprès d'eux, attiré comme un aimant par ce morceau de vie. Un mur manquait à la salle de torture, donnant vue sur une place publique. Aucun témoin ne franchissait jamais les marches pour approcher les criminels, du moins ça n'était jamais arrivé jusque là lors des services de Liam. Ceux qui attiraient ainsi de la pire manière l'attention des supérieurs subissaient, après leur libération, une période où ils étaient considérés comme des pestiférés par tous. Personne ne désirait être aperçu accompagné des derniers délictueux, de peur de se voir accusé de complicité. L'attrait de la nouvelle venue avait néanmoins convaincu ce lambda. Scáth n'avertit pas, préférant noter la réaction de la jeune femme. La scène lui donna la réponse qu'il cherchait bien qu'il ne sache pas comment cela était tout bonnement possible. Son regard voyagea sur elle, choqué, cherchant à comprendre. Une surprise bien au-delà de ce qu'il s'imaginait. Une surprise qui le prenait totalement de court.

« Tu n'es pas morte... »

Il devait devenir aussi dément que l'homme qui humait le parfum qu'elle dégageait. Un parfum vivifiant, aux arômes d'innocence et de liberté. Un parfum pour lequel un milliard de damnés tueraient. Plus haut, les suspendus s'agitaient, soudainement pleins d'énergie. Les chaînes cliquetaient et, au plus ils s'animaient, au plus le crochet élargissait le trou qu'il avait créé pour s'enfoncer dans leur chair. Leurs cris se mêlaient aux sanglots de la femme et aux larmes de frustration des deux autres. Le torturé demeurait étonnement silencieux. Scáth continuait à ignorer la requête de la demoiselle, s'approchant suffisamment pour tendre une main vers elle. Lentement, il frôla l'épaule de la vivante avant de retirer son bras. Non, elle n'était pas comme eux. Plus encore, quand il l'avait effleuré, un vague souvenir était remonté à la surface. Incroyablement flou. Cela signifiait cependant qu'ils se connaissaient.

« Si tu restes plus longtemps ici, tu te foutras vite de tes corps. »

En aucun cas une menace, la réalité. Le tortionnaire observa les alentours ; un autre spectre avait gravi les marches vers la salle, mais s'était arrêté en plein milieu, il était probablement plus vieux que l'audacieux, écrasé un peu plus par le supplice. Nonchalamment, il alla déposer le couteau sur la table, laissant ainsi le temps à la vivante de réfléchir à ce qu'elle faisait et de partir. Toujours là quand il se retournait, il leva une main en direction de l'homme qui l'intéressait de façon à l'inviter à s'approcher de celui-ci.

« Pose tes questions. »

Les risques qu'elle prenait représentaient ses problèmes. Elle avait un aperçu de ce qui pourrait lui arriver, encore qu'ils n'étaient qu'au début de la séance, et il l'avait prévenue. Il recouvra l'autre esprit de ses yeux noirs et l'intima à partir. Le harceleur hésita, mais obéit lorsque l'ancien tueur en série entreprit de le rejoindre. Tandis que celui-là dévalait les marches, Liam se rapprocha de la médium et se baissa pour lui souffler quelques mots à son oreille, de façon à ce qu'ils ne soient entendus que d'elle seule.

« En échange, tu répondras aux miennes. »

Son regard se porta sur le corps de cette personne qu'elle n'avait jamais vu. Un être qui l'effrayait réellement et qui lui faisait presque regretter son petit voyage. En même temps, Sophya n'était déjà pas très partante de toutes ces choses vaudou, alors s'immerger d'elle-même dedans lui avait demandé de vrais sacrifices. La brune se contentait de l'observer droit dans les yeux, reculant tout de même lorsqu'il s'approchait. L'Esprit avait de quoi être effrayant au vu des plaies béantes qui se composaient sur son torse et de son air vraiment peu avenant, alors que sa taille de viking n'annonçait pas quelque chose de beaucoup plus positif en plus. De quoi donner l'envie de fuir à n'importe quelle personne censée. Mais depuis quelques temps déjà, si pas des années, c'était une qualité qui lui faisait crûment défaut.

Elle faillit se retirer alors qu'il était tellement proche qu'il parvint à lui frôler l'épaule, la faisant frisonner tant de peur que de dégoût. Si possible, la jeune femme évitait au maximum, et ne l'autorisait qu'avec ses proches, dans des conditions très souvent particulières. Enfin, on ne pouvait pas dire que la situation ne l'était pas non plus. Sa bouche s'asséchait tandis que le harceleur continuait de la renifler. La remarque lui fit arquer les sourcils tandis que sa bouche s'ouvrait sur une expression de stupeur. Ce n'était pas vraiment le genre de remarques à laquelle elle se serait attendue de la part du bourreau. Enfin, ce n'était pas comme si elle aurait pu s'attendre à autre chose d'autre vu l'endroit où elle se trouvait. La brune referma la bouche, chassant d'un geste de main énervé l'inopportun, soufflant de colère grandissante. Se retrouver ici n'avait rien de charmant – non pas que Sophya aurait pu s'attendre à une promenade de santé – mais il fallait avouer que ces foutus esprits ne faisaient rien pour améliorer la situation. Cela l'aida aussi à reprendre un minimum d'assurance pour répondre d'une voix acide.

« Perspicace Sherlock. »

Ses yeux accrochèrent ceux du mort tandis qu'elle étirait un sourire suffisant. Avoir peur n'allait la mener nulle part, surtout pas dans ce lieu où seule la confiance en sa propre personne pourrait lui apporter les réponses qu'elle était venue chercher. Peut-être quand même pas trop de confiance parce que finir sur l'un de ces crochets n'était pas vraiment dans ses plans. Son regard se fit plus persuasif tandis qu'il enchaînait sur le fait qu'elle finirait par s'en foutre si elle restait ici. D'un autre côté, la médium ne comptait pas vraiment s'éterniser. Son corps n'appartenait pas à cet endroit et le lui faisait d'ailleurs clairement comprendre, par des tiraillements plutôt désagréables. Son passage ici était forcé et l'atmosphère des Enfers l'avait bien compris.

« Je n'avais pas prévu de rester ici pendant des jours et des jours. Je veux juste mes réponses. Après je m'en vais. »

C'était une promesse, tandis que la fermeté de sa voix témoignait son envie d'en finir au plus vite. L'esprit se dirigea lentement vers une table où il déposa ses instruments de torture et la jeune femme permit à un nouveau frisson d'horreur de la traverser. Où donc avait bien pu passer l'humanité de cet homme pour qu'il en arrive à de telles atrocités ? Qu'est-ce qui motivait autant de douleurs dans les Enfers ? Et pourquoi fallait-il forcément des bourreaux et des victimes ? Son regard se promena sur l'homme qu'il torturait avant que Sophya ne se rappelle de ces gamines. Etaient-ils tous des victimes ? Pas vraiment à en juger ce dont elle avait eu connaissance avant d'atterrir ici. La surprise se peignit cependant sur ses traits alors qu'il lui laissait le champ libre et faisait même partir le renifleur dérangeant. L'humaine hocha doucement la tête alors que son regard se portait déjà sur son présumé coupable. Et pour sur, son instinct ne la trompait pas. Parce que sinon pourquoi serait-il aussi peu étonné de la voir débarquer à ce sujet ?

« Un deal est un deal. »

Elle s'avança, approchant avec lenteur de l'homme avant de tendre son visage vers le sien, sans aucune lueur de sympathie. Cet esprit la dégoutait encore plus que les autres, parce que lui, avait été une véritable enflure vivante, sans raison valable. Pas de possession, pas d'esprit hanteur. Juste un connard fini. Elle lui demanda sans aucune douceur, détachant chacune des lettres de sa phrase, où il les avaient mises, ces gamines. Pas d'étonnement, juste un rire bas, gras. Elle reposa la question une seconde fois, s'approchant un peu plus. Toujours aucune réponse. Alors la jeune femme passa à une nouvelle étape, la menace. Un peu comme on le faisait dans ces films policiers qui ne voulaient rien dire. Mais elle lui avoua que pendant ce temps où elle lui posait toutes ces questions, elle distrayait l'attention de son bourreau, que grâce à elle, il ne se faisait pas torturer en cet instant même. Que cela pourrait très vite changer. Et que si dans la seconde qui suivait, il ne lui avait pas donné le lieu, alors elle lui laisserait champs libre.

Un sourire satisfait se plaça sur son visage alors qu'elle se reculait tout en lui murmurant placidement qu'elle venait tout juste de lui mentir, et qu'elle espérait qu'il souffrirait encore très longtemps. La médium avait vu juste depuis le début. Il savait et ne regrettait rien. Strictement rien.

« Il est à vous. Qu'est-ce que vous voulez savoir ? »

L'effronterie ne la mènerait nulle part, mais la couardise non plus. Alors la jeune femme se contenta de faire face à son  « sauveur » sans pour autant trop s'approcher. Quand on avait autant de balafres suintantes de sang sur le torse et qu'on torturait des gens, on ne valait peut-être pas mieux que les autres...

L'incrédulité l'avait tiré de son mutisme. Il ne savait pas que c'était possible. Qu'un vivant puisse pénétrer dans les terres infernales modifiait ses convictions. Cette femme s'était introduite dans la cité sans passer par le chemin surveillé. Sans que les dirigeants en aient connaissance. Cela changeait tout. Elle le tira de ses réflexions, il reporta son attention sur elle, la gratifiant d'un regard noir. Scáth rappela alors, à cette donzelle qui pensait pouvoir faire son marché en Enfer à son gré, que le prix pouvait se révéler fort cher. Comment elle avait réussi à arriver jusqu'ici, il n'en avait aucune idée, cependant le départ pourrait s'avérer bien plus compromis. Qu'elle ait prévu de rester une heure ou deux jours importait peu. Le temps se perdait ici bas. Les gens se perdaient. Et ces gens pourraient la perdre, elle. Lui le premier.

Liam n'avait pas l'impression qu'elle saisissait pleinement la situation. Elle était bien trop imprégnée de la douceur de la vie terrestre. Difficile, dans ces conditions, de concevoir la réalité dans laquelle elle avait fait intrusion. La scène se présentant à ses yeux résumait succinctement la situation, mais ne la préparait pas aux profondeurs de l'aliénation de ce monde. Impossible d'y être préparé. Lui-même, après ses siècles apparents de séjour, n'en connaissait pas le fond. La présence de la vivante prouvait qu'il avait encore énormément à apprendre. Alors qu'il retournait déposer l'arme, il songea qu'il n'attendait pas spécialement de découvrir les derniers mystères de la cité. Sauf un. Et comme il laissait le temps à l'inconnue de réfléchir quant à sa survie, il espéra qu'elle choisisse la mauvaise option. Pour la première fois en un temps indéfini, Scáth espérait. C'était une sensation qu'il avait oubliée. Morte depuis des lustres, son réveil en était brutal. Elle le brûlait de l'intérieur alors même qu'il refusait de s'y laisser aller totalement. S'y consumer pourrait détruire tout ce qu'il avait entrepris pour survivre. Pour supporter le poids éternel de ses erreurs. Peut-être arriverait même le jour où il l'oublierait entièrement, où tout sera oublié au lieu d'être seulement vernis. Parce qu'actuellement, il pensait avoir oublié, cependant c'était loin d'être le cas. Le fait même d'espérer lui rappela soudain qu'il n'avait pas toujours été cet être éteint.

La jeune femme attendait toujours lorsqu'il se retourna. Parfait. Elle agissait de son plein gré et en pleine – ou presque – connaissance de cause. Il n'avait pas le devoir de la protéger et même si cela avait été le cas, elle détenait sans doute des informations à côté desquels il ne passerait pas. Personne d'une quelconque importance ne l'avait vue. Agir rapidement pouvait le sauver. Elle accepta l'accord, Scáth la laissa donc poser ses questions. Durant l'interrogatoire, il demeura en retrait, vérifiant régulièrement qu'aucun responsable de l'ordre ne contrarie son plan. A plusieurs reprises, il intima aux pendus de se calmer, afin qu'ils n'attirent pas inhabituellement l'attention. Le sujet du face-à-face ne l'intéressait pas, il y prêtait néanmoins une certaine attention pour s'assurer que la mortelle ne venait pas au secours du déserteur ou n'était pas occupée de le mettre dans une fâcheuse position. Cela devenait trop long. Il allait avertir de la fin des échanges quand le torturé donna ce qui était attendu de lui. Satisfaite, elle souhaita à l'homme de souffrir inlassablement ; Liam répliqua mentalement qu'il ne le souhaitait à personne. Pour éprouver ce désir, il fallait faire partie de l'organisation de la cité.

« Plus bas. », rétorqua-t-il d'une voix à peine audible tout en dirigeant son regard vers la place.

Il récupéra ensuite une pince, s'approcha de sa victime et de ce fait de la jeune femme. Il se plaça devant eux, tournant le dos à l'extérieur de la salle et cachant la présence de la vivante par sa carrure. Il accrocha le regard de celle-ci pour déclarer ces mots à un volume sonore tout aussi bas :

« Met-toi derrière lui. »

Il désignait bien entendu l'écorché. Le but était simple : qu'elle ne soit pas perceptible de la place. Pour éviter la controverse, il devait reprendre son rôle. Dans le cas contraire, une pause après si peu de temps de torture passerait pour étrange. Un membre de la garde viendrait surveiller. Il ne fallait surtout pas que cela arrive. L'esprit avança pour l'inciter à s'exécuter.

« Je veux savoir comment tu comptes repartir d'ici. Et si je peux emprunter la même voie. »

Liam ne passerait pas à côté de cette occasion. Il ne la laisserait pas partir tant qu'elle ne lui aurait pas donné de réponse convenable. C'est-à-dire une explication qui lui permettrait de quitter les Enfers.

La brune avait eu ses réponses et s'était détournée, presque conquérante. Son regard voyagea sur le torse de son nouvel interlocuteur, détaillant sans la moindre gêne les traces sanguinolentes, se demandant comment elles avaient pu arriver à cet endroit d'une telle manière. Une question que Sophya n'était cependant pas vraiment prête à poser, vu la brusquerie dont l'esprit semblait faire preuve. Malgré tout, la jeune femme retenait bien ce qu'il lui avait dit précédemment, elle n'avait pas envie de rester ici. Son regard s'ancra dans celui du bourreau et elle lui demanda alors ce qu'il voulait savoir. Question directe simple, que tous pouvaient entendre. Elle n'était pas ici pour se faire des amis – mais si elle pouvait éviter les ennemis, ce serait sympa – ou même pour se faire un petit sauna. Son devoir était rempli, il lui faudrait faire vite pour revenir maintenant. Pa' avait été assez clair sur les conséquences d'une trop longue exposition en projection astrale et Sophya n'était pas prête à y faire face. Un de ses sourcils se arqua devant l'ordre et la jeune femme croisa les bras, preuve d'une mauvaise humeur soudaine face à l'injonction. Son regard suivit pourtant le geste, et ses yeux ne purent se détacher de la pince, alors qu'elle faisait un pas en arrière tandis que le géant s'approchait à nouveau d'elle et du détenu. Sa bouche se pinça tandis que ses yeux reflétaient tout à coup une gêne certaine mêlée à une certaine crainte. Si elle avait souhaité à l'homme de continuer à se faire torturer, la médium n'était pas prête à supporter d'assister au spectacle pour autant.

Lorsqu'il lui demanda de se mettre derrière sa victime, le regard de la jeune femme oscilla entre la grosse brute et derrière elle, comme pour vérifier que c'était bien à elle qu'il s'adressait. Une grimace de dégoût vint perturber les traits hautain de son visage tandis qu'elle s'exécutait tant bien que mal et tentait de masquer l'odeur qui lui vrillait les narines. A nouveau ses lèvres se pincérent, tandis qu'elle passait une main sur l'arrête de son nez comme pour s'exhorter au calme. Si elle se résumait la situation en cet instant, son corps la retenait encore en vie de l'autre côté, plus elle s'attardait, plus elle risquait de sombrer dans le coma et comble de tout elle allait assister à une scène de torture en plein direct. Quelle soirée sympathique en perspective !

La question lui fit ouvrir de grands yeux. J'espère que tu es consciente de ce que tu fais Sophya... Et de ce que tu pourrais faire en retour, lui avait dit 'Pa. Hé bien si avant, la brune avait répliqué par habitude, comme une bonne élève qui avait appris ses leçons, maintenant la jeune femme était tout à fait au courant des risques. Outre l'épée de Damoclès qui se promenait au-dessus de sa tête, la jeune femme n'avait pas songé qu'elle pourrait laisser des traces et surtout ramener quelqu'un avec elle. Son regard troublé se porta sur l'Esprit, tandis qu'elle soufflait pour la première fois d'une voix douce.

« Je ne pense pas que ce sera possible. C'est... C'est le vaudou qui m'a amenée ici. Mon corps est en végétation de l'autre côté, mon esprit ici. Je ne suis pas morte, mais en effet, rester là... conduirait à un coma profond, à... ne jamais revenir en arrière. Comme vous l'avez dit, je n'ai pas toute l'éternité à passer ici. Mais vous ne pourrez pas revenir de la même manière que moi. »

Un souffle s'échappa de ses lèvres tandis qu'elle remontait son regard dans celui de l'Esprit, y décelant sans s'y attendre une lueur familière qui la déstabilisa pendant quelques instants. Le soupir qu'elle lâcha aurait pu fendre l'âme à n'importe qui tandis qu'elle recroisait les bras, reprenant d'un ton plus soutenu.

« Je ne sais pas pourquoi je vais vous dire ça... mais... oui il y a un moyen de partir d'ici. Nos passages créent des sortes de failles. Vous en trouvez une, vous partez. Mais rien n'est sans danger, et vous pouvez vous faire réexpédier aussi vite que vous n'êtes arrivé. Mais gardez ça pour vous. Je n'ai pas spécialement envie de voir ma ville infestée d'esprits aussi tarés les uns que les autres. »

Pourquoi avait-elle lâché cette information ? Aucune idée. Le regrettait-elle ? Peut-être un peu parce qu'il n'avait pas forcément été le seul à entendre cela. Et que ça, ça n'allait pas l'arranger.

« Vous avez d'autres questions ? »

Elle semblait peu encline à obéir. Pourtant Liam ne lui laissait pas le choix. C'était simple : soit elle s'exécutait, soit il la déplaçait lui-même. Deux pas en avant et elle renonçait à tenir tête. Bien. Brave fille. Il ignora sa mine dégoûtée – à vrai dire, il ne prêtait attention à aucun de ses airs alors qu'il levait l'instrument et, tenant d'une main celle du tourmenté, entourait son index de l'étau avant de tirer en un coup sec. Crac. Doigt cassé, cri éraillé. Un geste routinier qui n'émouvait plus l'esprit. La douleur des autres équivalait à sa tranquillité d'âme. La force devant la faiblesse. Le bon sens face à l'abrutissement. L'écorché et les pendus n'étaient que des naïfs ridicules à l'ego démesuré. Ils n'étaient que des esprits, eux et les autres. Tout ceux qui s'étaient tenus là, accrochés en attendant que leur sentence soit effectuée. Attendant une fin qui ne venait pas. Scáth baissa la pince et posa sa question. Voilà qu'il rejoignait le camp des candides, à espérer une échappatoire. Pendant qu'il punissait un cœur gorgé de cet espoir. La différence était que cet idiot avait essayé sans preuve, défié les hautes instances sans assurer ses arrières. La vivante constituait une preuve plus que concrète.

Et puis, celle-ci assura que le retour à la surface relevait de l'impossible. Le spectre ne pouvait pas revenir de la même manière qu'elle... Il darda sur elle des prunelles coléreuses. Il ne la croyait pas. Elle mentait afin qu'il croupisse ici-bas pour le restant de l'éternité. Mais elle ne souhaitait pas subir le même sort, ce serait donc une menace suffisante pour lui délier la langue. Il planta l'instrument dans le pectoral de l'homme, un geste brutal qui enfonça la pince profondément. La victime hurla tandis que son sang giclait sur son bourreau. Ce dernier n'avait pas entendu le soupir de la brune qui reprit la parole.

« Non. On part. »

Depuis qu'il avait découvert la possibilité de s'exiler, de la rage se développait en lui. Une fureur dont il ne connaissait pas encore la source, mais le dévorait un peu plus à chaque seconde et ne l'avait en réalité jamais quittée. Il devait quitter le Tartare, c'était une certitude. Fuir ces terres chaotiques quand l'occasion se présentait relevait du discernement, cependant d'autres raisons le guidaient. Elles lui étaient seulement encore inconnues. Une lumière flamboyante envahit la pièce, rougeoyante et d'une chaleur indésirable. La fournaise devint plu soutenable après quelques secondes, mais il faudrait attendre un peu plus pour qu'elle s'estompe. Les moins chanceux se seront noyés dans la lave qui venait de s'échouer non loin. Liam prit les poignées de l'instrument de torture, non pas pour le retirer du corps, mais remuer la partie immergée dans la chair et l'enfoncer un peu plus. L'homme hurla à s'en décrocher la mâchoire. Le moment propice pour une retraite non approuvée. Le géant attrapa l'épaule de la jeune femme sans attendre et l'entraîna par une porte qui menait à une petite pièce meublée d'une seule chaise avant de s'arrêter devant une autre. Sa main resta, lourde, sur l'épaule féminine.

« Retourne sur Terre, je te suis. N'essaie pas de m'avoir. »

Le regard qu'il lui adressa était suffisamment évocateur. Ses mots n'avaient constitué qu'un souffle rauque, audibles par la vivante et elle seule. Se faire surprendre dans cette situation lui coûterait tout ce qu'il avait entrepris. Il se retrouverait à la place de l'enchaîné et on lui promettrait un sort bien pire. Une longue agonie. A cet engagement, on s'y tiendrait. Contrairement à celui de ce Belaam, ce nom que son formateur avait susurré pour sceller un pacte. La liberté contre ses services. L'attente devenait bien trop longue et Scáth avait compris que ce n'était qu'un autre moyen de le torturer. Personne, personne ici-bas n'y échappait. Il prenait donc les choses en main. Il réagissait, il s'adaptait. Aide-toi, parce que nul autre ne le fera.

« Fais moins la fière, rentre les épaules, baisse la tête, traîne des pieds. Imagine-toi vivre ici. »

C'était leur vie depuis la mort. Alors ils vivaient, oui. Et pour éviter de se faire remarquer de trop, c'était ce que devait faire la fille. S'adapter si elle désirait rentrer chez elle. Parce que si le manège était découvert, elle deviendrait une vivante enfermée à jamais dans le royaume des morts. Liam avait déjà une idée quant à la justification de sa présence auprès d'elle, une raison qui lui éviterait le pilori. Peut-être. Au fond de lui, il avait néanmoins la conviction que leur temps ici bas s'achevait.

Sophya offrit un regard étonné à son vis-à-vis tant sa réaction avait été rapide. Très vite, la médium se reprit néanmoins et se retint de pousser un profond soupir. Si Pa'Obi remarquait qu'elle revenait accompagnée, il allait la massacrer, tout simplement. Il l'avait assez prévenue que ce n'était pas une promenade de santé et qu'il était hors de question qu'elle s'y aventure. Mais comme toujours, la jeune femme n'en avait fait qu'à sa tête. Et la voila confrontée à la pire décision de sa vie. Parce qu'un jour ou l'autre, elle finirait par la regretter, sans aucun doute. Les yeux verts défièrent quelques secondes ceux de l'homme avant de se baisser, au même rythme que ses épaules, tandis qu'elle déclarait forfait. Il venait de gagner un passe-droit pour un retour sur Terre, dans un wagon de première classe, si ce n'était pas superbe ? Toujours était-il que si cela se savait, c'était sa tête à elle qui tomberait.

Elle suivait le pas, appliquant chacune de ses indications à la lettre, juste pour pouvoir échapper à l'éternité en enfer. Non, cela était loin de la tenter, très loin. Malgré tout ce qu'elle avait pu subir, l'ex juriste appréciait vraiment la vie à sa juste valeur et avait encore énormément de travail inachevé. Et comptait bien le terminer au plus vite. Sa rédemption était en marche, pour la mort d'Harry, pour toutes ces années perdues à enfoncer des personnes biens et à promouvoir le bien-être d'un cabinet d'avocat dont elle se foutait comme de l'an quarante. Malgré ce que l'on pouvait bien penser de sa personne, Sophya était une personne de parole et si elle avait en quelques sortes accepté d'aider cet homme, elle tiendrait sa promesse. Quand bien même il lui avait un peu forcé la main, il l'avait aussi aidée. Par intérêt, certes, mais c'était quelque chose que personne d'autre n'aurait fait dans des circonstances pareilles. Elle sentit un liquide chaud couler le long de son menton et porta doucement sa main en direction de celui-ci, les yeux écarquillés devant la traînée rouge qui suivait. Le temps en Enfer commençait à devenir trop long et son corps commençait à lâcher.

« Il faut se dépêcher. »

Elle essuya d'un geste rapide le dessous de son nez, avant de relever un regard plus ou moins mitigé vers son compagnon d'infortune. Sa respiration se hacha quelques secondes avant qu'elle ne ferme les yeux et ne pousse un soupir.

« C'est ça notre billet de retour. Il devrait y avoir une faille non loin d'elle, parce que je suis arrivée vers ce côté-là. »

La jeune femme désigna d'un geste négligeant le Styx qui se trouvait devant eux. Le courant rapide, l'eau ressemblant plus à une tourbière qu'autre chose. C'était la partie la moins amusante du voyage. Celle où l'on n'était pas vraiment sur de ce que l'on faisait.

« Vous devriez débarquer pas très loin de l'endroit où je serais. Ne me cherchez pas. Personne ne doit savoir que vous êtes revenus avec moi, ou j'aurais de sérieux problème. J'étais censée être sure et certaine de ce que je faisais, pas ramener un esprit avec moi. Au contraire, je devrais les renvoyer d'où ils viennent. Alors... Juste... ne faîtes rien pour me trouver. Et priez pour ne pas arriver pile où je serais. »

Une voix chatouilla doucement son oreille, tandis qu'elle relevait ses yeux vers le géant, chantonnant son nom, accompagné d'une incantation marmonnée dans une langue qu'elle ne connaissait pas.

« Et... Merci....Pour votre aide. »

Elle déglutit avant de se positionner dans l'eau noire, fermant les yeux et se concentrant au mieux, serrant les poings et se mordant la lèvre d'angoisse. La jeune femme ne voulait pas se retrouver plongée dans les limbes pour le restant de ses jours, vraiment pas. La sensation d'oppression s'accentua au niveau de sa poitrine et des larmes glissèrent doucement le long de ses joues, tandis qu'elle ne rencontrait plus que de l'obscurité. Un gémissement s'échappa de ses lèvres et la brune secoua la tête, comme pour se rassurer, avant de rouvrir les yeux avec lenteur, contemplant le visage inquiet de Ma' et Pa' Obi. La jeune femme releva les yeux vers la pendule, tandis que ses mains se portaient à son visage, et qu'elle chassait le sang qui avait coulé le long de son nez. Un sourire victorieux se plaça sur ses lèvres tandis qu'elle relâchait la pression et laissait retomber sa tête vers l'arrière, regardant le plafond. Elle avait réussi. Et c'était tout ce qui comptait.

« Combien de temps je suis restée là ? »

« Deux heures. Imprudente. Stupide et bornée gamine. Tu aurais pu rester coincé, tu le sais, n'est-ce pas ? »

« Je sais Pa'... Mais je suis là, pas vrai ? »

La médium se redressa légèrement, avant de regarder dans la pièce, autour d'elle. Aucune trace de son nouvel ami. Heureusement pour elle, en quelques sortes. Peut-être aussi qu'il n'était pas aussi prêt d'elle, qu'elle ne le pensait, tout simplement. Il lui faudrait du temps pour savoir.

« Je dois passer au bureau, absolument maintenant. Il faut que je lance une équipe de recherche... Que je les retrouve. Je passerais demain, promis. Et j'apporterais le dessert, comme ça tu ne dois pas te déranger Ma'. Je suis désolée. Il faut que je fasse ça vite. »

Elle se releva, chancelante dans un premier temps, avant de puiser dans ses dernières ressources. Ses yeux se posèrent sur Pa' Obi tandis qu'elle lui déposait un baiser sur la joue en le remerciant, pour ce qu'il venait de faire, et les familles qu'il venait d'aider, et se détacha pour embrasser Ma', avant de sortir précipitamment de la maison. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à trouver ces corps.