A son arrivée à la Nouvelle-Orléans, Matt Cox sera rapidement confronté à des choses auxquelles il n'a jamais cru. Le surnaturel, pour lui, c'est bon pour effrayer les enfants ; sa vie, lui, a tout ce qu'il y a de plus réel et palpable. Palpable tel un poing dans une face.

Il est né à Liverpool. Oui, la ville minière qui a connu la naissance des Beatles... Enfant, il était un enfant facile, sachant jouer seul, plutôt sage à part les habituelles bêtises des gamins de cet âge. Les choses ne se sont réellement gâtées qu'à l'approche de la puberté. Testostérone, peut-être ? En tout cas, sa première bagarre fut lorsqu'il eut seulement douze ans. Il avait tout bonnement arraché le lobe d'un autre garçon, dans la cour de récréation. Cet acte lui valut le renvoi de son école. Sa mère, inquiète, le surveilla de près, mais que pouvait-elle faire en-dehors de l'enceinte de sa nouvelle école ? Pas grand-chose. Le punir, lorsqu'il se battait encore, n'avait comme conséquence qu'attiser encore plus une rage incompréhensible qui consumait Matt. Il alla voir des psy, à qui il faisait plutôt peur, puisqu'il ne parlait que de massacres, de films violents qu'il voyait à la télévision, de ses rêves assez violents. On finit par émettre l'hypothèse que cela était du à l'absence de père dans sa famille et à cause de l'attitude douteuse de la mère, fort absente à cause de son boulot et ne réagissant pas assez fermement avec lui. Des théories qui n'avaient lieu d'être que pour donner une raison logique à tout ça. La vérité était que Matt brûlait à l'intérieur et devait exprimer cela d'une façon ou d'une autre.

A quinze ans, Mme Cox dut le changer à nouveau d'établissement. Elle en profita pour suivre un conseil du dernier psychiatre : le foutre dans une scolarité artistique pour qu'il puisse faire sortir toute sa rancœur. Tout ce que cela valut à Matt c'est un ennui mortel et une multitude d'échecs. Il doubla. Et rechangea encore d'école. Revenu à des études plus générales, il continua pourtant d'avoir des notes faibles et, pour couronner le tout, s'était mis à sécher les cours. A la place, il se mit à traîner avec ses nouveaux petits copains, des bagarreurs, comme lui, de vraies graines de vandalisme. Au comble du désespoir, sa mère le menaça de l'inscrire à un pensionnat. Une crise familiale s'en suivit. Matt fugua, disparaissant du quartier durant trois semaines, et ne revenant finalement qu'une fois à cours d'amis pour le loger et d'argent. Sa mère, esprit maternel oblige, l'accueillit à bras ouverts et en pleurant... et le regretta bientôt. Finalement, à l'entrée suivante, Matt finit tout de même en pensionnat.

Les choses n'allèrent qu'en s'empirant. Entouré à présent de petits fils à papa chiants et intellos, Matt continua à se bagarrer, toujours plus. A tel point qu'avant d'avoir fini ses études, il lâcha tout et alla, en cachette de sa mère, trouver un job. Il en trouva un dans les docks du port de Liverpool, dans le chargement et déchargement des navires. Il y fit bonne impression, ayant déjà une bonne masse musculaire. Un mois mois plus tard, sa mère apprit par la poste que son fils avait été exclu de l'établissement pour faute d'absence prolongée inexpliquée. Elle n'en dit rien à son fils, au début, mais finit par lui en parler. D'abord énervée sur lui, elle se calma en apprenant qu'il travaillait comme docker, et ne faisait pas de conneries comme elle l'appréhendait. Plutôt rassurée, elle le laissa faire à sa guise. Quelques mois plus tard, ayant assez d'argent, Matt annonça qu'il emménageait ailleurs dans la ville, prendre son indépendance, à seulement dix-huit ans. Il bossa ainsi encore un an, ne faisant pas grand-chose d'autre, passant les week-end avec quelques amis qu'il avait gardé en contact.

Plus tard, il eut un nouveau collègue. Massif, énergique, un latino, avec qui il s'entendit rapidement. Il avait six ans de plus et avait un joli accent espagnol qui faisait rire Matt. Au fil de discussions, il apprit que Miguel allait chaque jour à une sale de boxe où il s'entraînait pour des combats professionnels. Intrigué, et incité également par Miguel de venir voir, il finit par aller avec lui après une journée de boulot à cette fameuse salle. Là-bas, Matt vécut une sorte de révélation. L'odeur de la sueur, ce monde principalement masculin, la puissance qui se dégageait d'eux... L'entraîneur, ayant fait connaissance avec lui, lui proposa d'essayer, en témoignage de sa sympathie. Matt impressionna l'homme qui, rapidement, le voulut chez lui. Matt promit d'y réfléchir. En vérité, le jour suivant, il revenait déjà et s'inscrivait à la salle pour entamer, avec Miguel, un entraînement de boxe.

Nous n'allons pas nous étendre longuement sur la suite de la vie de Matt. Son talent fut remarqué rapidement sur les petits rings de divers événements. Il gagnait généralement tous ses combats, un par un, avec très peu de défaites. L'entraîneur, Mr Copermann, lui parla du championnat national, un an et demi après que Matt ait entamé la boxe chez lui. Matt y participa. Il gagna son premier vrai titre, son premier trophée, dont il fit une photo pour l'envoyer à sa mère. Celle-ci, dans sa réponse, lui exprima toute la fierté qu'elle ressentait à la vue de cette victoire et lui souhaitait un bel avenir, heureuse qu'il ait trouvé quelque chose qui lui plaisait vraiment et dans lequel il était bon. Ça, pour être bon, il l'était.

A vingt-quatre ans, Matt participa au championnat mondial, mais ne gagna pas. Malgré l'échec, il ne se laissa pas abattre et redoubla d'intensité dans son entraînement, retentant sa chance une seconde fois. En vain, il ne put vaincre le champion qui ne semblait pas vouloir décoller de son titre. Il fallut trois ans à Matt pour le détrôner enfin. Pour beaucoup chez les anglais, dont les fans de boxe supportaient avec ferveur leur champion, cela était l'évidence même ; il ne lui fallait qu'un peu plus de temps. Matt resta durant de longues années le champion du monde de boxe. Il se fit détrôner qu'une fois, pour finir par le récupérer l'année suivante...

Il rencontra à cette époque une femme, belle à faire crever de jalousie les autres, d'une blondeur solaire et aux yeux verts en amande. Une vraie petite poupée. Aveuglé par ses victoires, se sentant invincible, riche, il n'y vit qu'un coup de chance supplémentaire ; en vérité, ce mariage allait lui gâcher la vie. Après dix mois de mariage, cette femme, Kathreen, fille d'avocat, fit jouer ses relations pour faire couler son époux en sortant une fausse histoire de violence conjugal. La justice fut en sa faveur. Le divorce fut prononcé, Matt perdit une grande partie de son argent et de ses biens, et sa réputation fut entachée. Ainsi que son cœur brisé.

Lorsqu'il recroisa Kathreen dans les rues de Londres, où il vivait à présent, au bras d'un autre homme, il vit rouge. Bourré, il ne contrôla pas sa rage qui lui collait à la peau et tabassa cet homme qui était totalement innocent. Il le frappa si fort qu'il causa sa mort. Une semaine plus tard, Matt passa en justice à nouveau et écopa de huit ans d'enfermement ferme à la Prison de Wandsworth. Ces longues années lui mirent devant les yeux sa vie, ses erreurs, son propre caractère destructeur. Il s'assagit, pas en premier temps, mais après deux ans, il devint plus calme, cherchant plutôt à avoir l'esprit tranquille. Il eut beaucoup de mal mais se rapprocha de la sérénité plus qu'il ne l'avait jamais réussi auparavant.

A sa sortie de prison, il avait déjà tout programmé. Avec ce qui lui restait d'argent, pas grand-chose, il prit l'avion pour l'Amérique. Il aurait pu choisir New York ou Los Angeles, mais son choix se porta sur la Nouvelle-Orléans. Une région du sud dont les prix des maisons à louer n'étaient pas trop élevés. Réputée mal famée, la ville ne lui faisait pas peur pour autant. Il avait déjà pris contact avec une société de déménagement qui allait lui faire signer un contrat à son arrivée. Une fois dans les rues de la Nouvelle-Orléans, en août 2015, Matt sentit pourtant une drôle d'ambiance, qu'il ne put déchiffrer... Bah, c'était une ville comme une autre, de toute façon, non ?

Et voilà. Matt était arrivé à l'aéroport international Louis Armstrong, à la Nouvelle-Orléans, où l'attendait une toute nouvelle vie. Il avait tourné le dos à sa célébrité, à la prison, à sa pute de femme et tout ce qui avait fait de lui un foutu taulard. Bien décidé pourtant à reprendre l'entraînement dans une salle de boxe du coin. D'abord, aller voir la maison qu'il avait loué. Il prit un taxi à qui il indiqua l'adresse de son nouveau logement ; une heure plus tard, il se retrouva devant et son moral en prit un coup. Devant lui, ce qui devait être une maison ressemblait plutôt à une cabane décrépie. Grande, certes, avec un étage et une cave, mais son état de délabrement le prit au dépourvu. Bon, ne pas s'énerver, il allait travailler dur et déménager dès qu'il le pouvait dans un truc plus convenable. Le propriétaire, qui l'attendait près de la boîte aux lettres, lui tendit les clefs, un sourire baveux aux lèvres. Ce gros tard, Matt aurait aimé lui dire ses quatre vérités, comme quoi son loyer était abusé pour la merde qu'il lui laissait, mais il se retint. Il n'allait pas chercher les emmerdes à peine arrivé sur le sol américain, non plus, surtout qu'ici, il ne rigolait pas du tout niveau justice. Il fit profil bas, attrapa le trousseau en saluant sèchement le type et pénétra dans sa piaule. Un regard circulaire dans ce qui allait être son salon lui indiqua des problèmes d'humidité. Avec un soupir, il alla se caler contre un mur, assis au sol, et s'alluma une cigarette. Les déménageurs n'allaient pas tarder à ramener son mobilier.

Il dut attendre pourtant trois heures, deux de plus que ce qui était convenu. Qui plus est, les gros bras le saluèrent à peine et déchargèrent comme s'ils bougeaient des tas de viande, sans aucune délicatesse. Là aussi, il ne dit rien, malgré son envie furieuse de leur apprendre leur métier et la ponctualité au passage. Il les laissa faire, ne les aida même pas, fumant cigarette sur cigarette et un verre de whisky dégueulasse en main - il allait lui manquer, son bon whisky brittish... Une fois que tout fut placé dans son domicile, Matt s'occupa d'installer le plus important : un matelas au sol, la télévision devant et... et rien d'autre. Ce soir-là, il se commanda une pizza et s'endormit sur une part qu'il n'avait pas fini, tant il était éreinté de son voyage. Il dormit d'un sommeil profond, sans rêve, reprenant des forces pour signer son contrat de travail dès demain aux premières heures.