Les talons claquaient sur le sol tandis qu'elle s'approcha, les hanches se balançaient. Elle était belle, sa peau foncée rappelait le soleil et elle dégageait une odeur de noix de coco. Eliana posa son regard foncé sur l'homme à genoux devant le grand fauteuil et elle s'y assit. Elle croisa ses longues jambes, faisant remonter sa robe courte. Ses doigts pianotèrent sur les bras de la chaise. La belle latino se pencha en avant.

« Tu veux que je te raconte une histoire ? Bien sûr que tu veux. »

Souffla-t-elle avec charme. L'histoire d'une petite fille qui voulait devenir une guerrière. L'histoire d'une petite fille très peu décidée à se laisser faire par le destin.

10 août 1978

Une femme hurlait pendant qu'elle poussait. Son mari se tenait en dehors de la salle d'accouchement, étrangement nerveux. Cet immigré colombien était arrivé à la Nouvelle-Orléans depuis cinq ans et était tombé fou amoureux de la femme qui portait leur unique fille. Eliana Zara Sanchez vit le jour dans une Nouvelle-Orléans à la chaleur moite. La mère d'Eliana était une Afro-américaine depuis des générations à la Nouvelle-Orléans et sa famille portait le poids d'une sombre histoire. Une famille qui pratiquait le vaudou. À la base, Mario Sanchez avait surveillé sa future femme par mesure de sécurité. Il était médium et sorcier wicca par son père, même s'il ne pratiquait pas beaucoup. L'amour s'en était mêlé et il était tombé amoureux. Malgré tout ce que l'on racontait sur la mère d'Eliana, elle restait une femme douce et très calme. Sa fille s'était toujours demandé comment sa mère avait fait pour supporter son père qui avait un caractère de cochon. Un père passionné par l'horlogerie même s'il était vendeur d'objets électroniques.


Eliana posa son regard sur l'homme et du bout de son talon haut, lui fit redresser le menton. Elle lisait la peur, la peur de mourir demain, la peur de devenir fou. On racontait beaucoup de choses sur elle, mais tout cela n'était que des mensonges. La vérité était autre...


Retrouvons notre Eliana à seize ans, la fleur de l'âge, le début des hormones, de l'arrogance, et la féminité tout en restant encore une enfant. Son regard foncé était posé sur la marmite que sa mère remuait avec un calme sidérant. Son père enfermé dans son local à horloge comme d'habitude.

« Maman ?
- Oui ma puce ?
- On peut parler ? »

Elena n'avait pas l'habitude d'entendre sa fille patiente et pour une fois, s'arrêta dans sa potion pour regarder celle-ci. Eliana dégageait une arrogance étonnante et même si elle doutait de ses charmes, de son corps, elle envoûtait d'un regard sans même le vouloir. L'adolescente croisa les bras sous sa poitrine naissance, hésitant à livrer ce qu'elle avait sur le cœur.

« Tu pourrais m'apprendre à faire une potion pour l'amour ? »

La mère d'Eliana se demanda si c'était une blague mais visiblement pas du tout. Elle hésita entre rire et pleurer.

« Pourquoi faire ?
- Laisse tomber. Je demanderais à papa. »

Elena ne bougea pas face au comportement ombrageux de sa fille qui décida d'aller dans le local d'horloges de son père. Celui-ci pratiquait la sorcellerie, une manière pour lui de gérer les esprits avec son côté médium en plus. Elle ouvrit la porte, mais à peine l'eut-elle fait qu'une forme apparut devant elle. Une vieille esclave afro-américaine de l'ère coloniale.

« Mademoiselle, vous ne devriez pas déranger votre père.
- Je t'emmerde Alisa avec tes « mademoiselle !! »

L'esprit resta figé face aux mots arrogants de l'adolescente qui la dépassa la tête haute. Eliana n'avait jamais compris pourquoi son père laissait ce foutu poltergeist avec lui, à croire qu'il était masochiste. Mario leva à peine les yeux de son travail quand sa fille se mit derrière lui.

« Ma puce, pas maintenant. »

Alisa eut un petit sourire moqueur quand la fille du médium fit volte-face, la foudroya du regard et partit dignement, ou tenta.


Eliana cligna des yeux en pensant à l'adolescente qu'elle avait été à l'époque, stupide et ignorante.

« C'est l'histoire d'une petite fille idiote qui tomba amoureuse du mauvais garçon et... »


Et elle tomba enceinte à vingt ans. Rien de bien méchant, sauf qu'elle n'avait pas terminé ses études, aucun revenu, elle vivait toujours avec ses parents. Ce jour-là, quand elle l'annonça à son père, elle le vit devenir fou de rage pour la première fois en vingt ans, lui qui jouait le nonchalant ronchon. Cet enfant, elle décida de le garder. Le garçon qui l'avait mise enceinte ne voulut jamais en entendre parler. Elle nomma la petite fille Aaliyah. Eliana n'avait aucun revenu, alors, elle fit quelque chose qu'elle détesterait à jamais, mais décida de monnayer le savoir vaudou qu'elle possédait. Elle ne l'avoua jamais à ses parents, préférant leur dire qu'elle était vendeuse au supermarché du coin. Bien entendu, ils n'étaient pas dupes, surtout pas avec Alisa que son père pouvait envoyer. Mais tous jouèrent le jeu pour le bonheur d'Aaliyah. Néanmoins, Eliana ne pouvait pas s'en occuper. Elle décida de laisser sa fille à sa mère et partit de chez elle... La rue l'accueillit et le début de la fin débuta.

Elle était belle, peut-être trop. D'abord prostituée, bientôt dealeuse, elle passa par plusieurs stades. Vendeuse consommatrice, elle était connue pour avoir une grande gueule et autant ne pas l'emmerder car vous pouviez rapidement être malade comme un chien. Les années glissèrent sur Eliana, vingt-cinq ans, trente, bientôt trente-trois et là, elle réussit l'impossible. Elle avait monté dans les échelons au fil des années, devenant un bras droit d'un réseau de drogue et de filles. Finalement, elle réussit à devenir la distributrice principale de ce joyeux filon. Les esprits, elle les voyait, en avait conscience mais ne pouvait rien pour eux. Elle les tolère, les accepte mais ferme de temps en temps les yeux.

On l'appela bientôt la Bruja, sorcière en espagnol. Mais ce que cache Eliana, c'est sa force, sa dangerosité... Pour être là où elle en est, il a fallu tuer et arracher des âmes. A trente-six ans, elle est connue et reconnue. Ses parents ne lui demandent pas ce qu'elle fait, ils gardent toujours sa fille et ferment les yeux.


Eliana soupira tandis que l'homme continua de pleurnicher comme un enfant.

« Je te jure !! Ils étaient plusieurs mais... Les balles passaient à travers !
- Sombre crétin, tu as perdu TROIS KILOS de marchandise ! Tu croyais que c'étaient des sachets de riz ou quoi ?! »

Mais derrière son ton dur, la sorcière avait bien entendu. Des balles qui passaient à travers... La Nouvelle-Orléans avait toujours été une ville dure, une ville qui donnait des frissons. Mais depuis quelques temps c'était différent. Depuis quelques temps, les possédés et les esprits surgissaient l'air de rien. Son père était rentré récemment d'une réunion et avait dit que ce n'était que le chaos. L'anarchie se préparait dans l'ombre et en tant que sorcière, on ne la laisserait pas en paix, bien entendu voyons ! Eliana soupira, fit un signe de main et la tête de l'homme en face d'elle explosa. Elle se leva et dignement, marcha sur la cervelle en bouillie. Elle n'était plus l'adolescente du passé. Elle était devenue une femme forte qui faisait tout cela pour sa petite fille Aaliyah.

Quand la ville fut prise par quartier par Belaam, Eliana comprit que la situation avait empiré. Par chance, sa petite famille habitait dans le Treme, mais cette situation l'inquiète bien plus qu'elle ne veut l'avouer. En vendant de la drogue, la gangster est en cœur de tout un réseau et elle risque bien de se brûler les ailes.

Eliana était fatiguée. Sa journée avait été longue, très longue. Il avait fallu taper sur les doigts de quelques dealers de pacotille qui avaient fait foirer quelques échanges. En ce moment, c'était plus dur que d'habitude pour les échanges. Certains de ses dealers s'étaient retrouvés possédés et les esprits avaient tendance à foutre le boxon. Eliana rêvait d'aller voir Aaliyah, mais elle ne savait pas si elle aurait le temps. La cheffe de gang se laissa tomber sur son maxi lit et ôta ses talons hauts avant de se masser la nuque. Elle retira sa robe courte sombre ainsi que son holster de cuisse. Nue comme un ver, elle s'approcha d'une armoire qu'elle ouvrit et caressa du regard les fioles qui contenaient quelques potions. Elle en attrapa une et la manipula de longues minutes.

« Bonsoir Eliana. »

Cette voix. Eliana tourna la tête pour aviser Alisa qui était calmement là. L'esprit « domestique » de son père avait peu à peu intégré leur famille et n'était jamais partie de l'autre côté. Bien entendu, ils auraient pu l'aider, l'exorciser mais la vieille esclave ne voulait pas. Pas depuis qu'elle avait croisé le regard de la fille d'Eliana et avait juré de protéger la petite. Durant toutes ces années, elle était restée un poltergeist. Eliana ne manquait jamais de la surveiller, au cas où elle devienne un Dibbouk.

« Je voulais vous informer qu'Aaliyah a passé une excellente journée... Néanmoins je crois que ce garçon, Brandon, la tourmente.
- Les choses ont bien changé Alisa, tu le sais. Ce ne sont que des amourettes.
- Non madame, c'est différent. Ce Brandon est surveillé par un esprit. »

Eliana soupira et rangea la fiole. Depuis quelques temps, les esprits déconnaient complètement dans la ville. Il était extrêmement difficile de préserver Aaliyah. Sa fille était toujours heureuse quand elle la voyait un week-end sur deux. Bien loin de se douter qu'Alisa veillait sur elle et faisait son rapport chaque soir quand Eliana rentrait, peu importe l'heure. C'était un moyen pour la sorcière de jamais perdre le contact avec sa fille. Elle ne pouvait pas la prendre chez elle, pas avec ce qu'elle faisait comme métier. Alors, elle disait à sa fille qu'elle était routière et cela suffisait. Sa gamine était intelligente, elle voyait bien le mensonge, mais peut-être comprenait-elle qu'il était nécessaire de mentir pour survivre. Eliana avait mal à la tête mais elle allait devoir prendre une décision concernant ce Brandon. Sans un mot, elle se glissa dans sa grande salle de bain et se fit couler un bain avant de se plonger dans l'eau chaude, les cheveux redressé par-dessus la tête. Alisa restait là, attendant sa décision.

« Pourquoi ne le rejoins-tu pas ?
- Nous avons déjà eu cette discussion, madame.
- Désolé. »

Souffla-t-elle alors qu'elle s'enfonça encore plus dans son bain. Elle savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'Alisa ne rejoigne Belaam. C'était nécessaire si la poltergeist voulait survivre. Eliana lui en voulait de son départ futur, mais son père lui avait bien dit que si Alisa ne le faisait pas, les partisans viendraient la chercher et quand ils découvriraient la petite famille... Allez savoir ce qui se produirait. Avec un seul dans la famille capable d'exorciser, ils n'étaient pas sortis du bail. Sa mère apprenait en ce moment à Aaliyah à faire des potions, comme elle l'avait fait auparavant avec Eliana. Mais les sorcières ne pouvaient faire que des potions et mettre du sel. Cela aidait mais pas éternellement.

« Je m'occuperais de ce Brandon. En attendant... Commence à lui faire peur, d'accord ? Je ne veux pas qu'il s'approche d'Aaliyah. Il dégage de sa vue, tout est clair ?
- Extrêmement clair, madame. »

Alisa disparut sans demander son reste. On ne touchait pas à son bébé, sa petite Aaliyah. Sa petite ne saurait jamais que Brandon n'était plus. Mais Eliana n'avait pas le choix, elle ne pourrait rien pour le jeune homme. Elle était comme une louve, prête à mordre quiconque qui s'en prendrait à sa petite. Une petite de seize ans. Après tout, cette famille fonctionnait comme une sorte de mafia même si ce n'était qu'Eliana la gangster. Ses vieux parents ne voulaient pas être mêlés à cela, eux, ils fermaient les yeux, c'était tout.