« Vous êtes sure de ce que vous dîtes ? »

Il se leva d'un bond, se recula et sortit précipitamment du cabinet, l'air passablement énervé. Il claqua la première porte, avant de commencer à hurler à l'intention de la voyante.

« Menteuse ! Roublarde ! Vous n'avez pas honte d'arnaquer les gens ?! »

Il ouvrit la porte donnant vers l'extérieur et pointa du doigt la brune derrière lui, tout en alpaguant quelques passants dans la rue.

« Vous êtes une menteuse ! Madame, Monsieur, ne venez jamais chez cette personne pour une consultation. Tout ce qu'elle dit sera mensonge. »

Et voila la voyante calomniée, au su et à la vue de tous.

Bien sûr qu'elle était sûre de ce qu'elle disait. Et en l'occurrence, ce qu'elle disait, c'était exactement ce qu'elle avait lu un peu plus tôt dans la matinée dans le dossier que lui avait rapporté le détective privé qu'elle employait. Sa femme se faisait farcir par un autre que lui et il n'y avait pas le moindre doute là-dessus. Mais au lieu de la croire sur parole, le bougre, sûrement investi d'un amour sans limite envers son épouse se redressa pour sortir en faisant tout un scandale sur ce qu’elle prétendait alors qu’en plus elle avait parfaitement raison. Qu’est-ce qu’il attendait, qu’elle fasse comme les autres arnaqueuses qui n’avaient pas son standing et lui dire qu’il avait trouvé la perle rare et vivrait un amour éternel avec son épouse ? Là pour le coup, son accusation de menteuse aurait été justifiée.

La jeune femme se redressa à son tour en le voyant disparaître pour sortir. Non mais il se croyait où, là ? Ce n’était pas la prédiction aimée ou remboursée, il devait la payer quoi qu’il arrive. Valerie se jeta à sa suite, parfaitement outrée par son attitude. Ses yeux d’acier crépitèrent de fureur en le voyant agripper deux pauvres personnes qui n’avaient absolument rien demandé à personne pour les prendre à témoin de sa supercherie. Qui n’était pas. La brune s’encadra dans la porte après l’avoir envoyée cogner contre le mur pour l’ouvrir. Un élan de fureur la saisit en entendant ses paroles. Peut-être que son activité n’était pas complètement honnête mais au moins ce qu’elle faisait, elle le faisait bien. C’était une véritable insulte !

« Je suis une menteuse ? Ouais bah on verra bien qui aura une mauvaise surprise le jour où il retrouvera sa femme au pieu avec un autre ! »

Répondit-elle sur le même ton avant de frissonner sous l’effet de la colère. Son regard passa sur les deux personnes qu’il avait agrippé, un homme qui avait l’air plus jeune qu’elle et une femme qui ne devait avoir que quelques années de plus que Valerie. La jeune femme croisa les bras pour éviter de rougir de honte d’être ainsi exposée. L’attaque était toujours la meilleure défense et elle se reprit avant d’agiter son doigt d’un air menaçant en vociférant.

« Et content ou pas content, vous devez quand même me payer au lieu d’emmerder les passants comme ça ! »

Les pauvres. Et elle-même, quelle horrible matinée ! Elle aurait mille fois préféré rester devant la télévision avec les enfants de ses voisins à regarder des émissions abrutissantes plutôt que de se prendre la tête avec cet horrible bonhomme. Le pire, c’était qu’à beugler ainsi, il allait lui faire perdre des clients potentiels.

J’arrive, avais-je dit à mon collègue avant de rester quelques minutes de plus face au jeune homme intéressé. Alors comme ça le petit rêvait de devenir pompier plus tard. Je voulais l’encourager à pareil défi bien évidemment, une recrue de plus dans la caserne ne serait certainement pas de trop ! Bavardant avec lui, je lui expliquais toutes les ficelles du métier qui l’attendaient avec engouement. Un gamin aussi motivé, à ne pas lâcher d’un pouce ! Je prenais ses coordonnées avant me diriger vers le camion de pompier. C’est sans compter sur cet homme qui me héla au loin, vociférant comme un beau diable. Il semblait fort mécontent. A sa suite, une autre femme, hurlant au diable qu’elle n’était une menteuse. Encore une dispute de couple sans aucun doute…

J’aurais évité ces deux là si l’homme ne m’avait pas agrippé à lui pour me prendre en aparté. Chemin faisant, il prit une femme également et ses deux épaules ayant des accoudoirs, il se mit à marcher dans sa direction tout en nous parlant. Je ne comprenais absolument pas un traitre mot de ce qu’il racontait. Il me faisait chier en plus, c’était le cas de le dire ! Je n’étais pas son ami, et même si je l’avais été, ce n’était pas en aucun cas des manières de faire !

« Hé ho monsieur, du calme s’il vous plait. »

Avant toute chose, il allait commencer par la mettre en veilleuse, j’en avais marre de ses jérémiades. Cessant de marcher, il dut bien faire de même puisqu’il ne voulait pas me lâcher. S’il voulait me convaincre, il devrait agir comme j’en aurais envie, pas comme ses caprices ! D’après ce que j’avais compris il était également question d’argent, corde sensible. Et c’était aux passants de régler les problèmes des autres, elle est bien bonne celle-là ! Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait fait de blagues aussi drôle n’empêche. La jeune femme m’agaça, je lui sommais le silence.

« Et vous derrière, taisez-vous s’il vous plait. Monsieur, vous lui devez de l’argent ? Payez-là. »

Encore eut-il fallu qu’il reconnaisse devoir de l’argent à cette jeune femme… difficile de se le dire, n’est ce pas ? Je me mêlais des affaires d’autrui et je risquais les foudres aussi bien de l’un comme de l’autre. Je m’écartais de l’homme, prenant mes distances, après tout nous n’avions aucune proximité entre nous, autant le lui faire comprendre rapidement.
Avec toutes ses histoires, je n’avais pas remarqué que la jeune femme prise entre les griffes de ce fou était Tamina ! Cette ville me semblait tout d’un coup bien petite. Voilà que je la revoyais dans la rue alors qu’auparavant il n’y aurait jamais eu moyen de la croiser par hasard !

« Bonjour Tamina, ça va ? J’espère que tout va bien malgré ce petit désagrément. »

J’avais la franchise de dire à ce gars que ses propos avaient été déplacés et m’avaient exaspéré. J’attendais, guettant un geste de sa part, ou de l’autre folle. Sait-on jamais.

Spoiler:

Avec un immense sentiment de soulagement, Valerie put aisément se rendre compte qu’elle n’était pas la seule à voir l’injustice de cette situation grâce aux deux badauds que ce foutu malade avait pris à témoin, ignorant complètement qu’il s’agissait en fait d’une erreur monumentale puisqu’ils n’avaient pas l’air de vouloir prendre son parti. Avec un sourire triomphant, la brune croisa les bras sur sa poitrine en laissant parler le jeune homme qui, même s’il lui avait demandé de se la boucler d’une manière particulièrement sèche qu’elle n’était pas absolument certaine d’apprécier, avait au moins décidé de demander pour elle des comptes à son client.

Avec un air qui rappelait vaguement celui d’un bouledogue sur le point d’attaquer ses semblables, la fausse voyante acquiesça avec un air mauvais. Il lui devait son argent, ce n’était que justice qu’il lui donne. Après tout, les gens qui jouaient au loto ne demandaient pas pour autant de se faire rembourser quand leur tiquet n’était pas gagnant ! Et il en allait parfaitement de même pour la voyance. D’autant plus que ce qu’elle lui prédisait ne venait pas d’un soi-disant esprit vaudou ou une autre de ces bêtises attrape-nigaud mais de longues recherches exécutées par un détective privé et accrédité qui s’était tapé une planque assez conséquente pour avoir le culot de lui demander une prime pour sa restauration. Alors comment est-ce que Valerie était censée rester dans ses frais si de gros malin comme lui décidaient soudainement qu’ils ne lui devaient rien ? Hein ?

Son regard clair se reporta sur la femme que l’inconnu venait de saluer, comme s’il la connaissait. Et bien, c’était au moins déjà ça, deux amis pour faire front commun avec elle, si ce n’était pas tout beau tout rose tout ça ! Oui, pour en être réduite à avoir ce genre de pensée, on pouvait bel et bien dire que Valerie était furieuse. Elle ressentit une pointe de pitié pour cette jeune femme qui n’avait rien demandé à personne et qui se faisait à présent alpaguée par sa plaie ambulante, ce malade la prenait même à témoin pour ses histoires d’adultère. Le sang de Valerie ne fit qu’un tour, sa colère qui s’était légèrement calmée en réalisant qu’elle n’était pas toute seule dans son malheur revint comme une vague de tsunami, transfigurée et exacerbée.  

« Douglas Lemarne, L-E-M-A-R-N-E, si vous voulez vraiment savoir avec qui vous trompe votre femme, mais entre nous, c’est vraiment pas étonnant vu votre caractère et votre attitude de merde ! »

Valerie descendit les deux dernières marches qui la séparaient du reste du petit groupe en agitant un index menaçant dans la direction du client. Maintenant qu’elle était lancée, elle n’en avait plus rien à faire d’avoir l’air étrangement bien informée pour quelqu’un qui était censée traduire les baragouinements d’esprits venus de l’au-delà. Elle était juste hors d’elle, et puis cet homme qui voulait calmer les choses en lui demandant de garder ses commentaires pour elle pouvait bien aller se faire au diable vauvert parce que ce n’était pas lui qui avait cette pauvre cloche dans son carnet d’adresse et qui venait peut-être de lui faire perdre sa matinée tant bien en temps qu’en argent. De quoi la foutre de très mauvais poil, en somme.

« Et être une pauvre tarte en mal d’amour ne vous donne toujours pas le droit d’emmerder les autres comme ça, c’est entre vous et moi alors arrêtez de les faire chier, allongez la monnaie et allez vous faire foutre ! »

Finit-elle par cracher avec morgue.

Le visage rougit par les larmes me firent prendre compte de mon erreur. Tamina n’allait pas bien, je n’aurais pas du poser cette question aussi déplacée. Devant les deux fous, je ne voyais pas les deux emmerdeurs comme j’avais envie de les appeler, mais mon amie désemparée. J’aurais été capable de m’énerver facilement, cependant, la violence ne résolvait rien du tout, alors autant se montrer galant et ouvert d’esprit. Me débarrassant de l’opportun, je m’approchais d’elle, inquiet.

« Qu’est ce qu’il se passe ? Tamina …  »  

Visiblement, depuis notre dernière rencontre, cela n’allait guère mieux. Je la sentais plutôt fragile ces temps-ci et je ne faisais pas erreur là-dessus. Cela m’inquiétait également de la voir dans cet état, je me sentais même impuissant de ne rien pouvoir faire face à cette tristesse qui la traversait. J’ignorais comme faire, comment l’aider. Cela m’ennuyait énormément, voir une amie dans le désarroi et servant juste de spectateur à sa douleur. Machinalement, je forçais l’homme à s’écarter d’elle pour la relâcher, plutôt que de parler de choses aussi horribles devant elle, ignorant les conséquences et le poids de ses mots. Tamina était également bien trop sensible à ce que les personnes pouvaient bien penser, ce qui ne l’aidait pas au quotidien. On se fichait de ses problèmes avec la voyante, on se fichait de toutes ses histoires. Nous n’étions pas concernés, nous n’avions rien à faire en sa présence.

Il sembla que la pseudo-voyante avait besoin d’aide. Je ne sais comment mais j’avais immédiatement remarqué qu’elle n’avait rien d’un médium ; probablement un charlatan comme beaucoup dans la Nouvelle Orléans. Si son business fonctionnait, tant mieux pour elle. Un marché était un marché et si ce client avait décidé de se faire plumer chez elle, c’était également son problème. Cependant, il devait honorer le travail effectué, et donner le paiement demandé. Comme pour toute transaction, et il me semblait que cette femme en avait besoin. Un regard à Tamina  pour lui demander si elle voulait approcher avec moi ou rester à l’écart et je m’avançais vers les deux protagonistes. J’avais entendu l’intégralité de leur conversation, il me suffisait simplement d’y prendre part pour lui faire comprendre que cela ne marcherait pas. En général, la présence d’un homme intimidait, car une femme vis-à-vis d’un homme, en général n’était pas écoutée.

«Je suis d’accord avec Madame, remplissez vos devoirs et terminez-en. »  

Et je ne lui donnais même pas trente secondes pour le faire ou j’allais vraiment finir par m’énerver. Et cela commencerait par un petit tour chez les autorités pour porter plainte. Je ne ferai pas dans la brutalité et la stupidité de régler les affaires d’autrui par moi-même. Cependant, partir rejoindre la police ne lui plairait certainement pas.

«Nous n’avons pas la journée à vous consacrer s’il vous plait. »  

Et je me serai bien passé de m’occuper de cela. Ma patience avait des limites, qu’il ne joue pas avec mes nerfs, pour son propre bien.

Si elle n’avait pas autant été en pétard et bien trop occupée à se bouffer le nez avec l’homme qui lui tenait de client il y a encore quelques minutes à peine, Valerie aurait sûrement pu et surtout prit le temps de remarquer que l’une des victimes de la mauvaise nouvelle qu’elle avait annoncée à cet homme n’était pas forcément au mieux de sa forme. Au contraire, l’intervention de ce gêneur n’avait pas vraiment l’air d’avoir amélioré son état. Mais comme dit plus tôt, la jeune voyante était occupée à essayer de faire entendre sa cause à coup de « je hurlerai plus fort que toi, j’aurais ce que je veux, CQFD » avec l’autre barbare, elle ne remarqua rien. Elle n’aurait d’ailleurs pas non plus remarqué une invasion d’extra-terrestre jusqu’à ce que l’un d’entre eux ait la bonne idée de sortir son pistolet laser pour trucider la bête ou elle. Quoique logiquement, si elle se faisait déssoudre, elle ne pouvait pas se rendre compte d’une quelconque invasion.

Le pire de tout dans l’histoire, c’est que parce qu’il faisait une demi tête de plus qu’elle, il croyait pouvoir l’intimider pour lui faire reconnaître soit qu’elle mentait, soit qu’elle se payait sa tête simplement en agitant un peu plus les bras ou en s’approchant brusquement d’elle comme s’il allait la passer à tabac. Ce qu’il ne savait pas, c’est que ce n’était certainement pas une démonstration de force ou quelconque autre manœuvre d’intimidation qui allait la se replier sur elle comme une petite chose larmoyante. Même loin de là, et en toute réponse, Valerie hurlait encore plus fort et investissait tout l’espace qu’il n’avait pas eu la foi de traverser dans sa tentative de lui faire peur. Valerie était peut-être une femme menue, mais elle n’en était que plus hargneuse, encore plus quand il s’agissait d’argent — de son argent pour être un peu plus précis — et la réputation qu’elle aurait. Elle avait au moins l’arme d’avoir sa femme comptant parmi ses plus fidèles clientes. Peut-être qu’elle ne serait plus abonnée aux clients fidèles mais personne ne pourrait dire qu’elle n’avait pas dit exactement la vérité.

Pourquoi les gens voulaient absolument lui coller une étiquette d’arnaqueuse sur le dos quand elle ne faisait que dire exactement ce qu’il en était, peu importait la façon dont elle se procurait les informations tant qu’elles étaient véridiques, quant à ses prédictions des plus destructrices, elle nettoyait sa conscience en se disant que ses clientes se feraient rembourser par les assurances de toute manière. L’homme que son client avait accosté sembla se rendre compte que le passage diplomate était partie en sucette depuis longtemps et qu'il était temps d'intervenir puisqu'il se plaça à ses côtés pour l'aider à obtenir gain de cause. La femme aussi, ce qui fit chaud au cœur de la fausse voyante, lui donnant soudainement un grand élan de compassion pour tous ses concitoyens si on excluait le roquet en face d’elle qui venait d’envoyer paître l’homme en lui disant qu’il n’avait rien à voir dans cette histoire et donc rien à dire. Sauf que ce n’était nul autre que ce génie intersidéral qui avait embrigadé ces deux passants dans cette histoire.

« D’accord, alors c’est quoi la bonne technique pour avoir ce que je veux ? Je lui en colle une ? »

Demanda très sérieusement Valerie en se retournant vers le bout de femme qui semblait croire — et sûrement à juste titre d’ailleurs — qu’elle n’arriverait absolument à rien en hurlant comme une chiffonnière de son côté.

La tension commençait à monter peu à peu, le ton devenait de plus en plus haut et tangent. Si je ne séparais pas physiquement pas les deux femmes, je savais qu’elles se rueraient l’une sur l’autre à force de se chercher des ennuis. Tamina se voulait rassurante envers moi, devait même en avoir assez que je la protège et la réconforte. Elle recouvrait rapidement du poil de la bête en accusant l’autre femme d’user de mauvaises méthodes de réaction. Tamina n’aidait pas non plus à régler les affaires au mieux. En grand gentleman, je leur sommais à toutes les deux de se calmer. Et surtout ne pas commencer de crêpages de chignon, je n’en avais pas besoin. Quand cela démarrait, ça ne s’arrêterait jamais.

« Mesdames, du calme. »

Je ne quittais pas l’homme du regard. S’il se croyait suffisamment intelligent pour profiter d’une occasion pour s’enfuir, je ne lui donnerai pas cette éventualité de filer à l’anglaise. Comme c’était dommage pour lui, il ne pourrait avoir ce petit plaisir. Il était temps de se refocaliser sur lui plutôt que sur les deux filles. Il devait toujours payer, ne semblait même pas motiver à sortir les billets de son portefeuille. Je commençais sérieusement à perdre patience de tout ce bazar.  A en se demander ce que l’on faisait ici dans cette rue à attendre pour des trucs dont je me fichais bien.

« Monsieur, si vous ne dédommagez pas tout de suite cette femme, je vais appeler la police. »

Ce n’était pas comme ça que j’allais le laisser s’en sortir aussi facilement. Nous étions tous là par sa faute, alors qu’il se dépêche un peu enfin ! Ma menace le fit réagir, il se montra un peu plus clément. Il n’avait certainement pas envie que les autorités gèrent ses petites affaires. En même temps, il avait parlé à une menteuse et escroc, il n’empêche qu’il lui devait toujours de l’argent. A lui de vérifier ses sources avant d’effectuer la moindre affaire avec elle. Qu’il la traite de voleuse si ça la chantait, il devait tout de même payer ou c’est sur lui que les représailles tomberaient, voilà tout. Grommelant, il s’effectua, sortant quelques billets de son portefeuille qu’il donna à la jeune femme en guise de paiement. Voilà qui était mieux lorsque l’on était consentant n’est ce pas ?

«Voilà, merci beaucoup à vous. Maintenant on va pouvoir tous rentrer chez nous tranquillement, qu’en dis-tu Tamina ? »

Je regardais un instant Tamina, dont j’imaginais qu’elle en avait assez d’entendre ces problèmes. Je regardais également la voyante, dont j’espérais qu’elle soit  suffisamment satisfaite de ce que je venais de faire pour elle, auquel cas elle irait se faire voir. J’estimais en avoir fait bien plus que nécessaire.

« Vous avez eu le dédommagement nécessaire ? Monsieur peut partir ?»

Non parce que le gars partirait lorsque je l’aurais décidé, pas avant. Il n’avait pas le choix, et s’il bougeait, en plus d’appeler les flics, je l’empêchais de s’enfuir et le frapper si nécessaire. A mon avis, il devait être au courant que j’en étais capable.

Comme une furie, Valerie se retourna vivement vers la jeune femme en lui décochant une œillade meurtrière. Peut-être qu’elle aussi ferait preuve de violence si elle s’était faite rudoyer par un imbécile qui l’avait traitée de menteuse, qui refusait d’admettre qu’il avait tord, qui refusait en plus de la payer et qu’en plus de ça, elle se retrouvait à défendre son cas avec une petite Miss-Je-Sais-Tout qui faisait de l’ironie ! Et non, elle refusait de se mettre à sa place tout simplement parce que ce n’était pas la sienne et que son client lui avait tellement chauffé les oreilles qu’elle n’en avait plus rien à faire de ses pauvres malheurs de Rémi Sans Famille. S’il avait été un peu plus ouvert et moins têtu, peut-être que sa femme ne serait pas allée voir ailleurs, et peut-être même qu’ils n’en seraient pas là. Valerie ouvrit la bouche pour renvoyer une pique bien acérée à la brune mais le dénommé Hayel ne lui laissa pas l’occasion de l’envoyer en leur demandant de se calmer. La voyante jeta un regard excédé au ciel et lâcha le morceau en préférant se reconcentrer plutôt sur l’homme qui lui devait de l’argent.

Au moins, elle pouvait se consoler en se disant qu’elle avait bel et bien trouvé une aide en la personne de ce jeune homme qui, comme elle, n’avait pas l’air déterminé à simplement laisser couler et qui semblait bien déterminer à lui obtenir d’être dédommagée pour les services qu’elle avait rendu à cet homme. Et de ce fait, il réussit à obliger son client à ouvrir son porte-monnaie pour en retirer les billets qu’il lui devait et venir les planter rudement dans sa main tendue. Valerie oscilla un peu sous la force de ce paiement puis releva une œillade furieuse vers l’homme avant d’hocher doucement du cap en décidant qu’il valait mieux ne pas continuer à chercher les problèmes et donc le laisser partir par la même.

« Oui c’est bon. »

Grinça t-elle sombrement en pliant les billets pour les coincer dans la poche de sa veste avant de croiser de nouveau les bras, arborant cependant un air un peu moins irrité maintenant qu’elle avait ce qu’elle voulait. L’homme s’en alla en enfonçant rageusement ses poings serrés dans ses poches, marmonnant des phrases indistinctes. La voyante regarda la jeune femme qui semblait visiblement vouloir s’en aller le plus vite possible avec l’autre homme et comprit qu’il ne servait à rien de se forcer à la politesse en leur proposant de les inviter à prendre le thé. De toute manière, elle n’aurait été bonne qu’à être brusque et à tirer la tronche vu l’état d’énervement dans lequel elle était.

« Merci. Merci encore pour ce que vous avez fait. »

Un petit hochement de tête plus tard et toujours fichtrement renfrognée, Valerie se retourna pour leur adresser un nouveau petit geste de la main et remonter dans son cabinet, la mine sombre.

Tamina perdit patience, comme nous tous en réalité. Je ne la connaissais pas en colère, d’habitude, elle était conciliante et faisait en sorte que chacun y trouve son compte. Où était passée cette femme là ? La mort de son époux avait beaucoup influencé son caractère et son être tout entier même. La voyante  d’ailleurs ne l’appréciait pas. S’il était possible d’éviter un combat de femmes, cela m’arrangeait. Il était déjà assez difficile de gérer l’homme, alors si en plus les deux femmes s’y mettaient, je n’avais pas fini de passer mon temps ici. Je commençais sérieusement à en avoir assez, alors j’avais pris les devants pour régler une bonne fois pour toutes les problèmes dont je n’étais même pas concerné.

Je m’étonnais moi-même d’avoir résolu le problème avec autant de rapidité. Il suffisait d’hausser un peu le ton et de se montrer rigoureux et direct pour que cela fonctionne ? La force des choses m’étonnerait toujours ! Je n’avais pas de penchant pour l’autorité, mais je devais avouer que le gaillard n’avait pas bronché pendant toute la durée de la transaction, effectuant ce que tout bon client devait faire en échange d’un service ou d’un produit : payer. Il ne montrait pas beaucoup d’enthousiasme à régler la note pour un charlatan comme il le disait si bien, mais le prix était le prix, le service était le service. S’il s’était fait arnaquer, il devrait passer par la justice en portant plainte. En attendant, il n’avait d’autre choix que de se montrer conciliant, plutôt que de faire un scandale dans toute une rue.

« De rien Madame. »

Voilà une affaire de faite. Mon travail m’attend maintenant, avec tout ça, j’ai perdu un temps précieux. Fort heureusement, il n’y avait aucune urgence, aucun incendie dans les parages. Mon chef m’aurait passé un savon pour ça. N’ayant pas toute la journée devant moi, je refuse poliment le verre que me propose Tamina.

« C’est gentil Tamina, mais je dois retourner au travail, mon collègue m’attend dans la voiture »

J’avais trainé avec l’enfant, puis avec cette mégère et son client, je ne pouvais pas me permettre d’aller boire un verre pendant que l’on m’attendait dans la voiture. J’étais censé travailler, pas gérer les affaires d’autrui en pleine rue ! Une autre fois peut-être, lorsque j’aurais du temps devant moi, ce que je n’avais pas pour tout dire. Embrassant rapidement Tamina pour lui dire au revoir, je filais en courant vers le véhicule pour retrouver mon collègue et continuer la journée comme si de rien n’était.