Un lundi après midi comme bien des autres, Tamina l'avait laissé sur la table à manger de la cuisine avec ces dessins en lui disant aller faire les courses, lui rappelant une fois de plus de lui téléphoner s'il s'aventurait quelque part ou de lui envoyer un petit message en lui assurant qu'elle n'en aurait pas pour longtemps. Mais Maddox savait qu'elle en aurait au moins pour deux heures, ce qui était particulièrement long aux yeux du dément qui n'aimait pas sa solitude. Les premières minutes se passaient très bien, il dessinait tout en discutant... Oui, il discutait. Avec ces voix qui l'accompagnaient depuis tout ce temps, si d'abord la conversation était des plus saines, rapidement les voix firent ce qu'elles savaient le mieux faire : le remettre en question. Bien sur le dément se mit à crier comme bien souvent quand il se sentait trop oppressé par ces démons et le calme fut de retour après avoir crée un moment de tension dans l'immeuble. Les voisins avaient cessé de s'alarmer quand ce voisin là criait bien que parfois cela semblait compliqué pour certains de ne pas taper chez lui quand ils l'entendaient hurler à la mort ou pleurer à s'en arracher les bronches de désespoir... Personne ne savait vraiment ce qui se tramait dans la tête de Prince qui était pourtant un voisin si charmant à croiser dans les couloirs bien que souvent apeuré. Toujours très poli et souriant en compagnie de Tamina, beau garçon si rêveur. Il faisait bien de la peine au voisinage qui s'était fait une raison vis-à-vis de lui et de sa folie, on avait du mal à rester insensible... Du moins, presque tous. Il y avait ce voisin bizarre que personne ne connaissait vraiment, il s'appelait Vitaly et cet homme terrifiait Maddox... De plus, de cet appartement émané un coté malsain et bien souvent il était frappé de visions en passant devant sa porte, des images si intenses qu'il était « obligé » devenir sur ses pas pinceaux en mains pour décrire ce qu'il avait vu. Phénomène qui ne plaisait pas à ce voisin qui en avait assez que Prince vienne « taguer » sa porte d'entrée...

Il remontait les escaliers en parlant tout seul encore une fois « Tu vois que je pouvais le faire... » Il essayait d'avoir fière allure, sa tasse de chocolat chaud à moitié consommé entre les doigts il arrivait sur le pallier quand son regard se dirigeait justement vers la porte d'entrée de ce voisin. Une silhouette se tenait là, cette femme. Un geste de recul, il avait lâché sa tasse qui venait tomber sur le parquet sans se briser alors que ses yeux bleus ne quittaient pas le visage de celle qui n'avait jamais oublié, comme promis. « C'est toi... » Soufflait-il au bord des larmes. Son coeur lui faisait tellement de mal à cet instant et il n'avait même pas assez de souffle pour trouver la force de pleurer... Ses doigts se crispaient lentement alors que ses mains venaient tirer sur sa veste comme s'il cherchait à se cacher d'elle, à cacher ce corps dont elle avait volé l'intimité dans cette chambre d'hôpital, elle lui avait arraché quelque chose ce jour là, ce semblant de dignité qu'Alexey lui avait laissé : elle le lui avait prit. Il se jetait contre la porte d'entrée de son appartement cherchant la clé mais son corps se secouait de spasme d'angoisses semblables à ceux qu'il avait subi quand elle avait fait lever les draps pour observer son corps meurtris. D'une main fouillant dans sa poche, l'autre tenait sa veste contre son torse, la clé lui échappant des doigts pour tomber dans les poils durs du paillasson Maddox se sentait prit d'un violent désespoir, laissant sa main abandonne sa poche pour se coller sur sa tête comme pour se protéger de la violence de la simple présence de Sophya. Le traumatisme était toujours aussi présent après tout ce temps, s'il avait l'air reconstruit c'était tellement superficiel, il y avait encore beaucoup à travailler comme le vif du sujet. Il n'en avait plus parlé depuis ce jour là, depuis sa rencontrer avec cette femme... Il se réveillait souvent en hurlant, s'endormait en pleurant au fond de son lit rongé par les souvenirs de ce que cet homme lui avait fait... Il inspirait profondément avant de se mettre à hurler comme la première fois, laissant quelques larmes faire une percée sur sa paupière pour couler le long de sa joue, collé à cette porte qui ne voulait pas s'ouvrir, derrière cette porte il serait à l'abris d'elle, à l'abris de tout, mais la porte ne voulait pas s'ouvrir et le processus de pensée de Prince devenait de plus en plus confus et cette voix qui riait de lui, de son malheur, de sa faiblesse... Son souffle mourrait et le cri s'asphyxié, le visage figé, le teint tirant vers le bleu car il n'arrivait pas à reprendre une nouvelle inspiration, il sentait qu'il allait s'asphyxier étranglé par sa propre angoisse...

Sa matinée avait été particulièrement difficile. Epuisée, Sophya s'était très vite rendu compte qu'elle ne parviendrait pas à travailler plus qu'elle ne l'avait déjà fait. Les fêtes de fin d'année approchant, elle avait demandé à son employeur de pouvoir terminer le boulot sur l'heure du midi, afin de pouvoir effectuer ses dernières préparations, mais également de pouvoir travailler sur l'examen du barreau qui n'allait pas tarder à arriver. En effet, la brune était un peu lassée de son métier et n'en voyait au final, pas vraiment l'utilité. Son jugement était sans cesse remis en question par avocats, juges et jurés, ce que la cajun déplorait sincèrement. Elle ne voyait plus vraiment l'intérêt de son emploi et se retrouvait plus frustrée que jamais. Sa décision avait donc été prise quelques mois auparavant : prendre sa pause carrière et passer l'examen qui lui permettrait de devenir elle-même une avocate. Forte de ses convictions, Sophya avait fini par poser sa candidature à la prochaine fournée de tests et bûchait donc sur ses anciens cours comme jamais elle ne l'avait fait. Elle ne disposait que de très peu de temps et comptait bien en profiter un maximum, ne s'arrêtant de travailler que lorsque c'était nécessaire.

Néanmoins la jeune femme avait une préoccupation majeure, sa pseudo relation avec son ex-mari. Leur dernière rencontre ne cessait de la hanter et si elle avait gardé un silence total avec sa mère, la brune ressentait le besoin d'au moins en parler avec son meilleur ami. Il était beaucoup plus évident pour elle d'en discuter avec Vitali, qui n'allait de toute manière pas porter un quelconque jugement, plutôt qu'avec sa mère d'adoption qui ne parviendrait pas vraiment à saisir son point de vue. Un soupir résigné la fit quitter son appartement et flâner dans les rues de la ville en direction du tramway.

Elle descendit à Marigny et s'engouffra dans le premier bus qu'elle trouva, avant de se faufiler parmi les passagers. Bien sur aucune place de disponible et la jeune femme se contenta de se caler contre une des portes le temps du trajet. Lorsqu'elle descendit, il lui restait encore un petit bout de chemin à faire à pied jusque l'appartement du jeune homme. Arrivée à destination et grimpant les escaliers avec ferveur, la juriste ne prit même pas de regarder le voisin de pallier de Vitali et s'apprêtait à toquer lorsque la voix de l'homme l'arrêta net dans son mouvement. Elle se revit alors aussitôt quelques années auparavant, jeune femme dynamique et fière de son travail, se targuer de son premier dossier. Elle avait tout donné dans ce dernier, avait tout fait pour que son client soit indemnisé et surtout exempté de la présence de son bourreau. Des images du corps tuméfié, brisé, de l'éclat morne dans le regard de Maddox lui revinrent alors aussi puissamment que si la scène se déroulait encore en cet instant même.

Son bras s'abaissa de lui-même alors que Maddox se retournait vers elle et commençait une crise de panique. Lui non plus ne l'avait pas oubliée apparemment. La Médium se retourna doucement, pour ne pas le brusquer encore plus et cala ses yeux verts dans le regard si particulier du dément. Sans qu'elle ne le maîtrise vraiment, des larmes apparurent dans ses yeux tandis que le brun laissait échapper ses clés au sol, visiblement traumatisé. Jamais, elle n'avait été confrontée aux dommages que pouvait créer son emploi et la réaction de Maddox signifiait bien qu'elle avait également fait du mal au jeune homme. Que faire ? Les indications du médecin de l'époque, Harvey ou Howard, elle ne savait plus vraiment son nom, se rappelèrent alors à son souvenir et la jeune femme se laissa glisser au sol, contre la porte de l'appartement de Vitali, restant le plus loin possible de Maddox, avant d'entamer d'une voix douce.

« Bonjour Maddox. »

Il ne l'avait pas oubliée, comme il l'avait promis, tristement. La juriste croisa doucement ses mains sur ses genoux et s'assit en position tailleur.

« Je ne vais pas m'approcher. Je te le promets. Il ne faut pas t'inquiéter Maddox, je ne te ferais rien cette fois-ci. Je ne suis plus obligée de te faire quoique ce soit. C'est terminé. »

Deux simples mots avaient suffit à lui rendre sa respiration « Bonjour Maddox » ; l'air s'engouffrait brutalement et bruyamment dans ses poumons qui se gonflaient comme s'il avait nagé en apnée pendant plusieurs minutes. C'était tellement douloureux, jamais il n'avait pu oublier son visage et tous les jours, à chaque fois qu'on avait poussé la porte de sa chambre il avait craint que ce soit elle qui revenait. Pourtant dieu savait combien de personnes avaient pu le voir dans sa parfaite nudité dans cet hôpital, mais les yeux de la jeune femme le hantaient encore. Ange si cruel qu'était la justice, il n'y croyait plus et espérait juste qu'on le laisse en paix. Un espoir encore bien trop grand dans sa vie puisqu'il n'était qu'un pauvre fou aux yeux de tous. Restant là, figé dans sa terreur à se demander ce qui allait lui arriver à présent, qu'allait lui faire cette voleuse ? Maddox avait toujours cette façon d'associer les gens à ses images aussi cruelles soient-elle. C'était son esprit qui était ainsi fondé, tout étant noir ou blanc. Et comme il ne savait vraiment se défendre il se laissait massacrer par ce qui lui faisait peur. Osant tourner le regard vers elle pour se rendre compte qu'elle était à terre, elle avait l'air bien moins menaçante vu comme cela. Quand elle n'avait pas le pouvoir et qu'il n'était pas drogué au fond d'un lit, complètement à sa merci, le corps brisé et l'âme en morceau... Une main portée à ses lèvres entrouverte d'effroi alors que l'autre était grande ouverte contre son coeur qui tambourinait son torse d'une panique excessive. Le beau brun se sentait tiraillé de toute part, violence souvenir qui semblait encore si vif dans son esprit, chaque détail, chaque mot...

Respirant lentement, il voyait alors à quel point elle semblait faible et triste. Que faisait-elle ? Est-ce qu'elle avait fait souffrir d'autre personne comme elle l'avait fait pour lui ? Pour l'aider soit disant... Il se souvenait encore de son regard vert qui se posait sur sa peau, cette douleur ignoble... Cette honte... Comment pourrait-il aimer à présent ? Comment pourrait-il se laisser voir nu désormais ? Il y aura toujours ses grands yeux verts qui le fixeront... Elle lui fit promesse de ne pas l'approcher, mais comment pouvait-il la croire ? Cette voix si douce et pourtant elle avait été si cruelle. Pourtant, il était incapable de la détester tout comme il ne pouvait haïr Alexey ; il y avait juste cette douleur qui restait gravée dans sa mémoire, cette peur qui ne le quittait plus... « C'est terminé... » Le dément laissait couler des larmes d'une peine intense le long de son visage, toujours calé dans l'encadrement de la porte comme un lapin se cachant au fond de sa terrière... Pourquoi avait-elle employé le mot « obligé » ? Il ne comprenait pas, c'était bien là le problème de Maddox, trop naïf, il croyait bien souvent ce qu'on lui disait, il prenait ce qu'il voyait pour argent comptant. C'était bien ce qui le rendait aussi fragile. « Est-ce que je vais arrêter d'avoir peur ? ... » Lâchait-il finalement, la voix évasive comme si c'était son fantôme du passé qui venait de prendre la parole, mais c'était bien lui. Séchant tant bien que mal ses larmes alors que peu à peu ses forces le quittait et qu'il glissait assez brutalement sur le sol pour se retrouver lui aussi assit sur le pallier, le coté droit du front appuyé contre la porte « Pourquoi tu veux encore me faire une promesse ? Tu as menti... J'voulais juste qu'on me laisse mourir, j'voulais qu'on arrête de me toucher... De me regarder... » Fermant les yeux encore douloureux, c'était tellement présent dans son esprit. Tout ça lui faisait du mal dedans, il aurait voulu que sa sorte mais c'était en lui...

Doucement ses doigts cherchaient à l'aveugle la clé de cet appartement perdue dans les poils du paillasson ; n'osant plus ouvrir les yeux de crainte de voir encore ses yeux verts... D'y voir au fond de ceux cis cette pitié et ce dégout... « Vous ne m'avez rien laissé... » Pas même le choix, le choix de mourir. Maddox avait traversé cette épreuve dans la dépression, cette séparation avec Alexey même s'il lui avait fait bien du mal avait été douloureuse parce qu'il avait été sa seule attache dans ce monde qu'il ne comprenait pas, le seul qui puisse le nourrir, s'occuper de lui. Et si maintenant il avait gagné en autonomie, il pensait toujours à cet homme et il n'était pas rare que lorsqu'il se réveillait il lui semblait encore voir son regard brun et suite à cela s'en suivait la peur et un hurlement avant que les traits de la belle Tamina ne se dessinent enfin... Ils ne lui avaient rien laissé, à part cette solitude, cette pudeur, cette honte...

Elle s'était collée à la porte de l'appartement de Vitali tandis que son regard se concentrait sur Maddox. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis son premier dossier. Dossier. Le mot résonna amèrement dans son esprit alors que la jeune femme songeait qu'il était vraiment réducteur de penser de pareille manière alors qu'elle avait jour après jour, le quotidien de vies entre ses mains. Elle n'était pas Dieu, mais jouait à la balance de la justice alors que jamais son avis n'était réellement objectif. Pourtant Sophya s'escrimait à vouloir redonner une certaine équité dans ce monde de brute. Elle attendait pourtant que le jeune homme se reprenne, se rende compte qu'elle ne lui ferait plus la moindre chose. Elle n'en avait ni droit, ni envie, n'était pas décidée à jouer son rôle de juriste ou quoique ce soit. Son travail était clôturé et pourtant... pourtant Sophya n'était pas si fière d'elle. Une victoire bien amère, que celle-là. Celle de la justice contre la dignité humaine.

Elle l'observait avec une inquiétude grandissante. Quelles séquelles laissaient-ils derrière eux, lorsqu'ils avaient des dossiers aussi étranges et pointilleux que celui de Maddox ? Au fond Sophya n'en avait aucune idée. Elle prenait et ne s'intéressait plus une fois que son job était fini, qu'elle avait effectué ses dernières actions. La voix du brun la sortit de ses pensées et la demoiselle glissa ses orbes vertes dans les siennes comme elle avait pu le faire dans le passé. Au fond, elle comprenait sa détresse, ses peurs, la raison pour laquelle elle le terrorisait. Elle avait connu tout cela quand son don s'était manifesté. L'enfant qu'elle avait été avait du faire face aux rires, aux regards faussement compatissants, aux moqueries, aux adultes qui s'empressaient de disséquer son esprit pour savoir ce qu'il s'y tramait. Et jamais, jamais elle ne leur avait donné la satisfaction d'être brisée. Pourtant, c'est ce qu'elle avait fait à cet homme, achevant l'oeuvre d'un malade mental. Pourquoi ? Pour la fausse justice qu'elle avait crû lui avoir apporté.

Elle ouvrit la bouche et la referma, ne sachant pas vraiment quoi répliquer. Son regard se détourna alors de l'homme pour se glisser sur le mur. En cet instant, elle voulait disparaître sous terre, se relever et se précipiter dans l'appartement de Vitali, se coincer dans son fauteuil, sous une couverture et pleurer jusqu'à ne plus s'arrêter. La juriste ne voulait pas faire face à son passé. Elle détestait profondément cela. Sophya se relevait et avançait, elle ne regardait pas en arrière, elle n'avait pas la force de regarder en arrière. Pourtant, elle ne parvenait pas à faire ce que son esprit lui criait. Elle restait coincée, sur ce sol, à faire face à un jugement tellement... tellement innocent qu'elle n'en comprenait même pas les enjeux.

« Un jour Maddox. Un jour on arrête d'avoir peur. Parce qu'on ne regarde plus derrière son épaule, parce qu'on fixe le chemin devant. Parce qu'on ne laisse plus rien nous effrayer. »

C'était ainsi que la jeune femme avait toujours envisagé les choses. Il y avait toujours eu des ombres autour d'elle, des cadavres dans des placards, des monstres sous son lit, des reflets dans son miroir. Jamais l'un d'entre eux ne lui avait appartenu. Elle se souvenait des murmures au sein de son esprit, enfant, alors qu'elle se demandait si elle n'était pas réellement folle, comme le disaient les éducateurs et psychologues. Elle voyait encore le regard des autres enfants de l'orphelinat, les insultes à peine déguisées, les farces qu'on lui jouait. Mais elle ne voulait plus regarder et se souvenir de tout cela. Non, elle voulait imaginer le meilleur. Ne pas se souvenir qu'on l'avait abandonnée, qu'on ne l'avait pas suffisamment aimée pour la garder auprès de sa véritable famille. Elle ne le sentait qu'à peine, mais des larmes prenaient place dans ses yeux, alors que plus elle pensait et plus les souvenirs sombres semblaient s'amasser dans son esprit.

« Tu voulais lui donner la satisfaction de te voir te consumer loin de lui Maddox ? Parce que c'est ce qu'il aurait pensé, en voyant que tu voulais te donner la mort. »

L'homme qui l'avait brisé était tellement étrange. Complexe. Un peu malade lui-même fallait-il l'avouer. Tellement profond, tellement manipulateur qu'il était difficile de savoir ce qui se tramait véritablement dans son esprit. Elle ne l'avait jamais vu, son superviseur ayant rendu les rapports qu'elle avait tapé, lors du jugement. Elle ne savait pas à quoi il ressemblait. Elle avait juste étudié son mental, cherché à comprendre ce qui l'avait motivé.

Sa main se glissa contre le bois de la porte, alors qu'elle aurait presque voulu supplier Vitali de venir la relever, de venir l'envelopper dans cette affection étrange qu'il avait su lui offrir. Une larme roula sur sa joue, alors que Sophya en était parfaitement inconsciente.

« Je suis désolée. »

Elle l'avait soufflé d'une voix basse, presque inaudible, mais tellement sincère. Sophya ne s'excusait jamais, ou plutôt très rarement. Et le fait qu'elle le fasse maintenant signifiait tellement.

« Je n'avais pas le choix Maddox. Je n'avais pas la décision. J'étais obligée. Si j'avais seulement pu ne pas le faire, alors je n'aurais rien fait. Mais je ne pouvais pas. »

Le passé devait rester au passé. Mais pourquoi était-ce si difficile de l'appliquer ? Maddox aurait voulu être protégé des démons qui le hantaient, mais ils n'étaient que plus nombreux chaque jour, le pourchassant, le poussant à la peur... Peur de souffrir, peur d'être seul, peur du mensonge, peur de vivre... Comment survivre dans cet état d'esprit ? Il fallait toujours se battre, il ne devait pas avoir peur, mais parfois c'était bien trop oppressant. Parfois il voulait juste abandonner, il n'était pas complètement seul et fort heureusement sans quoi il partirait pour de bon à la dérive. On disait souvent que Maddox avait encore cette magie de voir le monde comme un enfant au point d'oublier qu'il était un adulte et que lui aussi pouvait prendre certaines décisions. Mais on ne laisse personne dans la détresse. Le dément était depuis bien trop longtemps dans cet état de détresse, jetant les bouteilles à la mer en espérant que quelqu'un viendrait répondre à son SOS. Quand est-ce qu'il cessera de vivre dans la peur ? Un jour répondait-elle, ce n'était pas suffisant. Combien de temps allait-il encore souffrir ? Il voulait savoir quand ce jour arrivera, quand serait-il en paix. Ce qu'elle lui disait était bien difficile à trouver, comment ne pourrait-il pas regarder derrière lui ? Tout semblait lui rappeler que des choses bien malheureuses, et même s'il essayait d'y échapper, il y avait toujours quelque chose pour lui faire du mal. Fermant doucement les yeux sans trouver la force de parler avant de l'accuser de l'avoir empêché de partir, de l'avoir torturé pour le maintenir dans cette vie alors qu'il n'en avait eu que faire. La réponse de la jeune femme sonnait comme un sermon et il se renfrognait quelque peu en lui jetant la pierre ; une accusation de plus ; il était tellement enfantin qu'il en était attendrissant ; il pouvait sentir qu'elle n'allait pas bien et quand elle s'excusa il sentait que son coeur se brisait une fois de plus. Etait-il quelqu'un de mauvais ?

Elle n'avait pas eut le choix lui disait-elle, le beau brun relevait la tête pour l'observer, elle avait l'air tellement mal. Il s'en voulait à présent, pourtant il avait peur... Maddox restait silencieux alors qu'elle lui expliquait qu'elle avait été obligée de l'humilier, il lui en voulait tellement, mais il était si naïf. Doucement, il allongeait les jambes un peu en diagonale avant de décoller les fesses du plancher pour avancer le long du mur et se rapprocher de la jeune femme bien qu'assez distant encore avant de lui dire « J'voulais pas penser à ce qu'il dirait, j'voulais juste penser à ce que moi je voulais... » Mais ça, personne ne c'était intéressé à ce qu'il voulait, les gens pensaient toujours mieux savoir que lui ce qui était bon pour lui. Mais il n'était pas d'accord avec ça, il voulait avoir le droit de choisir lui aussi. Après quelque hésitation il se décalait encore un peu plus vers elle, animal craintif qui n'osait pas vraiment l'approcher bien qu'il se laissait amadouer parce qu'il était faible. C'était bien ce qui le rendait à ce point manipulable, ce qui faisait de lui la proie favorite des grands manipulateurs comme Alexey. Comment Maddox pouvait imaginer que son thérapeute était fou lui aussi ? Ce n'était pas possible, il savait tout n'est-ce pas ?

Inspirant profondément pour se donner bien du courage, Prince fixait la jeune femme avant d’approcher lentement la main à raz de terre avant de lui demander intimidé « Est-ce que… Est-ce que tu es venu me rendre ce que tu m’as volé Sophya ? » Baissant les yeux alors que sa main attrapait celle de la juriste ; la logique de Maddox avait toujours ce coté enfantin et pourtant tellement poétique et rêveur. Plongeant de nouveau son regard azuré dans celui de la jeune femme, ses yeux étaient brillants de larmes bien qu’au fond régnait toujours cet espoir innocent « Est-ce que tes yeux vont me regarder autrement ? » Etait-il en train de l’inviter à venir le voir nu une seconde fois pour qu’elle le regarde autrement qu’avec dégoût ? Textuellement c’était exactement ce qu’il venait de dire, mais en avait-il seulement conscience ? C’était là tout aussi compliqué à le savoir, mais n’était-ce pas ce qu’il voulait ? Peut-être le voulait-il d’une façon inconsciente… Qu’elle lui rendre enfin la force de se montrer. Il semblait près à tout pour avoir une chance d’être à nouveau une personne…

Sa main se glissa contre la porte alors qu'elle semblait vouloir s'enterrer plus bas que terre. Elle le comprenait, bien plus qu'elle ne pouvait le dire. Elle se souvenait, de quand on la prenait pour la dernière des folles. Quand elle hurlait aux voix de se taire, de la laisser en paix, mais que personne ne voyait rien autour d'elle. Qu'ils la prenaient pour une malade mentale, une enfant qui voulait faire son intéressante. Combien de fois n'avait-elle pas été punie pour avoir réveillé ses camarades de chambre ? Combien de rires étouffés, de regards goguenards n'avait-elle pas enduré ? Combien de fois n'avait-elle pas supplié ses voix de la laisser, parce qu'elle ne supportait plus de se sentir ainsi. Et pourtant, inlassablement, ces voix revenaient, sans vouloir la laisser, sans jamais la lâcher. Alors elle avait fait semblant de ne pas les entendre, elle s'était isolée et n'avait plus regardé les autres de la même manière. Elle s'était blindée et s'était contentée de suivre ce qu'on lui disait de faire, de cesser de se faire remarquer. L'enfant s'était fondue dans la masse, avait grandi avec tant de blessures que cela en était devenu réellement douloureux pour l'adulte qu'on lui avait forcé à devenir.

« Les gens s'en foutent de ce qu'on veut Maddox, c'est ça la dure loi de la vie. Tu te dois toujours de plier l'échine pour que quelqu'un puisse te marcher sur le dos et piétiner ton corps sans la moindre once de culpabilité. Ils te brisent, te remettent en état, pour que cela recommence encore et encore. Tu es un jouet entre les mains, que l'on répare lorsqu'il le faut. C'est pour cela que j'ai du faire cela. Il fallait juste te réparer. C'est ce qu'ils voulaient. Ils ne veulent que sauver les apparences, même si ça ne nous plaît pas. Les apparences, c'est ce qui fait croire à tout le monde que tout va bien, quand à l'intérieur, tout est détruit. »

Les larmes roulèrent sur ses joues alors qu'il s'était rapproché d'elle, à pas de loup, comme s'il la craignait réellement. Et c'était ce qu'elle comprit. Elle l'effrayait, l'apeurait. Jamais, Sophya n'avait voulu ce genre de choses. Imposer le respect, se faire remarquer de manière à écraser les gens. Ce n'était pas son genre, son ambition. La brunette voulait juste vivre sa vie comme elle l'entendait et ne pas regarder aux autres, hormis son entourage. C'était ça, son truc. Vivre avec sa famille, dans son coin. Avoir un chien, un poisson rouge. Un mari, un jour, pourquoi pas. Une petite maison en campagne, avec de quoi vivre correctement, sans pour autant avoir de trop ou pas assez. Une vie tranquille, loin de l'agitation quotidienne. Quelques temps auparavant, elle avait encore son mari, dont elle était folle amoureuse et même le poisson rouge. Un boulot qui la comblait. Une vie agréable, même si un peu trop remplie. Maintenant, il ne lui restait rien, sinon un appartement vide de vie. Et en cet instant, elle comprit qu'elle n'avait rien laissé d'autres à Maddox. Rien sinon ce même sentiment. Parce qu'elle lui avait même pris sa dignité. Elle sursauta légèrement lorsqu'il glissa ses doigts sur les siens. Personne n'avait jamais posé sa main sur la sienne comme ça, pas même ses parents ou son frère. La médium détestait les contacts physiques, se reculait à la moindre approche. On ne lui avait jamais appris quoi faire dans ces moments-là. Comment réagir, pour ne pas repousser ou pour ne pas accepter une quelconque étreinte. Chase avait été le seul à percer cette carapace, à parvenir à lui imposer une certaine tendresse, qui pourtant restait bien maladroite. Alors elle se contenta de baisser le regard sur leurs mains entrelacées alors que Maddox parlait.

Un hoquet de surprise s'échappa de ses lèvres pourpres alors que son regard remontait lentement sur le visage du brun. Que devait-elle comprendre par là ? Comment diable-donc le regardait-elle ? Comme une professionnelle sans aucun intérêt pour son patient, voila ce qu'elle faisait. Comment réagir ? Que dire, que faire ? Personne n'était là pour la guider et elle était à nouveau au centre de l'attention de Maddox. Elle n'aimait pas spécialement cela, parce qu'elle avait l'impression que les rôles s'inversaient, qu'il devenait l'adulte pleinement conscient de ce qu'il imposait. Alors qu'il ne savait probablement pas ce qui se passait dans la tête de la jeune femme. Probablement rien du tout.

Et là, sans qu'elle ne s'y attende le moins du monde, la jeune femme s'effondra en larmes. Pourquoi ? Elle n'en avait aucune idée, à vrai dire.

« Pardon... Pardon... »

Elle répétait ces mots inlassablement sans pouvoir s'arrêter, alors que ses larmes devenaient de plus en plus fréquentes. Elle ne savait pas quoi dire d'autre, quoi faire. Elle n'était pas douée avec les sentiments, n'avait jamais su les exprimer. Alors en cet instant, Sophya était perdue, tout simplement. Il lui fallut quelques minutes avant de pouvoir se reprendre, de pouvoir s'exprimer.

« Je ne sais pas quoi faire Maddox... Ni quoi te répondre. Je suis un robot. Un robot qui ne sait pas comment réparer ses erreurs. Qui a peur de les réparer. Je...Je... »

C'était tellement difficile de lâcher quelque chose que la brunette finit par baisser la tête.

« Dis-moi ce que tu attends de moi. Ce que je peux faire. Parce que je ne sais pas comment... Je n'ai... J'ai besoin qu'on me montre... »

Venant à tâtons à son contact, c'était la première fois qu'ils allaient se toucher et c'était toujours important aux yeux de Maddox, le contact avait toujours été la base de ses relations dans la vie et ils n'étaient pas très nombreux. C'était une connexion importante à ses yeux ; elle éclatait en sanglot après avoir regardé leurs mains liées. Le regard azuré de Maddox s'assombrissait ; triste comme si des nuages venaient troubler le ciel bleu de ses yeux ; il pouvait ressentir sa tristesse bien qu'il n'en comprenait pas forcement le sens. Il la voyait si malheureuse, si bien qu'il n'arrivait plus à croire qu'elle était une personne mauvaise. Elle avait voulu le réparer disait-elle ; elle s'était trompée parce qu'elle l'avait encore plus détruit. Bien sur qu'il lui en avait voulu, mais il n'avait jamais su être vraiment en colère. La colère était un sentiment qui lui faisait peur et il avait bien des peines à l'éprouver lui-même et cela aussi si c'était pour se défendre, c'était bien ce qui le rendait faible. Elle s'excusait, il gardait ses doigts serrés autour de ceux de la jeune femme. Pourquoi une telle tristesse sur ce visage si beau ? Bien sur, il se mit rapidement à culpabiliser ; pensant naïvement que c'était de sa faute ; qu'il avait été bien trop cruel en exigeant qu'elle lui rende sa dignité. Peut-être ne le pouvait-elle pas, peut-être qu'elle avait perdu la sienne et que c'était pour cela qu'elle avait prit celle de Prince. A vrai dire, la logique décousue de Maddox le menait à des raisonnements insensés ; pourtant il n'avait plus l'impression de faire face à cette femme si sure d'elle que le jour où elle était venue dans sa chambre d'hôpital.

Elle ne cessait de s'excuser alors que des larmes inondaient son doux visage, il s'approchait un peu plus encore d'elle sans la toucher davantage pour autant bien que ses doigts la serraient un peu plus fort ; s'agenouillant doucement avant de glisser un léger « Hey... » Presque mielleux ; il n'avait jamais consolé personne mais il avait l'habitude qu'on le fasse pour lui, pourquoi ne pourrait-il pas le faire aussi ? Une prise d'initiative assez inhabituelle, mais à cet instant il n'avait pas peur. L'observant avec une légère douceur dans le regard malgré sa crainte présente qui le retenait à venir lui dire que tout irait bien. Comment allait-elle réagir ? Peut-être allait-elle se fâcher contre lui et le faire souffrir encore une fois. C'est alors qu'elle reprit la parole pour lui dire qu'elle était perdue en se considérant comme un robot ? La fixant assez perplexe, ne comprenant pas vraiment pourquoi elle se considérait ainsi ; elle voulait savoir ce qu'elle devait faire, elle voulait qu'il le lui dise. Baissant à son tour la tête avant de la relever pour l'observer, elle avait l'air tellement mal. Loin de penser que le contact physique puisse la faire souffrir, il posait doucement sa main sur son visage pour effacer quelques larmes qui s'y trouvaient « Mais enfin... Les robots ne pleurent pas... Et ils n'ont pas peur... » Lui disait-il quelque peu enfantin, cela eut au moins le don de lui faire redresser la tête pour qu'il puisse retrouver son regard.

Retirant ses doigts de son visage bien qu'il gardait précieusement sa main dans la sienne. Il avait tellement de peine dans son coeur et leurs peines se mélangeaient et semblaient former un cancer qui leur était douloureux à tous les deux. « Moi aussi parfois je fais des choses qu'il ne faut pas... Je... Je cris et j'casse des choses même si J'n'sais pas vraiment pourquoi je fais ça. Mais toujours j'essaie de faire quelque chose de bien... » Caressant timidement le dos de sa main avant de la lui libérer enfin, sa main venant se poser sur son torse plat il lui ajoutait toujours assez choqué par cette situation étrange qu'ils partageaient « J'voulais pas que tu sois aussi triste... Oh non... J'ne voulais pas ça... » Il se sentait oppressé, assaillis par ses démons d'une culpabilité bien plus grande que lui, toutes les accusassions d'Alexey ne l'avaient toujours pas quitté ; souvenir si amer et douloureux. Il ne voulait pas la souffrance des autres... Si seulement Tamina était là, mais Prince était loin d'imaginer que les deux jeunes femmes étaient de la même famille ; il fallait dire qu'elles ne se ressemblaient pas. Tamina était tellement douce ; Tamina était Tamina et elle avait une place spécifique dans son coeur et c'était auprès d'elle qu'il se sentait le mieux.

Les larmes roulaient, coulaient et ne semblaient plus vouloir se tarir. Oh non, la brune n'était pas en train de perdre tout contrôle sur ses nerfs, bien loin de là. Seulement, elle avait tellement refoulé ses émotions, que lorsqu'on la confrontait, des barrières tombaient, petit à petit, sans savoir comment ni pourquoi. En cet instant, Sophya avait donc l'occasion de méditer sur son comportement non pas présent, mais bel et bien de toutes ces dernières années. Sa rencontre avec Maddox avait marqué un tournant décisif de sa carrière. La jeune femme avait décidé de ne plus se laisser entraîner par ses sentiments et d'affronter ses prochains rendez-vous avec un professionnalisme à toute épreuve. Et elle avait tenu bon, dure comme le fer, afin d'éviter de se laisser englober dans un maelström d'émotions totalement insupportables.

Elle finit par sourire légèrement devant les paroles du brun, reniflant doucement alors qu'il essuyait les larmes qui coulaient librement sur ses joues. Il n'était pas si évident de rester de marbre devant quelqu'un qui vous confrontait devant les conséquences de vos précédentes actes. Etaient-ils si différents dans le fond ? Sophya n'y croyait pas vraiment en cet instant précis. Et lorsqu'il passa sa main pour essuyer les larmes sur son visage, la jeune femme releva légèrement la tête, plantant ses orbes vertes dans les prunelles bleues de son compagnon.

« C'est vrai. Merci Maddox. »

Désormais, la médium était adulte. Elle ne pouvait plus se cacher derrière une crise de larmes. La pression autour de ses doigts s'accentua et la demoiselle baissa à nouveau les yeux vers la main qui emprisonnait la sienne. Finalement, ce n'était pas si difficile d'accepter un contact rassurant. Certes, Sophya n'était pas spécialement à l'aise quand même, mais cela avait fini par cesser de la déranger. La main de Maddox quitta son visage et la brune en vint presque à le regretter. Ce contact si humain avait réussi à apaiser une partie d'elle qu'elle avait longtemps repousser et qui était revenue à la charge avec d'autant plus de volonté que la jeune femme s'était sentie submergée. Un nouveau sourire teinté de tristesse vint se planter à nouveau sur ses lèvres tandis que le jeune homme finissait par lui avouer qu'il lui arrivait aussi de faire des choses mauvaises. Comme elle avait un sérieux doute sur la question en le regardant la rassurer du mieux qu'il le pouvait. C'était tellement touchant, tellement spontané que la jeune juriste ne parvenait pas à y croire. Et la médium comprit soudain ce qu'il voulait dire précédemment lorsqu'il parlait du fait qu'il fallait qu'elle change son opinion sur lui. Encore maintenant elle le voyait comme une victime, alors qu'il était tout à fait capable d'agir en tant qu'homme. Chose qu'elle avait délibérément oublié.

« Moi aussi, j'essaie. Vraiment. Mais on pense toujours faire le bien alors qu'on peut faire le mal pour arriver à nos fins. C'est tellement compliqué pas vrai ? »

La caresse qu'il appliqua la fit légèrement rougir. Non pas de flatterie, mais bel et bien parce que le contact la gênait dans le fond. Handicapée des sentiments, handicapée des contacts humains. La brune fut pourtant retournée par le changement de situation qui s'opposa. Alors qu'elle se reprenait petit à petit ce fut au tour de Maddox de s'emporter et de s'excuser comme il le pouvait, se frappant le torse alors que Sophya se redressait doucement, se mettant à genoux devant lui, les yeux plantés dans les siens.

« Ce n'est pas ta faute Maddox. J'étais déjà très triste en venant ici. Je n'ai pas su me contrôler. C'est ma faute à moi, pas la tienne. »

Trop fragile et trop forte à la fois, les barrières avaient cédé violemment, la laissant paraître plus faible qu'elle ne l'était réellement. Sa main se posa sur le torse du brun pour arrêter son geste alors qu'elle tentait de lui sourire le plus gentiment possible.

« Ne t'en veux pas. Je vais mieux. Tu vois, parfois pleurer ça fait du bien. Ca t'aide à être plus fort par la suite et ne plus te sentir triste. Et tu veux une preuve ? Maintenant j'arrive à sourire. Et il y a longtemps que je n'avait plus sourit. »

Le plus douloureux dans cette histoire c'était que ces paroles étaient d'une vérité éclairante. Sa vie devait prendre un nouveau tournant, quoiqu'il arrive.

« Tu vois que tu as fait quelque chose de bien, encore ? Tu m'as fait sourire. »

Elle ponctua ses paroles d'un rictus timide, ses yeux humides s'éclairant lentement.

Maddox observait Sophya qui avait l'air tout simplement anéantie et il ne savait pas vraiment quoi faire pour l'aider à présent. Essayant de lui faire comprendre qu'elle n'était pas un robot, ceci dit si elle refusait de le croire il ne manquerait pas d'arguments à ce sujet. Mais elle lui disait qu'il avait raison, le beau brun la fixait alors ne lâchant toujours pas sa main. Elle avait un sourire si triste, il essayait de la convaincre que lui aussi faisait des choses mal, mais le bien et le mal avec Maddox avaient une connotation tout à fait différente. Il envisageait que le simple fait de refuser de prendre son petit déjeuner était une chose mal ou s'il faisait de la peinture sur le parquet ou la porte de son voisin. Mais il avait bien du mal à se dire que l'on puise vraiment faire des choses si maléfiques. Elle semblait réfléchir à quelque chose d'important et elle l'intriguait d'autant plus. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien penser ? Elle disait qu'elle aussi essayait de réparer ses erreurs et cela donnait un peu d'espoir au medium pour qu'elle lui rende un semblant de dignité ou qu'elle lui dise comment il pourrait la retrouver. Il voulait qu'on le regarde comme un être abordable, qu'on le voit beau, qu'on le voit un homme tout simplement. Il ne voulait plus voir ce dégoût, cette pitié qui le déchirait. Il avait touché son visage et il l'avait vu prendre une teinte étrange, son regard fuyant. Est-ce que... Est-ce qu'il la dégoûtait à ce point ? Il du prendre sur lui pour ne pas laisser les larmes monter dans ses yeux, se contentant de retirer sa main.

Oppressé par sa culpabilité, comment pouvait-il faire pour que ce soit autrement ? Il n'aurait peut-être jamais dû la toucher, ses doigts c'était desserré autour de ceux de la jeune femme mais il ne parvenait pas à la quitter tout de suite. Blessé et attristé, il aurait juste voulu qu'elle l'accepte. Elle disait que ce n'était pas de sa faute, alors de qui d'autre ? Il ne comprenait pas, il ne voulait pas qu'elle soit triste à ce point. C'était de sa faute tout ça, c'était toujours de sa faute... C'est alors qu'elle venait poser sa main sur son torse et il la fixait de ses yeux larmoyants alors qu'elle lui disait que pleurer ça pouvait faire du bien, il n'aimait pas vraiment pleurer. C'était toujours parce qu'il avait peur, était triste ou souffrant. Il préférait l'éviter même si c'était impossible tant il était fragile. Elle souriait et il voulait la croire, est-ce qu'elle mentirait pour ne pas lui faire de la peine tout comme elle avait menti en lui disant que tout irait bien. Elle lui fit part qu'il avait fait quelque chose de bien, pourquoi encore ? Il l'observait avec un léger sourire sur les lèvres attendris avant de lui répondre assez hésitant « Est-ce que tu es venu me rendre ce que tu m'as prit ? Est-ce que... Tu es venu me réparer ? J'veux plus... J'veux plus que tu me casses. » Décollant sa main de son torse pour la passer sur ses joue et effacer les larmes qui naissaient au coin de ses yeux de la couleur d'un ciel qui n'existait pas dans sa vie.

« Dis moi comment je pourrais retrouver ma dignité... J'ferais... N'importe quoi. J'peux plus vivre comme ça ; toujours je sens tes yeux... Tes yeux verts qui me jugent... Je voudrais juste qu'il change ou qu'il s'en aille... Pourquoi tes yeux me trouvent si repoussant ? » Il avait tellement honte qu'il ne supportait plus qu'on le regarde, comment pourrait-il être heureux si personne ne pouvait le voir ? Pourquoi était-il juste horrible à voir ? Avant, son physique n'avait pas vraiment compté, assez nature et peu pudique, n'hésitant pas parfois à se pavaner dans sa nudité parfaite devant Alexey par le passé ; mais ça c'était avant d'y voir les hématomes tacher sa peau. Depuis, il ne supportait plus le regard d'autrui, il ne supportait pas l'idée qu'on le regarde et dès qu'il sortait dans la rue c'était en rasant les murs dans l'espoir que personne ne puisse le regarder. Il était face à Sophya avec son jeans taille basse qui avait le dos de dévoiler le couleur de son sous-vêtement et cette chemise noire qui soulignait sa silhouette fine bien que masculine ; il se sentait nu dans son regard et n'était pas nu qu'elle l'avait vu la dernière fois. Elle l'avait représenté au tribunal parce qu'il n'était pas hâte à le faire, sous la tutelle de l'état à cette époque avant que Tamina lui offre une seconde chance de s'épanouir. Mais la chenille avait bien des peines à devenir papillon. « J't'en pris... M'laisse pas plus longtemps comme ça. Aide moi Sophya... » Suppliait-il enfin, brisé, perdu... Il avait bessoin d'être sauvé, il avait besoin d'être libéré.

Ses yeux s'agrandirent sous le choc des paroles de Maddox tandis que ses larmes se tarissaient doucement. Aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche tandis qu'elle prenait conscience de cette proximité qui implicitement devenait de plus en plus réduite. Toujours, elle avait refusé les contacts, s'était terrée dans sa bulle de confort et n'avait jamais regardé à ce qu'on pouvait bien penser d'elle. Elle ne comprenait pas pourquoi le regard du brun la dérangeait autant, pourquoi son être se trouvait chamboulé alors qu'il lui semblait toujours plus proche, toujours plus présent autour d'elle. Les prunelles vertes cherchaient désespérément un échappatoire alors que les orbes bleutées elles, se faisaient de plus en plus insistantes et omniprésentes. Rarement Sophya s'était sentie aussi mise au pied du mur, si acculée. Elle pouvait sentir, respirer, sa peur et sa douleur. Plus que jamais, elle comprenait. Ses larmes s'arrêtèrent d'elle-même tandis qu'elle se décalait légèrement, se reculant complètement contre la porte et le dévisageant comme si elle le voyait pour la première fois.

Des cheveux bruns épais, mi-longs, de grands yeux bleus dans lesquels n'importe quelle femme pourrait se perdre, un visage à se damner. Séduisant, il l'était assurément. Elle avait rarement vu une beauté si pure, si innocente, si naturelle. En cet instant, elle prenait conscience de tout ce qu'il venait de lui murmurer auparavant. La brune se redressa, se mettant sur ses genoux face à Maddox, le regardant droit dans les yeux. Ce qu'elle faisait, elle n'en avait vraiment aucune idée. Une terrible erreur, sans aucun doute. Il avait beau avoir un retard mental, il n'en restait pas moins qu'il était plus âgé qu'elle. Paradoxalement, il était plus fragile, plus sensible, plus manipulable. Ce qu'elle s'apprêtait à faire était à la limite du légal, et dépassait de loin les frontières de la moralité.

Presque avec violence, Sophya humecta ses lèvres avant d'avancer doucement sa main vers le visage de Maddox. Tout en elle était contradiction et ce soir-même en était une preuve parfaite. Ses gestes étaient d'une douceur exemplaire alors que son être était une véritable fournaise brûlante, prête à exploser au moindre contact.

« Chuuut. »

Elle glissa ses doigts avec une délicatesse sans nom, essuyant les sillons salés avant de s'avancer doucement, s'approchant aussi prêt qu'il lui était possible, dans sa position pas forcément évidente. Son corps était éloigné du sien, mais son visage s'était approché avec une lenteur exagérée, tandis que l'hésitation se lisait dans chacun de ses mouvements. La main glissa le long de la mâchoire pour finir sa course contre la gorge du brun avant que Sophya ne la plonge dans la chevelure, sans que le contact ne soit pour autant trop oppressant. Son visage s'avança à son tour, et ses lèvres effleurèrent avec une candeur toute propre à leur propriétaire, peu avide de contact. C'était un baiser simple, sans fioriture, doté d'une spontanéité presque enfantine. Il ne dura que quelques secondes avant que la brune ne se recule et ne regarde l'homme dans les yeux.

« Tu ne me dégoûtes pas Maddox. Tu n'es pas repoussant. Tu es tout le contraire. »

Elle laissa glisses ses bras le long de ses flancs avant de se reculer et de se relever avec précaution.

« C'est moi qui ai été stupide Maddox. Parfois on croit se protéger mais au final on ne fait que se blesser. Et faire beaucoup de mal autour de nous. Je suis désolée de t'avoir fait du mal. Je ne le voulais pas. »

Dans un coin de sa tête, la jeune femme venait de prendre conscience d'une chose. Son métier ne lui convenait pas. Elle n'était pas là pour briser des gens, pour casser des personnes. Elle voulait les aider. Et il fallait vraiment que ça vie change.

Il voulait juste qu’elle l’aide. Qu’elle ôte cette peur qu’il avait du regard des autres, qu’elle lui dise qu’elle s’était trompée, qu’elle avait eu peur et n’avait vu comment le regarder. Que c’était une erreur, qu’elle n’en avait rien pensé. Qu’elle ne l’avait pas trouvé si immonde à voir. C’est alors qu’elle approchait sa main de son visage en lui soufflant de se taire, l’observait de ses yeux bleus sans bouger ; toujours aussi immobile quand il sentait doucement ses doigts sur sa joue pour effacer ses larmes avec une tendresse appréciable. C’était terriblement long, mais il se sentait plutôt bien. Il sentait le souffle de la jeune femme caresser son visage et il trouvait cette sensation agréable. Ses doigts si fin sur sa mâchoire, il se laissait faire, particulièrement docile comme toujours. Elle glissait sa main dans ses cheveux et il fixait ses beaux yeux verts perçants qui étaient tout ce qu’il y avait de plus magnifique dans ce triste couloir. C’est alors qu’elle venait déposer sur ses lèvres un baiser doux comme un nuage, il se laissait faire bien qu’à cet instant son cœur manquait un battement de surprise ; mais aussi parce qu’il se sentait complètement perdu à cet instant. Pourquoi est-ce qu’elle faisait cela ? C’était quand même agréable en y pensant… Elle recule et il l’observait quelques instant alors qu’elle lui disait qu’il ne la dégoûtait pas, des mots qu’il avait tant besoin d’entendre. Leurs mains toujours liées, il laissait ses doigts se détacher de sa peau divinement douce alors qu’il continuait à la fixer complètement chamboulé mais tellement rassuré à présent. Elle se détache de lui avant de lui faire de nouveau des excuses, tentant de revenir au monde réel alors qu’elle se levait, il l’imitait sans trop savoir ce qu’il devait faire à présent…

« Je… Tu n’es pas stupide… » Se pinçant lentement les lèvres, le goût de celle de la jeune femme encrées sur les siennes, probablement n’oublierait-il jamais ce moment tout comme il n’avait pas oublié leur première rencontre. Il était plus grand qu’elle physiquement, mai émotionnellement il était tout ce qu’il y avait de plus fragile. Doucement dans sa main il fit tourner la clé de chez lui qu’il avait ramassé au passage un peu plus tôt, se mordant légèrement la lèvre inférieure particulièrement pensif et hésitant avant de lui dire « J’voudrais… J’voudrais te montrer quelque chose Sophya. » Reculant à tâtons jusqu’à la porte de chez lui, ne la quittant pas des yeux. Faire entrer des inconnus dans son chez lui était toujours une épreuve à ses yeux, s’était laisser quelqu’un dans son cocon à lui, autorisé le regard de l’autre dans son abri… Prenant une grande inspiration en glissant la clé dans la serrure et la tournant lentement avant de relever les yeux vers la belle brune dont le baiser l’avait quelque peu laissé sans réaction, prit au dépourvu pour ainsi dire. Elle avait réanimé son cœur meurtris et il se sentait à présent tout perdu, attrapant le bras de la jeune femme pour qu’elle le rejoigne, poussa la porte de chez lui en fermant les yeux. Quels esprits seraient là, il devait les ignorer n’est-ce pas pour ne pas qu’elle le prenne pour un fou.

L’entraînant chez lui, dans son petit salon, ouvrant les yeux avant de constater qu’il n’y avait vraiment personne, du moins personne qu’il puisse voir lui. Car souvent les esprits se manifestaient auprès de lui comme des voix, parce qu’il avait beaucoup de difficulté à se concentrer suffisamment. Se tournant vers la jeune femme avec un léger sourire d’un enfant qui a bel et bien retrouvé son doux foyer où il était en sécurité. Disparaissant derrière la porte de sa chambre, s’empressant d’escalader sa chaise pour attraper une pochette quelque peu poussiéreuse au sommet de l’étagère. Revenant auprès de la jeune femme dont les yeux parcouraient un peu le bazar qui régnait chez le medium quand une voix se fit entendre… *Ne lui montre pas… Elle va tout détruire…* L’inquiétude traversait ses yeux bleus et doucement il fit glisser la pochette derrière son dos… *Pourquoi l’as-tu fait entrer ici ? Elle est dangereuse !* grondait la voix avant de l’insulter *Pauvre fou d’idiot ! Imbécile ! …* Perdu, il ne savait plus quoi faire une fois de plus… Cette pure absence de confiance en lui le faisait perdre tous se moyens une fois de plus, est-ce que c’était dans sa tête tout ça ? « Je voulais juste qu’elle voit… J’voulais juste lui rendre ses yeux maintenant… » Tentait-il pour simple défense, perdu comme toujours…

Elle s'était relevée dans l'espoir de partir, de fuir ses conneries impossibles à gérer. Pourtant là tout de suite, Maddox ne semblait pas l'entendre de cette oreille. Il se leva à son tour, ne la lâchant pas du regard. Perturbée, Sophya songea un instant à lâchement s'enfuir et aller retrouver Vitali. Mais il fut plus rapide qu'elle, attrapant son poignet délicatement et la forçant à le suivre. Bien rapidement elle se retrouva dans le petit appartement, extrêmement mal à l'aise. Elle pouvait les sentir. Autour d'elle, à ses côtés. Elle pouvait les sentir, les entendre, et s'ils en avaient été capables, Sophya ne doutait pas que leur souffle percuterait sa nuque alors qu'ils l'observaient comme une bête de foire. Ses yeux s'agrandirent sous la stupeur alors que Maddox la laissait seule avec toute cette bande de... fantômes.

Elle ressentait toute leur hostilité et certains ne tardèrent pas à la lui faire comprendre perceptiblement. Les lèvres de la brune se pincèrent alors qu'elle se faisait violence pour ne pas sortir de l'endroit aussitôt. Les Esprits et elle ce n'était pas vraiment une grande histoire. Son... don comme beaucoup s'amusaient à l'appeler, lui causait toujours plus de désagréments que d'avantages. Être branchée sur Radio Spirits n'était pas vraiment de grande aide dans sa vie, bien au contraire. C'était déroutant, désagréable et surtout invivable à ses yeux. Tout cela se produisait quand cela leur plaisait et on se fichait bien de savoir si elle allait le supporter ou non. Est-ce que Maddox était seulement au courant de la présence de ces esprits dans son appartement ? Déjà... Est-ce qu'il vivait... seul ? Vu leur dernière rencontre, la jeune femme ne pensait pas que cela fut possible étant donné qu'il était sous tutorat. Alors est-ce que les termes auraient changé ? Et surtout si c'était le cas, est-ce que cette personne était suffisamment compétente pour l'épauler au quotidien. Forte de ses pensées, la jeune femme tentait d'éviter d'écouter les murmures autour d'elle et en elle. Situation pénible qu'elle avait appris à gérer au fur et à mesure des années, même si cela restait extrêmement compliqué. Au bout d'un moment, il suffisait juste de les ignorer.

Un sursaut la prit lorsque Maddox revint dans la salle. Il semblait cacher quelque chose derrière son dos et être en proie avec des démons. Non, pas des démons. Des Esprits. Il savait très bien qui se cachait dans son appartement, cela ne faisait aucun doute. La brune ouvrit la bouche légèrement hébétée avant de se reprendre et de se retourner vers son hôte improvisé. A nouveau, la stupeur marqua ses traits tandis qu'elle se demandait vraiment ce que son regard avait d'étrange aux yeux de Maddox. Derrière son épaule, elle pouvait apercevoir un homme d'une trentaine d'années, lui souriant narquoisement.

« Je vais détruire quoi Maddox ? »

La question avait fusé sans qu'elle ne puisse la retenir. A demi-mot elle venait également de lui avouer son don. Sans s'en rendre compte la médium porta une main sur sa bouche, la recouvrant légèrement, surtout pour s'empêcher de continuer à enchaîner conneries sur conneries. Elle ferma les yeux quelques instants avant de les rouvrir avec lenteur, laissant retomber sa main le long de son flanc. Comprendrait-il ce qu'elle venait de lui avouer sans le vouloir ? Ou alors passerait-il au-dessus de son moment d'égarement ? Elle se reprit pourtant bien rapidement et finit par glisser avec douceur.

« Qu'est-ce que tu voulais me montrer ? Je te promets que je resterais loin. »

Il n'empêche qu'elle se demandait vraiment ce qu'il avait avec son regard. Elle n'avait pas l'air pourtant d'une folle furieuse – du moins elle ne le pensait pas. Mais il semblait qu'elle le regarde tout de même bizarrement, ce dont elle ne se rendait pas forcément compte. En tout cas la jeune femme croisa doucement les bras, tentant d'oublier ce qui se passait autour d'elle. Au diable tous ces foutus esprits, ils n'allaient pas la faire flancher. Un point c'est tout.

Sophya avait l’air étrange tout à coup ce qui alimentait les propos de l’esprit à son égard ; cachant derrière son dos ce qu’il avait eut l’intention de lui montrer assez craintif avant de répondre à l’esprit qui lui assurait qu’elle le détruirait. Les yeux assez fuyants, qu’est-ce qui lui avait prit de la faire venir ici chez lui ? Il ne savait plus où se réfugier à présent… Maddox avait bien plus de mal à accepter la présence de personne réel chez lui que celle des esprits ; les gens du « vrai » monde ne le comprenaient pas et le jugeait en l’accablant du crime de n’être qu’un pauvre fou. C’est alors qu’elle lui posait une question assez étrange, tournant lentement la tête pour jeter un coup d’œil derrière lui ; l’expression de visage en disait long sur sa surprise, l’air de se demander si c’était bien l’esprit qui en effet avait parlé de destruction. Reportant son regard azuré vers la jeune femme qui semblait mal à l’aise ; il avait beau être fou et avoir une logique assez compliquée à suivre ; mais il n’était pas idiot. Elle lui demandait alors de lui montrer ce qu’il cachait en lui faisant une promesse de plus. Baissant les yeux à son tour, il ne savait pas vraiment s’il pouvait lui faire confiance à présent. Doucement il fit glisser la pochette de derrière son dos contre son torse alors que l’homme qui se tenait derrière lui, le toisant pour inspirer la crainte mais Maddox fixait la juriste et doucement tirait sur les élastiques sans un bruit et l’ouvrait tout aussi silencieusement.

« Tu avais promis que tu me donnerai une feuille ; moi je t’avais promis que je n’oublierais jamais. » Entre ses doigts fins, il fit défiler les dessins qu’il avait réalisés pendant son hospitalisation avant d’arriver à celui qu’il avait réalisé en premier lieu. Sortant une feuille où étaient dessiné de grands yeux indifférents, juste les yeux de la jeune femme qui prenaient tout l’espace et dans ses yeux il avait dessiné distinctement le reflet de ce qu’elle voyait ; lui. « Prends-le… T’avais moins peur avant avec lui… » Lui disait-il en tendant sa feuille à la jeune femme qui avait l’air tellement fragile, tellement malheureuse si bien qu’il avait pensé qu’elle avait besoin de retrouver cette indifférence pour ne plus avoir mal. Qu’elle avait besoin de ce courage pour avancer, parce qu’aux yeux de Maddox il fallait bien du courage pour ignorer la souffrance de l’autre ; il pensait qu’après ce qu’elle avait pu voir elle pouvait se donner les moyens d’avoir le courage de laisser ses yeux affronter d’autres choses. Un raisonnement encore très propre de Prince. Revoir ce dessin lui crevait le cœur, mais savoir qu’il ne serait plus là dans sa chambre le soulageait dans le fond… « J’voudrais qu’ils regardent autres choses maintenant… » Lui adressant un léger rictus nerveux alors qu’elle prenait enfin la feuille pour regarder celui-ci de plus près, il ne voulait pas qu’elle le détruise parce qu’il avait un sens pour lui, il ne savait pas vraiment s’il pouvait lui faire confiance au point de lui donner un objet aussi précieux.

Le thème du regard était quelque chose d’assez pesant chez le dément, il se sentait observait en permanence, il voyait des choses que les autres ne voyaient pas également. « Tu peux les voir ? » Demandait-il enfin, achevant probablement la jeune femme sans le vouloir. Il ne serait probablement pas capable de comprendre pourquoi les gens veulent cacher le faits qu’ils voient des esprits, pourquoi est-ce qu’on l’accusait de fou alors que les autres étaient juste aveugles… Il avait accompagné sa question en lançant un regard circulaire sur la pièce où de nombreux esprits assistaient à cette scène atypique dans l’appartement de Maddox où il ne se passait pas grand-chose en général. Il n’y avait que lui, qui peignait leurs souvenirs ; les esprits qui tentaient de revivre à travers son âme pour l’empêche de vivre sa vie à lui finalement ; c’était sans qu’il ne s’en rende compte qu’on lui avait volé sa vie.

Sa bouche s'ouvrit doucement alors qu'elle observait le jeune homme d'un oeil méthodique. Comment arrivait-il à lui dire les choses si simplement alors que l'impact sur sa vie donnait l'impression d'être immense. Il glissa le papier entre ses doigts et les yeux d'opales rencontrèrent leurs jumeaux de crayon. C'était assez intense, lorsque l'on regardait bien à deux fois. Et sans conteste, Maddox avait réellement du talent, indéniablement. Sa main trembla légèrement alors qu'elle enserrait la feuille de papier et qu'elle redressait son regard sur le brun. Sa bouche s'étira lentement en un sourire fané tandis que ses yeux exprimaient en cet instant une reconnaissance sans borne. Ses doigts serrèrent avec plus de force la feuille, alors qu'elle gardait son regard obstinément fixé sur celui-ci.

Elle pouvait les entendre, partout. Chuchoter des imbécillités à ses oreilles, la menacer avec violence, entrer dans sa tête et tenter de percer toutes ses pensées. Tenter de la rendre folle. Cet endroit était nocif pour elle, parce qu'elle n'aimait pas la présence de ces fichus esprits. Non, loin de ne pas l'aimer, elle la haïssait complètement. Et la situation la mettait mal à l'aise, la confrontait à ces choses que toujours elle avait fui. Il y avait peu de choses que Sophya avait réellement voulu. Son mari, ses études, une famille qui l'aimait vraiment. Et être normale. Ne plus les entendre lui parler dans sa tête, la surprendre en pleine rue, dans des endroits bondés, juste pour le plaisir de la faire chier. Elle voulait que ces abrutis d'esprits lui fichent la paix une bonne fois pour toute. Mais comme toujours, c'était trop demander. Son mariage était parti en éclat à cause de son caractère et de ces conneries, son métier avait fini par la rendre malade, et sa famille n'était pas vraiment sa vraie famille. Et jamais, jamais, la médium n'avait pu obtenir ne serait-ce que quelques heures de tranquillité auprès de ces foutus esprits.

La brune déglutit difficilement avant de relever son regard sur lui.

« Oui Maddox, je les vois. Et je les entends. Tout le temps. Constamment. Sans aucun répit... Et c'est un vrai cauchemar. »

Elle pouvait voir l'esprit derrière lui sourire comme un dément, grimaçant dans son dos. Foutu spectre. Il lui fichait vraiment la trouille en réalité celui-là. Sa voix avait faibli sur la fin de la phrase, comme un aveu honteux qu'elle pouvait lui faire. Il semblait tellement plus à l'aise avec eux, tellement confiant. Plus confiant qu'envers les vivants en tout cas. Comme si ces esprits lui voulaient du bien, uniquement du bien. Mais manifestement, à elle, ils n'en voulaient vraiment pas du bien. Sophya se sentait étouffer dans cet appartement, trop fouilli, trop infesté. Lentement sa main lâcha le papier au sol et elle recula, effrayée.

« Je suis désolée Maddox. Il faut que je parte... Je ne me sens pas bien... Je... Je... »

Elle glissait vers la porte, le regard toujours coincé par-dessus l'épaule du brun.

« Je suis désolée. »

Sophya baissait les bras tout simplement. Parce que si la jeune femme avait fini par accepter sa condition de médium, il y avait juste trop de monde dans cet appartement, des gens qui étaient morts. Rien n'était sain dans cette situation, surtout pas pour elle. Tout la ramenait à ces années sombres, ces années où ils avaient réussi à l'éloigner de tout bonheur, à l'étouffer dans un monde qui n'était pas le sien.

Atteignant la porte, la médium se retourna.

« Ne m'en veux pas Maddox. Ne m'en veux plus. Sois libre. Sois libre de tout ce qui te fait du mal. »

Et les yeux verts se détournèrent alors que la brune passait la porte et descendait précipitamment les escaliers grinçants en direction de la liberté.