Master of Puppets I'm pulling your strings
Twisting your mind and smashing your dreams
Blinded by me, you can't see a thing
Just call my name, 'cause I'll hear you scream
- Master of Puppets, Metallica -

Regarde Jillian, le soleil crève. Il se noie dans ses tripes colorées, il ne résiste même pas. Il est aussi faible que toi. Tu te meurs à petit feu et bientôt la nuit l'emportera. Les étoiles scintilleront à ma gloire. Il ne restera de toi plus qu'un souvenir. Mais rassure-toi, tu vivras toujours ! Tu demeureras dans mon ombre, uniquement capable de contempler mes actes. Spectatrice de ma prestation jusqu'à ce que je casse ma marionnette. Regarde la nuit tomber, ma chérie, c'est tout ce qu'il te reste à faire. Tu n'as pas beaucoup d'autres options dans cet endroit, alors admire ton destin !

Dommage que le paysage soit entravé par des barreaux, il est superbe. Te souviens-tu de la vie à l'extérieur de cet asile ? Nous menions la belle vie ! Au début, tu as résisté, tu t'es débattue comme un fauve ; cela m'a convaincu quant à mon choix, tu étais délicieuse. Une fois matée, tu pouvais gronder, je te tenais et ne te lâcherais pas. Je ne suis pas de ces gens qui font des promesses creuses, je suis quelqu'un de réglo, moi ! Je suis toujours là, te soutenant, alors que ta propre famille t'a reniée. Tu ne serais plus qu'un déchet sans moi, retiens-le. Ah quelles tranches de rire, on s'est prises ! Quoi, tu n'es pas d'accord ? Ne mens pas, je sais que tu as pris ton pied. C'est comme ces airs pour ta sœur, arrête de pleurnicher s'il-te-plaît, ça ne te va pas. Tu la détestais ! La fille parfaite sous tout rapport, la célèbre Tamsin. Elle avait toujours la solution à tout, de si bons sentiments, un visage angélique face auquel personne ne pouvait résister – pourtant le même que le tien, pas vrai ? Elle était la seule à réussir l'exploit d'arracher un sourire à votre père. Elle suivait les cours avec attention, ramenait d'excellentes notes, s'accommodait de tout pendant que toi tu séchais l'école, te bagarrais et fumais. Je n'avais jamais vu de jumelles aussi distinctes. Tu représentais la honte de la famille – tu l'es encore par ailleurs, à la différence qu'ils te haïssent en bonus maintenant. Tamsin aurait dû naître fille unique, selon eux. Je ne suis pas d'accord, ce n'est jamais si simple. Qui est-ce que j'aurais aidé sinon, hein, ma garce préférée ? Bien sûr que je t'ai aidée ! Je t'ai ouvert les yeux, grâce à moi tu as compris quel mal te bouffait de l'intérieur. Arrête de nier, la tuer t'a libérée. Je n'ai fait que t'encourager et t'inspirer. Tu as tenu le couteau qui l'a défigurée, tu l'as serré jusqu'au bout, tu n'as jamais cherché à le lâcher. Oui, c'est ça, admire à nouveau la scène. Plus de sourire insupportable, le rouge lui va si bien. Oh ne commence pas à pleurer ! Tu sais à qui tu me fais penser ainsi ? A la poupée insipide qui te servait de sœur. Tu vaux mieux que ça. Tu as été choisie, tu as été la seule qui m'ait intéressée. Tu es unique, Jillian. Et je peux le dire sans aucune restriction depuis ce 21 octobre 2004, ce fameux jour de libération.

Tu étais libérée, tu aurais pu être libre. Personne ne se doutait que tu étais la coupable d'un tel crime ; on te prenait pour une dégénérée mais pas à ce point-là. Tout n'était pas perdu, tu n'étais pas perdue dans les bas-fonds de l'estime de tes parents – sans Tamsin, tu aurais pu retrouver quelque valeur à leurs yeux. Mais il a fallu que tu foutes tout en l'air. Tu m'as combattue pour te dénoncer. Honte à moi, tu es arrivée à tes fins. Je t'admire d'autant plus, tu sais ça ? Je n'ai qu'une envie, te briser, mais je t'admire tellement. Quand tu me rejoindras, nous pourrions faire un duo terrible. Avant ça, tu en baveras, ne t'inquiète pas. Toute place se mérite ! Où en étais-je ? Ah oui, ton élan de stupidité. Tu as tenu à te dénoncer, tu leur as dit l'horreur que tu avais commise tout en mettant tout sur mon dos C'est mal de se désolidariser ainsi de sa coéquipière, tu sais ça ? Tu as cherché du soutien chez tes parents, ce n'était pas toi la fautive, c'était moi, esprit malfaisant qui te contrôlait. Seulement ils ne t'ont pas crue. Personne ne t'a crue, encore moins les autorités. Pensais-tu que ce serait si simple ? Les médias se sont jetés sur cette affaire, se repaissant du cadavre de ta sœur, de ta folie et de l'angoisse de la famille. Une histoire aussi sordide dans laquelle le nom Wright apparaissait, ils ne pouvaient pas la minimiser, oh non. Ce dernier était connu pour ses chaînes d'hôtels et de restaurants, un sacré nom pour le tourisme – s'ils apprenaient que les aïeuls de ton père, hispaniques, avaient changé leur nom de famille, cela créerait un tout autre scandale. Vous avez fait la une, heureusement pour toi ta photo et ton prénom ne sont jamais apparus grâce à ta minorité. Tu étais « la fille Wright », une folle psychopathe qui avait torturé sa jumelle. Ton père a essayé d'étouffer l'affaire évidemment, après deux mois, on n'en parlait quasiment plus. Le 17 décembre, le juge te condamnait à dix ans d'internement. Tu étais considérée irresponsable en raison de troubles mentaux. Personne ne te croyait, tu étais seule – et complètement givrée à leurs yeux. Tu vois, tu ne pouvais pas gagner à ce petit jeu contre moi. Enfermée, tu étais sous mon emprise et personne ne t'aiderait.

Vas-y, abîme-toi. Ce n'est pas ça qui me fera partir. Je t'ai promis de rester, je tiendrais parole. Ce n'est jamais si facile. Tu as osé te retourner contre moi, tu dois en payer les conséquences. Alors lacère-toi autant que tu veux, je ne m'écoulerais pas en même temps que ton sang. Bientôt huit ans que tu es à moi. C'est ça, jette-toi dans les escaliers. Mon rappel ne t'a donc servi à rien ? Quoi que tu fasses, je le retournerais contre toi. Tu t'en mordras les doigts. Meurs donc et je viendrais te chercher, tu ne pourras plus m'échapper. Déterminée à sauter, sale garce ? Saute !

Puisque tu ne me laisses plus d'autre choix, je vais t'achever psychologiquement avant que tu ne t'achèves physiquement. Tombe et écoute bien. Je ne suis rien que le fruit de ton imagination sordide. La continuation de l'esprit qui t'a possédée un jour et qui t'a abandonnée quand tu vous as vendus. Il n'est plus là depuis longtemps, toi seule est responsable de ton état. Tu vois que tu m'aimais, ou devrais-je dire l'aimais, finalement.


Somebody is knocking at my door
Somebody - I think I have seen before
I'm trembled and shaken and stirred
I wish I could be a bird
- Bird, Tristania -

Jil', n'oublie pas, je suis là pour t'aider. Tu as peur, c'est normal. Tu as passé huit ans et demi enfermée dans cet hôpital psychiatrique avec lui, mais je suis là, ta sœur est là maintenant. Je t'ai promis que tu en sortirais, et regarde ! Ce ciel n'est-il pas magnifique ? Il fait splendide en plus aujourd'hui, il n'y a pas un seul nuage pour cacher l'azur et l'or du soleil. C'est un bon présage.

En janvier de l'année passée, tu profitais de l'absence d'infirmiers pour sauter du haut du grand escalier. Tu es restée à l'hôpital – un vrai – pendant près d'un mois. Tu avais mal de partout ; commotion cérébrale, jambe cassée, foulures, contusions... On a dû te recoudre sur la main droite, tu as du mal à plier tes doigts depuis d'ailleurs. Je crois que tu ne pourras plus jouer de batterie. Mais tu es vivante et cet esprit est parti. J'ai pu prendre sa place. Tu n'es pas réellement responsable de ma mort, je le sais, je t'ai rassurée tout de suite que je ne venais pas me venger. Je voulais juste vivre. Tu me devais bien ça malgré tout, non ?

Pour ça, il fallait que tu sortes. Nous avons conspiré à deux comme nous ne l'avions jamais fait, je t'ai donné des conseils ; nous avons travaillé ensemble. C'est triste qu'il ait fallu cette tragédie pour nous rapprocher. Nous ne nous supportions pas, rien ne pouvait y faire quelque chose. J'étais beaucoup plus convenable et sociable que toi. Tout ce que tu trouvais à faire, c'était désobéir à papa et maman et même plus, tu t'amusais à les provoquer. Je n'ai jamais compris le plaisir que tu en tirais. Nous avons quand même réussi à nous mettre d'accord pour cette libération que nous désirions toutes les deux. Après plus d'un an d'efforts, nous voilà sur le seuil de l'asile, à contempler le monde extérieur.

Tu as peur d'avoir oublié comment on vivait. De vivre seule après tant d'années. Et que vas-tu faire alors que tu n'as suivi aucunes études ? Peut-être ne seras-tu pas capable de t'en sortir, disparue trop jeune, à dix-sept ans, de cet univers. Tu déploieras cette hargne qui habite en toi pour faire face, j'en suis certaine. Cette hargne qui t'avait déjà maintenue face à cette famille qui te considérait en intruse. C'est une obligation, car tu dois partager ta vie dorénavant. Une part pour toi, une part pour moi. Tu me l'as promis, je ne te laisserais pas le choix.

Si tu t'en sors, tu comprendras peut-être un jour que moi, cette voix que tu nommes Tamsin n'est que le son de ta culpabilité.

Aujourd'hui, je quitte cet endroit. Je n'en reviens toujours pas. J'avais fini par croire que je mourrais dans cet asile... J'ai voulu y crever, échapper à cet esprit qui me hantait. Je ne pensais pas pouvoir m'en débarrasser d'une autre façon. Fuir ces regards et cet environnement de tarés encourageait ma première motivation. Je ne supportais pas ces types qui se permettaient de juger une personne, tout ça parce qu'ils avaient étudié. Bande de connards ! On ne leur avait jamais dit qu'un fantôme pouvait posséder quelqu'un, alors c'était impossible, je racontais des conneries. En attendant, j'ai perdu presque neuf ans de ma vie alors qu'on aurait pu vraiment m'aider. Ces murs blancs, plutôt gris depuis le temps qu'on les avait peints, me rappelaient avec fortes émotions ces années. J'étais assise sur mon lit, dans le noir, oppressée par un silence total. L'heure devait tourner autour des quatre heures du matin, je n'en avais aucune idée, je savais juste qu'il n'était pas encore l'heure du réveil. Je savais juste que je ne pouvais pas dormir, en proie à de nouvelles frayeurs.

Je contemplais ces murs geôliers, ces murs qui me rendaient folle – réellement – ces murs que je haïssais. Ces murs me terrorisaient, renfermaient une part de ma vie. Souvent, ils m'avaient ralliée au pronostic des psychiatres : je délirais complètement. A chaque fois, je balayais plus tard cette affirmation. Malgré toute la haine que j'éprouvais pour Tamsin, je ne lui aurais jamais, jamais fait subir ce sort. Je n'aurais jamais pu faire une chose pareille, qu'il s'agisse de n'importe qui, je crois être la mieux placée pour le déclarer, mais nous, jeunes ados pour ne pas dire débiles, ne savons rien. Laissons décider les grandes personnes ! Résultat je suis là, à regarder ces foutus murs, à essayer de regarder à travers. S'ils me dégoûtent, l'extérieur me rend nerveuse. Quand je m'imagine dehors, au milieu du vrai monde, ces blocs de béton qui me retiennent prisonnière me paraissent soudainement rassurants. Je ne veux pas sortir. Je ne veux pas rester. Je veux être libre. Je veux qu'on me foute la paix. Je veux cracher à la gueule des gens en blouse blanche qui te bercent de chansons douces pendant qu'ils t'attachent au pilori. Je veux marcher dans les rues pendant des heures. Sans devoir parler à qui que ce soit. Marcher à l'air libre, c'est pour bientôt. Ce n'est plus qu'une question d'heures. Et après ?

A cette idée, je me recroqueville. Mes bras enserrent mes jambes repliées et ma tête se pose contre mes genoux. Souffle, Jill', souffle. Inspire, expire, allez mieux que ça ! L'angoisse tord mes tripes et serre ma gorge. Je suis une meurtrière qui a grandi dans une maison de fous. Ma vie est réglée par des inconnus, chacun de mes actes est surveillé, mon état jugé, je ne prends aucune décision. Comment je vais m'en sortir ? J'en tremble, et pourtant j'attends avec impatience le moment où je poserais un pied dehors. Est-ce qu'on va m'attaquer ? S'opposer d'une quelconque manière à ma sortie ? Je l'ai bien compris, je suis une indésirable de la société.

Ne dis pas le contraire, Tamsin. Tu as pu comprendre ce qu'il se passait, alors tu me crois mais si tu étais en vie, tu aurais la même attitude que ces gens. Tu me prenais déjà pour une dégénérée, tu te souviens ? Ne fais pas comme si tout allait bien se passer. Toujours aussi naïve ! Non, mon attitude n'a rien à voir avec ça ! Voilà, c'est ma faute, je ne suis pas suffisamment ceci, il me manque de cela, je suis trop ci... Elle m'énerve. Sous la pression de ses accusations, je lâche, tout haut, un acide :

« Tais-toi. Vraiment... ta gueule. »

Elle se tait, bien. Je m'allonge sur le lit et contemple le plafond, imaginant le ciel nocturne. Si j'ouvrais le volet, le bruit risquerait d'alerter l'infirmière de garde. Tamsin me rappelle que nous ne voulons pas attirer l'attention, surtout pas cette nuit. Le plafond fera donc l'affaire. Personne ne doit apprendre notre secret. Nous serons libres bientôt, rien ne pourra empêcher ça. Nous restons ainsi, immobile et pris dans des songes. Je rêve d'une sortie sans encombres. Je sais que ce ne sera pas facile, mais en cet instant je me plais à écouter les belles paroles de ma sœur. Elles m'encouragent, me rassurent.

« Ne t'en fais pas, je tiendrais ma promesse. Tu vivras aussi. »

Je soufflais doucement ces mots face aux peurs de Tamsin. Bien sûr que je ne t'abandonnerais pas. Tu auras ton temps, rien qu'à toi. Tu seras libre aussi. Crois-tu que j'aurais la force de te tuer une deuxième fois ?