Contrairement à la plupart des gens, je travaille bien plus le week-end et les soirs. Concerts et événements obligent. Quand certains sont libres, d'autres doivent bien bosser pour leur permettre d'en profiter. Ça ne me dérange pas vraiment, même si parfois je préférerais moi aussi profiter du spectacle. Le job reste dans les parages de la musique et la semaine, je suis tranquille. Ainsi, ce lundi est calme comme tous les lundis que nous passions à rattraper le sommeil perdu. Le grand avantage est qu'il n'y a personne dans les magasins à trois heures de l'après-midi, quand Tamsin décidait qu'il lui fallait un nouveau bouquin. La lecture, ça n'avait jamais été mon trip. Mais la journée revenait à la donzelle et elle farfouilla donc pendant des heures – c'est mon impression en tout cas – après un roman à se mettre sous la dent.

Retour affreusement lent jusqu'à l'appartement. Tamsin ne peut résister à une vitrine estampillée d'une marque reconnue. Le temps où elle pouvait s'acheter tout ce qui lui faisait de l’œil lui manque d'ailleurs, je ressens cette nostalgie de gosse de riches qu'elle n'essaye aucunement de me cacher. Bien trop de choses lui manquent en vérité. Posséder son propre corps en est un parfait exemple des plus importants, comme l'innocence. Ne pas connaître l'horreur de la torture, le froid de la mort, la présence d'esprits malfaisants. Probablement ses seuls regrets que je peux comprendre. Loin de ces idées noires devant le magasin, elle ne fait que râler contre notre pauvreté. Bien sûr, c'est elle qui nous qualifie de pauvres. En réalité, on ne vit pas si mal que ça... J'étais aussi habituée à avoir un paquet de fric sans rien foutre, mais l'hôpital m'a grandement aidée à relativiser. Cela dit, si je pouvais sucrer plus encore mes géniteurs, je n'hésiterais pas une seconde. Principalement pour les faire chier. Au moins, Tamsin ne serait pas contre l'idée pour une fois ; promettez-lui plus de billets verts, elle ne dira jamais non.

Contrariée, elle reprend le chemin de l'immeuble. Son programme : s'installer confortablement dans le divan et lire son bouquin à l'eau de rose. Prince charmant, coup de foudre, amour impossible... Toutes ces niaiseries la bottent beaucoup trop pour sa santé mentale. D'après ce que j'ai entendu au sujet de Twilight, elle serait du genre à dévorer les tomes en une nuit. Effrayant, non ? Bref, arrivée à destination, elle referme la porte à clé derrière elle, ôte sa veste qu'elle accroche soigneusement au porte-manteaux puis se rue dans le salon. Après avoir enlevé ses chaussures – des escarpins aussi moches qu'inconfortables – elle s'installe comme prévu.

Après seulement quelques minutes, du bruit lui fait relever la tête. Un regard circulaire s'arrête sur une lampe. Une lampe qui tremble. Ses yeux s'agrandissent, sa bouche s'entrouvre. Elle n'a pas le temps de frotter ses yeux pour faire disparaître l'hallucination que l'objet s'envole contre un mur. Le choc fait écho au bond qu'elle fait. Debout sur le divan, Tamsin lance des regards inquiets tout autour d'elle. Elle ne veut surtout pas songer à l'explication évidente.

« Il y a quelqu'un ? Hayel ? »

Le pompier n'est censé rentrer que tardivement ce soir, cela dit. Ma coloc' de corps descend de son perchoir et se rend lentement jusqu'à la porte donnant sur le couloir, à la recherche d'un profil hilare.

« Stop Hayel, c'est vraiment pas drôle ! J'adorais cette lampe en plus ! »

Ce ne pouvait qu'être une blague douteuse de l'homme, pas vrai ? Celui-là, franchement... Personnellement, je n'y aurais pas cru. Je crois sérieusement que j'ai un peu plus de jugeote qu'elle aussi. Et Tamsin n'aime pas mon meilleur ami, alors ça lui permet de passer ses nerfs dessus. Je vous épargne les pensées qu'elle lui adresse... En tout cas, elle n'est pas contente et ça va barder.