Deux bières pour la table numéro trois, un fish n’ chips et un spaghettis pour la table numéro onze, quatre shooter et un panier de nachos pour la table numéro huit, un sandwich au poulet et deux burritos pour la table numéro cinq, une cuillère pour la table numéro un. Amelia courait dans tous les sens depuis plusieurs heures. Ses jambes commençaient à lui faire mal et parfois, elle semblait chanceler sur ses pieds, risquant de perdre son plateau des mains à tout moment. Mais pour être honnête, elle aimait bien ce rush hour d’un samedi soir. Certes, dernièrement elle se sentait plutôt dégoûtée par l’idée d’un travail, qu’elle serait beaucoup mieux chez elle à se poudrer et s’habiller et sortir dans les grands bals. Mais elle n’en avait pas les moyens. Il faudrait lui marier un homme riche et le tour serait joué. Elle pourrait toujours s’habiller magnifiquement et ne jamais paraître encore une fois dans ces vêtements hideux qui consistaient d’un pantalon moulant et d’un t-shirt noirs. Pour la première fois, Amelia ne secoua pas ces pensées arriérées de sa tête, comme soudainement habituée. Elle servait du café en regardant le restaurant alors qu’elle sentit quelqu’un arriver derrière elle, quelqu’un qui lui fit tendre les muscles du dos et du cou. Cette personne saluait les gens, elle venait de rentrer pour son shift de nuit. Amelia se précipita dans les allées des tables, évitant de la regarder, sans même la saluer.

Elle réussit pendant au moins une bonne heure à l’esquiver. C’était seulement la deuxième fois qu’elle la voyait depuis… Depuis quoi ? Amelia ne savait ce qui s’était passé, seulement que du jour au lendemain, Pearl, sa collègue préférée, lui faisait peur. Elle n’avait pas confiance en elle, certaine que l’autre était hypocrite et qu’elle parlait dans son dos. Était-ce vraiment la raison ? Non, eh bien, il fallait bien savoir pourquoi elle ne l’aimait plus. Ou du moins, en chercher une raison. Peut-être était-ce simplement parce qu’Amelia s’était sentie devenir trop proche de Pearl… enfin, c’était la personne qu’elle pouvait considérer le plus comme son « amie » étant solitaire depuis son déménagement et la mort de ses parents. La serveuse avait même été fière de constater une amélioration dans ses relations interpersonnelles. Et voilà qu’elle préférait retourner dans son trou et jouer toute la journée avec son appareil photo.

Alors qu’elle transportait des plats de nourriture, Amelia passa devant un miroir qui longeait un mur. Elle soupira en essayant rapidement à une main de replacer ses cheveux. Depuis quand s’occupait-elle autant de son apparence ? Elle voulait retrouver son calme. Pearl n’allait pas lui parler, elle pouvait en être rassurée, se disait-elle. Plus, elle se lança un dernier regard perplexe pour pousser un cri.

Amelia échappa son plateau. Elle était heureusement assez loin des tables pour que les clients ne la remarquassent. Elle se touchait le visage, les mains tremblantes et en sueur. C’était partit. La vision était partie. Ce n’était que ses hallucinations, elle était fatiguée après tout. Mais pourquoi toujours cette femme blonde aux yeux verts… Et ces lèvres rouges et ce sourire moqueur... Pourquoi apparaissait-elle si souvent dans ses reflets ? Une chance qu’Amelia était au travail… Car après tout, cela ne faisait que deux semaines qu’elle avait brisé les vitrines d’un magasin sous un excès de folie. Alors qu’elle ramassait son dégâts, elle vit une autre paire de mains l’aider. Amelia déglutit en gardant la tête basse. Elle n’aurait sûrement pas le choix de la confronter, cette Pearl.