« We Will, We Will... Rock You.... »

Les rues de la Nouvelle Orléans avaient revêtu leurs plus beaux habits. Des banderoles de couleurs ornaient les fils électriques qui couraient le long de la cité. Musiciens, fanfares, danseuses se préparaient dans les rues, chantant et parcourant l'itinéraire prévu par les autorités. Le Carnaval de la Nouvelle Orléans venait d'être lancé. Bonne humeur, cortèges, musique, couleur allaient faire pulser les âmes de chacun. Parce que personne ne restait insensible à LA festivité de l'année.

Le premier char se lança, méli-mélo de couleur bleuté, de vert, mais aussi de masques blancs. Les danseurs tournoyaient, s'amusaient tandis que les accords de jazz fusaient dans les rues. Parmi les chars, le cortège, des répliques de Papa Legba, la frontière entre le monde des humains et des esprits était très fine aujourd'hui. C'était mardi gras, et on s'amusait dans les excès.

Pensez bien à vous amuser mes amis. Parce qu'en cet instant vous êtes surveillés. Et s'ils n'ont pas encore décidé de pourrir la journée, les Esprits ne sont jamais loin d'une mauvaise idée. Eux aussi étaient de la partie, certains visibles et passaient inaperçus avec leurs tenues de l'ancien temps, d'autres invisibles. Ce qui était sûr, c'est qu'à cet instant, vivants et esprits ne se mêlaient mais pas pour les mêmes raisons.




Spoiler:

Oh non tu ne blanchiras pas tes poumons aujourd'hui mon petit... J'ai bien d'autres projets pour nous... N'entends-tu pas cette foule qui acclame ? Ils s'amusent ces enfoirés d'américains ; pour eux rien n'était grave... Et dire qu'ils s'amusaient alors qu'il y avait encore tant d'injustice, les beaux salauds... Ils allaient payer.

Zéèv vêtu de noir, avait rabattu la capuche de son sweet pour se planquer car il espérait bien garder ce corps le plus longtemps possible, se faufilant dans la foule discrètement. Suivant discrètement le cortège dégelasse resplendissant d'une joie mal saine. Le chaos devait régner ! Juste par esprit de vengeance, juste pour son plaisir à lui. On lui avait ôté bien des plaisirs dans les camps et cela jusqu'au dernier souffle ; Yaâqov prônait la révolte du peuple juif qui devait reprendre sa revanche sur un monde qui l'avait abandonné. Les allemands étaient les pires, mais les enfoirés de collabos ne valaient pas mieux ! Au milieu de la foule, il passait pour ainsi dire inaperçu ; il avait bien choisi Zéèv pour ça... Ce type était tellement insignifiant qu'on ne le remarquait même pas, mais son visage serait celui de la vengeance et il finirait par marquer les esprits de ceux qui l'avaient ignoré alors qu'il souffrait sous leurs yeux. Qui avait-il de planquer sous ce sweet trop large ? Bien assez pour faire couler les larmes et le sang comme jadis ; mais cette fois ce sera bien le sang des meurtriers qui coulera. Ils avaient volé leurs femmes et leurs enfants ; ce serait tellement simple de leur rendre ce supplice au nom de la justice. Car oui, on avait parlé de justice après les camps, l'esprit de Yaâqov avait assisté avec bien du plaisir aux exécutions ; mais cela n'en fut jamais assez. Trop de criminels s'étaient vu passer des vieux jours heureux, se plaisant à les tourmenter jusqu'à leur mort et à présent c'était le tour de leurs descendances... Il n'y avait plus d'étincelle pour animer Skyler et le pousser à lutter contre le volonté de Yaâqov.

Des yeux d'enfant parmi les autres fixaient les cortèges tous plus féériques les uns que les autres. Des silhouettes sans visage, des costumes extravagants, des rires et des chants. Un anonymat qui aurait pu être réconfortant, enveloppée qu'elle était dans une foule d'illustres inconnus qui la protégeait du froid.

Mais ce n'était pas la fraîcheur du jour qui la fit frissonner. Son regard angoissé se tournait de tout côtés alors que les frissons se faisaient de plus en plus violents, intenses et désagréablement familiers. Quelque chose approchait, quelque chose qu'elle aurait préféré ne pas sentir, au moins un jour dans sa vie. Mais ce jour n'était visiblement pas venu et, tandis que ses yeux se perdirent dans la foule, une silhouette attira son attention. Une silhouette mince, presque dégingandée et dissimulée sous un sweat noir ample à capuche qui ne dissimulait que partiellement un visage blafard dont les traits auraient pu être doux, en d'autres circonstances. Des traits figés dans une expression de froide détermination qui contrastaient admirablement avec tous les autres visages émerveillés par le spectacle.
Une silhouette qui fendait silencieusement la foule, sans que personne ne la remarque mais qui la cloua sur place, le souffle coupé l'espace d'un instant. Il la frôla sur son passage, ne prêtant aucunement attention à elle et elle ferma les yeux. Rien. Elle n'avait rien vu. Peut être avait elle tout fantasmé. Peut être. Du moins essaya-t-elle de s'en convaincre, resserrant son chandail autour de ses épaules et se tordant les doigts telle la bigote le dimanche matin à l'église. Ça lui apprendrait, à suivre les conseils de Ludwik et à "s'ouvrir au monde". Ces choses, ces morts, ces parasites ne la lâcheraient jamais, où qu'elle aille.

Le grand jour du carnaval était arrivé, un événement à ne pas rater. Celui dont tout le monde parlait, un moment de convivialité, un moment dont la ville avait besoin. Je me tenais là, debout comme un piquet à regarder la parade. Oui, elle était belle, colorée, joyeuse mais rien de tout ça ne me touchait. Une impression que ce moment ne m'appartenait pas. Kelen voulait que je vienne, que je me montre car à force de rester enfermer chez moi, les gens parlaient et il ne voulait pas qu'on le découvre, il ne voulait pas qu'on me sache habité. Malgré ça, il y avait une poignée de personnes qui était au courant. J'avais eu un moment de faiblesse, un besoin de parler, de trouver une porte de secours.

Les enfants couraient, ils souhaitaient voir la parade de plus près. Ils montraient fièrement les uns aux autres leurs costumes, celui que leur mère avait confectionner spécialement pour ce jour de fête. A mes pieds, je trouvais un masque. Un vieux masque en plastique, quelque peu abîmé sur les bords. Il était noir ou plutôt gris de poussière. Machinalement, je l'enfilais, cachant ainsi le haut de mon visage.

Devant moi, il y avait une jeune femme qui portait elle aussi un masque. Son costume était une longue robe fine et légère d'une couleur très vive. Elle était accompagnée et tenait la main d'une autre personne. A sa vue, Kelen s'agita. Il m'incitait à la suivre car quelque chose l'intriguait. Je ne voulais pas la suivre. Kelen insista jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la foule et qu'on la perde de vue.

Ses lèvres ne parvenaient pas à retirer le sourire benêt qui s'était installé sur ces dernières. Pour un peu, Sophya serait retombée en enfance et aurait tapé dans ses mains de joie. Le Carnaval. Peut-être la seule période de l'année où elle oubliait toutes ses sombres pensées pour profiter de la couleur et du soleil des rues. Un loup vénitien en guise de masque, une longue robe ample et souple qui épousait la moindre de ses courbes suffisaient à son déguisement. Les sandales légères qu'elle avait revêtues lui retiraient ces cinq centimètres habituels et lui faisait traîner les pieds dans la robe, mais la brunette ne s'en souciait guère. Il faisait beau, il faisait festif et en plus, boire lui était vraiment autorisé... Que demander de plus?

Son gobelet à la main, la jeune femme dandinait de la tête, suivant le cortège avec un rythme sans faille, un peu comme si elle s'entraînait à jogger. Elle s'arrêtait de temps à autres lorsque les enfants se mettaient à courir devant elle pour s'empêcher de trébucher devant eux. Le Carnaval, cette institution de la Nouvelle Orléans était la seule attache qui avait jamais su vraiment la marquer. A tout hasard, la jeune femme se retourna vers son voisin - ou voisine elle n'en savait rien, de cortège et souffla.

" C'est magnifique, pas vrai? Et il fait particulièrement beau en plus! "

Il ne savait pas pourquoi il était là. Par curiosité, c'était ce qu'il se disait. Sauf que c'était faux, il était là pour Sophya. Depuis leur dernière conversation, le Dibbouk était perdu et il était difficile pour lui de tenir son rôle habituel. Le mauvais esprit était invisible pour les mortels, se baladant entre eux sans vraiment réfléchir, le pas léger. Son regard glissa sur une silhouette sombre qui se mouvait avec élégance et rapidité. Ses yeux se posèrent alors sur une femme qui portait un chandail. Il fut attiré par elle et s'approcha. D'une poussée d'énergie, il se rendit visible. On était en mars, certes il faisait froid mais là... Il la regarda attentivement.

« Joli spectacle, n'est-ce pas ? »

Un fin sourire passa sur son visage. Il semblait déguisé pour le carnaval avec sa tenue de vieux cavalier ainsi, il paraîtrait moins bizarre.

Spoiler:

Il croisait alors son regard, il lui a donné froid dans le dos. Pauvre petite médium, il aurait presque eu pitié d’elle tant elle était pitoyable. Un sourire malsain se dessinait sur les traits du visage de Skyler ; puis enfin son sourire meurt. Il n’avait plus de temps à lui accorder ; elle avait été une adorable distraction ; mais à présent il avait un destin plus glorieux à accomplir dans le corps élancé de ce chauffeur de taxi. Il s’était détourné d’elle, qu’elle profite de sa paix encore quelque temps. Les gens riaient, ils fêtaient leur bonheur éphémère. C’est alors qu’il reçut un coup de coude d’une stupide blondasse masquée qui tenait la main de quelqu’un, sa main glacé lui attrape le bras avec une poigne de fer qui lui cisaille la peau ; il la toise du regard ; il ne sait pas comment ses traits se déforment derrière ce masque « Ce serait dommage que la fête soit gâchée par votre faute. » Il était dangereux ; lui aussi avait pour objectif d’approcher les chars ; mais certainement pas pour les mêmes raisons qu’elles. Il relâche doucement son bras et lui adresse un sourire sournois ; qu’elles avancent ; elles seront aux premières loges… « Amusez vous bien… » Tant qu’il en est encore possible. Ses yeux bleus accrochent de nouveau sa cible ; ce char est magnifique… Célébrez la paix, la guerre est plus proche qu’on l’imagine. Que vos corps se disloquent, que vos âmes rejoignent les enfers que vous avez créée, car dieu regrette depuis bien longtemps d'avoir crée l'Homme.

La silhouette sombre lui offrit un sourire cruel alors que ses mains se resserraient encore davantage sur son chandail. Comme s'il était son ancre, sa dernière attache à la réalité alors que ses traits se rappelaient à elle avec toute la douleur et le remord que seuls les souvenirs d'une mauvaise action passée pouvaient évoquer. Fermant les yeux, elle le revit parmi cette assemblée, ce fameux jour. Les yeux encore emprunts d'innocence, ils avaient échangés un regard, ses lèvres s'étirant même en un doux sourire, alors inconscient du fait que celle à qui il souriait venait de sceller son destin de la plus sombre des manières.

Pas une seule nuit, pas une seule heure depuis cet instant n'avait passé sans qu'il ne pense à lui. A cet être candide qui puait la bonté à 10 kms et qu'elle avait condamné par peur. Par couardise, par lâcheté. Parce que, aussi bon qu'on soit au fond de nous, c'est quand même mieux quand ça arrive aux autres. Le plus dur dans tout cela, c'était sans doute qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de s'excuser. De lui demander pardon. Elle n'avait jamais eu le courage d'en parler à quiconque, même pas à Ludwik. De toute manière, personne ne l'aurait cru. Mais surtout? Le poids de la honte.

- Joli spectacle, n'est-ce pas ?

Encore étourdie par l'afflux des souvenirs honteux, elle ne sentit tout d'abord pas la présence qui venait de se matérialiser presque magiquement près d'elle. Magiquement. Une vision bien naïve qui l'avait quittée depuis bien longtemps désormais. Ou qui aurait du. Mettant le désagréable frisson qu'elle ressentit une nouvelle fois sur le compte de sa précédente rencontre, elle tourna la tête vers l'inconnu, à mille lieues de deviner sa nature. Les yeux encore écarquillés par l'effroi de ses visions auxquelles elle aurait pourtant du s'habituer depuis le temps, elle déglutit pour se redonner contenance et acquiesça avec un sourire timide.

- Un des plus beaux que j'ai jamais vus...

Je fixais la parade aussi raide qu'un piquet. Je ne dansais pas, j'observais juste. Les gens qui m'entouraient se comportaient autrement. Ils manifestèrent leur joie, buvaient les boissons distribuées dans les stands installés à quelques mètres de la parade. C'était leur jour, leur moment. Cette joie commençait à me mettre mal à l'aise. J'avais envie de fuir. De retourner me cacher au fond de mes jardins et à jardiner pour oublier que ma vie n'était plus celle que j'avais pu avoir.

Kelen était fou de joie. Il mourrait d'envie de changer la donne, de faire de cette parade sa propre fête. Le genre de "personne" à pourrir votre moment avec ces blagues de très mauvais goûts. Son inspiration était débordante et je sentais son engouement pour la chose : mes mains tremblèrent comme un toxicomane en manque.

Il était temps de partir, je n'avais plus envie de rester et d'attendre que Kelen se manifeste. Il m'épuisait et le fait était qu'il gagnerait encore et toujours. Soudain ma voisine de cortège se tourna vers moi, m'annonçant avec l'enthousiasme d'une enfant :

« C'est magnifique, pas vrai? Et il fait particulièrement beau en plus ! »

J'hochais la tête, simple signe de politesse. Cette parade commençait à me rendre malade. Gérer le bonheur des autres, gérer Kelen, gérer mes sentiments, mon dégout de ne pouvoir profiter de la fête. Mais il fallait croire qu'on m'offrait une seconde chance puisque cette fameuse voisine était Sophya, la seule personne de la ville dont je pouvais parler de Kelen.

« Oui, les journées comme celle-ci sont de plus en plus rares à Nola. Ca.. ça change. »

Elle dodelinait de la tête suivant en rythme le cortège tout en souriant comme une enfant. Le seul événement de la Nouvelle Orléans qui ne l'avait jamais vraiment fait vivre comme quelqu'un venant de cette cité. Son visage pivota vers son interlocuteur, avant qu'elle ne lui adresse un clin d'oeil amical.

" C'est justement l'occasion de tout change. Après tout, le Carnaval nous ouvre les portes d'une nouvelle année non? "

Elle ne faisait pas vraiment attention où elle mettait les pieds, et finit par trébucher, manquant de s'étaler complètement, se rattrapant à la personne juste devant elle, sans pour autant reconnaître cette personne.

"Oh pardon, désolée, c'est cette fichue robe..."

Elle s'était fait mal en plus, avec tout ça...

Alastair ne savait pas pourquoi il était apparu auprès de cette brune, probablement à cause de sa chevelure. Il avait la sale habitude de s'accrocher aux femmes brunes, à leurs beautés de déesses païennes. Il détestait les blondes. Mais si la fête semblait joyeuse et éphémère, cela cachait autre chose, autre chose qui couvait dans les cortèges. Alastair se sentait fébrile comme jamais.

« Vous dansez le jazz ? »

La musique ne laissait place à aucun doute. Du jazz, du bon vieux jazz comme seul la Nouvelle-Orléans savait en produire. Son regard fut attiré par une belle blonde attrapée par l'homme à la capuche. Le rebord des lèvres du Dibbouk se retroussèrent comme un chien ayant reniflé un bon os à ronger. Il adorait voir la violence se profiler, s'avancer. Si seulement il avait su que c'était son ami Skyler !

« Apparemment, certains ont décidé de pousser loin la plaisanterie. »

Pourquoi parler à une médium inconnue ? Car il en avait envie, pardi ! Dans un coin, il distingua Sophya qui bouscula quelqu'un. Décidément, sa petite médium chérie était bien maladroite. Il espérait qu'elle ne se ferait pas mal.

La colère de Yaâqov allait finir par les trahir, il fallait vraiment qu’il essaie de se contrôler, chaque chose son heure. Voila maintenant plusieurs semaines qu’il partageait ce corps avec Skyler et s’il avait du apprendre à combiner avec le caractère de celui-ci, c’était la première fois qu’ils allaient le faire. Il regardait les deux jeunes femmes s’éloigner, il devait se concentrer. Pendant la nuit, il avait commis un crime qui pesait sur la conscience de Skyler. Répandre l’essence ; promettre un feu destructeur… Le dibbouk était un esprit puissant alimenté par sa colère, c’était la haine qui le rattachait à cette vie. Cela faisait des décennies qu’il errait dans le seul but de rendre l’horreur qu’on lui avait fait subir. Le char approche, il le reconnaît, il était resplendissant ; il ferait un parfait flambeau. Skyler avait peur au fond de lui ; un bidon d’essence est caché là dedans et ne demande qu’à exploser. Les particules s’agitent dans l’air, ce type allume sa clope au milieu de la foule ; tout à coup son briquet s’arrache de ses doigts et atterrit ouvert. Un effort qui l’a épuisé et il se réfugie derrière cet homme dépressif dont les yeux tristes fixaient ce qu’il venait de causer. Des flammes commencent à ronger les plumes colorées pour les noircir comme son âme. Fuis espèce d’idiot ; pourquoi faire ? Lui, il voulait mourir… Il redressait alors la tête ; sa capuche tombait sur ses frêles épaules ; tous ces gens vont souffrir et ça sera de sa faute. Quelqu’un cri « Au feu ! » La panique va commencer, il ne sait pas pourquoi… Il en est à la fois terrifié et ravi. C’est la conscience de Skyler qui les rattrape, il sait que ça va exploser et il entend que cette petite fille est perdue ; elle aurait très bien pu être la sienne. Tout ce qu’il avait perdu, c’était bien parce qu’on avait volé sa vie que finalement ils se ressemblaient. « Sauvez-vous ! Ça va péter ! » Un cri du cœur, pauvre monstre qui avait encore un semblant de conscience. Si gérer la possession n’avait pas été difficile à gérer pour le Dibbouk en plus de cet effort, probablement jamais l’alerte n’aurait été donnée. Mais lui, il restait là ; qu’est-ce qu’il était sur le point de devenir ?

Le changement était presque imperceptible. Les visages étaient toujours aussi souriants, la musique toujours aussi ensorcelante, le mouvement de la foule enivrant.

- dansez le jazz?

Une invitation banale dans la bouche d'un inconnu plutôt séduisant. Tout était réuni pour passer une bonne, voir une excellente journée. Elle acquiesça vaguement en se passant nerveusement la main dans la nuque. Et ses hanches, pourtant d'habitude si promptes à se calquer sur le rythme de la musique ne bougeaient pas. Quelque chose n'allait pas. Elle l'avait su à la seconde où son regard s'était posé pour la première fois sur la silhouette encapuchonnée.

-Apparemment, certains ont décidé de pousser la plaisanterie un peu plus loin...

- ...La plaisanterie? Quelle....


Ce qui n'était jusque là qu'une vision de son esprit paranoïaque se concrétisa sous ses yeux. D'abord une odeur chaude, normalement agréable et réconfortante, ici angoissante et étouffante. Les sourires se déformaient, les cris de surprise et de peur remplaçaient les rires extatiques et elle murmura, presque à bout de souffle tant l'angoisse la prenait à la gorge avant de hurler avec plus de vigueur:

- Au feu....au feu.... AU FEU!

Par réflexe, elle tenta d'attraper son compagnon d'un instant en tournant les talons pour fuir le danger mais s'arrêta presque aussitôt, les yeux écarquillés en voyant ses doigts se refermer sur...de l'air. Lui aussi. Elle le regarda un instant, les mâchoires crispées par l'énervement de s'être fait duper. Une fois de plus. Pas le temps de s'attarder. Fuir. Fuir loin de lui, loin du feu, loin de la foule qui bientôt la piétinerait sans remord si elle ne prenait pas d'avance.

Du coin de l'oeil, elle pouvait le voir. L'encapuchonné, autrefois si innocent, ne l'était plus vraiment et semblait même avertir les autres du danger. Un instant elle voulu le tirer par la manche, lui qui ne bougeait pas. Qui semblait cloué sur place. Qui semblait responsable. Peut être ne méritait il pas d'aide, finalement.

Non. Il n'en aurait pas, certainement pas d'elle.

Dans l'ensemble ce cortège de Carnaval se déroulait plutôt bien. Chacun s'amusait et si quelques tensions naissaient, cela ne troublait en rien l'atmosphère festive de la journée. Les couleurs s’enchaînaient dans des costumes plus somptueux les uns que les autres et les musiciens semblaient faire revivre pleinement la ville.

Un sourire se glissa discrètement sur les lèvres de Belaam alors qu'il observait la divine comédie se dressant devant lui. Un geste de la main lui permit de mettre en place ses troupes tout autour de la foule qui ne se doutait strictement de rien. Il avait décidé de s'offrir un peu d'amusement lui aussi. Les terrorise, les terrifier tous jusqu'au dernier et leur faire comprendre que rien dans cette ville ne serait plus en sécurité tant qu'il s'y trouverait.

Un bruit de détonation survint, juste à l'emplacement d'un char qui avait désormais prit feu, stoppant derechef le cortège et faisant se précipiter les habitants dans la débâcle la plus totale. Les gens couraient en tout sens, hurlant, pleurant, se demandant réellement ce qu'il se passait pour que leur ville devienne un tel bazar. Au loin, le Chef des Esprits souriait, regardant le chaos qu'il créait petit à petit à la Nouvelle Orléans.

« Ça, c'est ce que j'appelle du spectacle. »

Tout arriva si vite, même trop vite. J'étais confus, je ne comprenais pas ce qu'il se passait. Sophya trébucha mais en la voyant se relever avec difficulté, je compris qu'elle s'était blessée. La foule était nerveuse, tout le monde se bousculait, criait. Chacun ne pensais plus qu'à sa vie. Je retirais mon masque -l'heure n'était plus à la fête- et aida Sophya à se relever.

« Appuie toi sur mon épaule, il faut qu'on sorte d'ici. »

L'incendie, il se faisait de plus en plus grand et je cherchais à nous mettre à l'abri en nous éloignant de la foule.

Elle accepta la main de Nolan et suivit le geste de retirer son masque alors qu'elle observait les alentours. Qui... Qui osait foutre son Carnaval en l'air? Le seul moment où elle se sentait vraiment bien et s'amusait pleinement. Ces abrutis foutaient vraiment tout en l'air, tout. Son regard se glissa sur Alastair tandis qu'elle le sentait l'observait et fronça les sourcils. Peut-être n'avait-elle pas posé les bonnes questions à l'esprit, lors de leur dernière rencontre. Très certainement en réalité. S'appuyant sur le possédé, la brune poussa un soupir. Les flammes dansaient dans ses yeux alors que son corps ne voulait pas bouger de l'endroit... Son regard tomba sur l'homme qui semblait immobile, la bonne femme à côté d'Alastair...

"Tu as raison. Pourquoi rien ne peut être normal dans cette ville?"

Le char explosa un peu plus, la faisant inconsciemment se resserrer sur son ami tandis qu'elle le repoussait légèrement en même temps pour le mettre à l'abri. Ce Carnaval tournait vraiment au désastre.

Skyler fixait se désastre ; les flammes d’une colère qui ne lui appartenait pas brûlait devant ses yeux bleus. Les gens hurlaient autour de lui, ils couraient pour fuir ; puis tout à coup une main enveloppe son poignet. ‘J’ai perdu ma maman’ ; ce visage en larmes qui le fixait ; son estomac fit des nœuds. Il se baissait et attrapait la petite dans ses bras. Ici c’était trop dangereux, les projections de cendre et de fumée se propageait et il fini par suivre le mouvement de foule. La gamine reconnaît sa mère et Skyler la lui rend, la pauvre femme en sanglot le remercie comme un héro. Il ne l’était pas car enfin tout cela n’était que de sa faute. Une bonne action ne réparait pas ce qu'il venait de faire, ô non jamais... Il vivrait avec cela sur la conscience, il vivrait avec tous les crimes de Yaâqov produit de ses mains comme un vulgaire pantin. Alors il se faufilait entre les gens, il courait parce qu’il ne savait plus quoi faire d’autre. Il n’avait pas fait cela… C’était impossible… Les cris le hantaient et il fuyait parce qu’il avait peur de son ombre.

Une fois suffisamment à l'écart, j'invitais Sophya à s'assoir pour qu'elle puisse se reposer quelques secondes mais ce que je cherchais par dessus tout c'était de ne pas prolonger ce contact physique que je détestais tant. Je me contenais pour pas montrer mon dégoût, mais c'était plus fort que moi, être touché, je ne le supportais pas.

« Je ne sais pas. Parfois je me dis que ce serait plus simple de quitter la ville, mais au final, on ne s'y résous pas. »

Même si nous avions réussi à nous écarter de la parade, l'odeur de l'incendie venait jusqu'à nous, tout comme les cris et les pleurs qui me mettait dans un drôle d'état.

« On ne peut pas rester là très longtemps. »

Les lèvres de la brune se scellèrent rapidement. Jamais elle n'avait vraiment voulu quitter la Nouvelle-Orléans. Elle n'y était pas née mais était le seul foyer qu'elle avait jamais connu, on l'avait adoptée ici. Alors... C'était difficilement envisageable de vouloir partir.

"Je ne sais pas si ce serait très prudent vu... enfin tu sais ce que je veux dire."

Elle parlait de l'esprit qui le possédait bien entendu. Un sourire vague glissa doucement sur son visage s'estompant aussitôt lorsque son regard croisa celui de Furfur.

" Tu as raison, on devrait y aller. Un café à la maison pour se retaper ça te tente?"

Tout mais plutôt que rester là où l'esprit se trouvait... S'il n'était pas déjà trop tard pour partir.

Sophya avait raison, il était difficile de quitter la ville surtout depuis que Kelen avait décidé de vivre en colocation forcé dans mon corps. Une vie paisible, je pense que je n'en retrouverais pas une. Je grimaçais rien qu'en pensant à cet enfer dans lequel je me trouvais.

« Un café ? Oui pourquoi pas, ça nous fera oublier ce mauvais moment ! »

Je me forçais à me montrer poli et tenta tant bien que mal d'esquisser un sourire. Le résultat devait être affreux.

« Tu tiens le coup ? Tu ne t'es pas fait trop mal ? On devrait peut être passer à l'hôpital, vérifier que tout va bien. »

Alastair ne bougea pas quand le char prit feu. Il ne gardait qu'une froide apparence face à toute cette violence soudaine. Son regard se promena sur la pauvre femme à côté de lui qui avait essayé de l'attraper pour constater qu'il n'était pas vivant. Il lui servit le plus mauvais des sourires alors qu'elle fuyait et que lui, ne bougea pas. Il continua d'observer l'agitation ambiante et de nombreuses fois, son regard croisa celui de Sophya. A travers l'espèce fumée qui se dégageait mais aussi des gens qui passaient devant lui sans faire attention, il lisait quelque chose dans son regard. Du dégoût, de la peur ? Si difficile à dire. Alastair éprouvait de la rage à la voir avec ce blondinet à côté d'elle mais il ne pouvait rien dire ou faire. Un pli amer secoua sa bouche et il disparut comme une volute de fumée, furieux.